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SUR LA VOIE DU PARTI « COMPACT ET PUISSANT » DE DEMAIN


Content :

Sur la voie du parti « compact et puissant » de demain
La « lettre à Korsch »
La Fraction à l’étranger
Une polémique sur deux fronts
Noyau, certes, mais parti
Deux trajectoires différentes, mais destinées à se rencontrer
Comment et quand la « rencontre » ?
« Voilà à quoi il nous faut rêver »
Notes
Source


Sur la voie du parti « compact et puissant » de demain

Dans notre conception, le parti de classe ne peut naître que sur la base d’un ensemble complet de positions théoriques et programmatiques, et d’orientations tactiques. Ce patrimoine est évidemment nécessaire au parti pour lui assurer d’être présent au rendez-vous historique avec le mouvement réel lorsque celui-ci éclatera sous la poussée de déterminations matérielles; mais ce serait une erreur mécaniste et fataliste de croire qu’il soit suffisant. À l’inverse, il serait tout aussi faux, et pour tout dire idéaliste et spontanéiste, de considérer qu’on ne pourra parler de parti au sens strict qu’une fois que le mouvement réel aura rassemblé autour de lui un nombre appréciable de prolétaires, et qu’une série de forces et de courants politiques partis de positions divergentes ou opposées auront convergé sur la plate-forme politique et programmatique qu’il défend à contre-courant. La première erreur paralyse les efforts du parti pour devenir un facteur et non plus seulement un produit de l’histoire, pour devenir ce « parti compact et puissant » qu’il ne peut pas être à sa naissance. La seconde renvoie la naissance même du parti à un futur indéterminé, la fait découler de facteurs impondérables et indépendants de notre action, et réduit celle-ci à « apporter la lumière dans les ténèbres ». L’une et l’autre concourent à priver la classe de l’organe qui doit la guider sur le chemin de la conquête du pouvoir, et qui n’est à même de le faire que si, même dans les périodes les plus stériles et négatives, il a non seulement revendiqué mais aussi accompli, dans la mesure où c’était en son pouvoir, toutes les activités propres au parti révolutionnaire de classe dans les périodes favorables et fécondes. L’une et l’autre ne sont pas de simples « déviations » par rapport à nos « thèses caractéristiques » : elles traduisent le passage à d’autres thèses, le choix d’un chemin différent.

Ces dernières années, nous avons consacré une large place à la critique de la première de ces erreurs. Il est important de combattre la seconde, et nous pensons que la meilleure façon de le faire est de remonter aux origines lointaines et proches de notre constitution en parti.

La « lettre à Korsch »

En novembre 1926, Amadeo Bordiga répondait à Karl Korsch qui, au nom d’un petit courant « de gauche » qui venait de se constituer dans le Parti Communiste d’Allemagne, l’invitait à prendre la tête d’une opposition internationale au stalinisme au sein du Komintern. De cette lettre nous ne retiendrons ici ni le jugement porté sur l’Opposition Unifiée en Russie[1], ni les perspectives de lutte dans les rangs de l’internationale Communiste, perspectives qu’on croyait alors plus favorables, à long terme sinon dans l’immédiat, qu’elles ne se sont révélées par la suite. Ce qui nous intéresse, c’est la façon de poser les conditions nécessaires pour la naissance d’un tel courant d’opposition, qu’on l’ait envisagé comme l’instrument d’une régénération possible du Komintern, ou comme l’embryon éventuel de la nouvelle et future Internationale, c’est-à-dire du parti de classe à l’échelle mondiale.

L’invitation était adressée à notre courant, et elle n’était pas le fait d’une aile quelconque du mouvement ouvrier européen; elle ne venait pas du conseillisme des Gorter et Pannekoek, ou de l’anarcho-syndicalisme des Rosmer et Souvarine, c’est-à-dire de courants que les circonstances avaient rapprochés de l’Internationale en 1919–1921 mais qui étaient restés plus ou moins longtemps en son sein comme des corps étrangers; ni même de ce guêpier de la « contestation » instable et éclectique, alternativement « de gauche » ou « de droite » au gré des événements, représenté par Maslow et Fischer. Elle nous était adressée (et c’est pourquoi une réponse était à la fois nécessaire et possible) par le seul courant qui dans cette situation avait exprimé dans l’Internationale des positions tactiques analogues aux positions constamment défendues par la gauche du PC d’Italie dans les grands débats de Moscou; un courant qui convergeait donc sur une plate-forme tendanciellement proche de la nôtre, aussi bien par l’appartenance à une matrice théorique commune que par l’élaboration d’orientations tactiques analogues.

Dans sa réponse, Bordiga n’exclut nullement la possibilité, en théorie, de la convergence des deux courants à un certain stade. Mais cette possibilité ne l’empêche pas de juger prématurée, du point de vue des principes comme du point de vue de la situation, la tentative de constituer une opposition internationale de gauche ayant une existence réelle, ni épisodique, ni évanescente. Non pas qu’une telle opposition n’eût pas été souhaitable : l’échange de lettres avec Korsch a lieu alors que l’Opposition Unifiée en Russie mène son combat décisif, et malgré toutes les divergences sur l’orientation donnée à l’Internationale et sur la façon de la diriger, tous les marxistes révolutionnaires devaient l’appuyer à fond. Mais si on devait tirer une leçon (ou, pour nous, une confirmation) de la brève existence de la IIIe Internationale, c’était précisément qu’on ne pouvait pas construire le parti mondial unique de la révolution prolétarienne sur la base fragile d’un « bloc d’oppositions » locales ou nationales, rapprochées seulement par les « suggestions de la situation objective » : on ne pouvait le construire (ou le reconstruire) que si on se fixait comme objectif prioritaire et imprescriptible – même s’il fallait pour cela aller à contre-courant des manifestations immédiates du « mouvement réel » –
« de construire une ligne de gauche qui soit vraiment générale et non occasionnelle, qui se relie à elle-même à travers les phases et les développements de situations éloignées dans le temps et différentes les unes des autres, en les affrontant toutes sur le terrain révolutionnaire adéquat », sans pour autant « ignorer en rien leurs caractères distinctifs objectifs »[2].
Et on ne pouvait atteindre cet objectif – comme Lénine l’avait fait devant l’effondrement de la IIe Internationale et comme notre courant s’était efforcé de le faire dans un cadre plus modeste – qu’à la condition de rétablir les piliers de la doctrine marxiste dans leur intégralité, et de fonder sur eux le bilan du mouvement ouvrier avec ses hauts et ses bas, et jusqu’aux manifestations les plus récentes et les plus dramatiques.

L’adhésion de partis ou de morceaux de partis ci-devant socialistes à l’Internationale de Moscou en 1919–21 ne s’était pas produite comme l’aboutissement naturel de l’élaboration d’une « ligne de gauche générale et non occasionnelle » anticipant largement sur le mouvement objectif : elle s’était faite au contraire à la remorque de ce dernier. Et la tentative de Lénine de combler le retard pris sur les poussées objectives du premier après-guerre par leur encadrement « subjectif », en rassemblant d’abord matériellement les différents groupes dans l’internationale pour
« ensuite seulement les fondre de façon homogène à la chaleur de la révolution russe »[3],
cette tentative avait « en grande partie » échoué[4].

En 1926, la « chaleur » d’Octobre s’était dissipée; et le premier devoir de ceux qui voulaient sincèrement opposer une digue internationale de gauche au stalinisme, sans exclure qu’elle puisse constituer la base d’une renaissance de l’Internationale mais sans non plus l’affirmer a priori comme les impatients « créateurs de parti » en chambre, était de faire précisément ce que l’énorme majorité des partis, groupes et fractions accourus six ou sept ans auparavant à Moscou pour frapper à la porte du Komintern n’avaient pas fait par rapport à leur passé. Le cycle historique en train de s’achever fournissait les matériaux d’un tel bilan, à condition de le reprendre depuis son début. Loin de partir de l’appréciation immédiate de la situation pour en tirer les éléments d’une ligne forcément occasionnelle, il fallait procéder précisément à l’inverse : il fallait tirer une ligne non occasionnelle d’un bilan critique général du mouvement ouvrier, en se penchant sur les
« déficiences initiales – non pas sur le plan théorique, mais sur le plan de la tactique, de l’organisation, de la discipline – qui [avaient] fait que la IIIe Internationale [était J elle aussi susceptible de connaître des dangers de dégénérescence »[5],
et qui étaient en train d’exposer à des dangers analogues et toujours plus menaçants la dictature du prolétariat en Russie elle-même.

