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LE PARTI COMMUNISTE D’ITALIE FACE À L’OFFENSIVE FASCISTE
(1921–1925) – IV



Content :

Le Parti Communiste d’Italie face à l’offensive fasciste (1921-1925) – IV
Vers le « pouvoir »
1) Le rôle invariablement contre-révolutionnaire de la social-démocratie
2) Le rôle non moins contre-révolutionnaire de l’aile maximaliste du P.S.I.
3) La collusion de la social-démocratie, de l’État démocratique et du fascisme
Notes
Source


Le Parti Communiste d’Italie face à l’offensive fasciste
(1921–1925) – IV

Les trois premières parties de cette étude ont paru dans les № 45 (juillet-septembre 1969), 46 (octobre-décembre 1969) et 47 (janvier-mars 1970).

Vers le « pouvoir »

Si nous nous sommes arrêtés longuement sur la grève d’août 1922 et sur les luttes prolétariennes qui l’ont précédée, c’est qu’elles confirment trois thèses communistes capitales :

1) Le rôle invariablement contre-révolutionnaire de la social-démocratie

Tant que l’Alliance du Travail exista et agit, la social-démocratie, qui était opposée à la grève générale lors des grands mouvements ouvriers de l’automne 1921 et du printemps 1922, repoussa constamment les propositions des communistes qui voulaient que la grève fût déclenchée à l’occasion d’une épisode marquant de la lutte contre le fascisme ou de l’offensive des chemises noires contre les centres ouvriers. Or, lorsque la direction de droite de la C.G.T. décida enfin la grève générale, ce fut « à froid », sans préparation appropriée, en liaison avec une vulgaire manœuvre parlementaire, ou plutôt gouvernementale. En outre, elle divulgua par l’intermédiaire d’un de ses journaux l’ordre de grève qui devait rester secret, de sorte que les forces de l’ordre furent averties à temps ; elle céda au chantage fasciste, alors que, manifestement, aucune section de chemises noires n’aurait appliqué l’ultimatum « de quarante-huit heures à l’État pour qu’il fasse preuve de son autorité » si l’État lui-même n’était entré en action ; enfin elle ordonna d’arrêter la grève qui, grâce à l’adhésion totale des travailleurs, était alors en plein développement, uniquement pour pouvoir ensuite la discréditer, en déclarant comme firent aussitôt les partisans de Turati : « Cette grève a été notre Caporetto ! ».

2) Le rôle non moins contre-révolutionnaire de l’aile maximaliste du P.S.I.

Pendant toute cette période cruciale, le maximalisme couvrit l’aile droite en se retranchant derrière une « intransigeance » parlementaire et un anti-ministérialisme trompeurs et en l’empêchant d’entrer dans le gouvernement, alors que cela aurait été mille fois souhaitable pour démontrer définitivement aux ouvriers que l’unique fonction des « socialistes » était de saboter la lutte prolétarienne.

3) La collusion de la social-démocratie, de l’État démocratique et du fascisme

La première prépara l’intervention du second comme « organe de défense de la légalité », et en intervenant avec ses propres forces, celui-ci fraya la voie au troisième, qui alors seulement et seulement grâce à ces circonstances préliminaires, réussit à « conquérir » les citadelles prolétariennes. Cela apparaît nettement, entre autres, dans le rapport du C.C. du P.C.d’Italie sur la période comprise entre le IIIe et le IVe Congrès de l’I.C., c’est-à-dire entre mars et octobre 1922 :

« Du centre des villes où ils étaient concentrés, les fascistes marchèrent sur les quartiers ouvriers qui les reçurent par des coups de fusils tirés de partout : coins de rues, maisons, barricades et tranchées improvisées. Les fascistes s’étant retirés en demandant de l’aide, la force publique entra en scène avec des mitrailleuses et des voitures blindées : les maisons furent arrosées de rafales de projectiles, puis envahies par des centaines d’hommes armés, et tous les habitants suspects de s’être défendus furent arrêtés. C’est par la suite seulement que les fascistes revinrent pour détruire, incendier et piller, la police qui aurait dû les repousser ayant l’ordre de… tirer en l’air et de les laisser passer. Ce ne sont donc pas les fascistes, mais bien la police qui a pris Ancône et Livourne. Quant à Milan et Bari, Rome et Gênes, elles résistèrent. »

Par la suite, à Milan, la municipalité socialiste fut chassée par les chemises noires. Celles de Crémone et de Trévise furent dissoutes. Dans les premiers jours de septembre, ce sont Terni et Civitavecchia, sur la route de Rome, qui tombent à leur tour. À Udine et Novarre, Plaisance et Crémone ont lieu de grands rassemblements fascistes qui resserrent de plus en plus le cercle autour des centres ouvriers.

