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FANTÔMES CARLYLIENS


Content :

Fantômes carlyliens
Génies, chefs et héros disparaissent
Hier
Un, personne, et cent mille
Culture et sentiment
Production, science et art
Aesthetica in nuce
Parole et chant
Fécondité du nombre
Art et lutte de classes
Fureurs de Carlyle
Douches d’Engels
Aujourd’hui
Le noble et l’abject
Plus personne ne viendra
Notes
Source


Sur le fil du temps

Fantômes carlyliens

Génies, chefs et héros disparaissent

Il est étonnant qu’un certain nombre de militants décidés du marxisme, dont la « vie militante » est encore brève – peut-être y a-t-il opposition irrémédiable entre marxisme solide et longue vie militante – ne comprennent pas à quel point la thèse historique de la détronisation radicale des individualités d’exception et d’élection est un point non marginal ou accessoire, mais central et fondamental de notre doctrine, qui est absolument inconciliable avec la survivance de la foi en la fonction des grands hommes.[1]

C’est une erreur encore plus grande que de faire une distinction parmi les différents champs de l’activité humaine, en assurant que dans plusieurs d’entre eux, on pourrait sans difficultés, éliminer la fonction du grand innovateur, de l’homme de génie. Il s’agirait dans ce cas de l’économie, de la politique et de l’histoire sociale. Cependant, dans d’autres domaines, la mission personnelle demeurerait intacte : poésie, musique, l’art en général. Si on accepte un instant quelconque cette distinction dilettante, la théorie du matérialisme tombe, et celle qui confie les destinées de l’humanité à la « venue des génies » ou à l’envoi sur terre des « élus de dieu » devient plus respectable.

Hier

Un, personne, et cent mille

On ne doit naturellement pas troquer notre théorie contre celle pour qui tous les hommes ont la même puissance cérébrale, et encore moins contre celle pour qui ils tendent tous à l’acquérir. Depuis longtemps nous avons fait table rase, en économie, de l’opinion stupide que le marxisme signifie égalité de contribution et de rémunération économique, et ce, même on tant que revendication future. Dans le communisme, le rapport entre effort et consommation, non seulement sera toujours une inégalité, mais cela deviendra indifférent qu’il en soit ainsi.

Nous devons considérer notre bataille contre l’individualisme d’une double manière, historique et sociale. Dans les deux cas, nous avons tout autant plumé l’individu général que l’individu spécial, l’aigle et les chapons.

Socialement nous nions que la société soit conduite par des idées ou trouvailles qui viennent au jour dans un cerveau singulier, ultra-puissant et illuminé et qui, grâce à leur force, passent ensuite dans les autres cerveaux et y devient opinion acceptée et volonté opérante. Mais cela ne suffirait pas et ne nous distinguerait encore pas d’un plat égalitarisme bourgeois, juridico-démocratique. L’élément original du marxisme consiste à nier, même pour l’individu pris dans la masse, que la lumière des opinions et de la volonté consciente précède la détermination de ses actions, qu’elles soient de nature sociale, politique, ou qu’elles donnent cours à l’histoire. Le lien que nous trouvons entre les conditions générales – qui, outre la base de la forme de production, comprend tout le bagage collectif de notions et de connaissances dans le sens le plus large, tous les instituts collectifs comme cela résulte de citations que n’auront pas oubliées ceux qui ne sont pas des génies, mais savent lire en profondeur – et le cours de l’histoire, la succession des classes et des pouvoirs de classe, ne préexiste pas dans la tête de tous, même pas dans celle d’un condottiere historique mais, d’une façon plus ou moins obscure, accompagne et suit l’événement. Jusqu’à maintenant les classes dominantes et leurs exécutants ont seulement exprimé de façon confuse leur tâche historique. La première classe qui puisse le faire avec clarté, c’ est le prolétariat moderne; non pas tous les prolétaires, non pas un homme qui les guide et les dirige, mais une collectivité constituée d’une minorité, c’est-à-dire le parti de classe. Le long passé et le long futur de l’humanité (même pas de brèves périodes de ceux-ci dont la durée est celle d’une génération) ne peuvent tenir dans la tête de tous ni dans celle d’un seul qui aurait réussi, le premier, à les englober; ils se trouvent dans la tâche d’un organisme collectif dont la naissance dépend à son tour des conditions générales du cours historique.

Nous voyons donc surgir le futur ni d’une volonté de tous (ou de la majorité malfamée) ni de celle d’un seul. En ce sens nous nions la fonction individuelle. Le moi général et celui particulier ne sont pas les moteurs des faits historiques. On comprend qu’ils en sont les opérateurs. Une telle distinction est la même que celle qui a cours pour les machines. Les machines motrices sont celles qui fournissent l’énergie mécanique, les opératrices celles qui agissent sur le matériel à transformer. Le moi n’est pas un moteur initial, mais un outil final. Et maintenant comment pouvons-nous songer à maintenir debout notre théorie anti-démocratique et anti-éducationniste pour le moi-tous, si nous sommes assez stupides pour céder imprudemment devant la vanité du moi-lui-seul ? Est-ce que nous nous sommes défaits sans hésiter de l’humanité-conscience pour nous ramener à la génuflexion imbécile devant le battilocchio-conscience ?

