Dans la première journée de la discussion au sujet de la nature exacte de l’économie actuelle de la Russie nous avons contesté que production de marchandises et économie socialiste puissent être compatibles. Dans le monde moderne du travail associé, où les travailleurs sont regroupés en entreprises de production, tout système de production de marchandises se définit à nos yeux comme une économie capitaliste.
Nous aborderons plus tard la question des stades successifs de l’économie (ou mieux de l’organisation) socialiste et la distinction à établir entre les formes inférieures et supérieures du communisme. Pour sortir de la définition de « systèmes immobiles » et donc abstraits et nous placer sur le terrain historique, disons dès maintenant, que la thèse centrale de notre doctrine est la suivante : le passage du capitalisme au socialisme ne se fait pas d’un seul coup, mais par un long processus. Nous admettons donc que pendant une période assez longue des secteurs d’économie privée pourront coexister avec des secteurs d’économie collective, et des secteurs capitalistes (ou pré capitalistes) avec des secteurs socialistes Mais nous précisons, dès maintenant, que tout domaine ou tout secteur qui reçoit ou qui vend des marchandises (y compris la force de travail de l’homme) relève de l’économie capitaliste.
Dans sa brochure, Staline déclare que le secteur agricole en Russie est mercantile et il confirme même qu’en tant que possesseur de certains moyens de production il appartient à l’économie privée. Il tente, par ailleurs, de soutenir que si le secteur de la grande industrie produit des marchandises, c’est uniquement en ce qui concerne les biens de consommation et non les biens de production. Malgré tout cela, il affirme que non seulement le secteur de la grande industrie, mais l’ensemble de l’économie russe peut être défini comme socialiste même si la production mercantile y survit dans une large mesure. Nous avons amplement répondu à tout cela : aujourd’hui nous devons passer à la question des « lois économiques » et de la « loi de la valeur ».
Engels a établi qu’on ne sort du capitalisme que dans la mesure où l’on sort du mercantilisme et qu’on ne dépasse le premier que là où l’on dépasse le second. C’est à lui que se référaient ceux qui faisaient des objections à la thèse de Staline[6], Cette position, Engels l’a développée dans le chapitre « socialisme » et dans les chapitres « Théorie, Production, Distribution » de son livre contre Dühring, « stalinien »… avant la lettre. Que fait Staline ? Il extrait un seul passage et essaye de lui faire dire tout autre chose. Ce passage d’Engels dit :
« Quand la société prend possession des moyens de production, la production de marchandises est éliminée et avec elle la domination du produit sur les producteurs. »
Engels, observe Staline, ne précise pas s’il s’agit de tous les moyens de production ou seulement d’une partie d’entre eux. La distinction pourrait (peut-être !) passer pour habile, mais elle est erronée du point de vue doctrinal. Or, poursuit Staline, seule la prise de possession de tous les moyens de production (petite, moyenne et grande industrie et agriculture), permet d’abandonner le système de production de marchandises. Sacre bleu !
Vers 1919, nous avons, avec Lénine (et Staline) sué sang et eau pour faire entrer dans la tête dure des sociaux-démocrates et des libertaires cette idée que les moyens de production ne peuvent pas être conquis en un seul jour et comme par un coup de baguette magique; nous leur expliquions que c’était pour cette raison et uniquement pour cette raison que Sa Terreur, la Dictature est nécessaire. Et aujourd’hui, il faudrait imprimer des manuels d’économie politique pour faire admettre cette énormité que tous les produits perdront d’un seul coup leur caractère de marchandises, le jour où un fonctionnaire monté au Kremlin soumettra à la signature du Staline de cette lointaine époque le décret expropriant la dernière volaille du dernier membre du dernier kolkhoze !
Ailleurs, Engels parle de la possession de tous les moyens de production, et nous nous entendons dire que se formule précédente « ne peut pas être considérée comme parfaitement claire et précise ».
Ça, c’est un peu fort ! Frédéric Engels, si réfléchi, si limpide, si définitif – Frédéric Engels inégalable pour sa patience à corriger les déviations doctrinales – taxé d’un manque de précision et de clarté ! Passerait encore pour l’impétueux Marx que l’éclat de ses vues et de son langage fait parfois trouver obscur, parce qu’il aveugle, et qui, par suite, est peut-être (peut-être…) plus facile à falsifier, mais Engels, dont la prose coule de source et qui, par discipline scientifique autant que par don naturel, n’écrit jamais un mot de trop ni de moins ! Un instant ! Nous ne sommes pas ici à « l’Orgbureau », au comité d’agitation, où peut-être l’ex-camarade Staline aurait pu regarder Engels d’égal à égal ! Ici nous sommes à l’école des principes !
Où parle-t-on de s’emparer de tous les moyens de production ? Là où l’on parle de marchandises, peut-être ? Hélas, il n’en est plus question ! Engels rappelle que depuis l’avènement du capitalisme, cette prise de possession de tous les moyens de production « est apparue plus ou moins obscurément comme un idéal d’avenir aux yeux des individus et des sectes ». Il n’est plus question pour nous d’idéal, mais de science. C’est pourquoi nous ne pouvons pas nous permettre ne serait-ce qu’une demi-obscurité.