À son second Congrès national de Rome, le P.C.d’Italie avait réagi avec la dernière énergie contre les thèses défendues par le représentant du Parti Communiste allemand (véritable inspirateur des tournants tactiques de l’Internationale) en faveur non seulement du front unique, mais aussi et surtout de l’appui, voire de la participation des communistes à un gouvernement « ouvrier », c’est-à-dire social-démocrate, comme « transition » à la prise révolutionnaire du pouvoir. Pour lui en effet, il ne pouvait y avoir aucun doute sur le fait que le rôle permanent et invariable de la social-démocratie était de trahir :

« Le parti communiste est à la révolution ce que le parti socialiste est a la contre-révolution… Si, sur le terrain politique, nous nous refusons à serrer la main aux Noske et Scheidemann, ce n’est pas parce que ces mains sont baignées du sang de Rosa Luxembourg et de Karl Liebknecht, mais parce que nous savons bien une chose : si les communistes s’étaient abstenus de serrer ces mains-là aussitôt après la guerre, le mouvement révolutionnaire du prolétariat aurait déjà très probablement vaincu en Allemagne. Pourquoi veut-on l’alliance avec les sociaux-démocrates ? Pour faire les seules choses qu’ils sachent, puissent et veulent faire ? Ou bien pour leur demander de faire ce qu’ils ne savent ni ne peuvent et veulent faire ? Exige-t-on de nous que nous disions aux sociaux-démocrates que nous sommes prêts à collaborer avec eut, même au Parlement et même dans le gouvernement qu’on a défini comme ‹ ouvrier › ? Si c’est bien là ce qu’on nous demande, c’est-à-dire si l’on nous demande de faire au nom du P.C. un projet de gouvernement au-quel devraient participer socialistes et communistes et de présenter aux masses ce gouvernement comme ‹ anti-bourgeois ›, nous répondrons, en prenant l’entière responsabilité de notre réponse, qu’une telle attitude s’oppose à tous les principes fondamentaux du Communisme. Accepter cette formule politique serait en effet, déchirer notre drapeau, sur lequel il est écrit qu’il n’existe pas de gouvernement prolétarien qui ne soit constitué sur la base de la victoire révolutionnaire du prolétariat ».

Ou bien l’on reconnaît que la social-démocratie sera toujours une force contre-révolutionnaire, qu’elle soit au gouvernement et emploie la méthode forte ou qu’elle reste dans l’opposition et prétende agir avec nous pour défendre des positions « communes » ; ou bien l’on admet que la social-démocratie peut cesser d’être elle-même et donc devenir un allié, et alors toute notre construction théorique, toute notre action et notre vie pratiques s’effondrent, et nous nous faisons les complices d’une force de conservation du régime. La grève d’août – manœuvre parlementaire et gouvernementale d’une part, sabotage de l’action de classe de l’autre – en est une contre preuve écrasante. Les perroquets habituels ont dit et répètent que dans nos « Thèses de Rome », nous avions prévu un gouvernement social-libéral et non l’assaut au pouvoir des fascistes. C’est vrai, et tout démontre que c’est effectivement un gouvernement de coalition qui se serait formé à la fin juillet, lors de la crise ministérielle provoquée par la chute du gouvernement Facta si les maximalistes d’un côté et l’Internationale de l’autre n’avaient pas retenu de toutes leurs forces Turati par son veston pour l’empêcher d’entrer au gouvernement, alors que Buozzi et Dugoni avaient déclaré que la P.S.I. était prêt à le faire. Nous avions non seulement prévu, mais même souhaité dans un certain sens cette solution parce qu’elle aurait démasqué les sociaux-démocrates. Mais nous n’avons pas du tout exclu l’hypothèse d’un gouvernement fasciste appuyé par tous les partis démocratiques (qui, de fait, votèrent tous pour le premier ministère Mussolini, après la « Marche sur Rome ») et même, comme d’Aragona, le Jupiter tonnant de la C.G.T. le souhaitait, par les sociaux-démocrates. Pour nous, en Italie comme en Allemagne, la fonction historique de la social-démocratie ne pouvait être que la fonction de Noske en personne, ou bien celle d’une complice directe ou indirecte des bandes fascistes, et c’est bien ce qu’elle a été. Serrer les mains des sociaux-démocrates – ou même seulement le souhaiter, le demander –, c’était donner le feu vert au fascisme.

On prétend que notre « sectarisme » dans la lutte contre les Turati, les Serrati, les d’Aragona et les Ribaldi a laissé le champ libre aux bandes fascistes, alors que ce sont justement eux qui ont paralysé les prolétaires et leur magnifique lutte de rues contre la terreur blanche ! On prétend que si nous avions fait le « front unique » avec les réformistes, l’histoire aurait suivi un autre cours. Certes ! Nous qui luttions pour défendre les conditions de vie et de travail, les organisations de classe et la vie même des prolétaires, nous aurions abdiqué dans ce cas en faveur d’une politique de défense des institutions démocratiques qui sont celles de la classe dominante ! Ainsi, nous nous serions interdit non seulement toute défense de classe, mais toute possibilité de contre-offensive, deux formes de lutte nécessairement anti-légalitaires, en principe comme en fait !