Une fois bien mis à leur place, dans 1e dynamisme social, les hommes acteurs, et même l’homme acteur, on en vient à la distinction historique. La fonction de l’acteur est une fonction passive; les antiques souches de l’espèce humaine procèdent de façon passive parmi les forces déterminantes non seulement incontrôlées mais inconnues. Au fur et à mesure que le mode de production se complique, les hommes, acteurs inconscients, parviennent toujours plus à connaître les conditions externes et même, dans certaines limites, à les dominer. L’homme collectif, l’espèce, sacrifiera toujours moins à la nécessité aveugle, et c’est seulement dans ce sens, non individuel, qu’elle arrivera dans une société sans classes, à sa libération.

Tout au long de ce cours, l’acteur singulier, le protagoniste qui, dans les formes rudimentaires de production, se différenciait nettement du reste des hommes, deviendra toujours plus inutile. Il a eu tendance, au cours de l’histoire, à émerger de moins en moins de tous les secteurs des innombrables activités humaines.

Contre ce schéma peut bien se lever l’attaque en règle de l’anti-marxisme qui envisage une humanité future toujours poussée à se faire diriger par des Unités supérieures, avec la différence cependant, qu’autrefois elles venaient de dieu, d’une semence sélectionnée au sein d’une généalogie ensuite, grâce au suffrage universel enfin; toujours la même tromperie commise en douce.

Comment un marxiste peut-il abandonner un seul aspect de cette forme sociale qui exclut le moi et les mois et comment prévoit-il que tant qu’un moi émerge, on vit dans une forme sociale où les hommes sont esclaves ?

Culture et sentiment

Dans le bien lointain 1912 se tint à Bologne un congrès des jeunesses socialistes. Il donna lieu à une bataille importante entre « culturalistes » et « anti-culturalistes ». Les premiers affirmaient que l’organisation des jeunes devrait se restreindre à une école de marxisme et ne pas avoir une activité politique ni d’avis à donner au parti « adulte » sur les questions d’action du mouvement. Les élèves mineurs seraient émancipés, après une période adéquate, à l’âge auquel ils deviendraient… électeurs. Il y aurait lieu, surtout aujourd’hui, d’appliquer une formule semblable à une « fédération sénile », où l’en pourrait fourrer tous les anciens qui commencent à branler du chef.

Les anti-culturalistes opposaient vigoureusement que la culture et l’éducation sont, dans l’histoire, des facteurs traditionalistes et anti-révolutionnaires, et que, parmi les jeunes, le déterminisme direct de la lutte révolutionnaire contre les formes anciennes avait toujours eu plus d’effet; que la conscience théorique – défendue avec acharnement par le même courant de gauche comme patrimoine du parti et du mouvement de jeunesse – ne doit pas être pesé comme condition paralysante. Tous doivent avoir la possibilité de combattre, sous la simple impulsion d’un sentiment et d’un enthousiasme socialistes, impulsion liée, évidemment, à des conditions sociales. Ceux qui ne comprirent rien à une telle position dialectique indiquèrent que les anti-culturalistes avaient mis – dans les motivations profondes qui agissent sur une âme juvénile – la foi et le fanatisme avant la science et la philosophie; ils dirent beaucoup de balourdises et parlèrent de culte rénové du héros et de… l’abandon de Marx pour adhérer à Carlyle !

Il y a, évidemment, deux façons de voir l’héroïsme. Le combattant de la masse anonyme et oublié par l’histoire, s’engage dans la guerre civile pour les revendications de sa classe, se met en mouvement sous l’effet d’un égoïsme collectif, c’est-à-dire du besoin d’élever de façon utilitaire ses propres conditions économiques, et arrive – avant d’avoir passé la licence de philosophie et avant d’avoir été baptisé dans la nouvelle religion – à aller au-delà de l’instinct de conservation, en changeant de peau. Ce n’est pas un soldat, mais un volontaire inconnu de la révolution. Le manieur de trique ou de fusil est entraîné dans l’action commune avant même d’avoir connaissance des règlements d’attribution des pensions aux orphelins des victimes et de la médaille commémorative; oublieux de lui-même d’abord, il sera, en tant que personne, oublié de tous, ensuite.

Ensuite il y a le héros avec le H majuscule et les cartes en règle, celui qui dirige la bataille et qui, non seulement se réserve toutes les indemnités et les lauriers du poète mais attend que le public de l’histoire soit à sa place après avoir bien lu les programmes portant les noms des premiers rôles; et, après avoir fait présenter les armes aux morts par les vivants stupides, il se retire pour effeuiller, toutes portes closes, la Rose du butin.

Un héros de ce genre était l’objet des ardeurs de Carlyle que nous n’avions jamais eu le désagrément de lire, et l’objet juvénile de notre dégoût marxiste.

