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LES ABSTENTIONNISTES ET LA FRACTION COMMUNISTE : LA VALEUR DE LA DISCIPLINE


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Les abstentionnistes et la fraction communiste : la valeur de la discipline
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Les abstentionnistes et la fraction communiste : la valeur de la discipline

[1] Cet article traite de la question de la discipline du point de vue marxiste, c’est-à-dire en fondant celle-ci sur la seule base qui lui permet d’être autre chose qu’un artifice mécanique, un moyen de contrainte, qui donne les seules garanties de son efficacité : l’homogénéité politique du parti. Les centristes « maximalistes », « unitaires » accordent – de façon rhétorique – d’autant plus de valeur à la discipline formelle, qu’ils se refusent à œuvrer pour l’unité programmatique du parti. Toutes choses égales par ailleurs, quelques années pus tard les centristes à la tête de l’Internationale et des partis donneront une valeur absolue à la discipline – cette fois-ci, dans la pratique – pour surmonter les oppositions à leur abandon progressif des orientations programmatiques communistes.

Il est bien connu que la Fraction Abstentionniste du PSI adhère formellement et totalement à la Fraction Communiste constituée après le Congrès de Moscou et en fait aujourd’hui partie intégrante – à travers l’intervention du sous-signé à l’élaboration du Manifeste-programme, et par une délibération du Comité central de Naples, unanimement respectée par tous les groupes adhérents.

La fraction abstentionniste s’est constituée officiellement après le congrès de Bologne d’octobre 1919, au cours duquel sa motion a recueilli les voix de 67 sections représentant environ 3500 membres. Le Comité central a son siège à Naples, et son organe de presse est Il Soviet, qui se trouve aujourd’hui naturellement parmi les journaux du Parti qui défendent le point de vue de la Gauche.

Au Congrès International de Moscou nous avons soutenu notre thèse de l’incompatibilité pour les communistes de la participation aux élections des organes représentatifs de la démocratie bourgeoise, dans la période révolutionnaire actuelle et pour les pays de vieux régime démocratique. Comme il était prévu, ces thèses ne furent pas acceptées par le Congrès, qui a approuvé les thèses de Boukharine en faveur de la participation électorale et parlementaire dans un sens et avec une perspective révolutionnaires, contre une faible minorité, qui se divisa encore puisque les syndicalistes-anarchistes, anti-parlementaires, n’ont pas voté et ne pouvaient pas voter pour nos conclusions en raison de leur caractère nettement marxiste. Celui qui écrit déclara à Moscou que les anti-électoralistes d’Italie et d’autres pays acceptaient sans discuter et de façon disciplinée ce résultat.

Toutefois, lorsqu’elle a adhéré en Italie à l’initiative de la gauche, notre fraction n’a pas décidé de se dissoudre ni de modifier sa ligne de conduite négative par rapport aux élections municipales, ainsi qu’il en a été délibéré lors de la Conférence Nationale de Florence des 8 et 9 Mai 1920.

Certains – pas les camarades de la gauche communiste, avec lesquels notre accord sur la ligne politique ne pourrait être plus complet, plus loyal, plus chaleureux – ont voulu spéculer sur cette attitude en soutenant qu’elle contredisait notre déclaration et notre affirmation de principe que le Parti Communiste et la 3e Internationale doivent être fondés sur une discipline de fer. Cette objection a été faite au soussigné dans des réunions du Parti où il soutenait au nom du Comité de Bologne la position de la gauche communiste. Certains ont voulu ainsi trouver un argument de circonstance contre les thèses sécessionnistes que j’ai ardemment défendues, en voyant dans l’orateur l’abstentionniste indiscipliné au Parti et à la Troisième Internationale et en prétendant le prendre en faute dans ses affirmations en faveur de l’homogénéité du Parti et de la rupture définitive avec l’équivoque unité actuelle.

Avant de justifier l’attitude des abstentionnistes, disons quelques mots sur le zèle improvisé des unitaires pour la discipline de fer, militaire, féroce, et sur leur thèse selon laquelle ils sont ainsi aussi extrémistes et orthodoxes que nous, et même davantage que nous.

