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13 CONTRE 13, MAIS EN COMPÉTITION POUR LA SOCIALITÉ


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13 contre 13, mais en compétition pour la socialité
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Sur le fil du temps

13 contre 13, mais en compétition pour la socialité

Extrait de presse :
« Scandale des boutons dans l’armée américaine – Washington, 2 janvier. – Un scandale plutôt singulier, celui des ‹ boutons de pantalons ›, est en train de s’annoncer dans le milieu de l’armée américaine. Il a été dénoncé par le représentant républicain de l’Oregon, Walter Norblad, dans une lettre envoyée au Ministère de l’Armée. Norblad soutient que, par suite d’une désorganisation inexplicable, tous les pantalons confectionnés pour l’armée américaine ont été livrés munis de boutons pour bretelles. Or, l’usage des bretelles est expressément interdit par les règlements militaires en vigueur aux États-Unis. Le parlementaire républicain estime à douze millions le nombre de boutons de pantalons qui s’avèrent ainsi inutilisables, mais que l’armée devra quand même payer aux fournisseurs (deux millions de pantalons, chacun d’eux muni de six boutons) ».

Ce scandale n’est pas celui qui fera frémir l’opinion démocratique et le citoyen « middle in the road », l’homme de la rue, pourtant souverain, puisque toute l’administration des États-Unis a dû être mise sens dessus dessous et soumise à une enquête générale en raison du détournement d’un certain nombre de milliards, et que, dans le but de l’assainir, le chef d’un grand Organisme a envoyé à ses subordonnés, ainsi que le racontent les journaux, une circulaire qui rappelle certaines règles tirées (regardez-moi ça un peu !) « du code d’honnêteté de la droite historique italienne ». Il s’agit de règles de ce genre : il est interdit à l’employé de l’État, non seulement de se mettre les doigts dans le nez et la plume dans la bouche, mais aussi,
« spécialement s’il est investi de l’examen, du contrôle et de la décision d’un dossier, d’accepter des invitations à des week-ends, des faveurs, des services, des dons, des prêts, de la part de quiconque pourrait y être intéressé ».
La plus grande découverte en Amérique, depuis Christophe Colomb.

L’homme fort de l’opposition républicaine américaine, c’est le sénateur McCarthy, dénommé le « mitrailleur de queue », lequel a lancé une campagne non pas tant contre le scandale de la corruption de la vie publique mais surtout contre le philocommunisme des dirigeants du gouvernement. Étant donné qu’à la tête de la Russie, il y a les 13 membres du Politbureau, McCarthy soutient que l’Amérique entière est entre les mains des 13 conseillers de Truman, et il en tire un parallèle polémique entre la Maison Blanche et le Kremlin. C’est lui qui attaqua Marshall dans cette optique et qui dut ensuite se rétracter; et c’est lui qui, lorsqu’il parle du Secrétaire d’État Acheson, le véritable anti-Molotov, le définit comme un « damned Commie », un damné communiste.

Combien sommes-nous de communistes de par le monde, by God ! Sûrement plus que « ras, dva, tri, mui bolcheviki », ainsi que l’on chantait à l’époque de Lénine et de ses trois chats. Serait-ce une offense que de traduire : « un, deux, trois, nous les bolcheviks » ?

Nous ne transcrirons pas la liste des treize noms du « trust des cerveaux » qui dirige, avec l’Amérique, le monde : en dehors de politiciens, de diplomates et de généraux connus, il comprend comme éminence grise, dit-on, un professeur de philosophie qui, possédant un ensemble de connaissances encyclopédiques, ne lâche pas Truman d’un pas et supplée au manque d’études scolaires du Président, lequel, en tant que civil, n’alla pas au-delà de la gestion d’un magasin de cravates, ou quelque chose de similaire.

C’est tout cela qui donne un caractère de gravité à l’erreur faite par le « brain trust », non pas dans la résolution des équations transcendantes de la physique atomique, mais dans le calcul des boutons de pantalons.

Sous la pluie de « démentis » que l’histoire aurait apportée aux prévisions marxistes; face aux quelques nobles intelligences mondiales, comme celle du nonagénaire Bertrand Russell, qui hésitent entre les hypothèses les plus extravagantes : Staline a perdu confiance dans le communisme et prépare la guerre ou bien : Staline, convaincu que, selon le matérialisme dialectique, le capitalisme s’écroulera de lui-même, a décidé de ne pas faire la guerre; nous, pauvres de nous, n’avons qu’une seule chose à dire : l’histoire des boutons, nous la connaissons bien, depuis l’époque où l’on fouillait encore dans les saintes écritures sous la lampe à pétrole.