Ce travail d’élaboration « spontané », c’est-à-dire non bloqué par des regroupements préalables de forces hétérogènes, et développé sur la base d’un bilan global du passé, notre courant n’y invitait pas « le mouvement en général », ni n’importe quelle opposition de gauche de la IIIe Internationale. Il n’y appelait que les courants que la situation cruciale des années 1926–27 semblait rapprocher autour d’une perspective plus sérieuse, plus profonde et plus radicale que le dénominateur commun négatif de l’opposition au stalinisme. Et il demandait à chacun d’accomplir son devoir dans ce sens en apportant sa contribution, non seulement en formulations théoriques mais aussi en expériences vécues dans son propre champ d’action historico-géographique, à la meilleure résolution des problèmes d’orientation générale qui étaient restés sans solution. C’est seulement l’aboutissement de ce travail qui montrerait si les tourments de ces années catastrophiques pouvaient ou non donner naissance à un nouvel organisme doté de la qualité essentielle qui avait manqué à l’Internationale Communiste : l’homogénéité d’origine, d’orientation, d’organisation, et donc la continuité d’action dans l’espace et dans le temps.

Mais en posant ainsi le problème, de façon rigoureusement déterministe et non volontariste, on posait en même temps les conditions d’une inévitable sélection. Si en 1926 Bordiga n’oppose pas un refus a priori à l’invitation du militant Korsch, il envisage la possibilité d’une rencontre avec son courant avec une réserve non dissimulée : c’est qu’il prévoit avec certitude que, sur leurs bases actuelles, les forces opposées au stalinisme suivront le cours dicté par leur passé et par leurs doctrines. Et de fait, l’opposition trotskiste soutiendra une courageuse bataille d’arrière-garde, mais ne réussira pas à se détacher suffisamment du gros de l’armée en déroute pour
« rejeter clairement les éléments dissolvants de la tactique « manœuvrière » faussement définie comme bolchévique et léniniste »[6];
l’opposition allemande, maigre et éphémère, reprendra les oscillations funestes d’un pôle à l’autre qui avaient caractérisé depuis le début sa ligne dictée uniquement par les circonstances successives du moment (ce que nous appelons le contingentisme immédiatiste du KPD) et achèvera sa trajectoire chaotique dans le giron de la démocratie. En essayant de répondre à la question qui se posait dès 1926 et qui devait tant peser sur les décennies ultérieures – « Où va la Russie ? » – la première restait enfermée dans la formule de l’État ouvrier dégénéré, la seconde était incapable de dépasser celle de l’« appareil dictatorial de pouvoir » correspondant soi-disant à la « nature bourgeoise » d’Octobre : et elles tiraient l’une et l’autre les conséquences stratégiques et tactiques qui découlaient inéluctablement de leurs positions respectives. Bien que de façons différentes, elles suivront toutes les deux le mouvement réel dans sa phase de reflux, au lieu de s’affirmer comme sa conscience critique et de se préparer ainsi à prendre sa direction dans la phase de remontée, aussi éloignée soit-elle.

Au cours de son histoire (une histoire dont, malgré ses limites objectives, la « Fraction de gauche à l’étranger » fait partie comme nous allons le voir) notre courant a pu atteindre cette conscience critique, grâce à la continuité de sa bataille pour défendre une « ligne vraiment générale et non occasionnelle », et grâce à l’application rigoureuse de la méthode marxiste à l’analyse de la contre-révolution en Russie et dans le monde. C’est parce qu’il l’avait atteinte qu’il a pu 25 ans plus tard se constituer en conscience critique organisée, en corps militant agissant, en Parti; nous verrons dans quelles conditions et sur quelle base, mais nous pouvons dire d’emblée que ce n’est pas porté par un mouvement ascendant, mais au contraire en le précédant de loin. Aujourd’hui (et demain) comme hier il faut poursuivre ce travail,
« préparer le véritable parti, à la fois sain et efficace, pour l’époque historique où les infamies de la société contemporaine pousseront à nouveau les masses insurgées à l’avant-garde de l’histoire »[7], préparer le parti « compact et puissant, organe indispensable de la révolution »,
que nous ne sommes pas encore. Cette préparation ne peut pas se faire dans le cadre des deux fausses visions que nous avons évoqué en commençant cet article. Elle ne peut se faire que sur la base du bloc unitaire des positions théoriques, programmatiques et tactiques reconstitué par le petit, par le « microscopique » parti de 1951–52 ou d’aujourd’hui, et elle ne peut se faire que dans ses rangs.

C’est donc une erreur de croire que la lettre de Bordiga à Korsch s’en remettait, pour constituer une opposition internationale de gauche dans le Komintern, au cours général de la lutte et des expériences prolétariennes, en attendant qu’il fasse mûrir le besoin et la possibilité d’une autre organisation, et à la limite du parti. En réalité, elle faisait dépendre cette perspective de la capacité des courants d’opposition au stalinisme apparus dans l’Internationale Communiste de parvenir à un bilan général du passé et du présent, en partant chacun de ses propres prémisses idéologiques et non en s’unissant sur la base de positions partielles et circonstancielles; un bilan général que la classe ne peut jamais tirer par ses propres forces, même si elle en fournit les éléments, et auquel on n’arrive, dans les tournants décisifs de l’histoire, qu à la condition d’aller à contre-courant du mouvement réel.

Au moment où la lettre fut écrite, nous pensions tous qu’en Russie la partie n’était pas encore perdue : il ne fallait pas « vouloir la scission » des partis ni de l’Internationale. Il fallait se demander pourquoi les partis, l’internationale et la dictature prolétarienne victorieuse avaient pu dégénérer, en cherchant la réponse à cette question non en dehors des thèses sur lesquelles s’était constitué le Komintern mais dans ces thèses, c’est-à-dire dans le bloc unitaire de la doctrine marxiste. Quelques mois suffiront pour montrer qu’aucun des courants de la « gauche communiste » n’avait la force de le faire. Non seulement il leur manquait le solide bagage théorique indispensable pour ne pas se précipiter dans des déductions spontanéistes, immédiatistes, anti-parti et anti-dictature, bref, démocratiques, mais ils ont suivi le mouvement dans son cours objectif au jour le jour. Alors qu’ils auraient du être sa force critique ils n’ont fait que le refléter, fût-ce de manière inversée.

D’autre part, il s’est avéré que la partie qu’on croyait encore en jeu était déjà perdue, et irrévocablement. Au cours du tournant des années 30, le problème s’est donc progressivement déplacé : il s’agissait au départ de se battre au sein de l’Internationale pour la faire renaître sur ses propres bases constitutives à la lumière du bilan critique de leur abandon progressif; il s’agira alors d’œuvrer en dehors de l’organisation putréfiée et contre elle, en vue de la reconstitution ex novo du parti communiste mondial.