Si Engels, un peu plus loin, reparle de la société comme maîtresse de tous les moyens de production, c’est justement dans le passage qui traite des revendications d’ensemble, puisque c’est seulement par cette conquête que l’on arrivera à l’émancipation de tous les individus. Il montre alors comment la suppression de l’opposition entre ville et campagne, entre travail manuel et travail intellectuel, et l’abolition de la division sociale et professionnelle du travail[7] a déjà été revendiquée par les utopistes et, avec une vigueur particulière, par Fourier et Owen.
Ceux-ci proposaient en effet de limiter à trois mille âmes les centres habités et de faire alterner régulièrement les occupations manuelles et intellectuelles pour le même individu. Engels ne reproche qu’une seule chose à ces justes et généreuses revendications : d’apporter la preuve qu’elles sont réalisables. Le marxisme la fournira en s’appuyant sur le niveau du développement des forces productives alors atteint par le capitalisme (et depuis dépassé !). Anticipant sur la victoire suprême de la révolution, il décrit cette « organisation dans laquelle le travail ne sera plus un fardeau, mais un plaisir », et il rappelle la démonstration définitive du chapitre XII du « Capital » sur l’élimination de la division du travail dans la société et de ce despotisme de fabrique qui abrutit l’homme.
Ni Staline, ni Malenkov ne peuvent se vanter d’avoir progressé d’un seul pas a aucun de ces points de vue. Le stakhanovisme et la réaction dialectique qu’il provoque chez de pauvres brutes écrasées par un système qui divinise l’entreprise, la « sturmovchtchina » prouvent en effet que l’évolution se fait dans le sens du capitalisme le plus étouffant.
Staline minimise ces revendications en les réduisant à la « disparition de l’opposition des intérêts entre l’industrie et l’agriculture » et entre « travailleurs manuels et personnel technique dirigeant ». Il s’agit d’une toute autre chose : l’abolition dans l’organisation sociale de la répartition fixe des hommes entre ces sphères et ces fonctions !
Comment diable ces passages d’Engels autoriseraient-ils à dire que pour la construction de la société future, on n’a pas besoin de détruire l’un après l’autre les retranchements du mercantilisme ? Il faudrait citer intégralement ces quelques chapitres. Nous nous limiterons aux passages essentiels, que contrairement à Staline, nous acceptons sans les moindres « réserves », parce qu’ils sont parfaitement clairs et indiscutables. D’Engels : « l’échange de produits d’égale valeur, exprimée par le travail social – donc loi de la valeur – est justement la loi fondamentale de la production des marchandises et donc de sa forme la plus élevée, la production capitaliste. » Engels accuse ensuite Dühring de concevoir, de même que Proudhon, la société future comme une société mercantile et de ne pas s’apercevoir qu’il décrit une société capitaliste en croyant décrire le socialisme. « Société capitaliste d’ailleurs imaginaire », ajoute-t-il. Celle que Staline décrit est bien réelle, c’est pourquoi sa brochure n’est pas à négliger, dirons-nous. De Marx : « Représentons-nous une association d’hommes libres travaillant avec des moyens de production communs, et utilisant, d’après un plan conscient, leurs nombreuses forces individuelles comme une seule et même force sociale de travail. » Ce paragraphe initial est tout un programme révolutionnaire. Lorsqu’on arrivera à cette forme d’organisation sociale (lapidairement définie par le terme de communisme), ce sera le retour au point de départ, à Robinson ! Qu’est-ce que cela signifie ? Que le produit de Robinson n’était pas une marchandise, mais seulement un objet d’usage, l’échange n’étant pas né, et pour cause ! « Cela se reproduit ici (c’est-à-dire : dans l’association communiste) socialement, mais non individuellement », dit Marx, parcourant d’un regard toute l’histoire humaine. Pour comprendre cela, il suffit de savoir lire ! Et l’on peut clairement lire : quand la société est socialiste, le produit du travail cesse à nouveau d’être marchandise. Ensuite, Marx arrive à la confrontation de « cet état de chose » (le socialisme) avec la « production mercantile », montrant que celle-ci en est dialectiquement l’exact opposé, l’antithèse féroce et inconciliable du premier.
Avant d’aborder les lois de l’économie, il faut encore ajouter quelques lignes sur la version que donne Staline du programme socialiste présenté par Engels dans les chapitres dont nous venons de parler.
Il importe d’autant plus de le faire que, dans sa réfutation de divers économistes russes, Staline, loin de continuer dans la voie des attaques et des révisions du texte classique, en rapporte des passages entiers et formule une énergique condamnation de parti contre toute violation de l’orthodoxie en cette matière.
Dans l’« Anti-Dühring », son œuvre fondamentale, Engels parle à tout instant d’appropriation par la société des moyens de production et surtout (soulignons-le cent fois) des produits qui aujourd’hui dominent le producteur et jusqu’au consommateur, si bien que pour nous, le capitalisme se définit comme un système refusant aux producteurs bien plus la disposition des produits que celle des moyens de production.
Dans la paraphrase moscovite, la « société » disparaît; en revanche, on parle et reparle du passage des instruments de production à l’État, à la Nation et, quand il s’agit vraiment d’émouvoir (dans les discours au milieu des ovations d’usage) au Peuple et à la Patrie socialiste.