Il est parfaitement normal que l’historiographie d’aujourd’hui unanimement démocratique dans toutes ses nuances, pleure sur la « désunion » de la classe ouvrière et qu’elle nous en attribue, à nous, communistes, la responsabilité, comme si ce n’était pas l’Histoire elle-même qui avait ouvert irrévocablement deux voies opposées. Pour elle, l’idéal aurait été d’atteindre alors le point auquel on n’est arrivé que bien plus tard, à savoir la gestion en commun du régime bourgeois par les socialo–communistes comme après la Libération, et sa défense dans une opposition parlementaire commune. Cela, nous ne le voulions pas, et seuls des anti-communistes pouvaient le vouloir. Enfin, on nous a reproché d’avoir prévu, après la grève d’août surtout, une confluence entre la social-démocratie et le fascisme qui ne s’est pas vérifiée, si bien qu’une fois de plus, nous aurions été mauvais prophètes. Laissons de côté le fait que les tentatives personnelles de rapprochement qui eurent lieu à plusieurs reprises entre les deux partis auraient certainement abouti sans l’assassinat de Matteoti, et aussi le fait que de nombreux réformistes sont passés au fascisme avec armes et bagages après sa victoire. Le problème est ailleurs. Qu’a été en effet le fascisme, sinon une tentative de synthèse entre la manière forte et les méthodes douces, entre le bâton et la carotte, la dureté de la répression et la souplesse de la réforme, quitte à rogner les ongles, en cas de besoin, aux intérêts de couches bourgeoises particulières et à faire aux ouvriers de menues concessions en matière de prévoyance sociale ? Qu’a été le fascisme, sinon une tentative de collaboration entre les classes au nom de l’intérêt soi-disant supérieur de la nation, exactement comme dans les rêves social-démocrates ? L’erreur de l’Internationale (qui ne fut d’ailleurs pas la seule à la commettre) fut de voir en Mussolini un nouveau Kornilov et d’en conclure qu’il fallait adopter la tactique des bolcheviks en août 1917, c’est-à-dire marcher avec les sociaux-démocrates contre la « réaction », tout en restant soi-même. Par malheur, l’analogie était fausse, car jamais le fascisme n’a eu l’intention de restaurer un régime pré-capitaliste ; dans ses origines, dans ses intentions et dans tout son développement, il exprime au contraire l’effort du grand capital en vue de mobiliser la petite-bourgeoisie, et même une partie du prolétariat (aristocratie ouvrière ou sous-prolétariat) pour sa défense. Le fait qu’il fut et demeura un phénomène du Nord de l’Italie, c’est-à-dire des zones à agriculture capitaliste et à grande industrie mécanisée, et qu’il n’envahit le Sud qu’avec un énorme retard, grâce à des « clientèles » épanouies au soleil de la démocratie d’une part et de l’arriération économique de l’autre, en est une preuve sans doute banale, mais convaincante. Le fascisme était le capitalisme à la énième puissance ; il ne pouvait être battu que par un mouvement prolétarien parvenu au maximum de sa puissance offensive et guidé par le parti de classe, le parti révolutionnaire, le seul parti communiste.

Après cette parenthèse nécessaire, revenons au récit des faits.

Les sièges d’organisations et les journaux ouvriers incendiés par les fascistes brûlaient encore, les chemises noires et les gardes royales assiégeaient toujours les centres prolétariens du Nord et du Sud avec une profusion d’auto-mitrailleuses, profitant de la suspension de la grève traîtreusement décidée par l’opportunisme, que déjà le Parti communiste d’Italie lançait aux comités de l’Alliance du Travail l’invitation à se réunir d’urgence et à « prendre une décision au sujet d’une nouvelle vague d’action rouge » tout en repoussant pour sa part, avec la simple mention « retour à l’expéditeur », l’appel à la « paix entre les factions » lancé par le gouvernement Facta. II ajoutait toutefois que si ce mielleux appel à la paix cachait en réalité une menace de mobilisation nationale contre les prolétaires et les « rouges » en général, il répondrait sans hésitation au défi : « nous acceptons » (« Il Comunista ». 8-8-1922). C’est ainsi que dans un manifeste lancé le 6 août, le parti écrivait, après avoir critiqué la façon infâme dont la grève générale avait été conduite :

« Indépendamment de l’attitude de tout autre organisme, quel qu’il soit, le Parti communiste réaffirme que la tactique à appliquer en permanence par le prolétariat dans la période et la situation présente est coup pour coup, violence contre violence. Il revendique fièrement sa lutte au milieu des masses qui ont si magnifiquement combattu malgré leur infériorité marquée face à un ennemi plus fort et mieux équipé.
Le Parti communiste donne une nouvelle fois à ses membres le mot d’ordre, d’ailleurs superflu, de soutenir par leur action le combat défensif sacré des travailleurs, en leur fournissant les éléments de stratégie et de tactique qui leur manquent encore, et en fraternisant avec les prolétaires de tous les partis.
Mais le Parti communiste ne peut pas ne pas lancer aussi un nouvel appel aux autres organisations qui ont une influence sur une grande partie de la masse prolétarienne et qui devraient comprendre qu’il faut désormais abandonner toute vision pacifiste et légalitaire. Il ne sera pas dit que les travailleurs des centres encore en lutte et les victimes des représailles contre les grévistes de ces derniers jours seront abandonnés aux coups de l’ennemi dans une position d’infériorité évidente et que celui-ci pourra frapper impunément les journaux prolétariens, aujourd’hui que la grande masse a été retirée de la lutte ».

