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EN CHINE L’ÉTAT DÉFEND CONTRE TOUS LA LIBERTÉ DU CAPITAL


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En Chine l’État défend contre tous la liberté du capital
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En Chine l’État défend contre tous la liberté du capital

«La révolution bourgeoise est achevée en Chine », écrivions-nous il y a quelques années sur notre journal. Durant les laborieuses années de formation et de consolidation de l’État national, la Chine a été secouée par des bouleversements sociaux, par des heurts puissants de masses humaines qui sous les fleuves de l’idéologie maoïste, de la « construction du socialisme chinois », ont lutté en réalité, dans une ambiance sociale complexe de classes et de demi-classes, pour réaliser l’accumulation primitive, et ensuite pour être compétitif sur le marché mondial.

Cette intense fermentation de tout l’édifice social « ne pouvait pas être sans douleur pour les classes pauvres. » L’impératif de produire, produire de plus en plus, de former un marché digne de ce nom, objectifs toujours poursuivis par toute la direction du parti, avec cent expédients différents, souvent contradictoires entre eux, a mis en mouvement des énergies gigantesques.

Les luttes qui se sont déroulées au sommet et à la base du PCC (Parti Communiste Chinois) ont toujours été des heurts entre fractions bourgeoises, petites-bourgeoises et paysannes; et ceci précisément parce que chacune d’entre elles cherchait à faire prévaloir son propre système pour réaliser la base de l’accumulation capitaliste, en favorisant sa propre classe dans les crises économiques cycliques provoquées par les « expériences » sorties de ce fantastique laboratoire social et économique.

Voici l’unique clé de lecture matérialiste et scientifique des évènements de 50 ans d’histoire chinoise. Contre toute illusion, que se soit celle du maoïsme et de la construction du socialisme en Chine, ou de la misérable théorie du « communisme réel », comme les pseudo-théoriciens bourgeois et les journalistes stipendiés de la démocratie occidentale, reprenant le point de vue de Staline, prétendent appeler les formations économiques et sociales de Russie et de Chine.

Quand, dans la phase finale de la « Révolution Culturelle » (l’ultime grand soulèvement après lequel l’État a terminé sa systématisation et s’est engagé dans la voie de libéralisation économique) l’armée intervint pour écraser dans le sang (tradition pluriséculaire !) les masses étudiantes en agitation et les grandes révoltes ouvrières, nous affirmions survolant les slogans et la propagande sur les « cliques » et les « saboteurs anti–parti », qu’il s’agissait là de la dynamique d’un conflit entre classes : « il est de toute façon assez probable que les masses étudiantes de Beita n’eurent pas en tête les mêmes choses que les masses prolétariennes de Kiangsi, de Hankow et de cent autres épisodes de rage purement prolétarienne que l’écœurante propagande chinoise s’est bien gardée de divulguer; il est certain que, même en admettant l’hypothèse qu’ils pensèrent les mêmes choses, ils furent mis en mouvement par des causes tout à fait différentes et ils visèrent des finalités tout aussi différentes; et c’est aussi pour d’autres raisons que s’est mise en mouvement la »glorieuse« armée populaire pour réprimer les uns et les autres » (« Il Partito Comunista », Octobre 77)

A la mort de l’homme, qui plus que tous les autres a représenté le titanesque effort révolutionnaire bourgeois, le gouvernement de l’État chinois, parmi d’autres convulsions politiques qui se sont conclues par l’élimination de la « Bande des quatre » et les allées et sorties de chefs et de petits chefs, a poursuivi la route tracée par le grand timonier : après le « compter sur vos propres forces » et la faillite d’une microéconomie fermée et dépassée historiquement, on a abouti à la formation d’un marché interne, puis à l’ouverture aux capitaux étrangers, conduisant à la formation d’une forte classe capitaliste.

« Dans les conditions actuelles de sous-développement, il est nécessaire d’accepter que certains s’enrichissent avant les autres pour construire une force entraînante de progrès collectif. » Voici l’exhortation bourgeoise que Zhao Zyang, aujourd’hui détrôné, lançait de la tribune du XIIIe congrès. L’enrichissez-vous, avec lequel a été scellé tout un développement antérieur dans le sens capitaliste, fut accompagné de toute une série de réformes administratives, financières et productives. Réformes oscillant toujours entre une complète libéralisation économique et un dirigisme maladroit dans les mains de l’immense bureaucratie du parti.

Oui, après des décennies de soulèvements sociaux, la révolution bourgeoise en Chine s’est enfin conclue, mais avec toutes les tares d’une structure économique qui partant d’un niveau de développement très bas, est passée en un temps record – à l’échelle historique – de l’accumulation primitive à un jeune capitalisme privé et public, que l’État chinois aux mille yeux réussit à grande peine à contrôler, et à côté duquel persiste encore une immense production agricole arriérée.