Et en effet, nous avons lu dans la préface d’Engels à la « Misère de la Philosophie » de Marx et dans sa critique de la théorie de Rodbertus, qui proposait comme solution à l’anarchie de la production le remplacement du salaire en monnaie par le « bon de travail », ces … paroles prophétiques :
« Et si nous demandons ensuite quelle garantie y aurait-il pour qu’on produise la quantité nécessaire de chaque article et pas plus, qu’on ne vienne à manquer ni de blé ni de viande, alors que l’on croule peut-être sous le sucre de betterave et qu’on nage dans l’eau-de-vie de pommes de terre, pour qu’on ne manque pas de caleçons afin de couvrir notre nudité (ici, Engels fait le farceur) alors que peut-être les boutons de culotte pulluleront par millions… ».

On s’aperçoit que Marx et Engels le prenaient pour un poirier, ce capitalisme aux soi-disant aspects nouveaux et aux phénomènes inattendus – un siècle avant celui de la surproduction de boutons, qui a semblé inexplicable à cet imbécile de l’Oregon !

Il est nécessaire de traduire la phrase qui nous vient d’une langue italienne. Le paysan avait un arbre, un poirier, qui ne donnait pas de fruits; il le coupa et sculpta dans le bois un crucifix, auquel il adressa les prières les plus ardentes de bonne récolte. Mais l’année fut catastrophique et notre pauvre homme d’apostropher ainsi le Christ en bois : « Je te croyais poirier et tu ne me donnes même pas de fruits ! ».

Hier

Si l’armée américaine était composée de femmes, nous assisterions au scandale de la fourniture de bretelles pour les costumes de bain (et pour les robes de soirée) bien que les prescriptions de la mode aient aboli depuis longtemps les bretelles féminines pour tout vêtement comme pour les uniformes militaires. On constate qu’ici, il faut se munir (salut au Duce !) d’une ceinture serrée jusqu’au dernier trou.

Somme toute, c’est toujours la vieille question : l’économie capitaliste se vante d’avoir remplacé la ci-devant[1] providence des statues en bois de poirier par ses lois sacrées : ce sont tour à tour la concurrence, l’initiative, la sage administration centrale des affaires démocratiquement élue. Mais on ne voit pas arriver la prospérité attendue, malgré l’augmentation des forces productives qui s’exprime par des données affublées d’une ribambelle de zéros.

C’est ici que se révèle toute la sensibilité des gouvernants à la « question sociale », aux problèmes du bien-être économique, à la « diminution des écarts entre revenus individuels et familiaux ». Grands bourgeois et capitaines d’industrie et d’affaires, en tant qu’idéologues désœuvrés de la petite-bourgeoisie et des couches moyennes, ces dernières au service des premiers, rivalisent pour « ramener les justes requêtes du socialisme prolétarien » dans le camp d’une « socialité » éclairée. Quel mot efficace ! Nous en avons admiré la relance, ainsi que nous l’exposerons sous peu, à l’Assemblée de la Confédération italienne de l’Industrie.

Ce à quoi sont parvenus ceux de Moscou, que ce soit à usage interne ou externe, c’est à réduire le communisme et le socialisme des programmes marxistes et révolutionnaires à cette même socialité sans couleur, de sorte que, des deux côtés du rideau, ils ont les mêmes consignes économiques, les mêmes recettes pour l’ajustement de la production à la consommation, pour l’effort de travail et la satisfaction des besoins, dans le cadre de la paix universelle, des constitutions politiques en vigueur, de l’ordre social.

Un peu plus du produit du travail au prolétaire, un peu plus du mirage de la richesse sous forme de propriété à celui qui n’a rien : voilà le chœur « socialitaire » des socialistes petits-bourgeois et bourgeois. Il n’y a pas plus anti-socialistes qu’eux.

Mais ce « phénomène » de l’histoire est lui aussi vieux d’un bon siècle.