Production, science et art

Pourquoi seule notre espèce animale est-elle définie « sapiens ». Certainement pas parce que nous l’avons emporté à la loterie de la création sur l’âne et le perroquet (respectable et, pensons-nous souvent, redoutables concurrents). L’homme est la seule espèce vivante qui a la science, parce qu’il a le travail. Mais l’art ne se tient pas dans un ciel plus élevé que la science ou le travail, il se tient juste entre les deux. Nature et art : c’est la classique opposition entre les deux énergies qui nous gouvernent. L’espèce animale s’abreuve à la nature seule, l’espèce homme produit toujours la plus grande part de ce qui la fait vivre. La production est art.

Si le premier animal à travailler avait été un Robinson immortel et stérile, qui n’avait pas à transmettre à des compagnons et des successeurs les règles de la taille de certaines plantes pour se faire une palissade auteur de sa cabane, l’art n’aurait pas été, en ce sens que le Robinson aurait seulement remarqué l’harmonie de cette ceinture organisée, par rapport au buisson dans lequel se cache le chacal.

Pourquoi « arte » et « arto » (arto = membre), sont-ils le même mot ? Parce que ce n’est pas du cerveau et de l’esprit absolu que vinrent la richesse incommensurable, des constructions humaines, mais de la main qui en premier lieu modifia la branche et la pierre on vue de la recherche d’aliments. L’esprit arrive le dernier, très haut parasite d’efforts inconnus et millénaires, ivresse superbe de la vie différenciée et placée sur l’autel de milliards de victimes immolées en d’humbles actes simples qui rendirent possibles chaque pas successif, chaque conquête rudimentaire; esprit réchauffé et illuminé par les hauteurs enthousiastes dont il se dit indécemment 1e seul géniteur; esprit ignorant de ce que coûta la première étincelle physique jaillie du fond des savanes glaciales, en dépit des Dieux, et à quel point il était difficile pour des bras transis de tirer de deux branches moussues frottées à vive allure, la température de l’allumage. Combien et combien de milliers d’années après sut-on qu’il fallait 427 kilogrammètres pour chaque calorie ? Mais à quelle époque date-t-on la plus gigantesque conquête ? Et porte-t-elle un nom stupide ?

Il est bien clair qu’une telle déduction sur des résultats ultimes de l’art – et les plus grands ne sont pas précisément les derniers à tomber contre la censure impitoyable de nos ennemis de parti et de classe, et que leurs conceptions se construisent sur un cours diamétralement opposé. Et il est également clair que leur opposition désespérée et acharnée se lie étroitement à la défense de la théorie du génie qui domine la masse informe. Cela seulement lui permet de battre en brèche notre recherche des lois historiques qui – en dehors de toute attente de l’apparition d’élus – décrie l’écroulement des pouvoirs actuels de classe et le cours inexorable de la révolution.

Pour orienter un peu notre nacelle dont la boussole ne fonctionne pas, nous rechercherons le nord absolu en revenant à Croce. Non pas que celui-ci soit si banal de se refuser à admettre les influences par nous indiquées entre les créations artistiques et le milieu des conditions naturelles et sociales ainsi que le déroulement des événements historiques. Mais ce complexe d’éléments relatifs tourne autour d’une donnée absolue sans laquelle ils resteraient inertes. Cela parait, en conséquence, compréhensible, qu’une semblable donnée soit contenue dans un unique Crâne. Mais nous ne jouons pas au jeu de formuler nous-mêmes la contre-thèse avec des termes qui pourraient à bon droit être rejetés.

Aesthetica in nuce

Pour Croce, l’esthétique est le noyau, pour nous l’écorce. « L’esthétique, en démontrant que l’activité esthétique ou l’art est une des formes de l’esprit, est une valeur, une catégorie, ou comme on voudra, la nommer, et non (comme le pensent des théoriciens de différentes écoles) un concept empirique rapporté à certains ordres de faits ou hybrides, on établissant l’autonomie de la valeur esthétique, elle a par-là-même démontré et établi qu’elle est prédicat d’un jugement spécial, le jugement esthétique, et qu’elle est matière d’histoire, d’une histoire spéciale, l’histoire de la poésie et de l’art, l’historiographie artistico-littéraire ».

L’antithèse est posée, nous semble-t-il, nettement et de façon insurmontable. Or, on ne peut être marxiste, si l’on n’enferme pas l’histoire de l’art dans celle de la technique et de l’économie, et donc dans l’histoire politique. Du reste les grecs disaient tekné peur dire art, et ils en savaient quelque chose.

Nous nions l’autonomie du concept du beau qui, selon Croce, est irréfutable depuis que Kant l’aurait découverte, de façon analogue à l’autonomie et à l’universalité du concept du juste par rapport à l’intérêt et même par rapport au raisonnement. Par la même voie royale nous ramenons les concepts du beau et du juste, de l’absolu à la relativité, de l’universalité à la contingence, de l’autonomie à la dépendance étroite vis-à-vis des conditions matérielles et des intérêts. Rendre ce service destructeur au droit et ne pas le rendre à l’art, ce n’est ni du marxisme ni du kantisme, mais une imbécillité absolue et autonome.