La Fraction à l’étranger

Le mérite de notre Fraction à l’étranger entre 1928 et 1940 a été de résister, dans ce domaine comme dans d’autres, sur des positions qui ne pouvaient être qu’à contre-courant. Il n’est pas vrai qu’elle ait opposé un refus de principe a priori aux diverses mains qu’on lui tendait, celle de Trotski en particulier. Ce qu’elle repoussait –, et elle avait mille fois raison – c’était un processus d’agrégation (dirait-on aujourd’hui) de forces et de courants hétérogènes, rapprochés seulement par le facteur négatif de l’opposition au stalinisme, qu’ils interprétaient d’ailleurs d’autant de façons différentes selon leurs diverses matrices idéologiques; de courants incapables de se détacher du cadre forcément restreint des problèmes que l’Opposition russe avait dû affronter, pour atteindre une vision d’ensemble de ceux qui se posaient à tout le mouvement communiste international, qui plongeaient leurs racines dans un terrain plus vaste, en tout cas plus complexe, et qui ne concernaient pas seulement le présent mais aussi le passé.

Ce qu’elle repoussait, c’était la prétention de redresser ou, ensuite, de reconstruire l’Internationale non seulement avec les matériaux d’un mouvement qui n’avait plus en lui-même aucune capacité de récupération, mais avec ceux de mouvements que Trotski lui-même avait jugés et condamnés, en plein accord avec nous, comme intrinsèquement morts pour la cause du communisme révolutionnaire : les partis sociaux-démocrates, qu’on voulait récupérer en partie par l’« entrisme ». Ce qu’elle a défendu tenacement, c’est au contraire la nécessité de recommencer depuis le début, de ne céder ni aux suggestions d’un volontarisme généreux jusqu’à l’héroïsme mais coupé d’une appréciation matérialiste des rapports de force, ni aux apparences de renaissance subjective d’un mouvement objectivement engagé dans une agonie tourmentée.

Trotski voulait dans les années 1930 reconstruire l’Internationale non seulement comme si on s’était trouvé à l’échelle mondiale dans une situation de montée révolutionnaire semblable à celle des années 1918–20, mais en accentuant les erreurs de tactique et d’organisation qui avaient été faites à l’époque dans la perspective de fondre des courants hétérogènes au feu de la révolution. L’immaturité qui, comme nous l’avons dit constamment, condamnait inexorablement sa généreuse tentative à l’échec, avait cependant une autre implication, que la Fraction n’a pas aperçue, et qu’elle ne pouvait pas apercevoir. Revendiquer aujourd’hui la continuité que la Fraction a réussi, grâce à une splendide bataille, à maintenir fermement, en rejetant les mille expédients grâce auxquels les autres oppositions s’imaginaient pouvoir échapper plus rapidement à l’étau de la contre-révolution montante, signifie également comprendre les raisons matérielles pour lesquelles la Fraction nous a aussi légué, à côté de tant de valeurs positives, des éléments caducs. Le fait est que les « leçons des contre-révolutions » (comme nous dirons par la suite) ne peuvent pas être tirées à n’importe quel moment, en particulier pas au moment où on se dégage à peine d’une défaite qui ne semble pas encore consommée, et dont on ressent forcément les reflets, y compris sur le plan idéologique. « Apprendre de la contre-révolution », cela signifie pouvoir comprendre que non seulement elle n’invalide pas, mais qu’elle confirme en tout et totalement la doctrine, l’arme avec laquelle on était entré en lice pour battre l’ennemi et non pour être battu par lui; comprendre que pour

préparer la reprise il ne s’agit pas de chercher des défauts dans ses propres armes théoriques et programmatiques, mais au contraire de redécouvrir sur tous les points leur force et leur puissance, et de se référer à elles comme à un bloc monolithique pour repartir de l’avant. Or cela, on ne peut y arriver tout de suite mais seulement après que la force dominante dans la contre-révolution (qui, à l’époque, portait encore le nom relativement anodin de « centrisme ») ait parcouru sa trajectoire jusqu’au bout, qu’elle se soit révélée, ouvertement comme pilier « de gauche » de l’ordre établi en tombant dans un abîme dans lequel elle a entraîné – malheureusement, mais c’est la loi de l’histoire – l’immense majorité de la classe. C’est seulement à ce moment qu’on peut le faire, mais cela signifie qu’on peut le faire bien avant que puisse s’annoncer une remontée du mouvement réel de la classe retrouvant ses positions propres. On ne peut le faire plus tôt, parce que ce n est qu’alors que sont créées les conditions permettant à un noyau parfois extrêmement restreint de militants (rappelons que Marx et Engels ont dû former pendant des années un « parti à deux ») de se détacher de l’armée en déroute pour arriver, en reprenant les armes d’origine à l’exclusion de toute autre, à la compréhension complète des causes de la défaite en même temps que des conditions d’une future offensive.

L’impossibilité de briser, pour ainsi dire, le cercle subjectif de la contre-révolution, a conduit la Fraction à certains lâchages, comme par exemple dans la question nationale et coloniale; ou encore à propos de la Russie, non tant dans l’appréciation de ce qu’elle était devenue, que dans la recherche d’une voie différente de celle des bolchéviks dans l’exercice de la dictature et dans le recours à la NEP, une voie qui empêcherait à l’avenir une répétition de la catastrophe de 1926–27; et aussi, en un certain sens, dans la question du parti ou de l’Internationale. Alors que Trotski jugeait la situation mûre pour sa reconstruction parce qu’il croyait que le sens d’évolution du mouvement réel était déjà en train de se renverser, la Fraction pensait que ce renversement ne serait provoqué que par l’approche de la deuxième boucherie impérialiste, ou en réaction contre celle-ci; mais bien que partie d’une hypothèse si différente de celle de Trotski, elle attendait elle aussi cette reconstruction du retour en force des grandes masses sur le terrain de l’affrontement direct avec l’ennemi.

Ainsi, l’article intitulé « Vers l’Internationale deux et trois quarts… ? » paru dans le № 1 de la revue « Bilan », organe théorique mensuel de la Fraction[8] est fondamental parce qu’il critique le vélléitarisme trotskiste et réaffirme en termes vigoureusement dialectiques la nécessité d’asseoir la reconstruction du Parti et de l’Internationale sur un bilan historique, tâche, à laquelle tous les courants de gauche n’étaient absolument pas préparés; mais il pose ensuite comme seconde condition de la renaissance du parti
« l’éclosion de mouvements révolutionnaires » qui, renversant « le système des rapports de classe tel qu’il s’est constitué lors de la victoire de l’opportunisme », permette « à la fraction de reprendre la direction des luttes vers l’insurrection » (p. 19). Et, plus loin : « les fractions de gauche ne pourront se transformer en parti que lorsque les antagonismes entre la position du parti dégénéré et la position du prolétariat menacent tout le système des rapports de classe déterminé par la victoire du centrisme au sein des partis [communistes] »(p. 21).
Des passages de ce genre nourrissent évidemment les spéculations de ceux qui, tel le groupe « Révolution internationale », théorisent aujourd’hui comme inévitable la dégénérescence opportuniste de tout parti de classe qui prétend se constituer avant la vague révolutionnaire future, et qui, en attendant cette vague et sous prétexte de « bilan » préliminaire à la renaissance du parti formel, se livrent à une révision complète des Thèses constitutives de l’Internationale. Pour nous, l’erreur de la Fraction n’était pas tant de croire que la victoire de l’opportunisme dans les partis du Komintern (qui en réalité était déjà mort) allait déchaîner en leur sein, ou encore dans la classe en général, une réaction violente, déterminée par le renversement des rapports parti-prolétariat; ni d’attendre du cataclysme de la deuxième guerre mondiale l’explosion du mouvement révolutionnaire. C’étaient là, tout au plus, des appréciations excessivement optimistes, auxquelles il était d’ailleurs très difficile d’échapper dans le vif de ce cycle historique au cours impétueux. L’erreur, c’était de faire coïncider la naissance du Parti et sa rencontre avec la classe; d’identifier le processus de sa formation avec celui de la conquête d’une influence décisive sur le prolétariat et même avec la prise de la direction de la lutte pour le pouvoir. Nous avons dis plus haut que le Parti de classe ne pouvait se reconstituer qu’après l’achèvement de la trajectoire de dégénérescence de l’Internationale, et avant que le prolétariat ne remonte de l’abîme où il était lui aussi tombé. Il faut ajouter que cette renaissance devait nécessairement, comme c’est toujours le cas, précéder cette remontée du prolétariat.