Inutile de dire que l’invite du Parti fut laissée sans réponse par les dirigeants de l’Alliance du Travail (dont, soit dit en passant, le syndicat des cheminots, qui en avait été le promoteur se sépara le 19 août pour reprendre sa propre liberté d’action) et à plus forte raison par la C.G.T. Pendant ce temps, les « partis ouvriers » faisaient le bilan de la grève. L’organe de la droite social-démocrate, « La Justice » avait proclamé le 12 août :

« Il faut avoir le courage de le confesser : la grève générale proclamée et ordonnée par l’Alliance du Travail a été notre Caporetto. Nous sortons de cette épreuve nettement battus ».

Quant à la direction maximaliste du P.S.I., elle tirait de la grève, dans un manifeste du 8 août, cette unique leçon :

« Recueillement pour tous, qui serve à corriger les erreurs, à rectifier le front, à perfectionner l’instrument de la lutte. Ce recueillement ne comporte ni redditions ni impatience ».

Comme si l’ordre de cessation de la grève n’avait pas été la suprême « reddition », comme si l’âpre lutte toujours en cours dans quelques grandes villes était compatible avec une quelconque « patience ». Comme d’habitude, la direction du P.S.I. se retranchait derrière la nécessité préalable d’une « organisation » qu’elle-même avait toujours été la première à refuser : l’attaque étatique et fasciste, proclamait en effet le manifeste, « se repousse avec une forte organisation et l’organisation ne permet pas d’impatiences individuelles ; elle veut de la discipline dans l’action. Une telle discipline s’impose à tout le prolétariat qui a trouvé le moyen unique, le seul, pour éprouver sa force… Le P.S.I. a besoin de tous ses adhérents pour continuer cette bataille qui est peut-être dans sa période aiguë. Les preuves d’abnègation individuelle que vous avez données sont admirables, mais elles ne suffisent pas. La fureur adverse en impose d’autres, et en premier lieu, la résistance sur les positions conquises dans les administrations publiques ».

Pas un mot pour condamner les dirigeants de la C.G.T., pas un blâme pour Turati qui court au Quirinal, pas une allusion aux batailles armées en cours ! Non, car la grande préoccupation des maximalistes de la direction du P.S.l. est de garder le contrôle des administrations communales !!! Deux jours plus tard, dans un article intitulé « Le maximalisme a parlé », l’organe du P.C.d’Italie, « Il Comunista » écrivait :

« À deux reprises il a semblé qu’une rupture allait se produire entre les deux courants opportunistes, puisque les réformistes étaient décidés à collaborer au gouvernement tandis que le maximalisme ne pouvait renoncer à son intransigeance imbécile s’il voulait continuer la spéculation démagogique qui servait à dissimuler son exaspérante incapacité à l’action de masse. En réalité le groupe de Serrati n’a jamais fait au réformisme d’autre critique que celle qui concernait sa tactique parlementaire. Selon lui, donc, il suffirait d’observer à la Chambre une position d’intransigeance et il était permis de pratiquer le pacifisme et le défaitisme de la lutte de classe, de dénigrer dans la propagande toutes les valeurs révolutionnaires, et même de signer des accords avec les représentants du fascisme… Si les réformistes avaient déclaré qu’ils renonçaient par discipline à collaborer, le maximalisme leur aurait pardonné. Mais on est allé plus loin. Non seulement les réformistes n’ont pas renoncé à leur tactique, mais pour l’appliquer, ils ont consommé le plus grand de leurs crimes contre la cause prolétarienne, et s’ils ont été repoussés avec une gifle bien méritée, ce n’est faute d’avoir voulu participer aux ministères de Sa Majesté, mais uniquement à cause de leur ineptie : c’est ce qui a fait d’eux des soldats intransigeants du glorieux P.S.I. Or, le manifeste socialiste ne dit rien des lourdes responsabilités qu’ils ont prises dans le dernier mouvement, ni de ce qui devait être fait pour débarrasser l’action prolétarienne des déficiences terribles que l’Alliance du Travail – abandonnée par la majorité maximaliste à l’influence prédominante des socialistes collaborateurs – a révélées. Sur ces problèmes-là, il n’y a eu ni débats, ni congrès. Le fait qu’il n’y ait pas eu de gouvernement Modigliani ou Turati suffit à satisfaire les maximalistes.
C’est à cela que pensent les travailleurs socialistes eux-mêmes. S’ils n’ouvrent pas les yeux et s’ils ne se tournent pas vers le programme et les méthodes du Parti communiste, s’ils n’apprennent pas à connaitre toutes les formes de la tromperie opportuniste, dont les pires sont aussi les plus démagogiques, la reprise de classe vers laquelle tendent tous nos efforts sera impossible ».