Cette question est toute entière liée à celle des génies, des individus d’exception.

Dans un bref passage du « Filo » précédent nous montrions que la fonction d’un élément dirigeant de la communauté sociale est en rapport avec la nécessité pratique de transmettre les données de l’expérience difficile en continuel renouvellement et accroissement d’une génération à l’autre, des adultes de la communauté aux nouveaux-nés et adolescents de celle-ci. Nous rappelions la forme plus immédiate de direction dans le matriarcat, et, quand la chasse et la guerre prévalurent, dans l’homme le plus musclé et le plus apte aux armes. Avec les règles ultérieures et les « secrets » de travail, la tête forte commença à l’emporter sur le bras fort. La tradition peut seulement passer par la mémoire, et toute entière par elle : le sorcier, le prêtre, le sage prennent la première place. Au fur et à mesure que le bagage de connaissances communes dans la production devint plus complexe, sa communication devint plus essentielle et impérative. Bientôt cette charge dépassera la force de n’importe quel bras comme de n’importe quel cerveau.

Nous montrions aussi que comme le langage, la parole articulée avait constitué le premier moyen de transmission de traditions des ressources qui détache nettement l’espèce « sapiens » de celles purement animales, en commençant, dans le même temps, à transformer la « consigne » en un fait plus collectif. D’autres moyens grandioses survinrent bien vite, et permirent de conserver et de transmettre ce qu’une seule tête ne pouvait plus contenir. L’écriture en est un des principaux, et ainsi l’effort colossal de tension de la mémoire fut réduit à un minimum. Bien d’autres moyens survinrent, tous niveleurs, tous détrôneurs de la nécessité des hommes exceptionnels peur résoudre les problèmes de la vie commune; nous en sommes déjà aux machines qui pensent et raisonnent mieux que l’homme commun.

Il convient de s’arrêter un peu en arrière, avant l’écriture et tout de suite après le langage : à la musique qui semble être un domaine de transcendance et d’absolu et qui, au contraire, naquit comme expédient pratique, et utilitaire, non comme de l’envolée isolée d’un cerveau individuel, mais de l’activité de la mémoire collective.

Parole et chant

On s’est justement souvenu de l’écrivain allemand Thomas Mann, champion actuel du conformisme démocratique, comme d’un précurseur, à l’époque de Guillaume II, des doctrines hitlériennes sur la mission nationale du peuple et de l’État allemand. Son énoncé, vieux de 40 ans, sur la nécessité pour l’Allemagne d’avoir une histoire mondiale, comme l’avaient eue l’Espagne, la France et l’Angleterre, n’aurait rien ou d’insensé, sinon le retard eu égard à l’époque où Marx et Engels insultèrent la bourgeoisie allemande pour son absence honteuse sur la scène de l’histoire et sa voie tortueuse pour arriver à l’état national, avec un siècle de retard. Mais ce qui l’emporte, dans l’esprit de Mann, c’est – comme dirait Croce – l’opposition des valeurs de l’esprit allemand aux valeurs occidentales. Mann s’élevait alors contre cette « Zivilisation » qu’il admire aujourd’hui dans le cirque philo-américain, et lui opposait la « Kultur » allemande. Celle-ci était pour lui non seulement anti-occidentale et anti-démocratique, mais aussi anti-autoritaire et anti-littéraire : l’Allemagne était la terre (Land) unliterarisches, wortlos, nicht wortliebend : ennemie du mot et de la prose; la profondeur allemande trouvait son expression non dans la superficialité des bavardages, mais dans la métaphysique, dans la poésie, et par-dessus tout dans la musique, l’art qui sans mot parle à l’homme.

S’il est vrai que la musique a une expression supra-nationale, il est non moins vrai qu’elle naquit comme véhicule de la parole, et à son tour la parole était née comme véhicule des règles du travail, de la technique. Donc l’art n’est pas le moyen d’exprimer, de transmettre, mais le contenu même de la transmission, de l’expression.

La voie naturelle et historique fut donc : règle uniforme de travail et de vie, musique, chant poésie, et bien après, parole et prose. Mann, apologiste barbare de l’illettré Arminius qui, dans la forêt de Teutobourg, écrasa les légions du raffiné Varus, est beaucoup plus à sa place que le chercheur actuel de liberté s’élevant contre les excès qu’en 1914 il appelait « révolutionnaires », tel que la dénonciation des traités, textes non musicaux.

Les premières constitutions ne pouvant encore être inscrites ni gravées sur la pierre des monuments furent transmises mot à mot par la mémoire. La nécessité mnémonique les fit rédiger en versets : dans la légende un seul les rédigea, en réalité, elles condensèrent la pratique et le savoir communs.