Il peut certes arriver, par suite d’un enchaînement de circonstances indépendant de toute volonté, que l’organe-parti se forme en retard sur une situation de haute tension sociale; ce fut le cas général des partis communistes occidentaux dans le premier après-guerre, le nôtre y compris. Mais la fraction qui théorise ce retard, qui fait dépendre sa transformation un parti de l’explosion de mouvements révolutionnaires et même insurrectionnels, se condamne au suicide et la classe à l’holocauste comme c’est arrivé, hélas, à Rosa Luxemburg et à Liebknecht. En effet, elle prive la classe de sa direction non seulement théorique mais aussi pratique, de cet instrument qui n’est pas seulement un programme mais aussi une organisation; et qui ne devient direction effective qu’au cours d’un processus, ni bref ni facile mais indispensable, d’« importation de la doctrine communiste dans le prolétariat », une importation qui ne se fait pas par la simple propagande, mais dans le vif des luttes et à travers l’affrontement violent contre toutes les fausses ressources des mille « solutions » extra et anti-marxistes.

L’histoire de notre petit mouvement a d’ailleurs prouvé que c’était bien cela le chemin à parcourir, et que le Parti ne naît pas parce que et lorsque la classe a retrouvé, sous la poussée des déterminations matérielles, la voie unique et nécessaire de la reprise. Il naît parce que et lorsque un cercle forcément « microscopique » de militants a atteint la compréhension des causes de la situation objective immédiate et la conscience des conditions de son retournement futur; parce qu’il en a tiré la force, non pas de « compléter » le marxisme par de nouvelles théories, élaborées dans le vase clos d’un cénacle de chercheurs ou d’un « groupe de travail » en quoi l’aurait réduit la constatation que le second après-guerre ne répète pas le premier et n’offre pas de perspective proche de reprise révolutionnaire, mais de réaffirmer le marxisme dans son intégralité, inchangé et intacte; parce qu’il a été capable, sur cette base, d’une part de tirer le bilan de la contre-révolution en tant que confirmation totale de notre doctrine dans tous les domaines, et d’autre part de s’organiser en un organe militant qui, sans ignorer ni se cacher à lui-même ou au prolétariat qu’il se trouvait, avec toute la société d’aujourd’hui et la classe ouvrière en premier lieu, dans
« la pire situation objective qui soit », ne cessait pas pour autant de revendiquer « toutes les formes d’activité propres aux moments favorables, dans la mesure où les rapports de force réels le permettent »[9].

Cela, c’est le parti, et non son prologue, non la fraction qui aspire à le devenir. C’est le parti, même si ce n’est pas « le parti puissant de demain » qu’il ne pouvait pas être, pas plus qu’il ne le peut aujourd’hui. C’est le parti : de son développement, étroitement lié à la lutte de classe, nous n’attendons pas sa formation, qui a déjà eu lieu, mais son renforcement; non pas le dépassement du stade de « fraction », mais son passage à la tête de la classe, un passage qui ne découle pas seulement de notre activité, mais qui découle aussi de notre activité.

« Nous traversons actuellement un moment de dépression maxima de la courbe du potentiel révolutionnaire »,
écrivions-nous franchement dans cette période entre 1951 et 1952 de laquelle date précisément notre constitution en parti;
« un tel moment est tout autre que propice à la naissance des théories historiques originales. Dans une telle période, sans perspective proche d’un grand bouleversement social, non seulement la désagrégation politique de la classe prolétarienne mondiale est une donnée logique de la situation, mais il est logique également que ce soient de petits groupes qui sachent maintenir le fil conducteur historique du long cours révolutionnaire, tendu comme un grand arc entre deux révolutions sociales, à la condition que ces mêmes groupes ne veuillent rien diffuser d’original et restent étroitement attachés aux formulations traditionnelles du marxisme »[10],
dont la théorie et la prévision ont été « intégralement et indiscutablement confirmées par tous les grands événements récents », aussi catastrophiques qu’ils aient été.

Une polémique sur deux fronts

La polémique n’était pas dirigée seulement contre ceux qui, sous prétexte que
« la vie et la lutte sont tout », tendaient à « décrier et déserter le travail doctrinal et la restauration théorique, qui sont aussi nécessaires aujourd’hui qu’ils le furent pour Lénine en 1914–18 », et qui voulaient remplacer l’immense « recherche des rares moments et points cruciaux de l’histoire sur lesquels le mouvement communiste puisse compter par un volontarisme échevelé qui n’est finalement que la pire, la plus crasse adaptation à l’état actuel des choses et à ses misérables perspectives immédiates »[11].
La polémique contre la « Fausse ressource de l’activisme » – essentielle pour nous – était dirigée en même temps contre ceux qui prétendaient (et depuis, combien sont-ils à l’avoir prétendu et à le prétendre !) tirer de la situation immédiate du mouvement enfermé dans les filets de la contre-révolution, non pas la confirmation des conquêtes lumineuses de décennies d’ascension, mais leur démenti, ainsi que des « idées »et des « théories » novatrices, propres à compléter le marxisme ou à remédier à ses prétendues carences.

En réalité, une période contre-révolutionnaire ne pourra jamais engendrer que des idées et des théories contre-révolutionnaires : jamais une contre-révolution ne se désavouera elle-même ! Et on ne peut échapper à cette fatalité objective, déterminée par le matérialisme, que si on se rattache au filon historique de la doctrine non altérée et, à travers elle, au patrimoine d’expériences et de confirmations hérité des époques plus fécondes de l’histoire. Au lieu de chercher dans le chapeau du prestidigitateur une « théorie spéciale », il fallait se référer à ce patrimoine pour arriver à la réaffirmation
« de la vision marxiste intégrale de l’histoire et de son déroulement, des révolutions qui s’y sont succédé jusqu’à aujourd’hui, et des caractères de celle qui se prépare et dans laquelle le prolétariat moderne renversera le capitalisme et instaurera des formes sociales nouvelles »[12],
et pour la projeter dans un futur prévu avec certitude grâce à l’acte même par lequel le mouvement immédiat lui tourne le dos. L’immédiatisme de l’action d’une part, l’immédiatisme de la pensée de l’autre, détruisent tous deux les conditions subjectives de la reprise révolutionnaire, parce qu’ils rejettent la tâche que, depuis le « Manifeste » de 1848, les communistes revendiquent comme leur caractéristique : « représenter dans le présent [qui peut être le plus férocement contre-révolutionnaire] l’avenir du mouvement ». Les deux immédiatismes sont les deux pôles d’un piège dans lequel il fallait (et dans lequel il faut toujours) se garder de tomber.

La tâche qui nous était ainsi fixée était longue et difficile parce qu’il fallait la mener à bien dans un rapport de forces lié à la situation mondiale, qui, on le savait, ne se renverserait pas « avant des décennies ». Cette tâche n’était pas et ne pouvait pas être confiée à un quelconque « regroupement d’individus savants, éclairés ou conscients »[13] mais d’un autre côté le Parti, renaissant ainsi sur ses fondements indiscutés et indiscutables précisément parce qu’ils ne dépendent pas des circonstances de telle ou telle année, ne pouvait pas se réduire à cette tâche, bien au contraire.