Il était urgent de donner aux prolétaires encore engagés dans la lutte ou brûlant de la reprendre par solidarité avec leurs frères des mots d’ordre qui, sans aucune démagogie, les aident à se remettre de la première vague de désarroi et de démoralisation consécutive à la brusque interruption de la grève, et qui leur indiquent les voies d’une reprise sûre dans des conditions meilleures et sur une position politique bien délimitée. Le « recueillement » auquel la direction du P.S.I. invitait les ouvriers sous prétexte de « réorganisation du mouvement » et de bilan réfléchi des raisons de la défaite n’était en fait qu’une nouvelle dose d’opium. La voie à suivre était bien différente. Il fallait non seulement appuyer les prolétaires encore en lutte, mais éviter à tout prix que s’étende la démoralisation inévitable provoquée par la contre-offensive de l’État et du fascisme, consécutive à l’étouffement de la grève nationale ; il fallait que les prolétaires se sentent soutenus non seulement « moralement », mais surtout matériellement, par une force politique qui les guide ; il fallait que les organisations économiques et, en particulier, les Bourses du Travail, citadelles traditionnelles de la défense armée, soient protégées aussi bien de l’attaque des forces de l’ordre, légales ou « illégales », que des manœuvres confédérales qui sous prétexte de… remonter la pente orientaient les syndicats vers des voies et des méthodes qui ne pouvaient qu’en dénaturer le caractère de classe, et, conformément à la commune idéologie réformiste et fasciste, les transformer en organes de collaboration nationale et de soutien à l’État. Après l’échec de la « montée au gouvernement », c’est à cela que visaient d’ailleurs les maximalistes de la C.G.T. et sur cette pente, ils pouvaient fort bien se rencontrer avec les « ennemis » en chemise noire.

Le 19 août, « Sindacato Rosso », organe du Comité Central syndical du P.C.d’Italie, publiait en ce sens le manifeste suivant :

« Malgré tout, la lutte n’a pas été inutile : le prolétariat a su combattre ; sans l’intervention des forces légales de l’État, les victoires du fascisme se seraient probablement transformées partout en défaites… » [le Parti a] « démontré » qu’il possédait une organisation apte au combat, à la résistance et à la contre-offensive et parmi les masses en lutte, ses militants ont « tous fait leur devoir » [les jeunes en particulier s’étaient distingués par leur merveilleux esprit de lutte].
« Quelle est la situation laissée par la grève générale ? La bourgeoisie et le fascisme se vantent d’une victoire définitive ; mais ce n’est qu’un mensonge ; toutes les nouvelles que nous continuons à rassembler [une enquête lancée par le Parti sur les responsabilités de l’échec de la grève en cours] montrent que le prolétariat est toujours debout et qu’il avait répondu unanimement à l’appel. Loin de s’éteindre, la lutte de classe se transformera de plus en plus en une guerre ouverte. Le prolétariat a franchi une nouvelle étape de sa préparation aux méthodes de lutte révolutionnaire que la situation actuelle lui impose et qui sont très différentes des méthodes traditionnelles. »

Tandis que les bonzes confédéraux et les socialistes profitaient de la situation pour « démobiliser » les syndicats et pour démoraliser les prolétaires en les détournant de la lutte violente, les communistes lançaient le mot d’ordre d’« d’unité syndicale du prolétariat italien en dehors de toute influence du patronat et de l’État » appelant au maintien de l’Alliance du Travail « malgré et contre ceux qui l’ont dénaturée », ils concluaient :

« Le prolétariat doit se préparer à utiliser à nouveau l’arme de la mobilisation simultanée de toutes ses forces, à rassembler toutes les tendances que l’offensive bourgeoise continuera implacablement à susciter sur le terrain des luttes syndicales comme dans la lutte quotidienne contre le fascisme… Dans cette guerre, larme essentielle est la grève générale, qui n’a pas en soi de valeur miraculeuse, mais qui est efficace si elle est convenablement organisée et dirigée. Une fois éliminées toutes les entraves du pacifisme social, toute tentative d’utiliser le mouvement à des fins parlementaires, le but du prochain conflit général sera sinon la révolution politique, du moins l’arrêt de l’offensive économique et militaire de l’ennemi et la conquête de solides positions de force.
C’est pourquoi, tout en indiquant aux prolétaires les dangers de la tactique appliquée hier par des chefs dont l’indignité est devenue évidente, les communistes défendent encore le mot d’ordre de l’action générale prolétarienne contre la réaction, c’est-à-dire de l’emploi direct de la force de classe au lieu des implorations habituelles à l’État pour qu’il défende les masses. Le gouvernement ouvrier se conquiert par la mobilisation révolutionnaire de la classe travailleuse, par la guerre de classe, qui a ses batailles et ses étapes, mais à laquelle on ne peut renoncer si l’on ne veut pas que le prolétariat baisse pour toujours la tête sous le joug que veut lui imposer la violence bestiale de l’esclavagisme, fidèle prétorien du Capital ».