On ne peut dénier à la description stalinienne le mérite d’une sincérité brutale. En résumé, la prise de possession des instruments de production y apparaît comme purement juridique. Pour ce qui regarde la terre et les grands moyens de production agricole, tous ses effets se limitent en réalité à un article du Statut de l’artel d’État ou de la dernière Constitution (d’ailleurs en cours de révision) de l’Union Soviétique. En effet, la disposition économique des produits agricoles qui sont partagés entre kolkhozes et membres individuels du kolkhoze ne correspond pas à la déclaration légale sur la propriété. La prise de possession par l’État n’est effective que dans la grande industrie, puisqu’il ne dispose que des produits de celle-ci et revend ceux d’entre eux qui sont biens de consommation. Dans la petite et moyenne entreprise, dans les entreprises commerciales, par contre, il n’existe de prise de possession publique ni pour les produits, ni même pour les moyens de production. Il en va de même pour le menu outillage de la culture familiale et parcellaire que l’État encourage.[8]
Malgré l’existence d’usines immenses et de gigantesques travaux de constructions publiques, la République qui se dit socialiste et soviétique n’a en main et ne contrôle que peu de choses, en somme : et bien peu a été véritablement étatisé et nationalisé. L’importance de la propriété d’État relativement à l’ensemble de l’économie est peut-être plus grande dans certains pays « bourgeois ».
Mais à quel organe, à quelle force sera transféré ce qui sera arraché aux intérêts après la révolution ? Le peuple, la nation, la patrie ? Jamais Marx ni Engels n’ont usé de tels termes. « La transformation (de la propriété privée) en propriété d’État ne supprime pas l’appropriation capitaliste des forces productives », affirme Engels dans un des chapitres plus haut cité.
Quand ce sera vraiment la société qui s’attribuera la disposition des produits, il est clair qu’elle aura dépassé la division en classes, que ce sera une société sans classes. Mais tant que les classes existeront, la société restera organisée par une seule classe, et c’est une seule classe encore qui les abolira toutes et dialectiquement s’abolira elle-même. Ici se greffe la magistrale élucidation de la doctrine de l’État, qui dès 1847 était définie : « Le prolétariat s’empare du pouvoir d’État et avant tout transforme les instruments de production en propriété d’État (paroles de Marx citées par Engels), mais par cela même il se supprime en tant que prolétariat, par cela même toutes les différences et oppositions de classe, et l’État lui-même, sont abolis. » C’est alors, de cette façon, et seulement sur cette voie que nous verrons vraiment la société agir et disposer finalement des forces productives, de tous les produits et de toutes les ressources.
Mais le peuple, qui diable est-ce donc ? Un hybride des différentes classes, une notion intégrant en un tout homogène exploiteurs et esclaves, professionnels du pouvoir et des affaires d’une part, affamés et opprimés, de l’autre. Le peuple, nous n’avons même pas attendu 1848 pour l’abandonner aux ligues pour la Liberté et la Démocratie, ainsi qu’au pacifisme et au progressisme humanitaire. Avec ses « majorités » tristement fameuses le peuple est non le « sujet » de la gestion économique, mais seulement l’« objet » de l’exploitation et de la tromperie.
Et la nation ? C’est une autre nécessité et condition fondamentale pour la construction du capitalisme. Terme géographique, ethnographique ou linguistique, elle représente la même confusion des classes sociales que la fade expression juridique et philosophique du « peuple ». La nation, non plus, ne s’approprie rien : dans des passages fameux, Marx a tourné en dérision les expressions de richesse nationale et de revenu national (qui jouent un rôle important dans l’analyse que Staline fait de la Russie) et il a démontré que lorsque la nation s’enrichit, c’est que le travailleur est roulé.
Les révolutions bourgeoises, la substitution de l’industrie moderne aux régimes économiques précédents – féodaux en Europe et de nature diverses dans le monde – qui sont autant de bonds nécessaires et révolutionnaires, n’ont pas été conduites au nom de la bourgeoisie et du Capital, mais au nom des « peuples » et des « nations ». On peut en déduire que Moscou est parfaitement cohérente avec elle-même quand, lançant des mots d’ordre tels que « démocratie populaire » et « indépendance nationale », elle abandonne l’économie marxiste et la nation prolétarienne, révolutionnaire et internationaliste de société, en usage dans les textes classiques, pour revenir à des catégories politiques propres aux idéologies de la propagande bourgeoise.
Il ne faut donc pas s’étonner de voir répéter après 26 ans[9] la consigne éhontée avec laquelle nous, marxistes, avons rompu pour toujours : ramasser les drapeaux de la bourgeoisie,[10] qui, après avoir été portés bien haut au temps des Cromwell, des Washington, des Robespierre et des Garibaldi, sont tombés dans la boue. Bien au contraire, la révolution devra, dans se marche en avant, les fouler aux pieds, sans pitié, opposant la société socialiste aux mensonges et aux mythes des « peuples », des « nations » et des « patries ».
Au cours du débat de Moscou, les lois de l’économie russe ont été également comparées avec celles que le marxisme a établies pour l’économie bourgeoise.
Certains disaient la chose suivante : au cas où notre économie serait déjà socialiste, nous ne serions plus contraints par un déterminisme inexorable à nous engager dans la voie de certains processus économiques, mais nous pourrions au contraire modifier la courbe de notre évolution, par exemple, en nationalisant les kolkhozes ou en supprimant l’échange ou la monnaie. Si vous prouvez que ceci est impossible, laissez-nous conclure que nous vivons dans une économie complètement capitaliste. A quoi bon feindre le contraire ?