De même que pour le marxisme il n’existe pas d’écran entre révolution et contre-révolution, il n’en existe pas entre théorie et pratique. S’il est vrai qu’à certains tournants de l’histoire la défense de la première l’emporte sur l’exercice de la seconde, elle ne l’annule pas mais au contraire s’en nourrit, même si cette pratique est des plus modestes dans l’immédiat; il ne peut en être autrement, parce que
« dresser une barrière entre théorie et action pratique, au-delà d’une certaine limite ce serait nous détruire nous-mêmes ainsi que toutes nos bases de principe »[14].
Réciproquement d’ailleurs, dans les grandes situations historiques où la seconde l’emporte nécessairement sur la première, le parti non seulement ne cesse pas de défendre et d’affiner son patrimoine doctrinal, mais, en remontant aux questions de principes les plus élevées pour éclairer les problèmes brûlants de stratégie et de tactique, il produit des travaux inégalés, comme « L’État et la Révolution » écrit à la veille d’Octobre 1917, « Le renégat Kautsky » et « Terrorisme et communisme » écrits en pleine guerre civile, ou encore la série « Parti et classe », « Parti et action de classe », « Le principe démocratique », écrite dans la première année, et une des plus belliqueuses, du PC d’Italie. En tout cas cette défense de la théorie, par laquelle se condense et se renforce la « conscience de la classe », ne se réalise pas dans la boîte crânienne de penseurs aussi géniaux soient-ils, ni dans des groupes généreux mais informels d’éléments « avancés ». Elle se réalise dans
« un tissu, un système dont la fonction organique au sein de la classe prolétarienne est d’accomplir les tâches révolutionnaires de celle-ci sous tous leurs aspects et dans toutes les phases successives et complexes »[15]
de l’histoire. Ce tissu ne peut être que le parti, organe militant, théorie et volonté de la révolution, même lorsque la révolution est loin et qu’il s’agit d’en préparer, sinon l’avènement, du moins l’issue victorieuse, impossible sans un organe de direction qui s’est forgé au cours d’une veillée d’armes longue et difficile.

Ainsi, en revendiquant et en posant comme exigence première la reconstruction de la théorie, bien exclusif et arme indispensable de l’avant-garde prolétarienne organisée, on repoussait en même temps la conception absolument idéaliste du « groupe de travail », du cénacle de chercheurs, de la secte, des vestales de la doctrine retirées dans leur temple en attendant d’être appelés en scène par la reprise du mouvement[16], bref de l’« élite ». En s’appelant parti, et non certes par amour de l’étiquette ni par volontarisme stupide, notre organisation se donnait cette directive précise dont l’acceptation faisait partie des « conditions d’adhésion » :
« Ce sont les événements, et non la volonté ou la décision des hommes, qui déterminent donc aussi la pénétration du parti dans les grandes masses, en la limitant à une petite partie de son activité générale. Le parti ne perd cependant aucune occasion de pénétrer dans chaque brèche, dans chaque fissure, sachant bien qu’il n’y aura de reprise que lorsque (retenons ce « que lorsque » !) ce secteur de son activité se sera largement développé et sera devenu dominant »[17].
Ce qui définit comme parti même un tout petit noyau de militants, c’est la conscience claire de devoir conquérir sur la classe une influence qu’il ne possède que virtuellement, et l’effort consacré à atteindre ce but non seulement par la propagande pour son programme, mais par la participation active aux luttes et aux formes de vie collective de la classe; et c’est ce qui, dès ce moment, nous définissait bien comme parti.

La reconstruction théorique elle-même ne s’est d’ailleurs pas déroulée suivant les schémas scolaires, ni selon l’esprit d’un institut supérieur de philosophie pure ou de physique théorique. Elle s’est développée suivant le déroulement et les exigences d’un affrontement polémique contre les faits, contre les courants, contre les théorisations qui se présentaient sur la scène sociale et politique ou dans la superstructure culturelle. Il s’agissait d’une bataille incessante, menée avec cette « arme de la critique » qui est, dans les périodes ternes et mornes où la « critique par les armes » ne peut pas encore être à l’ordre du jour, le prélude nécessaire de celle-ci. Il s’agissait d’un effort constant pour rattacher le « fil du temps » du présent au passé, afin de s’orienter dans l’avenir. Jamais il ne s’est agi d’un divertissement ni d’une froide spéculation intellectuelle, encore moins d’un exercice d’école. Il ne s’agissait pas de fuir le triste présent dans l’Idée, mais de se battre contre le présent avec les seules armes que laissait la conjoncture historique, en démolissant les « Idées » qui fermentaient sur son fumier; et de mener cette lutte sur la base d’une continuité non seulement programmatique mais aussi physique, à l’intérieur d’un organisme qui, parce qu’il était cimenté par le lien de générations de militants attachés à une tradition ininterrompue de combat, était le seul capable de transmettre à la nouvelle génération non pas la forme sans contenu, mais la force héritée d’un siècle de guerre de classe.

Noyau, certes, mais parti

C’est un « noyau de parti » ? Certainement, si on le compare au parti « compact et puissant de demain ». Mais c’est un parti. Il ne pourra grandir que sur ses propres bases, non pas à travers la « confrontation » des points de vue, mais à travers le heurt contre ceux-là mêmes qui paraissent « proches ». Car ce n’est pas d’un « patrimoine culturel » qu’il est l’héritier, mais d’une tradition militante; une tradition qui ne modifie pas ses armes au gré du vent, ni la direction dans laquelle elles sont pointées, mais s’applique au contraire, à la rude école de l’histoire (des contre-révolutions autant que des révolutions) à les aiguiser et à préciser leur cible.

En 1949, alors qu’on avait déjà commencé à poser les bases théoriques et programmatiques du Parti, fut rédigé « L’Appel pour la réorganisation internationale du mouvement révolutionnaire marxiste »[18]. Ce qu’on proposait là aux petits noyaux éparpillés d’ouvriers révolutionnaires qui voulaient réagir, ne serait-ce qu’à une échelle microscopique, contre le cours désastreux de l’opportunisme, ce n’était certes pas un bazar où des marchandises librement étalées pêle-mêle s’offriraient au « libre choix » de ceux qui voulaient construire avec des matériaux disparates, les qualités des uns compensant les défauts des autres, l’édifice bancal de l’« unité des forces révolutionnaires » dont tout le monde radote. On leur proposait au contraire une méthode de lutte homogène, fondée sur le rejet des solutions présentées par les
« groupes influencés ne serait-ce que partiellement et indirectement par les suggestions et le conformisme philistin des propagandes qui infestent le monde », solutions dont « la critique doctrinale » et « une terrible expérience historique »
confirmaient l’inanité; une méthode fondée, par conséquent, sur la nécessité de reprendre la bataille de classe séculaire sur une ligne directrice unique, connue et claire pour tous. Cette ligne directrice était impossible à confondre avec une autre et n’était pas susceptible d’être remise en cause, précisément parce qu’elle n’était pas un produit de la libre pensée, mais du bilan d’un siècle d’affrontements – affrontements physiques et souvent sanglants – entre les classes et, au sein même du prolétariat, entre le marxisme révolutionnaire et toutes les espèces de révisionnisme.

Certes, le parti « en construction » reconnaissait qu’il était « en train de naître » et non pas achevé; mais justement, le Parti de classe est toujours en construction, depuis son apparition jusqu’à sa disparition dans une société qui ne sera plus divisée en classes. Son existence n’est pas attestée par le fait qu’il est « fini » plutôt qu’en construction, mais par le fait qu’il grandît comme un organisme qui se développe avec les cellules et la structure qu’il avait en naissant; qu’il grandit et se renforce sans s’altérer, avec les matériaux qui ont servi à le constituer, avec ses membres théoriques et son squelette organisationnel; qu’il grandit et se renforce dans l’affrontement avec la réalité, pour y accomplir contre tout ce qui tend à les obscurcir et à les entraver les tâches qui sont les siennes, celles d’organisateur du prolétariat sur la voie de la révolution. C’est seulement ainsi qu’il peut prétendre devenir, au sens réel et non métaphysique, la direction de la classe.

