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FACTEURS DE RACE ET DE NATION DANS LA THÉORIE MARXISTE
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Content:

Facteurs de race et de nation dans la théorie marxiste - Deuxième partie
Le poids relatif du facteur national dans les différents modes historiques de production. Interprétation marxiste de la lutte politique
De la race à la nation
Apparition de l'Etat
Etats sans nation
Nation hellénique et culture
Nation romaine et force
Déclin de la nationalité
Organisation des barbares germains
La société féodale en tant qu'organisation anationale
Les bases de la révolution moderne
Notes
Source


Introduction | Première partie | Deuxième partie | Troisième partie | Troisième partie (suite)


Sur le fil du temps

Facteurs de race et de nation dans la théorie marxiste

Deuxième partie

Le poids relatif du facteur national dans les différents modes historiques de production. Interprétation marxiste de la lutte politique

De la race à la nation
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1. Le passage du groupe ethnique, ou «peuple», à la «nation», ne se produit qu'en liaison avec l'apparition de l'Etat politique, dont les caractéristiques fondamentales sont la délimitation territoriale et l'organisation de la force armée; ce passage ne peut donc se faire qu'après la dissolution du communisme primitif et la formation des classes sociales.

Laissant de côté toute interprétation littéraire et toute influence idéaliste, nous rattachons la catégorie «race» au fait biologique et la catégorie «nation» au fait géographique. Il faut toutefois faire une distinction entre la nation en tant que fait historique défini, et la nationalité, qui doit se comprendre comme un regroupement déterminé par les deux facteurs, racial et politique à la fois.

La race est un fait biologique: pour déterminer la race d'un animal donné on ne recherche pas où il est né, mais quels sont ses parents; et si l'un et l'autre (fait bien rare dans le monde actuel) sont du même type ethnique, les sujets auxquels ils ont donné naissance appartiennent à ce type et peuvent être classés dans une race définie. On peut trouver partout ces beaux porcs blancs et roses qu'on appelle Yorkshire, du nom du comté anglais où on a commencé à les élever et à les sélectionner rigoureusement; une telle sélection (c'est en quoi le pape a raison) ne peut d'ailleurs s'opérer en toute certitude que pour les animaux et non pour les hommes, à moins de remettre les deux sexes en cage comme on le faisait dans certaines formes d'esclavage. Il en va de même pour les vaches bretonnes, les chiens danois, les chats siamois et ainsi de suite: le nom géographique n'exprime plus qu'un fait d'élevage.

Mais il peut en être de même pour l'homme aujourd'hui encore: c'est ainsi qu'aux Etats-Unis (mis à part les Noirs, auxquels dans certains Etats de la Confédération il est encore interdit d'épouser des Blancs), on trouve un Primo Camera de père et mère frioulans mais citoyen américain, et une foule de petits Gennaro Esposito de sang napolitain mais tout fiers d'avoir obtenu leur carte de citoyenneté.

En revanche, la classification des hommes par nation ne découle pas d'un fait biologique ou ethnologique mais purement géographique: elle dépend en général du lieu où ils sont nés, à part les quelques cas spéciaux des gens nés à bord de navires en mer, etc. Mais de multiples nations présentent un difficile imbroglio de plusieurs nationalités, c'est-à-dire non plus seulement de races (dont le type pur devient progressivement à peu près impossible à définir biologiquement), mais de groupes qui diffèrent par la langue, les coutumes, les mœurs, la culture, etc.

Nous pouvons encore parler de «peuple» pour la troupe nomade rassemblant plusieurs tribus de races apparentées qui parcourt parfois des continents entiers à la recherche de terres capables de la nourrir, et souvent envahit les territoires de peuples déjà sédentarisés pour les piller ou pour s'y installer à son tour. Mais avant cette installation, nous n'avons évidemment pas le droit d'utiliser pour cette troupe le terme de nation, qui se réfère au lieu de naissance: celui-ci reste en effet inconnu et indifférent aux membres d'une horde qui, ayant ses bagages et ses chariots pour principale habitation, oublie jusqu'à la topographie de ses itinéraires.

L'idée de territoire fixe appartenant à un groupe humain implique celle de frontière délimitant sa zone de séjour et de travail, et les historiens ordinaires ajoutent habituellement qu'elle implique une protection de ces frontières contre d'autres groupes, et donc une organisation fixe de gardes et d'armées, une hiérarchie, un pouvoir. En réalité, l'origine des hiérarchies, du pouvoir, de l'Etat, est antérieure au moment où la population humaine s'accroît au point de se disputer des territoires; elle se rattache à des processus internes des groupes sociaux qui se mettent à évoluer à partir des premières formes du clan et de la tribu dès que la culture du sol et la production agricole se sont suffisamment développées techniquement pour permettre une stabilisation de l'activité sur des champs fixes, avec des cycles saisonniers.

Apparition de l'Etat
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2. L'apparition de l'Etat a pour origine et pour condition la formation de classes sociales. Chez tous les peuples, cette formation est déterminée par le partage de la terre à cultiver entre les individus et les familles, et, parallèlement, par les différentes phases de la division du travail social et des fonctions. C'est de celle-ci en effet que découle la position particulière de chacun des divers éléments dans l'activité productive générale, et l'apparition de hiérarchies différenciées chargées des fonctions d'artisanat élémentaire, de l'action militaire, de la magie-religion (première forme du savoir technique et de l'école), une fois qu'elle se sont détachées de la vie immédiate de la gens et de la famille primitive.

Nous n'avons pas à développer entièrement ici la théorie marxiste de l'Etat, mais elle nous intéresse au plus haut point pour déterminer quelles sont les structures des collectivités historiques désignées par le terme de nation. En effet, ces structures ont une complexité bien supérieure au critère banal qui veut que chaque individu, pris en soi, se rattache par un lien direct à la terre qui l'a vu naître, et que la nation soit un ensemble de molécules individuelles semblables entre elles. Cette conception n'a rien de scientifique et relève de l'idéologie de classe de la bourgeoisie dominante moderne.

La théorie de l'Etat comme organe de classe, comme organe du pouvoir d'une classe donnée, et non organe du peuple, de la nation ou de la société, est fondamentale chez Marx. Lénine la restaura dans son intégralité contre la falsification théorique et pratique opérée systématiquement par les socialistes de la II° Internationale. Il le fit en s'appuyant précisément sur l'explication raisonnée de l'origine des formes étatiques contenue dans l'œuvre classique d'Engels sur l'origine de la famille et de la propriété, qui nous a guidés dans l'étude du cours de la préhistoire. A ces époques reculées, l'élément ethnique agit encore à l'état pur, à l'état vierge pour ainsi dire, dans la communion primitive de travail, de fraternité et d'amour qui règne dans les anciennes et nobles (au sens concret du terme) tribus et gens. Les mythes de tous les peuples en ont gardé le souvenir avec la fable de l'âge d'or des premiers hommes qui ignoraient le crime et les effusions de sang.