Les pas accomplis durant cette dernière décennie ont été gigantesques tant en milieu rural que dans les villes. Dans les campagnes, si la petite unité familiale et patriarcale, après la décollectivisation des terres, représente la forme dominante, néanmoins le processus de décomposition de la paysannerie est largement engagé. Une forte minorité de paysans riches, employant des ouvriers agricoles s’est constituée au cours de ces dix dernières années. Cette bourgeoisie réinvestit ses capitaux dans l’agriculture et dans l’industrie qui a connu un prodigieux essor en milieux rural, essentiellement dans les régions côtières. Sous l’égide de ces nouveaux koulaks un processus de concentration des terres s’est engagé. A l’autre pôle un important prolétariat est en voie de formation. On peut suivre en partie sa croissance en se rapportant au tableau ci-dessous, donnant le nombre d’entreprises rurales en regard de l’année et le nombre d’ouvriers qu’elles emploient.

Année Nb d’entreprises rurales, publiques et privées (en millions) Nb d’ouvriers (en millions)
1983 1,35 32,4
1984 6,07 52
1985 12 70

La croissance industrielle en milieu rural a été telle qu’aujourd’hui son chiffre d’affaire globale, c’est-à-dire en langage marxiste le capital annuel, dépasse celui de la production agricole. Quant au nombre d’ouvriers employés par cette industrie, constituée essentiellement de petites entreprises et qui concerne surtout les moyens de consommation, il rejoint presque celui des ouvriers d’État employés dans la grande Industrie, qui produit elle les moyens de production. Toutefois cette dernière produit 70 % des biens industriels.

Parallèlement la population urbaine a augmenté passant de 15 à 20 % de la population totale de la période maoïste à 25–30 %. C’est-à-dire qu’elle s’est accrue de 80 à 100 millions d’habitants en provenance des campagnes. La production industrielle dans son ensemble a connu un formidable développement. +17 % pour 1988 et +11 % pour les cinq premiers mois de 89.

Comme mille et mille fois en d’autres latitudes, l’impétueux processus d’accumulation et de concentration du capital a conduit à des tensions, puis à une rupture entre les différents secteurs de la production. D’abord entre l’industrie et l’agriculture qui se sont mises à croître à des rythmes tout à fait différents. Reproduisant le processus classique, propre au capitalisme. L’industrie ayant un taux de rotation plus élevé draine tous les capitaux au détriment de l’agriculture. Alors que de 1978 à 1984, les rythmes de croissance de l’agriculture et de l’industrie étaient respectivement 7,8 % et 9 % en moyenne annuelle, à partir de 1985 leur rapport de croissance passe du simple au quadruple (moins de 4,5 % pour l’agriculture, et plus de 17 % pour l’industrie).

Cependant les produits agricoles représentent 30 % des matières premières industrielles. L’agriculture ne pouvant pas suivre il s’en est suivi une montée en flèche des prix. Le même processus se retrouve entre les différentes branches industrielles. Des goulets d’étranglement apparaissent provoquant une flambée des prix. Ce déséquilibre se trouve renforcé par le double système des prix qui fait que certains produits, considérés comme stratégiques, comme le charbon, l’acier fini, le ciment, etc.., ont leur prix bloqués et sont vendus à perte. L’État doit alors renflouer des entreprises déficitaires qui voient leurs investissements chuter.

Ce double système des prix permet à certaines entreprises de spéculer, en revendant sur le marché libre à prix d’or les produits qu’elles ont achetés à prix fixe.

La facilité du crédit, conjuguée à la faiblesse du système bancaire, venant s’ajouter à ces disparités dans la production, tout à fait classique et inéluctable sous le capitalisme, ont engendré une inflation galopante (+30 % en 1988) et un endettement croissant. L’endettement de la Chine vis à vis de l’étranger s’élèverait à 40 milliards de dollars. Et le remboursement de la dette engloutirait 20 % des revenus tirés des exportations. Dans le même temps, entre 1978 et 1987, l’ensemble des subventions versées par l’État aux entre prises déficitaires est passée de 8 % à 30 % de ses revenus.

Une telle situation ne pouvait pas durer, inéluctablement elle devait conduire à une crise. L’État ne peut plus payer les fournitures de céréales qui servent à alimenter les villes. L’année passée il a dû payer les paysans en monnaie de singe provoquant leur mécontentement et cette année il manque dans les caisses pour acheter le grain 10 milliards de yuans. Ce qui entraîne une diminution dramatique de la culture des céréales, les paysans préférant cultiver d’autres plantes qui rapportent plus.