Cette croissance, nous allons le voir, n’est ni facile, ni linéaire. Mais elle ne pourra jamais se faire sur des bases semblables à celles revendiquées (par exemple) par la tendance réunie autour de la revue italienne Praxis, que nous citons ici parce qu’elle synthétise de façon franche, ouverte et parfaitement claire la… pratique de tous les « gauchistes ». Celle-ci propose en effet
« comme terrain fondamental pour construire, petit à petit, une réelle unité de la gauche révolutionnaire », une « confrontation sérieuse, sans souci d’étiquette ni diplomatie, sur une série de thèmes politico-culturels et idéologiques » entre les « contributions sérieuses et qualifiées de camarades de diverses appartenances »[19].
Sur ce terrain, on pourra bien réaliser toutes les unités qu’on voudra, on ne construira jamais le parti. Le parti n’est pas un agrégat : sa base théorique n’est pas un agrégat d’« opinions », sa trame organisative n’est pas un agrégat de « tendances ». Et s’il doit se « qualifier » au cours de sa « construction »continue, ce n’est pas aux yeux d’un tribunal d’intellectuels en mal de perfection, mais en se montrant à la hauteur de ses tâches « statutaires », théoriques, programmatiques, tactiques et pratiques, au banc d’épreuve impitoyable de la lutte de classe.

Deux trajectoires différentes, mais destinées à se rencontrer

Comme nous l’avons vu, le parti de classe, le parti révolutionnaire marxiste, n’est pas le produit du mouvement sous son aspect immédiat, c’est-à-dire des phases de montée et de reflux qui sont les deux manifestations typiques de cet aspect immédiat. En théorie, la question a été définitivement tranchée sur la base des postulats du marxisme, au moins depuis « Que faire ? » de Lénine, et sa solution a été codifiée dans les « Thèses de 1920 de l’Internationale sur le rôle du parti communiste dans la révolution prolétarienne », ainsi que dans les textes parallèles de notre courant sur le thème « Parti et classe »[20]. Comme vérification pratique, il suffirait de rappeler qu’à l’échelle mondiale le mouvement ouvrier a atteint dans tous les pays, au cours d’une longue succession de périodes historiques, des sommets grandioses, alors que les partis communistes dignes de ce nom sont restés l’exception absolue et non la règle, même relative; qu’il existe des aires entières, où se sont déroulées des luttes sociales d’une extraordinaire vigueur (telles l’Angleterre ou l’Amérique du Nord), où non seulement il n’y a pas eu de rencontre entre parti et classe, mais où le parti n’a même pas existé, des aires où le parti a été et est repoussé comme « pervertisseur » de la spontanéité prolétarienne.

Mais il faut aller plus loin, sans bien sûr rien découvrir de nouveau par rapport aux textes que nous avons cités. Il découle de ce que nous avons dit que les deux trajectoires, celles du mouvement de classe et celle du parti de classe, ont des dynamiques propres et différentes, qui font qu’elles ne se rapprochent qu’en de rares occasions historiques, et se rencontrent plus rarement encore. Elles divergent par contre pendant de longs intervalles, au cours desquels le mouvement réel, emprisonné dans son expression immédiate, c’est-à-dire trade-unioniste (Lénine parle d’action purement syndicale minimaliste, de Nur-Gewerkschaftlerei) non seulement ne laisse pas place au parti révolutionnaire, mais n’en accorde qu’aux organisations et regroupements qui reflètent précisément ses aspects immédiats, sa spontanéité, qu’il s’agisse de partis ouvertement réformistes ou de courants et de groupes révoltés, volontaristes, blanquistes et anarchistes au sens large, liés les uns et les autres aux réactions de la classe devant la situation immédiate et incapables de s’en arracher pour jeter un pont par-dessus les phases de flux et de reflux.

Cela signifie que si la trajectoire du parti peut être brisée par la retombée du mouvement, qui est toujours dramatique après le raz-de-marée des grandes montées, elle ne peut pas retrouver sa continuité en se laissant porter par ce mouvement mais uniquement en renouant avec son propre passé, contre la réalité objective présente et en préparant un futur scientifiquement prévu comme certain et inéluctable. S’il est certain et inéluctable pour nous matérialistes, ce n’est pas en fonction d’un « mûrissement » au sein de la classe de la conscience de sa mission historique, mais parce qu’elle sera poussée par des déterminations objectives, avant de le savoir et sans le savoir, à lutter pour le communisme en luttant contre les fondements du mode de production qui l’opprime et l’exploite. Il est aussi faux de vouloir que le mouvement spontané produise mécaniquement le parti, que de faire découler de manière idéaliste la révolution prolétarienne de la « prise de conscience du socialisme » : dans un cas comme dans l’autre on prive la classe de l’organe de son action révolutionnaire au moment même où les faits matériels exigent son intervention; ou bien parce qu’il sera trop tard pour que le parti accomplisse sa fonction organique, ou bien parce qu’on lui dénie précisément cette fonction, en abaissant son rôle à celui « d’éclairer les esprits ». Des idéalistes genre « Révolution Internationale » n’admettent même pas ce rôle-là puisque selon eux
« ni aujourd’hui, ni demain, l’organisation des révolutionnaires n’a la tâche d’organiser, de démystifier ou de diriger la classe »[21];
pour ces gens-là, le socialisme n’est possible que si la classe s’auto-organise, s’auto-démystifie et s’auto-dirige, et dans ce processus l’« organisation des révolutionnaires » ne devient un « facteur agissant » que si elle… n’agit pas, que si elle n’organise rien, ne démystifie rien et, surtout, ne dirige rien, suivant la sacro-sainte tradition de l’intelligentsia !

La véritable antithèse n’oppose pas ceux qui exaltent la spontanéité et ceux (nous, soi-disant) qui la nient; elle oppose ceux qui ne voient que la spontanéité, qu’ils reconnaissent d’ailleurs surtout dans ses reflets idéologiques, et ceux (nous) qui saluent la force immense de la spontanéité dans sa réalité matérielle, dont les reflets idéologiques sont l’image inversée, mais considèrent qu’elle ne peut mener à la solution révolutionnaire que si, à un moment bien précis de l’histoire, elle rencontre un « facteur de conscience et de volonté »et se soude à lui. Ce facteur – le parti – n’est ni spontané ni immédiat, et se distingue du « mouvement réel » puisqu’
« il fait valoir dans les diverses luttes nationales des prolétaires les intérêts indépendants de la nationalité qui sont communs à tout le prolétariat » et qu’il « représente [le mot allemand vertreten signifie indissolublement représenter et promouvoir] toujours, aux divers stades que traverse la lutte entre le prolétariat et la bourgeoisie, l’intérêt du mouvement dans son ensemble », ou encore qu’il représente « au sein du mouvement actuel, l’avenir du mouvement ».
Il ne peut le faire que parce qu’il
« possède sur le reste de la masse des prolétaires l’avantage de connaître les conditions, le déroulement et les résultats généraux du mouvement prolétarien »[22].

« On ne crée pas les révolutions, on les dirige »,
affirme un de nos textes de Parti[23]. On ne les crée pas parce que ce n’est pas la volonté ou la conscience du Parti, et encore moins la volonté ou la conscience des prolétaires, même considérés non comme individus mais comme avant-garde, qui provoque le mouvement impétueux des classes : ce sont les déterminations matérielles de l’histoire (cela vaut d’ailleurs pour le parti lui-même qui, comme nous l’avons expliqué, ne peut pas naître n’importe quand mais à des moments bien précis de l’histoire). On dirige les révolutions parce que leur ligne de développement – qui ne fait qu’un avec la ligne de développement du mouvement – n’est pas le produit de circonstances historiques imprévisibles, mais relève de cette science « des conditions, du déroulement et des résultats généraux du mouvement prolétarien » que le Parti, né d’un bloc en 1848 ou renaissant sur ce bloc immuable un peu plus d’un siècle après, est seul à posséder. Or la possession de cette science ne servirait à rien si elle restait un « patrimoine d’idées », si elle ne devenait pas un guide pratique, une direction organisée, un organe et un instrument de la classe.