C’est sous la lampe fluorescente que nous apportons le « Manifeste » jauni. Comme qui dirait, l’abécédaire.
« Le socialisme petit-bourgeois … Dans des pays comme la France, où les paysans forment bien plus de la moitié de la population, il est naturel que les écrivains qui prenaient fait et cause pour le prolétariat contre la bourgeoisie aient appliqué à leur critique du régime bourgeois des critères petits-bourgeois et paysans et qu’ils aient pris parti pour les ouvriers du point de vue de la petite- bourgeoisie … Sismondi est le chef de file de cette littérature, non seulement en France, mais aussi en Angleterre ».

Le « Manifeste » montre ensuite que cette école a analysé de façon géniale, deux siècles en arrière, ce qu’aujourd’hui on se plaît à désigner par le mot « prospective ». Elle s’est trompée dans les conclusions qu’elle en a tirées, à savoir ses prétentions à « arrêter » le cycle capitaliste sur sa pente inéluctable, alors qu’au contraire on se devait de le pousser vers l’abîme. Eh bien, les revendications d’alors sont les mêmes que celles des charlatans d’Amérique et des staliniens … d’Italie. Lutte donc contre les monopoles, lutte pour l’émiettement de la propriété foncière, lutte pour un droit des ouvriers dans l’entreprise.

Dans cette page, Marx donne de cette « prospective » une synthèse magnifique mais il condamne pour toujours la faute dialectique qui consiste à vouloir, en vain, l’endiguer.

« Ce socialisme analysa avec beaucoup de sagacité les contradictions inhérentes au régime de la production moderne. Il mit à nu les hypocrites apologies des économistes. Il démontra d’une façon irréfutable les effets meurtriers du machinisme (note entre parenthèses : les staliniens d’Italie ont récemment prétendu que, dans les travaux d’endiguement du Pô, on n’avait pas utilisé de machine afin d’avoir un emploi plus important de main-d’œuvre, et donc plus de profit pour les entreprises et plus de votes aux élections pour les chefs ouvriers, et peut-être la nouvelle inondation de printemps, avec une exploitation répétée dans les deux sens) et de la division du travail, la concentration des capitaux et de la propriété foncière, la surproduction, les crises, la fatale décadence des petits-bourgeois et des paysans (pour Sombart, Sismondi était comme Marx un imbécile), la misère du prolétariat, l’anarchie de la production, la criante disproportion dans la distribution des richesses, la guerre d’extermination industrielle des nations entre elles, la dissolution des vieilles mœurs, des vieilles relations familiales, des vieilles nationalités ».

Mais une prospective juste peut très bien être assortie d’un programme insensé : conjurer toutes ces éventualités en arrêtant, ou en renversant l’histoire.

« Dans sa partie positive, ce socialisme entend rétablir les anciens moyens de production et d’échange et, avec eux, l’ancien régime de propriété et toute l’ancienne société, ou il entend faire entrer de force les moyens modernes de production et d’échange dans le cadre étroit de l’ancien régime de propriété qu’ils ont brisé, et fatalement brisé. Dans l’un et l’autre cas, ce socialisme est à la fois réactionnaire et utopique. Pour la manufacture, le régime corporatif, pour l’agriculture, le régime patriarcal : voilà son dernier mot (Di Vittorio et Grieco : voilà ses derniers sacristains).
Au terme de son évolution, cette école est tombée dans le lâche marasme des lendemains d’ivresse ».

Si peu après, il en était fini des aspirations à éviter toutes les infamies du capitalisme avancé en se réfugiant dans les institutions féodales moins négrières, ce ne fut pas pour autant la fin du « socialisme petit-bourgeois ». Se fondant avec le « socialisme bourgeois » inférieur, dont il est question immédiatement après dans le « Manifeste », il se remit à geindre sur l’exigence « socialitaire », en mettant de côté simplement son aspect et son côté positifs : la prévision géniale que le capitalisme aura été l’époque la plus sinistre de l’histoire. Il continua à revendiquer la propriété parcellaire et la gestion coopérative et associative dans l’industrie, et il émit une énormité historique plus grande encore : que ces formes hybrides étaient compatibles avec le système capitaliste, et même avec sa phase la plus avancée.

Mais passons au :
« Socialisme conservateur ou bourgeois  : une partie de la bourgeoisie cherche à porter remède aux anomalies sociales pour consolider la société bourgeoise ».

Au passage, nous empruntons ici à notre oracle la distinction qu’il fait de façon mathématique entre « socialité » et « socialisme » (proprement dit).