Tandis que les confédéraux lançaient une campagne de diffamation, de calomnies et de faux bruits – par exemple, que les communistes (justement eux !) voulaient scinder le syndicat et en créer un nouveau – et expulsaient des rangs de la C.G.T. les prolétaires et les organisateurs les plus combatifs pour mettre au premier plan ceux qui s’étaient montrés les plus disposés à les suivre sur la voie de la trahison, le P.C.d’Italie organisait le 6 septembre un congrès des « gauches syndicales » (« terzinternazionalisti », maximalistes, syndicalistes, anarchistes etc.) pour une entente sur les points suivants qui devaient être proclamés et défendus dans toutes les réunions et les congrès :

« Les organisations syndicales doivent être indépendantes de toute influence de l’État bourgeois et des partis de la classe patronale, et leur drapeau doit être celui de la libération des travailleurs de l’exploitation patronale.
Le front unique prolétarien pour la défense contre l’offensive patronale doit être maintenu et renouvelé dans l’Alliance du Travail, restreinte aux organisations qui l’ont fondée et constituée de façon à refléter les forces et la volonté des masses ».

Ces points furent acceptés par tous les participants le 8 octobre suivant, avec l’addition d’une clause stipulant que l’Alliance du Travail devait « délibérer à la majorité » et « assurer à chaque syndicat et aux fractions militant en son sein une consultation fidèle et une représentation proportionnelle. »

L’initiative fut aussi approuvée en tant que « préparation nécessaire à la fusion souhaitée et définitive de toutes les organisations de classe des travailleurs italiens en une seule ».

Inutile de dire que la réponse de la C.G.T. et de tous les bonzes fut négative : ils promirent bien de convoquer un congrès, mais déjà le fascisme frappait aux portes du Quirinal et le congrès n’eut jamais lieu. L’initiative eut cependant pour effet de maintenir unis les rangs des prolétaires débandés et démoralisés par les événements d’août, et de permettre une intense propagande des principes et des méthodes communistes en rapprochant des organisations syndicales jusqu’aux inorganisés et aux chômeurs. Si après la « Marche sur Rome », les organisations économiques sont demeurées longtemps encore un os difficile à ronger pour les théoriciens et les praticiens de l’huile de ricin et de la matraque, c’est en grande partie à cette initiative qu’on le doit. Restait le problème de l’action militaire. Dans ce domaine, la ligne du parti était tracée depuis plus d’un an, et il n’y avait aucune raison de la modifier. Après août, des groupes dit de « défense antifasciste » voire de « défense prolétarienne » servant de paravent à des manœuvres parlementaires en vue d’un énième gouvernement de coalition qui aurait « rétabli la légalité et l’ordre » commencèrent à relever la tête mais ils n’avaient même plus le vague parfum populaire des Arditi del Popolo pourtant déjà bien équivoques dès le début. Pour être cohérent avec lui-même, le P.C.d’Italie devait donc continuer seul sa route, et comme il le dira clairement lui-même :
« Sans prétendre pour autant renverser le pouvoir bourgeois ou abattre militairement le fascisme, ni se laisser entrainer à des actions qui compromettraient sa propre organisation, [le Parti doit] veiller à la préparation et à l’armement nécessaires pour apporter l’appui technique adéquat à la lutte prolétarienne de harcèlement contre un adversaire ayant l’avantage du nombre et de la position stratégique » et tout en s’efforçant de réagir contre la démoralisation engendrée par la légende d’invincibilité propagée par les fascistes et par les appels des réformistes en faveur du désarmement moral et pratique, « opposer la force à la force, l’organisation à l’organisation, l’armement à l’armement, non comme un vague mot d’ordre à appliquer dans un avenir lointain, mais comme une activité pratique non seulement possible, mais seule susceptible de préparer le prolétariat à une riposte armée ».

Pour atteindre ce but, il était essentiel de constituer un encadrement centralisé obéissant à une discipline unique afin d’éviter des actions non prévues par le Parti, mais cela aurait été impossible si celui-ci avait accepté des comités d’action militaire mixtes inspirés par des buts politiques divergents. En agissant « envers la bourgeoisie comme le fait le mouvement fasciste envers le prolétariat », en donnant « le plus grand relief aux actes de violence commis soit par des forces prolétariennes spontanément organisées soit par ses propres militants en réponse aux coups ennemis » et sans jamais taire que « le problème majeur est l’organisation de la lutte armée du prolétariat », le Parti Communiste d’Italie aurait pu devenir le pôle naturel des masses « qui tendent à la lutte antifasciste et qui ayant assimilé l’expérience de la solidarité entre l’État et le fascisme » ont tiré de cette expérience la conviction que seule la dictature du prolétariat, dirigée par le Parti de classe et surgie des développements de la lutte ouverte et violente, aurait brisé définitivement le joug du Capital.[23]

On doit noter que, depuis le mois d’août, le Parti considérait comme désormais « éloignée » la perspective d’un « gouvernement de gauche né de la collaboration des socialistes de droite et de certains membres du bourgeois parti populaire [démocrates-chrétiens avant la lettre] », « la bourgeoisie ne croyant plus aujourd’hui devoir faire des concessions importantes pour freiner le mouvement révolutionnaire ».