Aujourd’hui le poète qui écrit et imprime, jadis chantait seulement. Mais le poète alors n’était pas un individu, mais bien la communauté, et celui qui n’aurait pas su chanter les vers n’aurait pas eu d’autres moyens de conserver les données de sa vie. La prose civilisatrice a conduit aux comptes on banque, à la portée de n’importe quel cynique rustre. Mais alors on semait, on récoltait, on épousait, on naissait au chant de données rythmées, que tous connaissaient, parce que la mémoire collective retient le vers et le motif musical, et l’idée de confier à la mémoire la phrase non rythmée est postérieure à l’écriture.

Fécondité du nombre

La musique se fixe dans la mémoire à cause de ses caractères mécaniques et physiques. Le rythme est nombre et mesure exacte du temps. La tonalité et l’accord sont l’effet d’une stricte proposition mathématique dans le nombre de vibrations qui frappent l’oreille. C’est le premier instrument de musique dont l’homme s’est servi; l’œil qualitativement plus riche est quantitativement sujet à de grosses erreurs.

Le fait pratique est que, grâce à la musicalité du chant en chœur, il fut possible, à l’origine, de transmettre et d’enseigner les normes à une collectivité et donc de consolider sa conquête vis-à-vis des bêtes : l’art productif. L’homme chante pour vivre, non pour se divertir ou parce qu’il a découvert un plaisir absolu et « inutile » comme Kant prétendit le découvrir. C’est l’unique moyen qui corresponde à ce but utilitaire : maintenir l’espèce on vie et on développer la puissance, lorsqu’il n’y avait pas d’autres archives en dehors de la mémoire de tous.

Élucubration ou nouveauté personnelle ? C’est une chose vieille de trois mille ans. Dans la mythologie grecque les neuf Muses sont filles de Mnémosyne, déesse de la mémoire.

Si le rossignol a le sens du ton et du temps musical, cela prouve seulement que la musique est plus proche d’une fonction naturelle et matérielle que d’une approche lointaine du pur esprit.

Une objection souvent ressassée est celle-ci : le mode technique d’écrire la musique ayant été trouvé bien après celui d’écrire le langage, les huit signes des notes contiendraient n’importe quelle partition merveilleuse.

La faculté d’établir l’égalité entre deux entités est une conquête très élevée de la connaissance humaine. Le primitif ne connaît sensoriellement que des objets concrets dont aucun n’est égal aux autres : deux pierres, deux feuilles, quatre oiseaux, et, à l’origine, il s’arrête à cinq, le nombre de doigts de sa main.

Dans l’antiquité, Pythagore était renommé pour avoir assimilé dans son école musique et mathématique : toutes les deux numerus. Le fait que du même pas on aille de un à deux, et puis de deux à trois, semble aujourd’hui non seulement facile et clair, mais immédiat et banal, même pour l’enfant de l’école primaire. Mais il fut un résultat de haute portée, stupéfiant. Le « principe de récurrence » qui permet de traiter avec cette méthode la série infinie des nombres n’est pas évident, il n’est pas axiomatique, il n’est pas démontrable par la déduction logique, et il ne se trouve donc pas dans les catégories de l’esprit où il suffit de le pêcher. C’est un résultat auquel on accède empiriquement grâce a la collaboration d’êtres innombrables dans la vie de l’espèce parlant, chantant et comptant. (Excusez le jeu de mots.[2])

Comme dans le principe de récurrence sont contenus les théorèmes les plus ardus de toute la haute arithmétique et de la mathématique, les équations de la relativité généralisée d’Einstein – comprises par une dizaine d’hommes sur un million – et celles de la théorie unitaire pour le moment encore bien mystérieuses, de même la neuvième symphonie est incluse dans les huit notes de d’Arezzo. La complexité et la hauteur dépendent de la longueur et de la richesse du long chemin.

Que la 9° Symphonie ait été écrite, c’est extraordinaire. Mais ce n’est pas moins extraordinaire que quiconque ne puisse l’exécuter sans qu’elle n’émeuve même des hommes qui ne possèdent pas la même langue. Sa valeur universelle n’était donc pas donnée au départ, mais à l’arrivée d’un long parcours d’une infinité d’hommes en marche.

Art et lutte de classes

Sautons artificiellement les degrés et les thèses de cette échelle plus longue que celle que vit Abraham. Dans sa critique, le marxisme a toujours relié les grandes périodes d’or de l’art aux grandes vicissitudes du passage d’un mode de production à un autre. S’il y eut un art collectif et naturaliste ce fut celui des grecs que d’aucuns considèrent – pour certains de ses chefs d’œuvre – indépassable. Pourquoi un tel art dans son foisonnement, suivit de l’Attique aux rives asiatiques de la mer Égée colonisées par les grecs, la première économie industrielle et commerciale, et se retire des colonies quand les perses vainquirent leurs libres citoyens ? Toujours pour progresser avec des bottes de sept lieues voici un passage d’Engels : « Si le crépuscule des classes d’autrefois, comme la cavalerie, peut offrir matière à de grands chefs d’œuvres tragiques, cette misérable petite-bourgeoisie (allemande) ne suggère que d’impuissantes élucubrations d’une malignité fanatique… ».