Nous reprendrons donc dans l'œuvre lumineuse d'Engels le fil qui doit nous conduire à l'explication des luttes de nationalités et à la conclusion matérialiste que cette fois encore il ne s'agit pas d'une donnée immanente, mais d'un produit historique qui présente des origines et des cycles bien déterminés, et qui s'éteindra et disparaîtra sous certaines conditions, déjà largement avancées dans le monde moderne. Mais cette conception propre au marxisme n'implique nullement que notre doctrine et surtout notre action, qui en est inséparable, négligent ce processus fondamental qu'est le processus national (quand nous disons «notre» doctrine, cela veut dire une doctrine propre non pas à un ou à plusieurs sujets individuels, mais à notre mouvement désormais centenaire et mondial). Elle implique encore moins que nous commettions l'énorme erreur historique de déclarer ce phénomène liquidé dans ses rapports avec la lutte de classe prolétarienne dans la structure politique internationale contemporaine.

Pour ce qui est de la Grèce antique, et donc de la grande forme historique de l'antiquité méditerranéenne classique, qui s'achève avec la chute de l'empire romain, le processus est synthétisé par Engels en ces termes:
«
Dans la constitution grecque des temps héroïques, nous voyons donc la vieille organisation gentilice encore pleine de vie et de vigueur, mais nous y voyons déjà le commencement de sa ruine: le droit paternel, avec transmission de la fortune aux enfants, favorise l'accumulation des richesses dans la famille et fait de celle-ci une puissance en face de la gens [cf. l'autre passage d'Engels cité à la fin de la première partie]; la différence des richesses agit en retour sur la constitution en créant les premiers rudiments d'une noblesse et d'une royauté héréditaires; l'esclavage, limité tout d'abord aux prisonniers de guerre, ouvre déjà la perspective de l'asservissement des membres mêmes de la tribu, et même des membres de sa propre gens; l'ancienne guerre de tribu à tribu dégénère, dès cette époque, en brigandage systématique sur terre et sur mer pour conquérir du bétail, des esclaves, des trésors, - donc en source normale de profit; bref, la richesse est prônée et estimée comme bien suprême, et les anciennes règles gentilices sont profanées pour justifier le vol des richesses par la violence. Il ne manquait plus qu'une seule chose; une institution qui non seulement protégeât les richesses nouvellement acquises par les particuliers contre les traditions communistes de l'ordre gentilice...»

Ici, une incidente. Nous avons déjà eu l'occasion de noter qu'il faut comprendre l'adjectif «gentilice» au sens de «se rapportant à la gens», pour éviter la confusion avec l'idée moins ancienne d'aristocratie comme classe dans la gens, qui ne connaîtra pas les classes, tous sont de sang pur, et donc égaux; nous n'adopterons pas pour cette forme le terme de démocratie, mot bâtard et historiquement limité; nous ne forgerons pas non plus celui de pancratie, car si la première partie du mot donne bien l'idée de tous, le second évoque un pouvoir, chose alors inconnue; il ne s'agissait pas davantage d'une pananarchie, car l'anarchie évoque une lutte de l'individu contre l'Etat, c'est-à-dire entre deux formes transitoires où, de plus, c'est souvent la seconde qui fait avancer la roue de l'histoire. La gens avait une organisation typiquement communiste, mais limitée à un groupe racial pur: il s'agissait donc d'un «ethnocommunisme», tandis que «notre» communisme, celui auquel tend notre programme historique, n'est plus ethnique ou national, c'est le communisme de l'espèce, que les cycle de propriété, de pouvoir et d'expansion productive et mercantile parcourus par l'histoire ont rendu réalisable. Reprenons la citation:
«
Il ne manquait plus qu'une seule chose une institution qui non seulement protégeât les richesses nouvellement acquises par les particuliers contre les traditions communistes de l'ordre gentilice, qui non seulement sanctifiât la propriété privée si méprisée autrefois et proclamât cette consécration: le but suprême de toute communauté humaine, mais qui mît aussi, sur les formes nouvelles successivement développées d'acquisition de propriété, autrement dit, d'accroissement toujours plus rapide des richesses, l'estampille de la légalisation par la société en général; une institution qui non seulement perpétuât la naissante division de la société en classes, mais aussi le droit de la classe possédante à exploiter celle qui ne possédait rien, et la prépondérance de celle-là sur celle-ci.
Et cette institution vint. L'Etat fut inventé.
»

Et c'est encore Engels qui définit le critère territorial
«
Par rapport à l'ancienne organisation gentilice, l'Etat se caractérise en premier lieu par la répartition de ses ressortissants d'après le territoire. Comme nous l'avons vu, les anciennes associations gentilices, formées et maintenues par les liens du sang, étaient devenues insuffisantes, en grande partie parce qu'elles impliquaient que leurs membres fussent attachés à un territoire déterminé et que, depuis longtemps, ces attaches avaient cessé d'être. Le territoire demeurait, mais les gens étaient devenus mobiles. On prit donc la division territoriale comme point de départ, et on laissa les citoyens exercer leurs droits et leurs devoirs publics là où ils s'établissaient, sans égard à la gens et à la tribu» (32).

Etats sans nation
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3. Dans les anciens empires de l'Orient asiatique dont les formations politiques sont antérieures à celles de la Grèce, nous rencontrons des formes achevées de pouvoir d'Etat, correspondant à la concentration d'énormes richesses foncières et thésaurisées dans les mains de seigneurs, de satrapes et parfois de théocrates, et à l'assujettissement de vastes masses de prisonniers, esclaves, serfs et parias de la terre. Mais bien que les caractéristiques de la forme État - limites politiques du territoire et corps armés - soient présentes, on ne peut pas encore parler de forme nationale.

L'exemple du peuple juif, qui dément apparemment ce qui précède, va nous permettre de clarifier le dernier passage d'Engels cité au point précédent.

Il ne faut pas confondre le territoire qui, à une époque moins reculée, définit la forme pleinement étatique, et le lien qui rattache les membres de la gens à un territoire donné et qui est ensuite rompu tandis que subsiste le lien intangible du sang.

Le territoire de la gens ne lui appartient pas dans le sens politique moderne, ni même, si on veut, dans le sens étroitement économico-productif. Engels veut dire qu'une gens se distingue des autres, y compris en ce qui concerne son nom, par son territoire d'origine, et non par les différents territoires successivement occupés pour y séjourner et y travailler en commun. Le lien de l'Indien iroquois à sa terre d'origine est rompu depuis des siècles, non seulement depuis que la civilisation blanche a enfermé les quelques survivants dans d'abjectes réserves clôturées, mais depuis l'époque où les différentes peuplades luttaient farouchement entre elles, s'entredétruisant mais se gardant bien de toute fusion, quitte à se déplacer à des milliers de kilomètres dans les immenses forêts (transformées depuis en grande partie, grâce à la technique capitaliste, en déserts que la philanthropie bourgeoise utilise pour ses essais d'armes atomiques).

Le peuple juif est le premier qui ait eu une histoire écrite, mais elle l'est dès l'origine en tant qu'histoire de la division en classes. Elle met en scène des propriétaires et des misérables, des riches et des asservis, sautant avec désinvolture l'étape du communisme primitif, dont le seul rappel est l'Eden: dès la deuxième génération il y a eu Caïn, le fondateur, l'inventeur de la lutte des classes. Le peuple juif est donc un Etat organisé, savamment organisé même, avec des hiérarchies précises et des constitutions rigoureuses. Mais il ne devint pas une nation, pas plus que ne l'étaient devenus ses barbares ennemis assyriens, mèdes ou égyptiens; et ce malgré la pureté raciale des Hébreux qui contrastait totalement avec l'indifférence à cet égard des satrapes et des pharaons, dont les cours pullulaient de serviteurs, d'esclaves et parfois même de fonctionnaires et d'officiers d'origines ethniques et de couleurs différentes, et dont les gynécées étaient peuplés d'odalisques blanches, noires ou jaunes, le tout provenant de razzias militaires et de l'asservissement de libres tribus primitives ou d'autres Etats qui avaient existé avant eux au cœur de l'Asie ou de l'Afrique.