D’autres voulaient, au contraire, que l’on abandonnât une bonne fois les caractéristiques déterminantes que la théorie marxiste a assignées au socialisme.
Luttant « dialectiquement » sur les deux fronts, Staline se met en devoir de résister à ces deux groupes de chercheurs ingénus, qui ne sont évidemment pas des éléments « politiques » actifs : autrement, il eût été facile, à l’aide d’une « purge », de les mettre en demeure de ne plus l’importuner. Il s’agit seulement de « techniciens » et d’experts de la production. C’est uniquement par leur intermédiaire que le gouvernement central peut savoir si la grande machine économique fonctionne bien, ou, au contraire, a des « ratés ». C’est pourquoi, il ne lui servirait à rien de les faire taire. Ils pourraient avoir dit vrai et la crise éclaterait quand même, sous une forme ou une autre. Les difficultés soulevées (ou plutôt mises en lumière) ne sont pas de nature académique, critique, et encore moins parlementaire. Pour pouvoir rire de telles futilités, il faut être, nous ne dirons même pas un Hitler, mais le dernier petit De Gasperi venu. Ces difficultés sont réelles, matérielles, elles résident dans la nature des choses, et non pas dans les cerveaux.
Pour pouvoir répondre à ces deux ordres d’objections, le gouvernement central doit soutenir deux choses. La première est que, même en économie socialiste, les hommes doivent obéir à des lois proprement économiques qui ne se laissent pas transgresser. La seconde est que, même si ces lois sont destinées dans le communisme intégral de l’avenir à être très différentes de ce qu’elles sont sous le capitalisme, certaines d’entre elles restent inchangées sous le socialisme, tandis que d’autres se modifient, et ceci tant dans le domaine de la production que dans celui de la distribution. Dès lors, une fois les lois qui apparaissent insurmontables identifiées, il faut, sous peine de faillite, en tenir compte et surtout ne pas aller contre elles. Un problème particulier, bien qu’essentiel, s’est ensuite posé : la loi de la valeur, entre autres, s’applique-t-elle ou non à l’économie. russe ? Si oui, tout mécanisme économique fonctionnant selon la loi de la valeur n’est donc pas pur capitalisme ? A la première question, Staline répond : oui, chez nous, la loi de la valeur est en vigueur, même si ce n’est pas partout. A la seconde : non, il peut exister une économie qui, tout en n’étant pas capitaliste, respecte la loi de la va leur.
Dans tout ce solennel « essai » théorique, l’ordonnance de l’exposé semble bien défectueuse, et surtout bien vulnérable à la polémique. Les adversaires philosophiques du marxisme auront beau jeu de se gausser d’une assimilation aussi sommaire des effets des lois naturelles et de ceux des lois économiques sur l’espèce humaine. Il en va de même pour les ennemis de la doctrine économique du marxisme qui, depuis un siècle, s’efforcent de prendre leur revanche sur Marx et veulent nous enfermer dans l’impossibilité d’échapper aux lois de la rentabilité économique et de la concurrence des intérêts sociaux tels qu’ils les conçoivent.
Il faut distinguer entre théorie, lois et programme. A un moment, Staline se laisse aller à dire que Marx n’aimait pas (!) à s’abstraire de l’étude de la société capitaliste. Pourtant à chaque pas, Marx démontre que son but n’est pas de décrire froidement le fait capitaliste, mais de proposer la destruction du régime et d’avancer le programme de cette destruction.
En rappelant ce fait, nous ne voulons pas. seulement détruire une vieille et écœurante légende opportuniste. Nous voulons montrer que l’œuvre de Marx, au lieu de s’attarder dans la description de capitalismes contingents s’en tient, étant de nature toute polémique, à un capitalisme-type, un système capitaliste abstrait, oui Messieurs ! qui n’existe pas, non Messieurs ! Mais qui correspond pleinement aux hypothèses des économistes qui se proposaient d’en faire l’apologie.
Ce qui importe, en effet c’est le heurt entre deux positions dont l’une veut prouver la permanence, voire l’éternité de la machine capitaliste : et dont l’autre en démontre la fin prochaine. C’est un heurt de classe et de parti, et non pas une banale querelle d’hommes de science.
Sous cet angle, il a convenu au révolutionnaire Marx de supposer que les engrenages de la machine capitaliste sont réellement centrés et lubrifiés de façon parfaite par la libre concurrence et le droit égal pour tous de produire et de consommer selon les mêmes règles. Dans la véritable histoire du capital, cela n’a jamais été n’est pas, ni ne sera jamais. Les données réelles sont donc infiniment plus favorables à notre démonstration que l’hypothèse. Eh bien, tant mieux !
En bref, si le capitalisme était parvenu à commencer un nouveau siècle d’existence avec la même facilité idyllique qu’au cours du précédent, toute la démonstration marxiste s’effondrerait. Mais puisqu’au contraire, si le capitalisme continue certes à vivre, il n’y parvient que par le monopole, l’oppression, la dictature et le massacre, la puissance de la théorie marxiste se vérifie avec éclat. Les données économiques du développement capitaliste sont justement celles qu’il devait avoir au départ comme dans notre analyse du « type pur » initial de la théorie. Cela confirme notre doctrine et infirme celle de ses propres serviteurs.