L’État tente donc désespérément de reprendre la situation en main en revenant à une conception plus dirigiste de l’économie et ferme les robinets du crédit en laissant monter les taux d’intérêt. La petite industrie rurale si florissante et si dynamique se trouve touchée de plein fouet. D’une part elle voit ses marchés urbains se réduire du fait de la flambée des prix qui a diminué le pouvoir d’achat des citadins et notamment du prolétariat, de l’autre elle se trouve étranglée par les hauts taux d’intérêt. La situation de la grande industrie d’État n’est pas non plus meilleure. Au contraire ses profits se mettent à dégringoler en chute libre.

Dans le domaine des importations le recours à l’endettement sur le marché des capitaux est contrôlé plus étroitement par l’administration centrale qui est contrainte à une gestion plus rigoureuse pour continuer à bénéficier, même dans le futur, des avantageux crédits publics de la part de la « communauté » économique internationale.

La pilule est amère et elle n’a pas été sans provoquer de graves remous à l’intérieur du parti. Bien que peu de choses ait filtré, l’on sait que de violents affrontements ont opposé les tenants de la ligne interventionniste et ceux de la liberté de marché. Heurts non pas idéologiques, mais bien matériels et de classe. Finalement les premiers l’ont emporté . Il ne pouvait pas en être autrement. L’anarchie productive et la crise économique dans laquelle se trouve plongée la Chine est un désaveu total de la ligne libérale. C’est pour quoi ces derniers se trouvent temporairement écartés.

Le gouvernement chinois se trouve contraint de reprendre d’une poigne de fer la situation économico-sociale et politique. Pour cela il doit mobiliser tout l’appareil du parti pour en absorber les contre-coups.

La petite bourgeoisie urbaine et la couche des employés, qui ont subi les premiers effets de la crise, ont vu se fermer à l’improviste les perspectives économiques que le grand « boom » promettait. Pour cette raison ils sont descendus dans la rue avec à leur tête leur fraction la plus radicale, les étudiants. Dans leur lutte contre le gouvernement pour la défense de leurs intérêts matériels, ils ont levé la bannière de la démocratie. Revendiquant, derrière l’impossible conquête du mythe démocratique, un statut social et économique qui jusqu’à hier leur était nié par les conditions mêmes du mécanisme productif. On est bien loin de la « révolution culturelle » et de sa tentative d’imposer un modèle de développement spartiate, où tout le monde se serait serré la ceinture de façon égalitaire pour permettre une accumulation accélérée du capital. Après ces dix ans de développement impétueux qui laissaient entrevoir dans le futur le mirage d’une société bourgeoise arrivé à maturité, il ne pouvait en être autrement.

Sur ce terrain le parti, c’est-à-dire la main qui dirige l’État, ne pouvait leur venir en aide. Les massacrés de la place Tian An Men (la Paix Céleste) et des autres foyers de luttes – connus ou laissés dans l’ombre – sont allés vers leur destin, non pas à cause de la cruauté particulière du tyran Deng, ou parce que le pauvre Zhao n’a pas été assez fort pour s’opposer aux « faucons », mais parce que la classe dominante et l’État chinois, dans les conditions actuelles, vu le bas niveau de développement économique ne peut se payer le luxe de la tromperie démocratique.

Certes pour l’État bourgeois chinois ce fut une atroce contradiction de devoir intervenir contre le produit social de ce développement économique poursuivi avec tant de ténacité; mais contrairement aux dégoûtantes pleurnicheries de crocodile de toute la presse bourgeoise démocratique internationale, prête aussi bien à l’anathème en parole qu’à accepter sans ciller l’absolue indifférence, démontrée dans les faits par tous les États démocratiques, cette contradiction est inhérente à la structure particulière de la domination bourgeoise en Chine et certainement pas au « Communisme réel » qui aurait cours de l’autre côté du rideau de fer et qui s’opposerait à la « démocratie » forte et respectée de tous.

A tous ces bourgeois et petits bourgeois imbus de leurs préjugés démocratiques, nous rappellerons que la république démocratique en occident ne date que la fin du 19e siècle, et qu’elle leur a été donnée par la classe ouvrière. En France c’est seulement après trois révolutions(1830, 1848 et 1870) que la république démocratique s’imposera définitivement. La bourgeoisie jusqu’alors (c’est-à-dire 1880) était dans son ensemble monarchiste. Les régimes politiques de Charles X, Louis XVIII, Louis Philippe et de Napoléon III n’étaient pas moins autoritaires et même, pour les deux premiers, plus réactionnaire que celui de la Chine d’aujourd’hui. Les conditions de vie de la classe ouvrière, du point de vue économique, social et politique y étaient pire. On peut rappeler pour mémoire le livret ouvrier, l’équivalent du « pass Law act » que connaissait il y a encore 3–4 ans le prolétariat sud-africain.