Les Hébreux, divisé en douze tribus, ne furent pas assimilés par d'autres peuples, même lors de leurs défaites. Les tribus et les gens, désormais transformées traditionnellement en familles patriarcales monogamiques, ne perdirent pas le lien du sang pur, le nom de leur pays d'origine et leur fastidieuse tradition généalogique (il faut cependant noter que l'étroit attachement des Juifs à la filiation paternelle tolère largement l'union conjugale avec des femmes d'autres races) ces institutions résistèrent même aux déportations, comme les captivités légendaires à Babylone et en Egypte. Le mythique attachement à la terre promise est une forme prénationale même lorsque la communauté ethnique, qui a conservé une pureté relative, retourne à son pays d'origine, à son berceau ethnologique, elle ne réussit pas à s'y donner une organisation politique historiquement stable, et le territoire continue à être parcouru par les armées des Etats les plus divers et les plus lointains. Les guerres de la Bible sont des luttes de tribus plutôt que des guerres de libération nationale ou de conquête d'un empire, et le territoire demeure le théâtre d'affrontements historiques entre d'autres peuples aspirant à l'hégémonie dans cette aire stratégique pour le monde antique comme pour le monde moderne.

De même les Grecs de la guerre de Troie ne constituent pas encore une nation, bien qu'ils forment une fédération de petits Etats ayant des territoires voisins et une très vague communauté ethnique, étant donnée l'origine tout à fait différente des Ioniens et des Doriens et la confluence dans la péninsule hellénique de très anciennes migrations en provenance des quatre points cardinaux. Les formes productives, les constitutions étatiques, les coutumes, les langues, les traditions culturelles diffèrent considérablement pour chacune des petites monarchies militaires confédérées. Même lors des guerres historiques contre les Perses, l'unité n'est que de circonstance, et elle disparaît pour laisser la place aux guerres acharnées pour l'hégémonie dans le Péloponèse et dans toute la Grèce.

Nation hellénique et culture
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4. Les facteurs nationaux apparaissent de manière évidente dans la Grèce antique, déjà dans l'organisation sociale d'Athènes, de Sparte, et d'autres cités, et plus encore dans l'Etat macédonien qui non seulement unifie le pays, mais devient rapidement le centre d'une première conquête impériale au sein du monde antique. La littérature et l'idéologie de ce nationalisme, non contentes de se transmettre au monde romain, fourniront une trame aux ivresses nationales des bourgeoisies modernes.

L'État lacédémonien, de même que l'Etat athénien (ou thébain) ne sont pas seulement de parfaits Etats au sens politique du terme, avec un territoire précisément délimité, des institutions juridiques, et un pouvoir central dont émanent les hiérarchies civiles et militaires. Ils prennent la forme de nations dans la mesure où le tissu social, tout en conservant la division entre classes riches et pauvres par rapport à la production agricole et artisanale et à un commerce intérieur et extérieur déjà assez développé, et tout en assurant le pouvoir politique aux couches économiquement puissantes, permet aussi l'existence d'une armature légale et administrative appliquant les mêmes normes formelles à tous les citoyens, et assure la participation de ceux-ci avec égalité de vote aux assemblées populaires délibératives et électives. Une telle superstructure juridique joue en substance un rôle de leurre analogue à celui que le marxisme a dénoncé dans les démocraties parlementaires bourgeoises. Mais il existe une différence fondamentale entre ces deux modes historiques d'organisation sociale: aujourd'hui tout le monde est citoyen et on affirme que la loi est égale pour tous; à l'époque, le corps des citoyens, qui seuls formaient la véritable nation, excluait la classe - pourtant extrêmement nombreuse à certaines époques - des esclaves, auxquels la loi déniait tout droit politique et civique.

Malgré cela et malgré l'opposition de classe entre aristocrates et plébéiens, entre riches patriciens et marchands d'une part, simples travailleurs vivant de leur travail de l'autre, cette forme d'organisation sociale s'accompagna d'un développement grandiose aussi bien du travail et de la technologie, et donc des sciences appliquées, que de la science pure. La participation au procès de production sur une base d'égalité et de liberté, malgré l'exploitation de classe, se traduisit par un développement sans précédent de la langue, par un haut niveau de la littérature et de l'art, et par une affirmation de la tradition nationale, qui servait aux dirigeants de la société et de l'Etat pour attacher tous les citoyens au sort de la nation et les contraindre au service militaire et à tous les sacrifices et contributions nécessaires lorsque l'organisme national et ses structures essentielles sont menacés.

La littérature, l'histoire et la poésie reflètent largement l'affirmation de ces valeurs, en faisant du patriotisme le premier moteur de toute fonction sociale, en exaltant à chaque pas la fraternité entre tous les citoyens de l'Etat, en condamnant les guerres et les luttes civiles. Inévitables et fréquentes malgré tout, celles-ci sont habituellement présentées comme des conjurations ourdies contre les détenteurs du pouvoir par d'autres groupes ou individus cherchant à s'en emparer, alors qu'elles naissent en réalité des oppositions d'intérêts entre les classes et du mécontentement de la masse populaire des citoyens, nourris de beaucoup d'illusions mais tenaillés par la pauvreté, même aux moments de plus grande splendeur de la «cité».

La solidarité nationale n'est cependant pas une pure illusion, un mirage créé par les privilégiés et les puissants dans certaines phases historiques, elle est un fait réel déterminé par les intérêts économiques et par les exigences des forces de production matérielles. En Grèce la culture locale primitive bénéficiait certes d'un climat favorable, mais avec les conditions ingrates d'un sol souvent aride et rocailleux, qui ne pouvait nourrir qu'une population peu nombreuse et peu évoluée; elle va céder le pas à la navigation commerciale la plus intense, sillonnant la Méditerranée d'un bout à l'autre, apportant les produits des pays lointains et permettant de diffuser les réalisations d'un artisanat toujours plus différencié et d'un véritable type antique d'industrie, qui amène, en particulier autour des ports, un accroissement considérable de la population et une évolution spectaculaire de son mode de vie. Cette évolution n'aurait pu avoir lieu avec une forme étatique close et despotique comme celles des grands empires du continent; elle avait besoin d'une forme démocratique et ouverte, produisant non seulement des paysans et des ilotes, mais des artisans capables de travailler pour une flotte importante et pour les travailleurs des villes, ainsi que des ouvriers et des contremaîtres, certes bien moins nombreux qu'aujourd'hui, mais nécessaires cependant au développement de cette première forme du capitalisme, qui connut des moments d'une splendeur inoubliable.