La résolution de leur sophisme contient, je crois, des éléments utiles de discussion pour les camarades de notre tendance, elle peut être utile et pas seulement pour la défense de la légitimité du comportement passé et présent des abstentionnistes.

Les unitaires exagèrent formellement le concept de discipline afin de le déformer en substance. Ils en font un argument spécieux pour conserver dans le parti les anti-communistes en soutenant que grâce à la discipline envers la majorité et les organes centraux, il sera possible de les faire travailler dans un sens communiste et d’utiliser leur action pour les objectifs révolutionnaires auxquels ils ne croient pas subjectivement.

A l’inverse, du point de vue théorique du marxisme comme du point de vue des critères pratiques d’organisation suivis par l’Internationale Communiste, avant de poser la question de la discipline dans l’action, il faut résoudre au préalable la question du programme.

La discipline ne peut avoir de sens que dans un parti programmatiquement homogène, un parti dans lequel tous les adhérents sont en accord sur les positions de principe générales et sur les buts programmatiques – non seulement dans le sens de partager un lointain but final, ce qui pourrait suffire pour un regroupement de partisans d’une doctrine non fondée comme la nôtre sur l’histoire et la dialectique – mais dans le sens précis d’accepter une vision commune du processus historique révolutionnaire. C’est pourquoi il ne suffit pas pour être communiste d’admettre tendanciellement le communisme des biens et des moyens de production; il est nécessaire d’accepter les différentes phases du développement historique : lutte de classe, utilisation de la violence armée contre le pouvoir bourgeois, dictature du prolétariat, système des conseils.

La Troisième Internationale est constituée sur ces bases, dans le sens que chacun de ses membres doit accepter en principe ces fondements programmatiques. C’est une position très équivoque que de dire : un parti a adopté à la majorité le programme communiste, il est donc en règle avec la Troisième Internationale. Non : le programme n’est pas la pensée d’une majorité mais la base constitutive de l’organisation du Parti, la pensée commune à chacun de ses composants. La minorité qui suit d’autres programmes opposés – même si elle prend l’engagement absurde de la discipline – doit être éloignée du Parti. La discipline n’a rien à voir avec la question du programme : c’est là l’ambiguïté qu’il faut dissiper[2]. Voilà la signification précise de la vingt-et-unième condition d’admission à l’Internationale, si valent quelque chose le témoignage de celui qui l’a proposée, ainsi que les déclarations éminemment autorisées faites à Halle par le camarade Zinoviev, qui a tiré de ce Congrès un argument pour démontrer la justesse de cette proposition, en évoquant la « séparation des esprits », à savoir la scission des partis encore divisés sur le contenu du programme[3].

Le problème de la discipline se pose après la résolution de ce point fondamental : étant entendu que tous les membres du Parti sont communistes de par leur libre acceptation du programme (c’est-à-dire volontairement, subjectivement, non pas dans le sens, chers amis unitaires, qu’ils soient libres de… ne pas l’accepter et de rester « disciplinés » envers le Parti), une fois ceci établi – et la scission du congrès n’est qu’un premier pas vers cette rénovation intime du parti – il reste inévitablement, utilement, des divergences sur les questions de tactique. Si nous sommes d’accord sur la conception générale du processus historique révolutionnaire, déterminé d’une façon générale par l’action des grandes forces historiques supérieures aux volontés et aux consciences des individus, ces forces elles-mêmes déterminant les consciences et les volontés collectives, comment s’insère dans ce processus l’action, la préparation du parti révolutionnaire de classe ? Quels sont les points d’application de ses efforts ? Quelle est l’intensité de ceux-ci sur les différents points ? Quels sont donc les mouvements et les initiatives des forces encadrées par et dans le Parti ?