Comme toujours le temps est venu de puiser chez Engels. Il s’agit de prouver que nous ne sommes pas en train de créer d’un seul jet de nouvelles théories comme il est coutume de la faire devant un bon verre de vin, mais que nous puisons dans le grand filon doctrinal.

Il s’agit des rapports entre capitalisme et art qui nous conduiront à nous occuper du rapport entre capitalisme et héros.

La montée et la première éruption des révolutions bourgeoises, dans diverses nations, du quinzième au dix neuvième siècles apportent de grandes floraisons dans la littérature et tous les arts. Géographiquement nous avons : Italie, Hollande, France, Angleterre, Allemagne, Russie. Mais à peine le mode de production capitaliste, issu de son incubation révolutionnaire, se répand-il qu’il se révèle crassement anti-esthétique. Avec quels actifs faites-vous le bilan artistique de cette moitié du vingtième siècle ?

Quelque chose de semblable advint pour le bilan « héroïque ».

A ce sujet nous avons aussi à notre disposition un article de 1850 qui concerne un connaisseur en la matière : Thomas Carlyle. Il s’agit on fait d’une de ces raclées théoriques dans laquelle nous regrettons qu’il soit trop question des balourdises carlyliennes et que – seulement en jets de lumières opposés – s’esquisse notre construction sur ce thème.

On peut compter Carlyle parmi les nombreux ennemis et critiques de la sordide société capitaliste naissante, parmi les différents économistes, sociologues, politiciens, littérateurs, qui, s’ils en décrivent parfois de façon sculpturale les côtés méprisables et surent la dénuder de ses oripeaux de progrès et de civilisation, ne furent pourtant pas à la hauteur de comprendre ses apports irremplaçables et, tout en ayant des accents de contestation et de révolution, retombèrent dans les nostalgies de l’ancien régime.

Ces hommes ne pouvaient comprendre que la puissance productive immense du travail associé, que le capitalisme introduisait, il est vrai, sous son aspect d’exploitation et de monopole de classe, portait sur la scène des forces telles que les exploits légendaires et individuels des héros s’en trouvait obscurcis, et que c’était un résultat irrévocable. Les nations étaient tombées sous le gouvernement d’une classe d’ouvriers, de boutiquiers et de négriers cyniques et grossiers, mais pour les jeter à bas il ne s’agissait pas de ressusciter princes et chevaliers. Leur comportement stupide – consistant on ce que le « requin » ou le parvenu moderne achète à prix d’or, avec le produit de la vente de ses saucissons, un Rembrandt, faux de surcroît – s’il rappelle le consul romain qui on confiant aux esclaves qui conduisaient le navire une statue du Parthénon, les menaçaient de les contraindre à la refaire s’ils la brisaient – n’empêche pas que le marchand moderne ou le guerrier antique firent tourner on avant la roue de l’histoire.

Fureurs de Carlyle

L’écrivain anglais lance feu et flammes contre la bassesse des temps. Il invective la vulgarité des bourgeois, et même la sujétion des prolétaires, des pauvres, qui s’abrutissent sous leur exploitation et les menaces tous d’une extermination rhétorique.

La révolution, parce qu’elle est drame en action, l’exalte. « Il se peut – dit Engels – qu’il on fasse l’apologie », mais cette révolution « se concentre pour lui dans un individu particulier, Cromwell ou Danton ». Hélas, combien sont devenus communistes et marxistes seulement parce qu’ils virent en Lénine, non la longue lutte, le travail immense, la reconstruction lucide de Lénine, mais seulement son succès sensationnel, l’homme qui donne son nom à un drame de l’histoire, et coururent s’abreuver d’admiration, et pas plus. Ceci coûta fort cher au parti révolutionnaire, et ruina l’œuvre de Lénine lui-même.

Le génie pour Carlyle avait toujours raison en quelque sens qu’il travaille. Il admirait le style de certains littérateurs allemands aujourd’hui pratiquement inconnus, mais il n’avait pas aperçu Hegel, qui était bien plus grand. C’est le lot de ceux qui cultivent les valeurs personnelles. Engels remarque « Dans la brochure actuelle, du culte du génie, que Carlyle partage avec Strauss, le génie s’est enfui, le culte est resté. » (Werke. Tome 7. Page 256.)

En effet ce besoin morbide d’admiration de hautes cimes a presque toujours ce destin : la passivité. La plate adulation a pour fin elle-même, et au cas où elle ne peut se polariser sur une personne, l’admiration disparaît; mais ensuite elle se réveille dès qu’elle peut trouver des personnages momentanément colorés, mais intrinsèquement vides et destinés à l’obscurité la plus profonde.