Chaque progrès, chaque éclosion de formes d'un travail toujours exploité mais libéré des attaches l'immobilisant dans un lieu précis et de la fossilisation de techniques séculaires, provoque dans sa phase ascendante, au niveau de la superstructure, un grand développement de la science, de l'art et de l'architecture, et se reflète dans l'ouverture d'horizons idéologiques nouveaux pour des sociétés auparavant attachées à des doctrines fermées et traditionnelles. On retrouvera ce phénomène lors du déclin du féodalisme, avec la Renaissance européenne: nombreux sont ceux qui affirment que rien n'a dépassé le niveau culturel de l'âge d'or de la Grèce, mais c'est une formule littéraire. Nous pouvons cependant affirmer que le «pont» jeté par la «communauté humaine nationale» sur l'inégalité économique à l'époque où la démocratie excluait les esclaves comme des animaux qu'on ne pouvait compter au nombre des humains, était bien plus solide qu'il ne l'est dans sa réédition historique de quinze ou vingt siècles plus tard, lorsqu'il prétend franchir l'abîme social qui sépare les maîtres du capital d'un prolétariat déshérité.

Engels rappelle qu'au moment de sa plus grande splendeur, Athènes ne comptait pas plus de quatre vingt dix mille citoyens libres contre trois cent soixante mille esclaves qui non seulement travaillaient la terre mais fournissaient la main-d'œuvre des industries auxquelles nous faisions allusion plus haut, et quarante cinq mille personnes «protégées», esclaves affranchis ou étrangers privés de droits civiques (33).

Il est compréhensible qu'une telle structure sociale ait déterminé dans le mode de vie de ces quatre vingt dix mille élus un degré de «civilisation» plus élevé qualitativement que celui qu'offre aux peuples «libres» modernes le capitalisme actuel, malgré les ressources bien supérieures de sa technique.

Nous ne nous joindrons pas pour autant au concert d'admiration extasiée devant la grandeur de la pensée et de l'art grecs. Et pas seulement parce que ces merveilles étaient bâties sur les dos ensanglantés d'esclaves vingt fois plus nombreux que les hommes libres. D'ailleurs ces derniers, avant Solon, étaient exploités par la ploutocratie terrienne au point que le système des hypothèques pouvait réduire le libre citoyen insolvable à l'esclavage; à l'époque de la décadence, ne voulant pas faire concurrence à de vils esclaves (la fierté de l'Athénien libre était si grande que plutôt que de se faire flic, il préférait que la police d'Etat fût constituée d'esclaves stipendiés, de sorte qu'un esclave pouvait arrêter des hommes libres), ils en vinrent à constituer un véritable Lumpenprolétariat, une classe de gueux dont les révoltes contre les oligarques amenèrent la ruine de la glorieuse république.

Engels a ici une comparaison qui dit tout sur la façon dont le marxisme apprécie l'apologie des grandes civilisations historiques. Les Indiens iroquois ne purent s'élever jusqu'aux formes atteintes par les Grecs, dont l'organisation primitive en gens était tout à fait analogue à celle étudiée par Morgan dans l'Amérique moderne (dernièrement les journaux ont rapporté qu'il existait des formes semblables dans les îles Andaman de l'océan Indien, visitées par des explorateurs italiens pour le compte du nouveau régime indien, chez des groupes primitifs jusqu'ici isolés du reste de l'humanité). Il manquait en effet aux Iroquois une série de conditions de production matérielles liées à la géographie, au climat, à ce facteur de liaison entre les peuples que sont les mers et en particulier la Méditerranée... Et pourtant, dans la modeste sphère de leur économie locale, les communistes iroquois «dominaient leurs conditions de travail et leurs produits», qui étaient distribués selon les besoins humains.

A l'inverse, alors même que la production grecque prenait son essor pour atteindre une richesse et une diversité grandioses, jusqu'à ces sommets que sont les frises du Parthénon, les Vénus de Phidias, les peintures de Zeuxis, et ces abstractions platoniciennes que la pensée moderne, dit-on, n'aurait pas encore dépassées, les produits de l'homme commencèrent à devenir des marchandises et à circuler contre argent sur les marchés. Qu'il fût libre ou esclave d'après les règles établies dans les chartes de Lycurgue ou de Solon, l'homme commença à devenir l'esclave des rapports de production et à être dominé par son propre produit. Nous devrons attendre encore longtemps la terrible révolution qui le délivrera de la chaîne dont ces «âges d'or» de l'histoire ont forgé les anneaux les plus formidables

«Les Iroquois étaient encore fort loin de dominer la nature, mais, dans les limites naturelles qui leur étaient données, ils étaient maîtres de leur propre production [.] Tel était l'immense avantage de la production barbare; il se perdit avec l'avènement de la civilisation; la tâche des générations prochaines sera de le reconquérir, mais sur la base de la puissante maîtrise obtenue aujourd'hui par l'homme sur la nature» (34).

Nous sommes ici au cœur du marxisme, et l'on comprend pourquoi le marxiste sourit lorsqu'on s'extasie ingénument sur certaines étapes de l'évolution humaine en les attribuant à l'œuvre de grands chercheurs, de philosophes, d'artistes, de poètes auxquels tous devraient rendre hommage en s'élevant, suivant la stupide formule d'usage, «au-dessus des classes et des partis». Cette «civilisation», nous ne cherchons pas à lui donner un couronnement, mais à la détruire de fond en comble.

Nation romaine et force
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5. Le facteur national atteint sa plus haute expression dans la Rome antique de l'époque de la république, qui développa dans le domaine positif de l'organisation et du droit le modèle fourni par la Grèce dans le domaine de la culture. Sur les bases de la nation romaine s'érigea l'empire romain, qui tendait à être l'unique Etat organisé de tout le monde humain connu à l'époque. Mais l'empire lui-même ne résista pas à la pression provoquée par l'accroissement des populations venues de terres inconnues et lointaines, qui, poussées elles aussi par l'exigence matérielle impérative d'étendre la vie de l'espèce, étaient entrées à leur tour dans le grand cycle du développement productif qui avait conduit les peuples méditerranéens de la petite gens à l'immense empire.

Le processus national en Italie diffère de celui de la Grèce dans la mesure où il n'y a plus ces cités capitales de petits Etats qui, avec des coutumes et des niveaux de développement productif à peine différents les uns des autres, luttent pour conquérir l'hégémonie sur toute la péninsule. En Italie, des civilisations antérieures à la civilisation romaine avaient atteint des types productifs avancés et connu sans conteste des pouvoirs étatiques, mais on ne peut pas dire qu'elles aient constitué des nations au sens propre du terme. Après leur déclin, Rome devient le centre unique d'une organisation étatique aux formes juridiques, politiques et militaires qui lui permettent d'absorber rapidement toutes les autres sur un territoire toujours plus vaste, qui déborde rapidement les limites du Latium pour atteindre la Méditerranée et le Pô. Tandis que les forces productives, déjà très appréciables, d'une aussi vaste zone, sont coordonnées avec celles de la société romaine, l'organisation sociale et étatique de Rome ainsi que son système administratif et juridique sont appliqués partout et de façon toujours plus uniforme.

Le processus qui voit l'apparition, à côté de la base productive agricole, d'une division du travail complexe avec artisanat, commerce, navigation et industrie, est moins rapide qu'en Grèce. Mais bientôt les conquêtes militaires de l'autre côté de la mer Ionienne et de l'Adriatique permettent à Rome d'absorber les acquis de l'organisation technique et culturelle existant en Grèce et chez d'autres peuples.