S’il est donc faux de dire que le Parti communiste ne prévoyait pas une issue du type « Marche sur Rome », il est vrai, par contre, qu’une telle perspective ne rendait que plus valables à ses yeux la tactique et la stratégie d’une action indépendante de sa part dès lors que toute la situation évoluait vers une « solution » de force. Il est vrai qu’entre temps, à son Congrès de Rome du 1er au 5 octobre, le P.S.I., sous la pression de l’aile droite décidée à jeter jusqu’au dernier masque et à se présenter pour ce qu’elle était réellement, avait expulsé les turatiens et en général les réformistes (constitués en Parti Socialiste Unitaire), et avait décidé pour la énième fois d’adhérer à la IIIe Internationale : mais le peu de sérieux d’une telle décision, et la naïveté de Moscou qui au lieu de la dénoncer comme une nouvelle tromperie la prit pour argent comptant, sont démontrés par le fait qu’une fois la délégation serratienne partie pour le IVe Congrès de l’I.C., la nouvelle direction fit des pieds et des mains pour empêcher la « braderie du P.S.I. » et revendiquer au minimum le droit de décider elle-même, en pleine indépendance, de son propre destin (au congrès suivant du 15 au 17 avril 1923, les « conditions », fixées par Moscou furent repoussées à la majorité comme « inacceptables »). C’était la manœuvre classique de récupération du maximalisme, manœuvre aussi vieille que la social-démocratie de guerre et d’après-guerre, qu’il aurait fallu prévoir avant qu’elle n’engendre de nouvelles confusions dans la classe ouvrière, au lieu de la favoriser, comme le fit Moscou malgré tout, dans l’illusion d’en tirer un utile soutien dans la bataille internationale toujours plus difficile et sanglante du prolétariat : tandis que la droite social-démocrate s’offrait comme éventuel parti gouvernemental, le « centrisme » serratien défendait ses arrières.

Pendant ce temps, le fascisme avait le jeu facile. On a ri et on rira encore longtemps de ce que nous ayons qualifié de « comédie » la marche sur Rome, qui s’était voulue rien de moins qu’une… révolution. Mais comment caractériser autrement que comme comédie les intrigues du gouvernement Facta avec les fascistes et sa proclamation tardive de l’état de siège après l’échec de ses tractations ? Le vote de tous les partis « anti-fascistes » pour Mussolini lorsque le roi lui eut confié le gouvernement, et l’offre qu’ils lui firent de leurs « meilleurs hommes » ? Le parrainage du ministère… révolutionnaire des chemises noires par Giolitti et Salandra ? Et enfin le défilé de ces mêmes chemises noires dans toutes les villes de la péninsule pendant que leur « duce » recevait à Rome, à la descente de son Wagon-lit, tous les honneurs dus à un ministre de Sa Majesté, lui qui avait prétendu instaurer une république « sociale » ?

Pendant toute l’année 1921 nous nous étions efforcés de faire comprendre aux prolétaires que non seulement il n’y avait pas d’opposition réelle entre démocratie et fascisme, mais encore que ces deux méthodes pour sauver la domination bourgeoise ne pouvaient pas ne pas converger, se donnant la main pour réprimer et opprimer les ouvriers et rivalisant pour les maintenir assujettis. À elles seules ces deux années auraient suffi à prouver la connivence entre État démocratique et forces « illégales ». Après août 1922 le dernier voile tombe : la résistance prolétarienne ayant été désorientée et battue grâce à la trahison social-démocrate. il n’y a momentanément, sauf cas isolés, plus d’ennemi à abattre. Pendant les quelques mois qui précèdent la farce de la marche sur Rome, tous les partis bourgeois et les principaux représentants du libéralisme et du parlementarisme s’efforcent désespérément de se rapprocher du fascisme, qui n’est même pas un parti puisqu’il n’a aucun programme (ou plutôt s’en fabrique un au fur et à mesure), mais un simple appareil au service de l’ordre constitué et du Capital. À ce propos, les historiens démocrates d’aujourd’hui déplorent « l’aveuglement » des Giolitti, Facta ou Reda, mais alors tous contribuèrent par inertie de classe au « transfert des pouvoirs » et c’est précisément leur complicité volontaire qui rendit superflu le « coup d’état ». La marche des chemises noires sur la capitale relève donc de la mise en scène théâtrale dont elles avaient besoin, et, dans la réalité, le pouvoir changea de mains sans secousses, la proclamation de l’état de siège (que le roi fit aussitôt annuler) par Facta n’étant qu’une comédie supplémentaire.

Au reste, bien loin de disperser le Parlement, Mussolini lui demanda de ratifier la « révolution » dès qu’il fut au pouvoir, ce que le Parlement s’empressa de faire, à l’exception des socialistes et des communistes. Les places fortes industrielles étant tombées, il ne restait plus qu’à étouffer de petits foyers d’incendie et il n’y eut pas de heurt général avec les forces prolétariennes. Celles-ci n’eurent même pas le temps de réagir et leur opposition ne put, quoique certaine, ni empêcher le changement de gouvernement (qui dans l’immédiat n’affectait en rien la structure de l’État) ni influer plus tard sur le nouveau régime totalitaire qui se constituera lorsque, dans son effort d’unification, la bourgeoisie se verra obligée de liquider l’ancien personnel politique.