Socialité : amélioration des conditions sociales afin de garantir l’existence de la société bourgeoise.

Socialisme : destruction de la société bourgeoise afin de garantir l’amélioration des conditions sociales.

A l’époque de Marx, cette sage partie de la société bourgeoise comprenait qui ? :
« Les économistes, les philanthropes, les humanitaires, les gens qui s’occupent d’améliorer le sort de la classe ouvrière, d’organiser la bienfaisance, de protéger les animaux, de fonder des sociétés de tempérance, bref, les réformateurs en chambre de tout poil ».

A notre époque, nous pouvons ajouter : les grands industriels, les grands financiers, les hommes de gouvernement qui sont leurs mandataires, leurs organisateurs de Confédération, les savants trustifiés et subventionnés.

Marx choisit Proudhon comme chef de file de ce faux socialisme qui fait l’apologie de l’économie marchande. Le paragraphe se conclut ainsi :
« Ce socialisme bourgeois atteint son expression adéquate seulement lorsqu’il devient une simple figure de rhétorique.
Le libre-échange – dans l’intérêt de la classe ouvrière ! Des droits protecteurs – dans l’intérêt de la classe ouvrière ! Des prisons cellulaires – dans l’intérêt de la classe ouvrière !
Car le socialisme bourgeois tient tout entier dans cette affirmation que les bourgeois sont des bourgeois – dans l’intérêt de la classe ouvrière »
.

Aujourd’hui

Nous avons déjà traité le thème très actuel du parallèle entre capitalisme européen et américain. L’oligarchie des États-Unis envoie des dollars, envoie des armes, envoie des diplomates et envoie des généraux, mais, en même temps, elle prétend au droit de donner des leçons à la vieille bourgeoisie d’Europe. Cette dernière s’en formalise quelque peu, mais, pour des raisons alimentaires, elle s’en accommode. Ce n’est pas autrement que les aristocrates ruinés s’habituaient à faire la grimace dans les salons de la haute bourgeoisie et étaient obligés pour resquiller un dîner ou un crédit, de se laisser dicter les normes du « savoir-faire »[2] par les nouveaux parvenus[3].

Naturellement un Socialisme à la Sismondi ne pouvait pas pousser en Amérique, étant donné qu’il ne pouvait y avoir de regrets pour une société féodale qui n’avait jamais existé. En revanche, un socialisme à la Proudhon, qui fait la théorie d’un capitalisme zoophile, pour faire oublier combien il a été négrier, pousse parfaitement.

Comme nous y avons fait allusion, l’Assemblée de la Confédération de l’Industrie Italienne a eu lieu il y a quelques jours. La presse a rapporté le discours de son Président, le docteur Costa, en faisant remarquer que s’il n’était pas le plus connu, il est peut-être l’homme le plus puissant en Italie. Même Mussolini recevait l’État Major de l’Industrie en adoptant un ton mineur; il ne « dictait » pas mais écoutait attentivement.

Le discours de Costa est assez instructif. Il a dit que les industriels italiens sont allés en Amérique et y ont trouvé à apprendre sur le plan technique, et aussi dans la mesure où l’industrie américaine a une socialité plus élevée. Il a fait malgré tout des réserves sur le plan économique, ou mieux sur la politique économique. L’industrie américaine a rempli son contrat lorsqu’elle a épargné de la main-d’œuvre et des matériaux, mais nous, nous n’avons même pas la même situation ambiante. Qu’est-ce que cela veut dire ? C’est évident : il s’agit d’une différence politique et sociale; non seulement nous avons beaucoup de chômeurs, mais nous avons des partis turbulents à la tête des masses ouvrières, ce que n’ont pas les Américains. Ce facteur politique influe, selon Costa, sur la gestion des entreprises et donc sur les coûts de production. Quel heureux hasard : l’industrie américaine est meilleure que l’italienne question prix et elle traite ses ouvriers beaucoup mieux. L’industrie italienne se lamente qu’elle ne peut mener une politique de réduction de ses coûts de production sous peine d’avoir à affronter des agitations prolétariennes ! Ne serait-il pas plus sérieux d’admettre que dans le capitalisme international, comme dans la camorra, il existe des degrés hiérarchiques, et que le camorriste de grade supérieur exploite grâce à de forts « pourcentages » le camorriste de grade inférieur ?