On peut dire que Marx a consacré se vie à décrire le socialisme ou le communisme : nous osons même ajouter que s’il se fût seulement agi de décrire le capitalisme, il s’en serait bien moqué.
Marx étudie et développe donc les « lois économiques » du capitalisme, oui, mais il fait de sorte qu’apparaisse le système des caractères du socialisme dans sa pleine opposition dialectique à ces lois.
Le socialisme a donc des lois ? Et ces lois sont différentes de celles du capitalisme ? Mais alors, quelles sont-elles ?
Un moment !
Au centre de l’édifice du marxisme, nous plaçons le programme, moment postérieur au froid effort de recherche.
« Les philosophes ont suffisamment interprété le monde, il s’agit maintenant de le transformer » disent les « Thèses sur Feuerbach » (et tout imbécile « cultivé » d’ajouter aussitôt : thèse de jeunesse). Mais avant le programme et même avant les lois découvertes par le marxisme, il faut définir l’ensemble de la doctrine, le « système de théories » qui la constitue.
Certaines d’entre elles, Marx les a trouvées toutes faites chez ses propres contradicteurs : c’est par exemple la théorie de la valeur de Ricardo, et aussi celle de la plus-value. Nous ne voulons pas dire que Staline ne l’ait jamais su, mais disons qu’elles sont différentes de la « loi de la valeur » et de la « loi de la plus-value » que Marx a traitées à fond et que, pour ne pas induire en erreur les moins expérimentés d’entre nous, il serait préférable d’appeler « loi de l’échange entre équivalents » et « loi du rapport entre taux de plus-value et taux de profit ».
Il est urgent de clarifier pour le lecteur cette distinction entre théorie et loi, qui vaut également dans l’étude de la nature physique.
Une théorie est une présentation des processus réels et des relations qu’ils soutiennent entre eux, visant à faciliter la compréhension générale d’un certain domaine. La prévision et la modification de ces processus ne viennent qu’ensuite.
Une loi est l’expression précise d’une certaine relation entre plusieurs (et on particulier deux) séries de faits matériels, relation constamment vérifiée et qui, en tant que telle, permet de calculer des rapports inconnus (peu importe, messieurs les philosophes, qu’ils soient futurs, présents ou passés !)
La théorie est quelque chose de général : la loi quelque chose de particulier et de bien délimité. La théorie est généralement qualitative et définit certaines entités ou grandeurs. La loi est quantitative et vise à les mesurer.
En voici un exemple emprunté à la physique. Dans l’histoire de l’optique deux « théories » de la lumière ont connu tour à tour la faveur des savants. Selon la théorie corpusculaire, la lumière est l’effet de la course d’infimes particules, tandis que pour la théorie ondulatoire le phénomène s’explique par l’oscillation d’un milieu fixe. Or la loi de l’optique la plus simple énonce que le rayon incident fait avec le miroir un angle égal à l’angle de réflexion. Le galant qui observe dans la glace se belle occupée à se toilette a vérifié mille fois cette loi sans le savoir : elle se concilie en fait avec les deux théories. Pour trancher il fallait faire appel à d’autres phénomènes et à d’autres lois.
Or, d’après le texte de Staline, la « loi de l’échange entre valeurs équivalentes » se concilierait aussi bien avec sa « théorie » qui dit : il existe des formes mercantiles en économie socialiste qu’avec la théorie que nous revendiquons modestement comme nôtre et qui affirme : « Là où l’on trouve la grande production et les formes mercantiles, on a affaire au capitalisme ».
Vérifier la loi est facile : il suffit d’aller en Russie et de constater que l’échange se fait en roubles, à des prix déterminés, comme dans n’importe quel bazar. Donc, la loi de l’échange entre équivalents est en vigueur. Savoir maintenant quelle théorie est la vraie est un peu plus compliqué ! Notre conclusion à nous est qu’en Russie, le régime est pleinement, nettement, authentiquement capitaliste. Staline, lui, fabrique une théorie (justement les théories s’inventent, tandis que les lois se découvrent !) affirmant, en défi au vieux Marx, que certains phénomènes économiques du socialisme obéissent normalement à la loi de l’échange (dite loi de la valeur).
Avant de rechercher quelles sont, chez Marx, les lois de l’économie capitaliste – et en particulier quelles sont celles… qui « distinguent » le socialisme du capitalisme ou qui, éventuellement, sont communes aux deux stades – il nous faut relever l’assimilation trop grossière à laquelle Staline procède entre les lois de la nature et les lois de la société.
Disciples de Marx, nous devons être des combattants et des polémistes : c’est pourquoi il ne nous est pas permis de résoudre le problème de façon scolastique, autrement dit d’insister sur l’aspect d’analogie de ces deux ordres de lois à la seule fin « politique » d’éviter qu’on nous dise : puisque les lois de la société ne sont pas aussi rigides, par exemple que la loi de la gravitation, allons-y pour en faire sauter quelques-unes. La position centrale de Marx dans sa lutte contre les roquets payés par les Universités bourgeoises pour aboyer contre lui était justement que « les lois de l’économie bourgeoise ne sont pas des lois naturelles » et que nous pouvons donc vouloir en briser la domination. L’écrit de Staline rappelle, il est vrai, que les lois de l’économie ne sont pas « éternelles », mais propres à chaque stade ou époque sociale : esclavage, féodalité, capitalisme. Mais il ne le fait que dans l’intention de conclure que « certaines lois » sont communes à toutes les époques et qu’elles régiront également le socialisme, qui aura donc, lui aussi, son « économie politique ».