C’est seulement alors qu’une fraction de la bourgeoisie se découvrira un antifascisme à elle, et cette fois, c’est le P.C.d’Italie lui-même qui, n’étant plus dirigé par la gauche, lui poussera dans les bras un prolétariat pourtant tout autre que battu. Ce sera la fin, non seulement parce que la victoire fasciste sera alors totale, mais parce que – chose beaucoup plus grave par ses effets historiques – la capitulation des seules forces subversives, celles qui avaient trouvé leur expression dans la IIIe Internationale, l’aura également été.

Si, même à Moscou, notre caractérisation de la marche sur Rome fit scandale, c’est qu’avec sa théorie stupide de la « fonction révolutionnaire » de la petite-bourgeoisie et du « national-bolchevisme », Moscou préparait déjà la défaite allemande de 1923 ; la gauche ne pouvait traiter une position aussi chimérique que de façon… « dogmatique et sectaire ». La thèse pire encore selon laquelle la démocratie était un bien qu’il fallait sauvegarder par rapport à la réaction « féodale » commençait à peine à apparaître, puisqu’elle devait constituer la seconde étape de la dégénérescence, mais face à cette énormité, la réaction de la gauche ne pouvait qu’être doublement… « infantile ».

Selon Moscou, au contraire, nous aurions dû nous laisser investir, d’abord par les courtisans de la petite-bourgeoisie déçue, puis par les hérauts et les porte-drapeau des libertés piétinées : nous aurions dû faire en somme par anticipation, non seulement le front populaire, mais aussi le gouvernement de coalition. Tout cela n’était pas défini, bien sûr mais la ligne de développement était inexorablement celle-là. De là découle la chasse fébrile au fantôme de « l’alliance socialiste finalement ‹ attrapée › » en juin 1924 (!) lorsqu’adhérèrent au Parti trois mille « terzini » hautement représentatifs d’une couche sociale d’employés de bureau, ambiguë et inconsistante, et en aucun cas de couches prolétarienne ; de là aussi l’accusation qui nous a été faite d’avoir voulu nous isoler comme si ce n’était pas l’histoire qui nous avait « isolés », nous lançant par là un défi fécond puisque nous ne nous sommes pas laissés intimider ou désorienter, et que nous y avons même trouvé une raison d’être forts ; de là enfin le reproche d’avoir sous-estimé le danger d’une « destruction de la démocratie », comme si l’élimination du déguisement démocratique de la dictature du capital n’était pas inscrite dans les lois de l’impérialisme. Autant nous étions peu optimistes en ce qui concerne l’avenir immédiat[24], autant nous étions confiants dans les possibilités de reprise prolétarienne à condition que l’Internationale ne perde pas la voie de classe pour se jeter dans l’interclassisme. Notre attitude ne pouvait que sembler défaitiste à tous ceux qui croyaient à une solution démocratique de la crise étatique en Italie, puis plus tard en Allemagne et ailleurs. Mais que dire de leur défaitisme à eux à l’égard de la Révolution lorsqu’ils se répandirent en lamentations devant la comédie du 28 octobre et se mirent à rêver de remonter la pente par une autre voie que l’action révolutionnaire indépendante ! Ayant refusé d’emprunter cette voie-là, nous ne pouvions qu’être éliminés de la direction du P.C.d’Italie.

Peu après le retour de notre délégation du IVe Congrès de l’Internationale, nous avons traité tous ces points dans l’article « Rome et Moscou » et conclu en reconnaissant que l’effort du fascisme pour surmonter les contradictions internes de la société bourgeoise se heurterait à des obstacles insurmontables. C’est dans cette perspective, et non dans des solutions gouvernementales de rechange, que nous cherchions et qu’il fallait chercher les facteurs d’une reprise victorieuse. Le rapport d’A. Bordiga au IVe Congrès et son article sur « Les forces sociales et politiques d’Italie » complètent le tableau du fascisme, phénomène contre lequel nous avions essayé de mobiliser toutes les énergies prolétariennes non pas parce qu’il marquait la fin de la démocratie, mais parce qu’au défi que l’histoire lançait ainsi au prolétariat, il n’y avait pas d’autre réplique possible, l’alternative étant ou la dictature ouverte de la bourgeoisie ou la nôtre !



Notes :
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  1. Toutes les citations sont tirées du « Projet de programme d’action du P.C.d’Italie présenté en vue du IVe Congrès de l’Internationale Communiste » et rédigé dans les premiers jours d’octobre 1922.[⤒]

  2. Nous l’étions d’autant moins que, contrairement à l’Internationale gangrénée par le démocratisme, nous pensions que les structures de l’État s’étaient non pas affaiblies, mais au contraire renforcées grâce à la complicité naturelle de tous les partis, du fascisme à la social-démocratie.[⤒]


Source : « Programme Communiste », № 48–49, Avril–Septembre 1970.

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