A ces questions il y a des réponses générales -scission ou non des syndicats jaunes, abstentionnisme ou électoralisme, et ainsi de suite – fournies par la majorité lors des congrès, l’autorité suprême étant les congrès internationaux; ou des réponses contingentes – est-ce le moment de lancer une attaque ou d’attendre, etc… – fournies par les décisions des organes centraux. Cela vaut aussi pour les interprétations controversées des résolutions des congrès, les décisions du Comité Exécutif International devant l’emporter. Celui-ci cependant – comme Zinoviev l’a déclaré – ne prétend pas donner le signal d’actions nationales, l’obstacle en étant avant tout d’ordre technique.

Voilà les rouages, le mécanisme de la discipline, de la centralisation dans l’action, qui doit être de fer, qui doit avoir un caractère militaire comme les structures de commandement d’une armée, la lutte de classe étant aujourd’hui de fait une guerre ouverte.

Mais aucune discipline n’est concevable ou applicable là où fait défaut l’homogénéité programmatique du Parti.

Ce n’est pas tout : il faut dire que notre manière de poser le problème est en fait la seule qui respecte la liberté d’opinion. L’autre, celle absurde des unitaires, si elle pouvait dans la pratique ne pas se dissoudre dans le je m’en foutisme de la minorité, serait l’étouffement de cette liberté.

Le principe de la liberté d’opinion n’a aucune valeur du point de vue marxiste. Le prolétariat au pouvoir le niera à ses adversaires de classe, tandis que sa lutte et son travail prépareront le seul principe qui a un sens communiste : le droit à l’existence, à travers la disparition des classes, qui permettra l’épanouissement de rapports spirituels supérieurs. Mais ces rapports supérieurs, en dehors de toute formulette petite-bourgeoise, peuvent et doivent vivre dans le Parti, tel que nous le concevons. Une fois les adversaires du programme communiste mis à la porte – afin qu’ils puissent jouir momentanément de la liberté de parole et de propagande… anti-révolutionnaire –, le parti connaîtra le respect des opinions et des tendances et de leurs féconds débats internes, parallèlement à l’obéissance absolue dans l’action : obéissance aux décisions de la majorité, aux organes centraux. C’est pourquoi Moscou dit : centralisme démocratique. La « démocratie », dans l’absolu, ne peut exister dans la société hétérogène divisée en classes; elle peut et doit vivre à l’intérieur du véritable parti de classe – ceci en dehors du fait que, dans le sens historique, « démocratie » signifie le mensonge de l’égalité des droits dans une société divisée en classes; et qu’elle doit être dépassée dans le système de représentation de classe, la dictature du prolétariat, avant même l’apparition des nouveaux rapports de vie de la société future.

Les unitaires veulent garder dans le parti ceux qui ne doivent ni ne peuvent y être parce qu’ils ne veulent ni ne peuvent agir dans le sens communiste; et pour y arriver ils comptent sur la discipline. Ainsi s’explique leur zèle à vanter celle-ci, en paroles, mais en déformant en réalité toute la question.

Après avoir montré du point de vue théorique l’inconsistance de leur point de vue, ajoutons que les démonstrations de son caractère fallacieux existent aussi dans la pratique. Nous ne les trouvons pas seulement dans l’histoire instructive de toutes les scissions des partis étrangers, mais aussi dans les péripéties de notre mouvement.

L’équivoque unitaire, avec son argument boiteux de la discipline, l’a emporté à Bologne. Les résultats fournissent la preuve expérimentale de ce que nous avons exposé sur le plan théorique. La minorité de droite, après avoir rejeté le programme et accepté librement (!) la discipline, resta dans le parti : elle y a fait de la manière la plus éhontée un travail opposé au programme même du parti, sans que ne servent à rien les freins de la Direction maximaliste. Au contraire elle a fait capituler le maximalisme en dépit de toute sa puissance numérique, dans tous les épisodes de l’action parlementaire et syndicale et des luttes politique en général.

C’est pourquoi nombreux sont ceux qui, après avoir été pour l’unité à Bologne, sont aujourd’hui d’accord avec nous, les abstentionnistes, sur la nécessité de la scission.

• • •

Venons en maintenant à la question des abstentionnistes. Après ce qui précède nous pourrions dire : nous admettons la discipline inconditionnelle dans l’Internationale; nous l’admettrons dans le Parti Communiste; nous ne l’admettons pas dans le parti-minestrone actuel, où ses conditions logiques sont absentes.