Staline ne tourne-t-il pas en dérision Iarochenko et Boukharine qui auraient, paraît-il, affirmé qu’en régime socialiste une science de l’organisation sociale succédera à l’économie politique. Mordant, il rétorque que cette science nouvelle avait déjà été abordée par certains économistes pseudo-marxistes qui avaient peur de la police tsariste et qu’elle n’était autre chose qu’une « politique économique », dont il admet d’ailleurs la nécessité comme chose distincte. Le socialisme connaîtra-t-il une science économique ? C’est une question dont nous discuterons lorsque les termes en auront été correctement posés. Ce qui est certain, c’est que tant qu’existera une politique économique (comme ce sera encore le cas sous la dictature du prolétariat), il existera aussi des classes rivales, ce qui signifie que l’on ne sera toujours pas arrivé au socialisme. La question de Lénine s’impose alors : qui détient le pouvoir ? C’est-à-dire : dans quel sens s’effectue le développement économique, qui, nous en sommes d’accord, procède par stades ? Le sens de ce développement ce sont les lois auquel il obéira qui nous le diront.
Nous traiterons ailleurs le problème général des lois de la nature et de l’histoire. En effet, la banalité avec laquelle Staline formule la théorie (ici, il s’agit bien de théorie et non de loi) du matérialisme historique dans les problèmes du déterminisme et de la volonté, de la causalité et de la finalité lui attire des attaques qui rejaillissent sur le marxisme, étant donné que sur mille journalistes ou écrivains, il y en a neuf cent quatre-vingt-dix-neuf qui considèrent Moscou comme son centre officiel. Rares sont ceux qui comprennent la position originale de Marx. Elle est d’ailleurs bien gênante pour ceux qui pratiquent la politique opportuniste du succès. Elle a toujours affirmé l’antagonisme historique des classes et leur lutte directe, qui se sert tour à tour de la machine à écrire et de la mitrailleuse, puisqu’on ne peut plus parler « de plume et d’épée ».
Nous reconnaissons à la bourgeoisie le mérite d’avoir fait progresser la méthode scientifique critique, lors de se victoire sur l’ancien régime, et de l’avoir portée avec audace du domaine naturel au domaine social. C’est elle qui découvrit et proclama la première des théories qui sont aujourd’hui nôtres : théorie de la valeur, selon laquelle la valeur d’une marchandise est donnée par la quantité de travail social nécessaire à sa reproduction : théorie de la plus-value, selon laquelle la valeur de chaque marchandise contient du capital avancé et de la plus-value, la première fraction n’étant qu’une restitution, mais la seconde un gain.
« Les mêmes lois physiques valent aussi bien pour la nébuleuse primitive que pour notre globe actuel : donc, on doit admettre que toutes les sociétés de l’avenir seront astreintes aux mêmes rapports sociaux que ceux d’aujourd’hui », affirmait-elle, triomphante, bannissant l’intervention de Dieu et de la pensée pure tant du domaine social que du domaine naturel. Le marxisme consiste à démontrer au contraire de façon scientifique que le cosmos social suit un cycle aboutissant à la destruction des formes et des lois capitalistes et que la société de l’avenir obéira à des lois différentes.
Engels reconnaissait en Marx le fondateur de la doctrine du matérialisme historique. Marx, de son côté, déclarait que l’apport qu’il avait fourni n’avait pas consisté à découvrir la lutte de classe, mais, appliquant la doctrine au monde moderne, à introduire la notion de la dictature prolétarienne.
C’est ainsi que la théorie aboutit au programme de classe et de parti et à l’organisation de la classe ouvrière pour l’insurrection et la prise du pouvoir. La recherche concernant les lois du capitalisme se situe dans cette grandiose perspective.
« Le Capital » établit deux lois principales, qui sont les seules lois véritables. C’est, dans le premier volume, la loi générale de l’accumulation capitaliste, ou de la paupérisation croissante. Elle établit comment la concentration du capital en masses toujours plus grandes entraîne l’accroissement du nombre des prolétaires et des « sans réserves » (ce qui, répétons-le une fois de plus. ne signifie pas que le niveau de vie réel de l’ouvrier et la quantité des biens qu’il consomme, diminuent). Dans les deuxième et troisième livres, on trouve développée la loi de la reproduction du capital, connexe à celle de la diminution du taux de profit sur laquelle nous nous arrêterons plus loin. Selon celle-ci, une partie du produit, et donc du travail, doit être mise en réserve par le capitalisme pour reproduire les « biens du capital » des économistes, c’est-à-dire les machines usagées. les usines, etc. Quand le capital augmente la quote-part du produit destinée à cette réserve, il investit, c’est-à-dire qu’il accroît l’équipement en installations et instruments productifs. Les lois de Marx sur le mode de répartition des produits du travail humain en objets de consommation immédiate et investissements productifs tendent à prouver qu’aussi longtemps que le système de l’échange mercantile et du salariat restera en vigueur, le régime ira à la rencontre de crises et de révolutions.