La configuration sociale n'est pas différente, en substance, de celle de la Grèce, car l'apport du travail des esclaves reste très important. Mais la diffusion du mercantilisme, plus lente mais aussi plus profonde, accentue la différenciation sociale au sein de la société des hommes libres: l'organisation et les droits eux-mêmes reposent sur le recensement, qui classe les citoyens romains selon leur richesse.

Le citoyen romain est soumis au service militaire tandis que l'usage des armes est rigoureusement interdit à l'esclave et au mercenaire jusqu'à la décadence de l'empire. L'armée des légions est vraiment une armée nationale: on ne peut pas en dire autant de la Grèce, et moins encore de l'armée d'Alexandre de Macédoine. Celle-ci s'avança pourtant impétueusement jusqu'aux frontières de l'Inde, où la mort arrêta le jeune général: mais c'était là en fait l'extrême limite que permettait d'atteindre l'écrasante supériorité de la forme d'Etat occidentale sur les bandes des diverses principautés d'Asie. Après s'être scindée en plusieurs tronçons, cette tentative d'organisation mondiale s'écroula rapidement, non parce qu'il lui manquait un Alexandre, mais parce que le centralisme étatique était encore au berceau.

L'organisation romaine n'était pas seulement étatique, mais nationale: non seulement parce que le citoyen participait directement à la guerre et à la construction, dans tous les territoires occupés, d'un réseau stable de routes et de fortifications, mais aussi grâce à la colonisation agraire, à l'attribution des terres aux soldats, et donc à l'implantation immédiate des formes romaines de production, d'économie et de droit. Ce n'était plus une course pour s'emparer des trésors cachés et convoités de peuples légendaires, mais la diffusion systématique dans un rayon toujours plus étendu d'un mode donné d'organisation de la production, en écrasant toute résistance armée, mais en acceptant aussitôt la collaboration des peuples vaincus à la production.

Il n'est pas facile, cependant, de définir les limites de la nation romaine, car elles varient dans le temps. Il est plus difficile encore de tracer son profil ethnographique. Chacun sait que du point de vue racial l'Italie préhistorique n'avait aucune unité et ne pouvait matériellement en avoir, car la péninsule constitue une voie de passage trop ouverte entre le Nord et le Sud, l'Est et l'Ouest, dans une aire peuplée par les populations les plus denses de tous les temps. Admettons même que les premiers Latins (laissons de côté la légende de leurs origines troyennes) aient constitué une unité raciale: ils étaient cependant très différents de leurs tout proches voisins, les Volsques, les Samnites, les Sabins, sans parler des mystérieux Etrusques, Ligures, etc.

Le citoyen romain ou civis romanus, avec ses droits et son proverbial orgueil national, se répand bientôt, à partir de la ville originelle (l'Urbs) dans tout le Latium; quant aux Italiques, ils sont organisés en municipes auxquels le critère centraliste de l'organisation étatique ne peut concéder aucune autonomie, préférant accorder au bout de quelques siècles à tous les hommes libres qui y vivent le titre de citoyen romain, avec les prérogatives et les obligations qu'il comporte.

Le fait national atteint ici l'expression la plus puissante qu'il ait jamais eue dans le monde antique, en même temps que la plus grande stabilité historique connue jusqu'alors. Nous sommes donc bien loin de la communauté ethnique par le sang. Du grand patricien latifondiste possédant des propriétés aux quatre coins de l'empire au petit paysan et au prolétaire de Rome vivant, dans les périodes difficiles, des distributions de farine de l'Etat, les membres de la grande communauté, c'est-à-dire les citoyens libres subdivisés en classes sociales, sont unis par un système économique commun de production et d'échange des biens, et régis par un même code juridique inflexible, que la force armée de l'Etat fait respecter sans exception dans tout l'immense territoire.

L'histoire des luttes sociales et des guerres civiles dans les murs mêmes de Rome est bien connue; mais ses vicissitudes ne diminuent pas la solidité et l'homogénéité de la superbe construction qui assume l'administration de toutes les ressources productives des pays les plus lointains, qui les couvre d'œuvres durables ayant les fonctions productives les plus diverses: routes, aqueducs, thermes, marchés, forums, théâtres, etc.

Déclin de la nationalité
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6. La décadence et la chute de l'empire romain mettent fin à la période de l'histoire antique où la nationalité et l'organisation en États nationaux représentaient des facteurs décisifs allant dans le sens de l'évolution des forces productives.

La solidarité nationale, qui n'exclut pas des périodes de violentes luttes de classe entre les hommes libres de condition sociale et économique différentes, a une claire base économique tant que le développement du système de production commun aux citoyens de la nation fournit, aux dépens de masses d'esclaves, un apport continu de ressources nouvelles qui élèvent le niveau de vie général: remplacement de la simple économie pastorale par l'agriculture fixe et les semailles, de la culture extensive par l'horticulture avec irrigation, du semi-nomadisme primitif par le lotissement et la commercialisation de la terre ainsi que des troupeaux d'esclaves et de bétail. L'économie agraire, puis urbaine de Rome, eut elle aussi pour point de départ l'économie collectiviste primitive des gens locales, qui devait céder la place parce qu'elle ne pouvait plus suffire à alimenter des populations auxquelles la douceur du climat avait permis de s'accroître rapidement. Engels brosse un tableau rapide mais complet de ces origines, en montrant que les premières lois romaines étaient une dérivation des premières règles gentilices, et en réfutant de vieilles thèses des historiens, tel Mommsen (voir à ce propos dans le chapitre final de la première partie, pp. 62-65, la réfutation d'un auteur tout à fait récent qui nie que le matérialisme historique puisse s'appliquer à cette période).

Le système, d'aliénation de la terre et de commercialisation des biens mobiliers organisé par le droit romain représentait la superstructure «de force» (35) d'une nouvelle économie productive dont le rendement était supérieur à celui du communisme primitif de la tribu. Si ce fait économique explique l'origine du système, ce sont d'autres faits économiques qui expliquent les événements politiques et historiques qui ont marqué sa fin; l'accroissement de la richesse issue d'un commerce couvrant des étendues immenses et de l'accumulation du travail des esclaves creuse peu à peu un profond fossé de classe au sein du «front national» autrefois si solide. Les petits cultivateurs qui avaient combattu pour la patrie et péniblement colonisé les terres conquises se voient toujours plus expropriés et paupérisés, tandis que les esclaves achetés (au même titre que les troupeaux de gros et de petit bétail) par les gros propriétaires terriens les remplacent sur leurs champs fertiles, qui périclitent. Le maintien du rapport entre les hommes libres et les esclaves exigeait une densité relativement faible de population, qui permettait aux uns de vivre et de se reproduire, aux autres de connaître la vaste gamme de satisfactions des époques prospères. Mais quand le nombre des terres disponibles au-delà des frontières se met à diminuer alors qu'à l'inverse de nouvelles populations en migration à la démographie galopante viennent augmenter le nombre des aspirants, les méthodes de culture dégénèrent et la crise inéluctable arrive. L'agriculture régresse au point de ne plus pouvoir nourrir ni l'animal ni l'esclave, et à mesure que la désorganisation s'aggrave c'est le maître qui prend l'initiative d'affranchir ses esclaves, qui vont grossir la masse misérable des hommes libres sans travail et sans terre.