Un homme comme Carlyle ne pouvait pas ne pas être touché par les événements orageux qui en 1848 incendiaient l’Europe. Mais de même qu’il ne veut pas admirer l’avènement de la force industrielle et commerciale de l’économie, de même il n’est pas disposé – et il a raison – à faire l’apologie du libéralisme et de la démocratie. Elle est de lui la satire du navire pris dans les tempêtes du Cap Horn, où, ayant perdu la direction, on choisit la route en mettant aux voix les points cardinaux entre les membres de l’équipage, pour adopter celui qui obtiendrait la majorité. Mais le sens historique tombe à zéro; et pourquoi ? Parce qu’il reste à la recherche du protagoniste de haute stature. Où va-t-il le trouver ? En Pie IX ! Où voit-il les forces en lutte ? Dans le féodalisme et le capitalisme, dans le système autoritaire et le système constitutionnel ? Au grand jamais ! Il s’agit de la lutte entre le vrai et le mensonge, le faux, les fantômes et c’est contre de telles ordures qu’il voit se soulever les foules populaires de Paris, Vienne, Messine ou Lisbonne.

Quand il s’agit ensuite d’établir qui guide le vrai et le grand, alors l’auteur se rabat sur les sages, les élus, les nobles, qui seuls pouvaient s’élever à une telle tâche. Il réduit alors la lutte historique, au contenu de laquelle il n’a rien compris, à une recherche fiévreuse du grand guide, de la haute figure, à qui confier les destins d’une humanité misérable. Et tandis qu’il méprise l’égoïsme grossier des bourgeois incapables de lever les yeux à ces altitudes, il finit par tomber sans s’en apercevoir dans une admiration illimitée pour les modernes capitaines d’industrie… Et pour en arriver là, il avait expliqué les mouvements de 1848 par le mot d’ordre qui aurait enflammé les foules : Hors d’ici, sots, hypocrites, histrions, hors d’ici vous tous qui n’êtes pas des héros ! Il nous faut des héros !

Cette faim de héros a stupidement survécu d’un siècle à ces imbécillités, effleurant sans s’en apercevoir les analyses marxistes sur 1848 et toutes les autres grandes éruptions historiques du sous-sol de l’Europe.

Douches d’Engels

On ne peut que reprendre la démolition impitoyable d’Engels : « On voit que le noble Carlyle part d’une conception absolument panthéiste. Tout le processus historique serait déterminé, non par l’évolution de la masse vivante, laquelle dépend naturellement de certaines présuppositions variables et produites historiquement, mais à leur tour déterminées… Tout dépendrait d’une connaissance d’une loi éternelle de nature… accessible aux sages et aux nobles, non pas aux fous ni aux gredins. A la lutte entre classes on substitue cette antithèse qui se résout par le soumission aux nobles et aux sages, et donc par le culte du génie ». Mais comment, poursuit Engels, trouver qui sont ces sages et ces nobles ? Cela conduit seulement à reconnaître la domination de la classe privilégiée qui, outre le reste, monopolise encore la sagesse. Et à courber encore la tête sous la domination triviale des bourgeois, qu’il ne méprise qu’en paroles. « Il ne s’irrite et ne gronde que parce que les bourgeois ne portent pas à la tête de la société leurs génies méconnus ». C’est de cela que Carlyle reconnaît qu’a surgi « une classe nouvelle de meneurs d’hommes qui font reconnaître en Angleterre une aristocratie nouvelle ». (Werke. Tome 7. Pages 261–262.)

C’est à cela que conduit le « culte du génie », à se prosterner devant son ennemi. Bien des gens superficiels viendraient au parti prolétarien s’il étalait « ses génies inconnus ». Mais s’ils aperçoivent des génies plus importants de l’autre côté, ils y passent. Dans des rencontres avec des philistins de la politique, on entend demander, parlant d’un parti donné ou d’un mouvement, avec un air suffisant : quels hommes ont-ils ?

Le parti marxiste doit toujours dire : nous n’avons pas d’hommes à exhiber. En présence et contre la classe et le parti adverses, nous proposons d’éjecter tous les génies et les imbéciles; voilà tout.

Aujourd’hui

Le noble et l’abject

L’histoire des opportunistes et des trahisons des trois internationales peut se réduire à la frénésie active et passive de la personnalisation.

La raillerie d’Engels à l’égard de Carlyle s’achève par l’examen de sa théorie du noble et de l’abject, qui s’exaspère dans la manie de trouver les extrêmes, les sommets de l’un et de l’autre. Les nobles élimineront les ignobles, petit à petit le plus noble pendra le plus gredin, et il ne restera plus à Carlyle, seul dès lors, qu’à se pendre lui-même.

Ceci est peut-être un jeu dialectique, mais il est certain que l’idiote doctrine du criminel historique ne pouvait induire rien d’autre.

Mussolini, par exemple, n’aurait jamais pris un tel relief, et son autoexaltation dans les rangs de ceux qui le suivaient n’aurait pas été si poussée, si de la partie adverse on ne l’avait pas gonflé jusqu’à en faire le banditissime carlylien, la source profonde de tout mal, comme il en avait été avec Guillaume, et comme il en fut à peu près de même pour Hitler.

Les anti-fascistes bourraient les oreilles de tout un chacun en disant qu’ « il » avait fait ceci et cela, qu’il forait ceci et encore cela, et il fallait leur rappeler la petite règle grammaticale selon laquelle le pronom sert à rappeler un nom déjà cité.