La première de ces deux lois ne peut certainement pas s’appliquer à la société socialiste : en effet, celle-ci s’organise justement dans le but de faire de la réserve sociale une garantie individuelle pour tous les membres de la communauté, ce qui ne signifie pas qu’elle appartienne à quiconque, ni qu’elle soit divisée en autant de fractions que d’individus, comme c’était le cas dans le pré-capitalisme.
La seconde loi, nous dit Staline, subsiste sous le socialisme et il prétend que Marx l’avait prévu. Le marxisme établit seulement dans un fameux passage de la « Critique du programme d’Erfurt » entre autres, que même le régime communiste connaîtra un prélèvement social sur le travail individuel destiné à la conservation des installations, aux services publics, etc. Ce prélèvement n’aura pas le caractère d’une exploitation, justement parce qu’il ne sera pas effectué par la voie mercantile. Pour la même raison également, la mise en réserve sociale déterminera un équilibre stable dans le rapport entre produits à consommer et produits à destiner aux « instruments » de la production ultérieure, et non plus la série de bouleversements qu’elle provoque en régime capitaliste.
Le nœud de la question, le voici : Staline nous fait cet aveu précieux que, la loi de la valeur étant en vigueur même dans l’industrie d’État, les entreprises de celle-ci fonctionnent sur la base du rendement commercial, de la rentabilité, du coût de production, des prix, etc. (Nous remplacerons 'etc. par l’adjectif : « rémunérateurs »). Il déclare en outre que, pour l’avenir, le programme est d’augmenter la production des instruments de production. Autant dire que les « plans » du gouvernement soviétique pour l’industrialisation du pays exigent que l’on produise plus que des biens de consommation destinés à la population, des machines et instruments agricoles, des tracteurs, des engrais, etc., et que l’on réalise des travaux publics colossaux.
Des plans, les États capitalistes en font, la dictature prolétarienne en fera. Mais le premier plan socialiste véritable en tant qu’intervention despotique immédiate (cf. « Le Manifeste ») se présentera, en dernière analyse, comme un plan pour accroître les coûts de production, réduire la journée de travail, désinvestir le capital, égaliser quantitativement et surtout qualitativement la consommation qui, sous l’anarchie capitaliste, n’est, pour les neuf dixièmes, qu’une destruction inutile de produits. La réponse à la « gestion commerciale bénéficiaire » et aux « prix rémunérateurs », c’est donc le plan de sous-production, de réduction draconienne de la fraction des « biens du capital » dans la production. Si finalement la section II de Marx (qui fabrique les aliments) réussit à mettre knock-out la section I (qui fabrique les instruments de production), il nous sera facile de briser le joug de la loi de la reproduction. Le présent concert pour la productivité nous a suffisamment cassé les oreilles.
Les aliments sont destinés aux ouvriers, les machines au patron. Il est trop facile de dire que le patron étant désormais « État ouvrier », les pauvres travailleurs ont intérêt à « investir » et à consacrer la moitié de leur journée de travail à la section I ! Iarochenko tombe dans la banalité lorsqu’il réduit à la formule de l’« économie pour la consommation et non pour la production » la critique qu’il dirige contre cette tendance à augmenter, de façon fantastique, la production des machines. Mais il est tout aussi banal de recourir à des formules d’agitation telles que « qui ne travaille pas ne mange pas » et « abolition de l’exploitation de l’homme » dans le but de faire passer l’industrialisme pour le socialisme. Comme si le but de la classe ouvrière était celui, fort élégant en vérité, d’être maîtresse de s’exploiter elle-même !
En réalité, et même si l’on s’en tient à ses rapports internes, l’économie russe applique toutes les lois du capitalisme. Comment est-il possible d’augmenter la production des biens n’entrant pas dans la consommation sans prolétariser les gens ? Alors, où prendre ces biens ? La voie suivie est la même que celle de l’accumulation primitive, et bien souvent les moyens employés sont tout aussi féroces que ceux que l’on trouve décrits dans le « Capital ». Ce sont les kolkhoziens qui se retrouvent privés de leur vache, les bergers nomades de l’Asie arrachés à la contemplation des belles étoiles de la Grande Ourse, ou les serfs féodaux de Mongolie, déracinés de leur glèbe millénaire. Il est certain que la consigne réclame plus de biens de production, plus d’ouvriers, un temps de travail plus long avec une intensité plus grande de l’effort, c’est-à-dire une accumulation et une reproduction élargie du capital à un rythme d’enfer.
L’hommage, qu’en dépit d’une bande de nigauds, nous rendons au « Grand Staline » répond justement à ce procès d’accumulation capitaliste initiale. Si véritablement celui-ci atteint les provinces de l’immense Chine, le mystérieux Thibet et cette fabuleuse Asie Centrale dont est sortie la souche européenne, ce sera un fait révolutionnaire, un fait qui fera aller de l’avant la roue de l’histoire, mais qui, loin d’être socialiste, sera au contraire un fait capitaliste. L’élévation du niveau des forces productives dans cette immense partie du globe est nécessaire : mais Staline a raison quand il dit que le mérite n’en revient pas à lui, mais aux lois économiques qui lui imposent cette « politique ». Toute son entreprise consiste en une falsification d’étiquettes qui fait passer une marchandise capitaliste sous l’appellation de socialisme. et qui est, elle aussi, un expédient classique des agents de l’accumulation primitive !