La démocratie finit par s’imposer parce que la bourgeoisie s’aperçut qu’elle est la seule forme de domination politique qui lui permet de concilier ses intérêts contradictoires et d’assurer une certaine stabilité politique en bernant le prolétariat. A partir de la fin du 19e siècle et jusqu’à un peu avant 1914, le capitalisme connut un développement plus ou moins régulier et plus ou moins pacifique qui permit d’améliorer les conditions de vie de la classe ouvrière et surtout, grâce à l’impérialisme, de créer une aristocratie ouvrière, véritable chien de garde du capital. C’est sur cette base qu’a pu s’édifier la démocratie parlementaire.

Toutefois, comme le remarquait Engels la démocratie ne peut déboucher que sur la dictature ouverte de la bourgeoisie ou du prolétariat. La période révolutionnaire des années vingt l’a bien démontré la bourgeoisie face à la montée du prolétariat organisa les bandes fascistes soutenues par les très démocratiques États italien et allemand . Et aujourd’hui l’organisation fasciste de l’État, minorisation du parlement, concentration de tous les pouvoirs dans les mains de l’exécutif, intervention de l’État dans toutes les sphères de l’activité humaine, arsenal juridique qui n’a rien à envier à celui des États fascistes d’avant guerre, etc.., s’est partout imposée. Si bien que l’on peut dire, que si les États fascistes ont perdu la guerre, le fascisme lui, l’a gagné.

Donc pour revenir à la Chine, les conditions économiques et sociales ne sont pas suffisamment mûres, du point de vue bourgeois, pour permettre l’épanouissement de ce fumier malodorant qu’est la démocratie parlementaire. Le gouvernement chinois ne peut pas non plus s’en permettre le luxe parce que devant ses murailles, défendues par l’armée et la police même populaire, font pression un prolétariat urbain très concentré et des masses énormes de paysans petits propriétaires, qui pour le moment sont restés étrangers à la sanglante situation, mais sont en voie de prolétarisation – 50 millions de paysans, qui ont fui les campagnes, vont de ville en ville, prenant les trains d’assaut, à la recherche d’un travail. Même pour la Chine c’est beaucoup !

Fort de luttes très dures, le prolétariat n’a pas manqué à cette occasion de faire sentir sa gigantesque présence par des grèves et en s’organisant de façon autonome sur le plan syndical. C’est de là que venait la véritable menace pour le régime. Celui-ci l’a bien avoué en reconnaissant qu’il avait peur d’une grève générale qui aurait pu paralyser toute la Chine. La crise politique pouvait constituer un détonateur pour le prolétariat, c’est pour quoi elle a été désamorcée comme l’on sait, avec le sang de milliers de victimes.

Par les temps qui courent en Occident pourri de démocratie, cela semble presque un miracle que la classe ouvrière chinoise, excepté une juste grève de solidarité envers les victimes de tant de tourments, ne se soit pas laissée entraîner dans son ensemble dans l’habituelle, rancide et mortelle lutte pour la démocratie, pour une forme politique qui lui est mortellement adverse. Lutte dans laquelle elle aurait été massacrée d’une façon cent fois plus atroce que les étudiants de Pékin, et avec un bilan en victimes bien plus désastreux. D’ailleurs les deux premiers exécutés furent des ouvriers. Ils s’agissait de deux leaders de ces unions ouvrières qui se sont constituées de façon indépendante du régime durant les événements.

En effet, le prolétariat est le véritable ennemi de l’État chinois, du parti soi-disant « communiste ». Il est le véritable et formidable antagoniste du régime. Même si les mitraillettes qui ont balayé les rues furent aussi tournées vers lui, il a eu la force et la volonté de ne pas se laisser attirer par un exemple sûrement héroïque, mais qui ne le concerne pas. Il pouvait d’autant moins être attiré par ces idéaux petits bourgeois, qu’il a fait les frais des mesures économiques de libéralisation. Si il a dans un premier temps (1978 à 1984) réussit à faire augmenter ses salaires en valeur réelle – il s’agit surtout du prolétariat de la grande industrie d’État –, il a dû par la suite se battre pied à pied pour maintenir son niveau de vie et ses conditions de travail. D’abord en offrant une résistance passive et en exerçant une pression sur l’encadrement, puis en organisant des grèves perlées.

Nous trouvons là, la meilleure garantie que lorsque le prolétariat chinois relèvera la tête et se dressera contre l’État de ses patrons, il fera non seulement trembler la Chine, mais le monde entier !


Source : « La Gauche Communiste », Année IX, N° 16–17, Décembre 1989, p.95–100

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