Une fois qu’on a posé le problème de la révolution dans ses véritables termes, une question reste ouverte : comment, sous quelles conditions et en vertu de quels facteurs objectifs et subjectifs est-il possible que les deux trajectoires se rencontrent en un point précis, et que la révolution en train de se faire soit dirigée ?

Comment et quand la « rencontre » ?

Nous avons dit que les trajectoires de la classe et du parti se rapprochent en de rares occasions historiques, et se rencontrent en des occasions plus rares encore. Mais ces occasions ne tombent pas du ciel : leurs conditions objectives mûrissent dans le sous-sol de la société, et leurs conditions subjectives se préparent au sein de l’organe-guide de la classe.

De même que pour le parti il n’y a pas une phase exclusivement consacrée à la reconstruction théorique et une autre exclusivement à l’action pratique, il n’y a pas pour le prolétariat une phase de contre-révolution totale et une phase de révolution absolue. Le parti naît (ou renaît) quand il est en mesure de construire (ou de reconstruire) l’édifice complet, monolithique et exclusif de sa propre théorie dans l’acte même par lequel il s’efforce d’insérer le coin de sa propre action dans les fissures, grandes, petites ou même microscopiques, qui s’ouvrent toujours nécessairement dans une société divisée en classes. C’est en s’enfonçant ainsi dans la réalité matérielle que le parti travaille dès sa naissance à rapprocher les deux courbes, aussi éloignées qu’elles puissent être; et c’est dans cette mesure même qu’il se renforce, conquiert dans la classe une influence dont les progrès ne se mesurent pas au mois ni à l’année, et se qualifie pour diriger la classe même si elle lui tourne encore le dos : nous ne répéterons jamais assez que « diriger » est un fait physique et non un fait d’« idées » !

Comment « travaille-t-il » pour cela ? D’une part en diffusant son programme, tout en sachant que les militants communistes qui se cristalliseront autour de lui ne constituent, dans les périodes de reflux le plus accentué, qu’une infime minorité; d’autre part en participant activement à toute lutte prolétarienne même fragile, même mal engagée, en sachant que l’influence future du parti sur l’ensemble de la classe ne se développe pas sur le terrain des opinions, des convictions, des « idées », mais sur celui de l’affrontement avec le capital et ses laquais, et de l’organisation de cet affrontement inéluctable et décisif.

Contrairement à ce que s imagine le spontanéisme, indécrottablement idéaliste, la courbe ascendante du mouvement ouvrier n’est pas marquée par une succession d’« échelons », de groupes, de courants et partis à travers lesquels « la classe » se « rapprocherait » confusément mais progressivement de la « conscience du socialisme ». Ces échelons reflètent certes la crise progressive de l’opportunisme et donc le réveil de la lutte de classe, mais ils n’incarnent ni cette crise ni ce réveil. Ils sont plutôt le dernier résidu de la phase de reflux des luttes sociales; ils n’expriment pas la capacité du prolétariat à secouer le carcan opportuniste, mais le fait qu’il est encore incapable d’y arriver; ils remplissent, au moins en partie, le vide laissé par l’opportunisme classique, précisément parce qu’ils lui sont encore attachés. Bien plus, tout comme (toutes proportions gardées) pour l’opportunisme classique, il est illusoire de penser que le mouvement ascendant les éliminera simplement en les dépassant.

Si on devait entrer dans une telle optique, on dirait que le menchévisme était sans doute un échelon plus élevé que le populisme ou l’économisme. Mais le fait est que sur la voie menant à la révolution d’Octobre, il ne fut pas un élément de ralliement au bolchévisme mais un obstacle sur son chemin et sur celui de la classe; vaincu, non seulement il n’est pas mort, mais il a tiré une nouvelle vigueur de la situation historique créée par l’isolement mondial de la dictature rouge. Le centrisme européen (et entre autres sa variante italienne, le maximalisme) ne se plaçait pas dans le sens du chemin de la révolution, mais en travers; balayé, il est revenu en force à la suite du triomphe contre-révolutionnaire du stalinisme. De la même façon, nous retrouvons et retrouverons toujours plus dans nos pieds les fausses gauches européennes des années 1920, avec une invariance de programme et d’attitude pratique vraiment… digne d’envie.

Si, dans les phases de montée matériellement déterminées, la classe ouvrière tend « par approximations successives » à la solution révolutionnaire, cette tendance irrésistible ne se réalise pas par l’assimilation graduelle des forces politiques que la crise de la société bourgeoise et de l’opportunisme laisse progressivement derrière elle, mais bien par leur élimination successive. Ces forces politiques sont des obstacles à surmonter, non des points d’appui pour avancer, ni des matériaux pour construire le parti-guide de demain. Certes, on peut et on doit leur arracher des énergies prolétariennes saines encore emprisonnées dans leurs rangs; mais ce serait la plus catastrophique des illusions que d’essayer de les avoir avec soi en tant que groupes ou partis, ou même d’essayer de les transformer pour accroître son importance numérique et son influence politique.

La courbe ascendante du prolétariat se caractérise par son effort « spontané » pour s’arracher au cercle infernal de la collaboration de classe, pour reprendre la voie de la lutte de classe ouverte et déclarée et pour s’organiser, ne serait-ce que de façon embryonnaire, en dehors de l’opportunisme, malgré les difficultés, les défaites et les déceptions dont ce long chemin est parsemé. C’est sur ce terrain-là, essentiel, que le parti doit se mesurer – c’est-à-dire s’affronter – aux autres forces politiques pour frayer la voie à sa trajectoire ascendante, car la critique théorique et la polémique politique, évidemment nécessaires, ont un champ d’action trop restreint et ne suffisent pas. C’est , dans le dur travail pour conquérir des positions indépendantes de classe, qu’il travaille par là même, sinon à éliminer ces forces de l’arène des conflits sociaux (ce qui ne pourra se faire, si cela doit se faire, qu’après la prise du pouvoir) du moins à leur enlever une influence déterminante sur le prolétariat.

Voilà pourquoi l’activité « syndicale » au sens large (c’est-à-dire l’intervention dans les luttes revendicatives de la classe ouvrière) est inséparable de l’activité théorique, et indispensable et décisive pour le développement du parti dans les phases de lente préparation du tournant révolutionnaire. Elle l’est moins par ce qu’elle est, une activité forcément de résistance comme celle que la classe mène contre les effets du mode de production capitaliste, que par ce qu’elle donne sur le plan politique général, et qui va bien au-delà de l’emprise qu’elle peut avoir sur des groupes prolétariens consistants. La valeur des indications que nous donnons aujourd’hui dans ce domaine ne réside pas tant dans leur contenu en tant que tel, que dans le fait qu’elles s’adressent à toute la classe, et constituent un élément d’unification et de dépassement de toutes les barrières d’usine, de catégorie, de localité; sauf dans des cas épisodiques, elles ne visent pas un succès à brève échéance, mais à jalonner un chemin, celui-là même que les prolétaires emprunteront nécessairement au fur et à mesure que la crise de la société capitaliste les poussera à se battre en tant que classe. Les syndicats sont ce qu’ils sont; mais il est vital pour la reprise du mouvement ouvrier de propager la nécessité d’une renaissance du syndicat de classe indépendant et de tout le réseau des organismes intermédiaires – et d’œuvrer dès aujourd’hui dans le sens de leur reconstitution, puisque c’est la lutte elle-même qui imposera leur renaissance. L’armée des exploités, au moins à travers son avant-garde, reconnaît en effet son organe-guide au fait qu’il s’est battu pour les exigences primordiales de la guerre de classe même quand elles n’étaient que vaguement ou pas du tout ressenties par la masse; elle le reconnaîtra surtout à cette cohérence dans une période révolutionnaire, où les fronts se délimitent et se consolident non pas d’après les idées et les opinions, mais d’après les faits, d’après les actes et les méthodes de lutte.