Certes, dit Costa, je suis moi aussi keynésien : bas coût de production signifie haute productivité, hauts revenus et emploi adéquat d’unités de production pour créer des richesses plus grandes. Tout irait parfaitement sans l’intervention de facteurs humains : avarice, présomption (oh ciel ! il nous faudrait ici le savon que Marx passa à Proudhon sur l’égoïsme qui ruine tout), dont l’action a tendance à déformer les lois économiques !

La loi économique capitaliste est, selon le bourgeois, naturelle  : donc ce qui n’est pas naturel, c’est la nature humaine.

Dès 1848, nous répondions au philistin allemand que l’on ne peut comprendre la lutte entre l’intérêt du bourgeois et celui du prolétaire si l’on se met à défendre hypocritement les
« intérêts de l’être humain, de l’homme en général, de l’homme qui n’appartient à aucune classe, ni à aucune réalité et qui n’existe que dans le ciel embrumé de l’imagination philosophique ».

Étant donné que les faits démentent donc ses lois économiques, Costa recourt maintenant aux mêmes arguments que les penseurs, les philosophes genre Russell et Cie qui, en discutant de paix et de guerre, d’époque atomique, disent : tout serait si simple s’il n’existait pas certains traits bestiaux dans la psychologie de l’homme en général. Oh, quelle espèce de bête est l’homme en général !

Costa ne peut pas dire que l’algèbre keynésienne : bas coûts, salaires élevés et grande consommation, ne marche pas à Rome précisément parce qu’elle peut marcher à New York. De même que la formule de Staline est le « socialisme dans un seul pays », celle de Truman est « le capitalisme dans un seul pays », qui roule tous les autres.

Notre formule est celle de Marx et de Lénine : le socialisme mondial qui ne roule que le capitalisme mondial.

Tout ce qui est économique est social, a dit Costa. A savoir : si l’entreprise de production donne un profit élevé, il est possible de traiter avec une plus grande socialité, de type américain, les employés, les ouvriers et tout le peuple. L’adjectif économique n’est pas défini par le dictionnaire par : ce qui est relatif à la production des objets et des services utiles a l’homme; mais au contraire par : ce qui permet une différence positive entre les entrées et les sorties, ce qui conduit au gain, au profit, au revenu élevé. Quand l’industrie rapporte beaucoup dans un pays, le peuple est heureux.

Nous avons la tête dure et nous en sommes restés à Marx, qui renversa cette thèse; Keynes et Costa sont, en ce qui les concerne, encore plus en arrière : ils en sont à Adam Smith.

Que ce soit pour l’usage italien ou pour l’usage russe, les staliniens en sont au même point; haute productivité du travail, haute rentabilité de l’entreprise, bien-être social et populaire.

Mais pour que tout puisse se passer ainsi, à savoir pour que les cinquante millions d’italiens puissent atteindre le bonheur au travers de la réussite des spéculations des associés de Costa (72 mille entreprises, avec 2 300 000 employés, qu’on peut facilement ramener à une vingtaine de « bandes » de haute volée), il faudrait se libérer, non pas de la camorra des super-bandes yankees (à vrai dire, Costa a quand même affirmé cela à mi-voix lorsqu’il a parlé des matières premières, des droits et des changes), mais de ces facteurs humains Et comment donc ? Politique, philosophie, venez au secours de la candide et virginale économie pure

Nous y sommes : l’État doit intervenir. Nous nous félicitons de la formulation suivante : l’État n’en a pas seulement le droit mais le devoir, non pour altérer, mais pour défendre les lois naturelles (la loi du profit ! du profit maximum !), et son intervention ne doit pas limiter la liberté mais sauver la liberté partout où on lui porte atteinte.

Nous y sommes, aux vérités marxistes : liberté du capital d’écraser le travail, ainsi qu’il est dit dans le Discours sur le libre-échange.

Et ainsi que dans la formule que nous avons donnée à plusieurs reprises : le dirigisme d’État économique n’est que la garantie maximale de l’initiative privée capitaliste, et grand-capitaliste, libre. Le Capitalisme d’État n’est pas la sujétion du Capital à l’État, mais la sujétion totale de l’État au Capital.

La nécessité ambiante en Italie, docteur Costa, est donc la suivante : des prisons cellulaires, pour la liberté des lois économiques naturelles !