En Occident, au contraire, les forces productives sont déjà bien trop grandes et ce sont leurs mouvements de flux et de reflux, qui rendent les États oppresseurs. qui les poussent à dévorer marchés et territoires, à préparer guerres et carnages. Ici, les plans d’augmentation de la production ne servent à rien. Ce qu’il faut, c’est simplement un plan de destruction de cette bande de malfaiteurs qui brandit un infâme drapeau de liberté et de parlementarisme.
Nous conclurons l’argumentation économique par une synthèse des stades de la société future : car c’est une question dans laquelle le « document » de Staline apporte quelque confusion. « France-Presse » l’a accusé à ce sujet d’avoir plagié l’écrit de Nicolas Boukharine sur les lois économiques de la période de transition. En réalité, Staline cite plusieurs fois cet écrit, se prévalant même d’une critique qu’en fit Lénine. Chargé de préparer le Programme de l’internationale communiste, resté par la suite à l’état de projet, Boukharine eut le grand mérite de mettre au tout premier plan le postulat anti-mercantiliste de la révolution socialiste. Puis, dans l’analyse de la période de transition en Russie, il suivait Lénine, reconnaissant qu’il fallait subir des formes mercantiles en régime de dictature du prolétariat.
Tout devient clair si l’on relève que ce stade, analysé par Lénine et Boukharine, précède les deux stades de la société communiste dont parle Marx et dont Lénine donne une magnifique illustration dans un chapitre de « L’État et la révolution ».
Le schéma suivant pourra servir de récapitulation à notre difficile sujet :
Stade de transition : le prolétariat a conquis le pouvoir et doit mettre les classes non prolétariennes hors la loi, justement parce qu’il ne peut pas les « abolir » d’un seul coup. Cela signifie que l’État prolétarien contrôle une économie dont une partie, il est vrai décroissante, connaît la distribution mercantile et même des formes de disposition privée du produit et des moyens de production (que ceux-ci soient concentrés ou éparpillés). Économie non encore socialiste, économie de transition.
Stade inférieur du communisme : ou, si l’on veut, socialisme. La société est déjà parvenue à la disposition des produits en général et elle les a assignés à ses membres au moyen d’un plan de « contingentement ». L’échange et la monnaie ont cessé d’assurer cette fonction. On ne peut concéder à Staline que l’échange simple sans monnaie, mais toujours selon la loi de la valeur, puisse être une perspective d’acheminement au communisme : cela représenterait au contraire une sorte de rechute dans le système du troc. L’assignation des produits part au contraire du centre et s’effectue sans équivalents en retour. Exemple : lorsqu’une épidémie de malaria éclate, on distribue de la quinine gratis dans la zone intéressée, mais à raison d’un seul tube par habitant.
A ce stade, outre que l’obligation du travail subsiste, l’enregistrement du temps de travail fourni et le certificat attestant cette fourniture, c’est-à-dire le fameux bon de travail si discuté depuis un siècle, sont nécessaires. Le bon possède la caractéristique de ne pouvoir être accumulé, si bien que toute tentative de le faire entraîne la perte d’une certaine quantité de travail sans restitution d’équivalent. La loi de la valeur est enterrée. (Engels : la société n’attribue plus de « valeur aux produits ».)
Stade du communisme supérieur que l’on peut aussi appeler sans hésitation plein socialisme. La productivité du travail est devenue telle que ni la contrainte, ni le contingentement ne sont plus nécessaires (sauf cas pathologiques) pour éviter le gaspillage des produits et de la force humaine. Liberté de prélèvement pour la consommation à tous. A chacun liberté de prélèvement pour se consommation.
Exemple : les pharmacies distribuent gratuitement et sans restriction la quinine. Et si quelqu’un en prenait dix tubes pour s’empoisonner ? Il serait évidemment aussi stupide que ceux qui confondent une infecte société bourgeoise avec le socialisme.
A quel stade Staline est-il arrivé ? A aucun des trois. Il n’en est pas au stade de transition du capitalisme au socialisme, mais à celui de la transition au capitalisme. Chose presque respectable, et qui n’a rien d’un suicide !
Notes :
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Notkine, par exemple. [⤒]
Staline admet la suppression des deux premières, mais prétend, commettant une grave faute de doctrine, que le problème n’a pas été posé par les classiques du marxisme ! [⤒]
Et naturellement, depuis la réforme de Khrouchtchev, pour le gros outillage des S.M.T., vendu aux kolkhozes. [⤒]
En 1925, Zinoviev donnait pour mot d’ordre aux communistes italiens « Vive la Liberté ! » [⤒]
Discours de Staline au XIXe Congrès : « Le drapeau de l’indépendance nationale et de la souveraineté nationale est jeté par-dessus bord (par la bourgeoisie, N.d.R.). Il ne fait pas de doute que ce drapeau, c’est vous, représentants des partis communistes et démocratiques, qui devrez le relever et le porter an avant si vous voulez être des patriotes. si vous voulez devenir la force dirigeante de la nation. Nul autre que vous ne peut le relever. » (« Les problèmes économiques du socialisme en U.R.S.S. », p. 110.) [⤒]