Ce n’est pas par hasard, d’ailleurs, que l’immédiatisme court après des organes aujourd’hui déjà politiques, politisables ou, dans le meilleur des cas, « amphibies ». Ces organes sont pour lui l’arène de la « confrontation des idées » et le lit des « mariages de groupe » consommés dans la confusion générale; c’est là que ces groupes cherchent à « grandir » par l’agrégation de forces et de programmes hétérogènes; c’est là qu’ils s’imaginent construire le parti sur la base de « ce qui unit ceux qui sont divisés », et dans la vision déformée d’un processus révolutionnaire qui aurait pour thème central la… révolution des consciences. La voie réelle est à l’opposé de cette vision idéaliste. Ainsi, dans une période comme celle de Février à Octobre 1917, le destin de la révolution dépendait de la capacité des bolchéviks, agissant dans des organes déjà politisés comme les soviets et en dehors d’eux, de relier les finalités programmatiques et les principes du Parti aux exigences vécues et ressenties par les masses prolétariennes – les fameuses « étincelles », non de conscience socialiste, mais de besoin instinctif de détruire le capitalisme, sans lesquelles la théorie marxiste ne trouverait jamais le chemin de son « importation dans la classe ».

« Voilà à quoi il nous faut rêver »

Voilà pourquoi l’aiguille de notre boussole n’est pas attirée par le « creuset des forces révolutionnaires », par la convergence avec les sous-produits idéologiques et les déchets du réveil de classe du prolétariat. Elle est dirigée vers la classe en mouvement pour se libérer des influences à la fois matérielles et intellectuelles qui s’accrochent obstinément à ses épaules; vers la conquête de ses meilleurs militants au Parti, et de ses avant-gardes les plus combatives à l’influence de ses indications de lutte et d’organisation, éprouvées au vif de la lutte et non dans la confrontation des idées; vers la cristallisation du mouvement réel autour de sa direction, forgée sur la base de son noyau d’origine, de son programme, de sa tactique, de son réseau organisationnel international.

C’est de cette façon que la Révolution d’Octobre a triomphé. C’est de cette façon que travaillait notre courant en 1921–22 pour étendre l’incendie révolutionnaire à l’Occident pourri de démocratie. Et c’est de cette façon que renaîtra le mouvement prolétarien et communiste dans le monde entier. « Voilà, comme disait Lénine, à quoi il nous faut rêver » – en d’autres termes, voilà ce que nous devons prévoir et préparer.

Notes :
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  1. Voir à ce sujet « La crise de 1926 dans le PC russe et l’Internationale », « Programme Communiste » Nr. 68, octobre 1975, p. 27 et suivantes.[⤒]

  2. « Lettre de Bordiga à Korsch », 28 octobre 1926, publiée en français dans « Programme Communiste » Nr. 68. [⤒]

  3. « Lettre de Bordiga à Korsch », op. cit.[⤒]

  4. Cette tentative découlait de conditions matérielles objectives. En elle-même, contrairement à ce qu’on a prétendu de divers côtés, elle n’était pas volontariste : même la scission de Livourne de 1921 n’a pu faire abstraction de ces conditions matérielles puisque le Parti Communiste d’Italie auquel elle a donné naissance comprenait par la force des choses une aile « gramscienne » qu’on ne peut certainement pas qualifier de marxiste (voir sur ce sujet « Gramsci, l’‹ Ordine Nuovo › et ‹ Il Soviet › », « Programme Communiste » Nr. 71, 72 et 74). Le germe des reculs ultérieurs n’était donc pas dans la tentative elle-même, mais dans le fait de ne pas lui avoir fixé des limites rigoureuses, Voilà ce que nous avons affirmé dès 1920. [⤒]

  5. « Lettre de Bordiga à Korsch », op. cit. [⤒]

  6. La formulation est tirée de notre texte de 1946 « Éléments d’orientation marxiste ». [⤒]

  7. « Thèses supplémentaires sur la tâche historique, l’action et la structure du Parti communiste mondial », 1966. [⤒]

  8. « Bilan » Nr. 1, novembre 1933.[⤒]

  9. « Considération sur l’activité organique du Parti quand la situation générale est historiquement défavorable ». [⤒]

  10. Citation tirée de « L’invariance historique du marxisme », septembre 1952. publié en français dans « Programme Communiste » № 53–54, octobre 1971. [⤒]

  11. « Théorie et action », décembre 1952, publié en français dans « Le Prolétaire » Nr. 116, novembre 1971. [⤒]

  12. « Théorie et action », op. cit.[⤒]

  13. Cf. « Thèses caractéristiques du parti », appelées aussi « Bases d’adhésion », décembre 1951, « Défense de la continuité… », op. cit. [⤒]

  14. « Considérations sur l’activité organique du parti dans une situation historiquement défavorable », « Défense de la continuité… », op. cit. [⤒]

  15. « Thèses caractéristiques du parti », op. cit. [⤒]

  16. On doit donc rejeter la thèse défendue par l’« Avant-projet de déclaration de principe pour le Bureau International de la Gauche Communiste Internationale » (publié en Belgique fin 1946), qui disait :
    « Dans une situation historique où les ouvriers sont soumis aux facteurs idéologiques bourgeois [hélas, même après la révolution et pendant un bon moment encore ces facteurs pèseront sur les ouvriers !] et ne luttent pas contre le capitalisme (…) la forme d’organisation [des révolutionnaires] qui est toujours donnée par le caractère distinctif de l’époque immédiate et contingente – est pliée à la nécessité de faire un travail de recherche théorique et de formation du programme révolutionnaire : nous appelons ces organisations « Fractions ». Dans une situation où les ouvriers sont lancés dans la lutte sous la poussée de facteurs historiques, apparaît la nécessité d’une nouvelle organisation qui, disposant du « programme de la révolution », dirige ces luttes vers la prise du pouvoir. Nous appelons cette organisation « Parti ». Le processus de transformation des Fractions en Parti a été déterminé dans ses grandes lignes par la Gauche communiste selon un schéma qui affirme que le parti ne peut apparaître que lorsque les ouvriers ont commencé des mouvements de lutte qui livrent la matière première pour la prise du pouvoir ».
    Dans cette déclaration désastreuse on confond : 1) l’exigence du Parti, posée par les luttes elles-mêmes dans la mesure où elles appellent une direction, et l’existence préalable du Parti, qui prévoit ces luttes et se prépare à les diriger; sans cette existence préalable du Parti, on tourne en rond dans le cercle vicieux de la situation qui n’est révolutionnaire que s’il y a le Parti, et du Parti qui n’existe comme tel que si la situation est révolutionnaire; 2) la constitution du Parti et son renforcement, sa conquête d’une influence sur la classe. L’inénarrable « Révolution Internationale », qui se repaît de formules comme celle ci-dessus, devrait nous expliquer comment un Parti qui n’existe pas, sinon comme « porte-programme », pourrait conquérir une influence matérielle sur la classe !
    Remarquons en passant que la Fraction à l’étranger ne s’est nullement limitée à la « recherche théorique », mais a mené une rude bataille pratique ! Si elle n’a pas encore été le Parti mais seulement son prélude ce n’est pas faute d’activité pratique, mais plutôt à cause de l’insuffisance du travail théorique. [⤒]

  17. « Thèses caractéristiques du parti », op. cit., p. 190. [⤒]

  18. Publié en français dans « Programme Communiste » Nr. 3, avril 1958. [⤒]

  19. « Praxis », Nr. 14–15, 1977. [⤒]

  20. Ces textes ainsi que les thèses de l’Internationale citées sont rassemblés dans notre brochure « Parti et classe ». [⤒]

  21. « Revue Internationale » Nr. 10, juin-août 1977, p. 16. [⤒]

  22. « Manifeste du Parti communiste », 1848, chap. II, « Prolétaires et communistes ». [⤒]

  23. « Parti et action de classe », 1921, publié dans notre brochure « Parti et Classe ». [⤒]


Source : « Programme Communiste » Nr. 76, mars 1978.

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