La magnifique construction voit les liens entre les régions se relâcher, et elle ne réussit plus à intervenir dans les crises de pénurie locales. Des famines viennent contrebalancer la croissance démographique. Les groupes humains se trouvent réduits à des cercles d'économie locale étroits et misérables, qui ne sont plus ceux des antiques tribus: les profonds bouleversements qui se sont produits, les nouveaux rapports entre les instruments de production, les produits et les besoins, rendent un tel retour impossible... La nation qui était devenue un empire se brise en petites unités que ne relie plus le puissant tissu conjonctif du droit, de la magistrature, des forces armées, émanant d'un centre unique, et qui ont perdu le lien de la langue latine commune, de la culture, de l'orgueilleuse tradition... Le grand, le «naturel», le fondamental fait national et patriotique, dont on prétend qu'il est inhérent à la fameuse «nature humaine», est sur le point de s'offrir, à la grande confusion des idéalistes, une éclipse historique totale qui va durer plus de mille ans...
«
Nous étions précédemment au berceau de l'antique civilisation grecque et romaine. Nous voici maintenant auprès de son cercueil. Sur tous les pays du bassin méditerranéen, le rabot niveleur de l'hégémonie mondiale romaine avait passé, et cela pendant des siècles. Partout où le grec n'opposait point de résistance, toutes les langues nationales avaient dû céder la place à un latin corrompu; il n'y avait plus de différences nationales [...] tous [étaient] devenus Romains. L'administration romaine et le droit romain avaient partout détruit les anciens liens consanguins et, du même coup, les derniers vestiges d'activité locale et nationale autonome [...]. Mais nulle part n'existait la force capable de forger, avec ces éléments, de nouvelles nations...» (36).

Les barbares approchent, forts de leur organisation en gens, mais pas encore mûrs pour constituer des Etats et pour fonder de véritables nations. L'ombre du Moyen Age féodal se profile: mais c'est là encore, comme l'affirme Engels, une nécessité déterministe, inhérente au développement des forces productives.

Organisation des barbares germains
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7. Les peuples qui submergèrent l'empire romain sous des vagues d'invasions connaissaient eux aussi, à l'origine, l'organisation gentilice et matriarcale ainsi que la culture communiste du sol. Quand ils entrèrent en contact avec Rome, ils en étaient au passage du stade moyen au stade supérieur de la barbarie, et ils commençaient à passer du nomadisme à l'état sédentaire. Leur organisation militaire commençait à donner naissance à une classe de chefs militaires qui élisaient le roi et qui se mirent à constituer de grandes propriétés en s'emparant des terres des paysans libres qu'étaient devenus les anciens membres libres et égaux de la gens et de la tribu. C'est ainsi que l'État commença à apparaître également chez ces peuples, et que furent lentement posées les bases des nouvelles nationalités qui, bien des siècles plus tard, devaient conduire à la renaissance moderne de la nation.

Ce que nous savons des origines des peuples germaniques qui se déplaçaient à travers toute l'Europe située au nord du Danube et à l'Est du Rhin nous conduit à leur attribuer une production agricole communautaire, sur la base de la famille, de la gens, puis de la marche, puis un type d'occupation du sol avec redistribution périodique de la terre cultivée ainsi que de la partie de celle-ci non entièrement commune et laissée périodiquement en jachère. A cette époque, l'artisanat et l'industrie sont tout à fait primitifs: il n'y a ni commerce ni circulation de monnaie, sauf aux abords des frontières de l'empire romain, d'où l'on importe certains produits fabriqués.

Ces peuples étaient encore en migration à l'époque de Marius, qui rejeta la horde des Cimbres et des Teutons hors de la péninsule, où ils voulaient se répandre en traversant le Pô. Ils l'étaient encore en grande partie à l'époque de César, qui les vit apparaître sur la rive gauche du Rhin. C'est seulement chez Tacite, cent cinquante ans plus tard, qu'ils sont décrits comme des agriculteurs sédentaires. Evidemment, il s'agit d'un processus complexe, lié avant tout au rapide accroissement de la population, au sujet duquel nous manquons totalement de documentation historique originale: à la chute de l'empire ils étaient, d'après Engels, six millions, dans un espace où vivent peut-être aujourd'hui cent cinquante millions d'hommes.

La différence de classe entre les chefs militaires qui ont la terre et le pouvoir et la masse des paysans-soldats (il n'y a pas d'esclaves et donc tous ceux qui sont inaptes ou démobilisés travaillent la terre), conduit à la formation de véritables Etats à mesure que sont occupés des territoires fixes, et que sont élus des rois ou des empereurs stables, bien que nommés simplement à vie et donc non encore héréditaires par droit de dynastie. A ce stade, l'organisation gentilice a déjà disparu; la tradition de l'assemblée populaire de la communauté est complètement défigurée dans l'assemblée des chefs, ou princes électeurs, qui est la base d'un véritable pouvoir de classe.

Ce processus a sans aucun doute été accéléré par la conquête des territoires de l'empire romain décadent, sur lesquels s'installent les envahisseurs. Plus que dans la nouvelle organisation qu'ils apportent, la tâche révolutionnaire de ces peuples a donc consisté dans la destruction de l'Etat romain désormais totalement corrompu: comme le dit Engels, ils délivrèrent les sujets romains de leur Etat parasitaire dont les bases économiques et sociales s'effondraient, et ils s'approprièrent en échange les deux tiers au moins du territoire impérial.

Etant donné le nombre relativement faible des conquérants et leur tradition de travail communiste en indivision de vastes étendues non seulement de forêts et de pacages, mais même de terres cultivées, les formes du droit germanique prenant le pas sur celles du droit romain ou se combinant avec elles. Ceci permit la formation, chez ces peuples jadis nomades, d'une administration territoriale fixe; et la naissance, en quatre ou cinq siècles, des Etats germaniques, dont le pouvoir s'étendit sur les anciennes provinces de l'empire romain et sur l'Italie elle-même. Le plus remarquable était celui des Francs, qui servit à l'Europe de rempart contre l'invasion des Maures et qui, tout en cédant à la pression des Normands à l'autre extrémité, permit aux populations de résister sur les territoires où elles s'étaient établies, fût-ce en donnant lieu à des mélanges ethniques complexes avec des Germains, des Romains et, dans le royaume des Francs, des Celtes aborigènes. Ces Etats germaniques ne pouvaient constituer des nations du fait même de cet enchevêtrement récent de souches ethniques, de traditions, de langues, d'institutions hétérogènes; mais il s'agissait bien d'Etats car ils avaient enfin des frontières solides et une force militaire unifiée.

«Si improductives que paraissent ces quatre cents années [V°, VI°, VII° et VIII° siècles après J.C.], elles léguaient au moins un grand résultat: les nationalités modernes, l'organisation nouvelle et la structure de l'humanité de l'Europe occidentale pour l'histoire à venir [c'est-à-dire pour les XVII°, XVIII° et XIX° siècles]. Les Germains avaient effectivement revivifié l'Europe, et c'est pourquoi la dissolution des Etats de la période germanique n'aboutit pas à l'assujettissement aux Normands et aux Sarrasins, mais à l'évolution [progressive] vers la féodalité» (37).