Mais il y a plus. Les thèses qui ont prévalu à Moscou sur l’action électorale, si elles ont condamné l’abstentionnisme et la tactique du boycottage des élections – tactique que d’ailleurs nous n’avons pas mise en application, ni avant ni après, précisément par discipline – sont telles qu’elles condamnent aussi implicitement l’électoralisme pratiqué par le Parti Socialiste Italien dans son ensemble, dans les élections générales comme dans les élections municipales actuelles. Cette condamnation a été en outre explicitée dans de nombreux documents du Congrès International connus par les lecteurs, et dans la 17e thèse sur les tâches de l’Internationale (parue récemment en intégralité dans l’« Avanti ! »). De très nombreux commentaires de non abstentionnistes l’admettent aussi.

Même en admettant la discipline envers un parti non communiste, il n’est pas possible d’en arriver à accepter par discipline une action politique non communiste. Cela conduirait à inverser la fonction et les buts de la discipline : la mise en œuvre de la tactique décidée au Congrès International.

Quand en Italie le Parti Communiste mettra en œuvre cette tactique sur le terrain électoral, les abstentionnistes les plus convaincus donneront l’exemple d’une discipline absolue.

Jusqu’à aujourd’hui, sans saboter en aucune façon les élections, ils ont travaillé aux buts vers lesquels les élections auraient dû, mais n’ont pas été orientées : l’affirmation des principes communistes, l’application des résolutions de la Troisième Internationale. Ils ont du toupet, ces messieurs qui invoquent la discipline pour éluder habilement les décisions internationales qu’ils doivent respecter en matière d’unité du Parti – et qui ensuite prennent au sérieux les décisions de Moscou contre lesquelles ils ont fait tant de bruit, mais uniquement pour défendre un électoralisme, que ce fait seul suffit à démontrer qu’il n’est pas inspiré par les buts du communisme !

Notre petite fraction a un autre mérite : avoir maintenu dans le Parti de nombreux éléments qui sans elle seraient partis vers l’anarchie ou le syndicalisme : en ne laissant pas à ces courants le monopole de la lutte contre le réformisme de la droite du Parti et l’opportunisme du centre, et aussi en démasquant leurs erreurs programmatiques avec les arguments marxistes qu’aujourd’hui les unitaires répètent hors de propos comme des perroquets, avec un esprit d’avocassiers.

C’est pourquoi, nous les abstentionnistes, nous nous sentons à notre place non seulement dans la IIIe Internationale où nous pouvons et pourrons librement soumettre nos thèses (quand nous l’avons fait, ou étaient les représentants de la droite qui prétendent y adhérer avec des divergences programmatiques autrement plus importantes ?), mais aussi dans la fraction communiste du Parti, dans le Parti Communiste naissant, à travers la collaboration effective, sereine, cordiale à la définition toujours meilleure des orientations qui assureront la victoire éclatante du prolétariat d’Italie.

Notes :
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  1. « Il Comunista » № 3 – 28/11/1920. [⤒]

  2. La question des rapports entre programme et discipline avait déjà été traitée par la Gauche à travers la voix d’Amadeo Bordiga au IIe Congrès de l’Internationale : « En matière de programme il n’existe pas de discipline; ou on l’accepte, ou on ne l’accepte pas, et dans ce dernier cas on quitte le Parti. Le programme est une chose commune à tous, non une chose établie par une majorité de militants ». Voir « Les conditions d’adhésion à l’Internationale Communiste » sur « Programme Communiste » № 43–44. [⤒]

  3. Le Congrès de Halle des socialistes indépendants (USPD) en octobre 1920 où Zinoviev était présent, avait vu la majorité accepter les conditions d’admission à L’Internationale. Voir « Programme Communiste » № 86 pour le chapitre de l’« Histoire de la Gauche communiste » sur ce sujet. [⤒]


Source : « Programme Communiste », № 97, Septembre 2000 (« Il Comunista » № 3 – 28/11/1920)

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