Un autre point est instructif; et c’est un véritable pont jeté en direction de la Confédération du Travail rouge, à son « plan d’investissements », c’est le point fiscal. Nous, les capitalistes italiens, nous sommes organisés sous forme de sociétés anonymes, dit Costa, sans préciser s’il est l’élu des porteurs d’action ou des administrateurs.

Tous nos gains ne sont pas distribués aux actionnaires avec les dividendes (Dieu nous en garde ! ce serait trop anti-économique et trop anti-social), mais ils sont réemployés dans l’entreprise pour une bonne part. Il est normal qu’on paie l’impôt sur les revenus mobiliers sur cette partie du profit, mais on ne devrait pas payer l’impôt complémentaire sur les revenus personnels du capitaliste. Que l’État y renonce et l’on verra plus d’investissement de capital, plus d’emploi ouvrier, et, voyez-vous ça, moins de votes pour Togliatti aux prochaines élections.

Il s’agit de la fameuse prime, attribuée au capitaliste comme récompense de sa valeur civile et qu’il mérite du fait de son « abstinence ». S’il bouffe son profit, comme un seigneur de la bonne vieille époque dans les bals du Palazzo Labia, alors oui, allez-y avec les taxes : prélevez une coupe de mousseux sur chaque bouteille, et une perle sur chaque décolleté[4]. Mais si au contraire le capitaliste se sert de son bénéfice pour créer d’autres entreprises-prisons qui le rendent dix fois plus riche et puissant, alors, monsieur l’État, exigez les taxes de ces pauvres imbéciles qu’il enrôlera pour y travailler.

• • •

La crise américaine du « vendredi noir », que Trotski a fort bien illustrée contre les thèses qui prétendaient démentir la prévision marxiste, a été rappelée, même dans les journaux conservateurs, à propos des avertissements que les divers Hoffman ont adressés à l’Europe : le crack, qui vit ses conséquences se prolonger pendant quatre ans, produisit en un mois les résultats suivants : diminution de 31 % de l’activité des affaires; diminution de 25 % des ouvriers employés; diminution de 34,3 % des salaires; faillite de 1823 banques ! Quelqu’un, docteur Costa, avait agi de façon anti-économique, c’est-à-dire qu’il avait trop exploité; les lois naturelles avaient été déformées par la méchanceté humaine, et elles s’étaient vengées.

« Kremlin lointain, qui a l’esprit bien ouvert à la signification des chiffres. Assis derrière son grand bureau, il s’abandonne à son passe-temps préféré : il écrit des chiffres et il esquisse des dessins sur une grande feuille; il la plie ensuite en deux et écrit encore; puis en quatre et ainsi de suite. Je ne le sais pas avec certitude, mais je crois que parfois il croque la caricature de Truman. Et il écrit en-dessous : 1929 ».

Nous ne savons pas si l’anecdote de la feuille de papier est authentique, de même que nous ne savons pas si celle concernant le traitement de deux cents millions de Staline est vraie, ce qui n’aurait pas grande importance; mais, en revanche, il est significatif et historique que, quand on augmenta de cent roubles le traitement d’un autre petit bonhomme, Lénine, il administra au fonctionnaire imprudent sa formidable et classique « gueulante ».

L’histoire de la feuille pliée en deux, en quatre, puis en huit et ainsi de suite, est peut-être destinée à démontrer que la dose de communisme dans les plans du Kremlin décroît en proportion géométrique. Le docteur Costa trouverait cependant la méthode peu économique : tu écris, tu écris, mais, de cette façon, une moitié du papier reste toujours inutilisée.

A nous, c’est une autre anecdote qui nous plaît. Quand il y avait au Kremlin un autre petit bonhomme assis derrière son petit bureau dans son petit appartement, il s’abandonnait parfois à son passe-temps favori : il écrivait sur une feuille de papier : capitalisme mondial. Puis, sans la plier, il retournait la feuille et il y écrivait dessus Révolution mondiale.

Le petit bonhomme est mort et bien d’autres mourront encore, mais cela n aura pas eu d’importance qu’ils aient été petits ou grands, illustres ou inconnus.

L’Histoire tournera la page.

Notes :
[prev.] [content] [end]

  1. en français dans le texte. [⤒]

  2. en français dans le texte. [⤒]

  3. en français dans le texte. [⤒]

  4. en français dans le texte. [⤒]


Source : « Battaglia Comunista », № 2, 1952.

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