Avant de clore cette partie avec le rappel des caractères de l'organisation médiévale, dont le facteur «national» est pratiquement exclu, nous avons voulu montrer que la doctrine marxiste classique considère comme une donnée historique positive non seulement l'organisation des anciens peuples barbares et nomades en Etats territoriaux (ce en quoi les peuples des péninsules méditerranéennes les avaient précédés de plus d'un millénaire), mais aussi la nature nationale des Etats, leur coïncidence avec la nationalité, c'est-à-dire avec une communauté qui repose non seulement, dans une certaine mesure, sur la race, mais aussi sur la langue, la tradition et les coutumes de tous les habitants d'un territoire géographique vaste et stable. Tandis que l'historien idéaliste voit dans la nationalité un fait général, présent toujours et partout où existe une vie associée, nous, marxistes, lui attribuons des cycles historiques déterminés. Nous venons de parcourir un premier cycle historique: celui des grandes démocraties nationales «superposées» à la masse des esclaves, mais néanmoins divisées, au sein même de la société des hommes libres, en classes sociales. Le second cycle, que nous verrons dans la troisième partie, est celui des démocraties d'hommes libres, où les esclaves humains ont disparu. Dans ce second cycle historique, le fait national va de pair avec une nouvelle division en classes: celle qui est propre au capitalisme. La nation et son influence matérielle disparaîtront en même temps que le capitalisme et la démocratie bourgeoise, mais pas avant: la formation d'Etats nationaux sera même indispensable pour que l'avènement du capitalisme moderne puisse être considéré comme achevé dans les différentes aires géographiques.

La société féodale en tant qu'organisation anationale
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8. Les rapports économiques qui définissent l'ordre féodal expliquent que le type féodal de production donne naissance à une forme d'Etat politique bien précise, mais sans caractère national.

Pour expliquer comment la rencontre de deux types de production aussi hétérogènes que la communauté agraire des peuples barbares et la propriété privée du sol des Romains a conduit au système féodal, fondé lui aussi sur la production agraire, et pour étayer la conclusion marxiste selon laquelle les Etats de l'antiquité classique ont eu, surtout aux meilleures époques, une nature nationale, inconnue du Moyen Age, il faut rappeler les caractères les plus marquants des rapports de propriété et de production en vigueur dans les deux systèmes.

Dans l'organisation barbare, jusqu'à l'apparition de l'esclavage, le libre membre de la communauté travaille la terre, mais celle-ci n'est pas divisée en parcelles individuelles délimitant pour chacun le travail à fournir et le droit de récolte et de consommation des produits.

Dans l'organisation antique classique, le travailleur manuel est essentiellement l'esclave, non seulement dans l'agriculture mais aussi dans la production déjà développée et autonome des objets manufacturés. Il est donc exact de dire que le monde gréco-romain a connu un certain type d'industrialisme et, en un sens, de capitalisme. Au lieu d'être constitué par la terre et les moyens de production, le capital comprenait également des hommes vivants, de même qu'aujourd'hui le capital d'une entreprise agricole par exemple comprend la terre, les machines et les animaux de labour. Ce capitalisme antique n'avait pas pour corollaire le salariat généralisé, car il était rare que les hommes libres travaillent pour de l'argent.

Mais les esclaves, qui représentaient la force de travail social fondamentale (peut-être, à l'origine, étaient-ils eux aussi propriété commune du groupe des hommes libres) étaient un bien dont la distribution était inégale. Cela signifiait que les hommes libres étaient eux-mêmes divisés en deux classes: les citoyens propriétaires d'esclaves, et les citoyens sans esclaves, autrement dit non-propriétaires d'hommes. Ne dit-on pas que, dans sa misère de philosophe, le sage Socrate lui-même aspirait à pouvoir s'acheter au moins un petit esclave?

Le citoyen qui n'a pas d'esclaves ne peut de ce fait vivre du produit du travail d'autrui, et il doit donc travailler; non en esclave, bien sûr, mais en homme libre, c'est-à-dire sans dépendre des ordres d'un maître. Ce qui va avec le régime de propriété privée de la terre. Le travailleur libre est un paysan propriétaire et il dispose comme il veut de son lopin, qu'il exploite au moyen de son propre travail. D'autres hommes libres qui n'ont ni richesses ni esclaves sont artisans ou membres de professions libérales (qui dans certains cas étaient ouvertes même aux esclaves, du moins en tant qu'activités intellectuelles).

Quand ce cycle est parfait, toute la terre cultivable devient bien allodial. L'alleu signifie la propriété privée de la terre, avec pleine liberté de vente et d'achat. Cela veut dire que lorsque de nouveaux territoires ont été conquis, ils sont immédiatement partagés entre les soldats vainqueurs (Rome), qui se transforment en colons. Mais pour que le droit allodial se développe pleinement, il faut qu'existe une circulation monétaire permettant d'acquérir des produits variés, et qui s'accompagne du commerce des esclaves aussi bien que des propriétés foncières.

Le petit nombre de biens qui, dans le régime antique, ne sont pas distribués en lots et restent à la disposition de l'Etat ou d'administrations locales forment, par opposition avec les biens allodiaux, le domaine. Pour qu'on ait une prédominance de l'alleu privé sur le domaine public, il faut un moyen de circulation et donc un marché général auquel accèdent les citoyens libres de tout le territoire: cette condition était pleinement réalisée en Grèce et à Rome. Le type de production de l'antiquité classique présente donc pour la première fois, à la différence de la barbarie, caractérisée par le travail et la consommation en circuit fermé, un marché intérieur national (et même un début de marché international). L'Etat territorial est un Etat national non seulement quand son pouvoir s'impose sur tout le territoire grâce à une force armée (ce qui était déjà vrai pour les Egyptiens et les Assyriens, et plus tard pour les Saliens ou les Bourguignons, etc.), mais quand le commerce des produits du travail et des biens peut se faire sur tout le. territoire et entre des points éloignés de ce territoire. Au niveau de la superstructure juridique, ceci s'exprime dans le fait que les citoyens jouissent des mêmes droits dans toutes les circonscriptions de l'Etat. C'est seulement alors que l'Etat est une nation. Au sens du matérialisme historique, la nation est donc une communauté organisée sur un territoire où s'est constitué un marché intérieur unitaire. Ce résultat historique va de pair avec une certaine communauté de sang mais surtout de langue (on ne fait pas de commerce sans parler!), d'usages et de coutumes...

Le milieu économique classique a donné lieu, tout comme le capitalisme moderne, à un phénomène d'accumulation: l'un a beaucoup d'esclaves, l'autre n'en a aucun, l'un beaucoup de terres, l'autre à peine de quoi occuper ses bras. La concentration mena au désastre et rendit antiéconomique le travail esclavagiste qui remplaçait la féconde culture parcellaire intensive. C'est en ce sens que Pline pouvait écrire que «les latifundia ont perdu l'Italie», et c'est alors qu'au niveau des superstructures morales la réduction de l'homme en esclavage devint une infamie... Les actuels rédacteurs de lois agraires en sont restés à ce niveau dans leur appréciation du développement technique et social, et ils confondent l'esclavagisme avec l'odieuse exploitation capitaliste du travail agraire. Mais venons-en pour le moment au Moyen Age.