A l’époque actuelle, nous tendons à fonctionner sans aucun « lui ». Cela advient dans l’économie. Il en sera de même, si le marxisme n’est pas une simple sauce vulgaire, dans la politique, la science et l’art.

Nous n’avons pas besoin pour l’apprendre de voir en Russie le régime bourgeois sans bourgeois, et de voir que Malenkov, comme Staline, ouvre et ferme comme un robinet la verve créatrice des écrivains et des artistes, des peintres et des musiciens.

Il suffisait de lire chez Engels, dans le chapitre crucial de l’Anti-Dühring ce qu’est la phase D (que les imbéciles ont « découverte » en 1950) du cycle capitaliste.

« D- Reconnaissance partielle du caractère social des forces productives s’imposant aux capitalistes eux-mêmes. Appropriation des grands organismes de production et de communication, d’abord par des sociétés par actions, puis par des trusts, ensuite par l’État. La bourgeoisie s’avère comme une classe superflue; toutes ses fonctions sociales sont maintenant remplies par des employés rémunérés ».

Après cette démonstration, on passe à la « révolution prolétarienne ».

Mais retournons au génie et au chef. Si le capitalisme finit par se passer de la personnalité, le communisme commence par là. La dégringolade épouvantable que la force révolutionnaire a accompli au cours de ces trente dernières années est en relation étroite avec l’exaltation continuelle des personnes, avec la maudite fabrication de génies inconnus que – comme défiés par un nouveau Carlyle – nous avons été assez crétins pour les mettre sur pieds. Le plus beau c’est que certains types d’imbéciles à faire peur, ont été élevés au grade de chef-marchandise, et que les moins imbéciles ont reçu cent fois les épithètes d’abject et de vauriens.

Plus personne ne viendra

La grégarisation de la classe ouvrière est parvenue à son extrême. Pendant de longues décennies, elle est restée stupidement à attendre, non l’heure du combat pour ses propres buts et son propre programme, mais que « lui » s’en fut allé, et, quand les différents lui sont réellement partis, elle s’est retrouvée plus esclave qu’avant.

Après ils l’ont mise en condition d’attendre avec foi que « Joseph vienne ». Mais Joseph est mort sans entreprendre le voyage. Toutefois on répète aux travailleurs non de se mettre en mouvement à l’aide de leurs propres moyens, mais au contraire d’attendre qu’un autre vienne.

Pourtant dans toutes les révolutions le Messie fut improductif. Même le mythe chrétien le déclare. Les apôtres demeurèrent tristes et désemparés, ainsi que les autres disciples mineurs, quand Jésus annonça sa disparition prochaine. Comment ferons-nous, comment feront les foules, privés de Ta direction ?

Mais le Christ dit : Je dois retourner auprès de mon Seigneur et Père. C’est trop facile pour vous de me voir ici comme personne physique, faite chair, que vous supposez douée de tous les pouvoirs, tandis que je succomberai physiquement sous les coups de l’ennemi. C’est seulement après mon départ que l’Esprit Saint, invisible et impalpable, descendra parmi vous et les foules du monde entier. Des millions d’humbles investis par lui vaincront les forces adverses, sans le Chef physique.

Le mythe représente en fait la force sociale, souterraine d’une immense révolution qui minait le sol de tout le monde antique.

Tout était facile quand le Maître faisait taire ou trembler tous, offrant des miracles, guérissant les infirmes, ressuscitant les morts, et faisant tomber l’arme des mains de l’agresseur.

Les ouvriers vaincront s’ils comprennent que personne ne doit venir.

L’attente du Messie et le culte du génie, concevables pour Pierre et Carlyle, sont seulement, pour un marxiste de 1953, une misérable couverture d’impuissance.

La révolution se révélera terrible, mais anonyme.

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« La concentration exclusive du talent artistique dans les individus et par suite sa suppression dans la grande masse est la conséquence de la division du travail. Si même dans certaines conditions sociales chacun était un peintre distingué, cela n’exclurait nullement que chacun fut en même temps un peintre original, de sorte qu’ici encore la distinction entre le travail « humain » et le travail « unique » aboutit à une simple absurdité. Dans une organisation communiste de la société, l’artiste, en tout cas, n’est plus soumis à la limitation locale ou nationale qui résulte uniquement de la division du travail, ni à cet art déterminé, en sorte qu’il n’est plus que peintre, sculpteur, etc.., et que le nom seul exprime déjà suffisamment la limitation de son développement professionnel et sa dépendance de la division du travail. Dans une société communiste il n’y a plus de peintres, mais tout au plus des hommes qui, entre autres choses, font aussi de la peinture ».[3]

Notes :
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  1. Publié dans « Il Programma Comunista » № 9. 1953. [⤒]

  2. En italien : cantante e contente. [⤒]

  3. Karl Marx, « L’idéologie Allemande ». [⤒]


Source : « Invariance », numéro 5, janvier mars 1969

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