Avec l'effondrement de l'économie agraire romaine, devenue techniquement rétrograde et improductive, s'écroule également l'ensemble du réseau mercantile au moyen duquel la richesse mobilière circulait dans tout l'empire, en même temps que se rétrécit la gamme des besoins de toute nature qui peuvent être satisfaits. Mais les barbares arrivent avec leurs habitudes de plus grande frugalité; pour eux, après une brève parenthèse pendant laquelle ils dilapident le butin trouvé dans des villes désormais vouées à la décadence, la véritable richesse conquise est la terre. Mais il est trop tard, la division sociale du travail est déjà trop avancée pour que toute la terre enlevée aux Romains, qu'il s'agisse des petites propriétés ou des latifundia, puisse être gérée en commun ou même devenir un domaine des nouveaux pouvoirs. Un type nouveau surgit, combinant l'alleu et le domaine. Une partie de la terre sera laissée en jouissance collective aux communautés (droits communaux, dont certains ont survécu jusqu'à nos jours); une partie sera définitivement partagée sous forme d'alleu (tout à fait précaire dans une période où affluent constamment de nouveaux conquérants); enfin une troisième partie sera redistribuée périodiquement (aujourd'hui encore, ce système de redistribution foncière survit par exemple dans la législation cadastrale de l'ex-Italie autrichienne).

Les paysans francs qui s'étaient jetés sur la terre si convoitée, fertile et d'un climat favorable, en tireront aussitôt un profit bien supérieur à celui qu'en obtenaient des troupeaux d'esclaves. En ce sens, on assiste à une puissante renaissance des forces productives provenant de la conjonction de tous ces bras inoccupés et des riches terres dédaignées par les Crésus romains. Mais en même temps que le réseau de l'administration romaine, avec ses connexions et ses transports, c'est tout le réseau du commerce qui avait été brisé, et l'on retombe dans un type de production local avec consommation immédiate des produits.

C'est cette économie sans commerce qui caractérise le Moyen Age. Les Etats possèdent des magistratures et des armées territoriales, mais ils n'ont pas un marché territorial unitaire: ils ne sont donc pas de véritables nations.

Si les membres des antiques gens avaient déjà perdu leur égalité sociale au cours des migrations et des conquêtes, ils perdront vite leur liberté et leur autonomie dans la gestion semi-commune, semi-allodiale de la terre. Le processus de concentration de la propriété terrienne recommence au profit des chefs militaires, des fonctionnaires, des courtisans du roi, des corps religieux.

Les esclaves antiques ont été remplacés par une nouvelle classe de serviteurs qui travaillent pour le compte de ces nouveaux privilégiés, se chargeant du travail manuel mais surtout des pillages et des exactions aux dépens des travailleurs libres. Le travail de la terre par lots suppose un ordre stable. L'Etat romain centralisé avec ses juges, ses agents, ses soldats, avait instauré cette stabilité et l'avait rendue sacro-sainte: voilà qu'elle s'effondre non seulement sous les invasions continuelles de nouvelles peuplades armées, mais aussi à cause des luttes intestines qui opposent les seigneurs et les chefs à l'intérieur d'un pouvoir mal centralisé.

Plus que de liberté, le paysan franc avait besoin de sécurité, élément de base de l'ordre juridique romain, aujourd'hui reconstitué et exalté comme un modèle. En cédant sa liberté, il trouva la sécurité, c'est-à-dire de fortes chances de cultiver la terre pour lui-même et non pour des pillards qui lui enlevaient la totalité de sa récolte, de ses semences et de ses outils.

La forme en fut la recommandation, qui est au fond un pacte entre le paysan qui travaille la terre et le seigneur armé et combattant. Le seigneur féodal garantissait la stabilité du territoire de travail, et le paysan s'engageait à lui fournir une partie de la récolte (redevance) ou une partie de son temps de travail (corvée). Mais l'assurance de ne pas être chassé de sa terre devint l'obligation de ne pas la quitter. Il n'y avait plus l'esclave que l'on achète et que l'on vend, mais il n'y avait pas non plus le paysan libre: il y avait le serf.

Les bases de la révolution moderne
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La défense par Engels de la forme féodale par rapport à l'esclavagisme fondé sur le latifundium est pleinement marxiste. La nouvelle forme permit, par exemple, dans la France peuplée de Celtes à demi-sauvages, un développement énorme de la production et un accroissement de la population stable si considérable qu'elle ne fut entamée, deux siècles plus tard, ni par les famines périodiques (conséquence de l'abolition du commerce entre les régions et les provinces), ni par les Croisades (tentatives de rouvrir les voies commerciales classiques).

La révolution accomplie par les barbares migrateurs qui accompagna la chute de l'empire romain se traduisit donc elle aussi par un développement des forces productives sociales.

Dans cette Europe que les anciens avaient fertilisée et colonisée, s'étaient fixés des peuples qui commençaient à gravir les échelons du développement technique et culturel inhérent à l'organisation de pays occupés par des populations stables. La destruction du commerce généralisé et des marchés de dimension nationale et impériale la condamna à une très longue période de vie économique moléculaire, disséminée en îlots minuscules, et la classe qui formait désormais l'immense majorité de la population, la classe des serfs attachés à la glèbe, fut privée de tout horizon.

Mais comme Fourier en avait eu la géniale intuition, alors que l'esclave antique n'avait jamais mené de véritables luttes d'affranchissement couronnées de succès, les bases furent alors posées pour un lointain mais formidable soulèvement révolutionnaire des peuples européens contre les classes dominantes et les institutions de l'époque féodale. (38).

Tandis que le prolétariat urbain moderne fait à peine son entrée sur la scène de l'histoire, la revendication nationale est le plus puissant levain de cette immense révolution, capable de libérer le citoyen moderne des chaînes du servage et de l'élever au niveau du citoyen antique. Certes, la révolution bourgeoise moderne use et abuse littéralement de ce rappel des gloires gréco-romaines («Qui nous délivrera des Grecs et des Romains?»), mais il est certain qu'il s'agit d'un ferment révolutionnaire d'une force gigantesque.

La révolution nationale n'est pas notre révolution, la revendication nationale n'est pas notre revendication, et elles ne représentent pas pour l'homme la conquête d'un avantage irréversible et éternel. Mais le marxisme les considère avec intérêt, voire avec admiration et passion, et lorsque le cours de l'histoire les remet en cause il est prêt, en temps et lieu décisifs, à se lancer dans la lutte pour elles.

Ce qu'il faut étudier, c'est le degré de développement des cycles historiques, en délimitant correctement les aires et les phases. Si mille ans se sont écoulés entre le développement des peuples primitifs du bassin méditerranéen et celui de l'Europe continentale, il est parfaitement possible que le cycle national moderne de l'Occident soit clos alors que celui des peuples d'une autre race, d'un autre cycle et d'un autre continent reste encore ouvert avec son potentiel révolutionnaire pour une longue période.

C'est surtout pour cela qu'il est si important de mettre en lumière dans un sens marxiste et révolutionnaire l'incidence du facteur national.

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Notes:
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  1. Fr. Engels, «L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'Etat», Paris, Editions Sociales, 1954, pp. 101 et 156. [back]
  2. Fr. Engels, «L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'Etat», Paris, Editions Sociales, 1954, p. 111. [back]
  3. Fr. Engels, «L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'Etat», Paris, Editions Sociales, 1954, p. 105. [back]
  4. Voir Fr. Engels, «L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'Etat», Paris, Editions Sociales, 1954, p. 47 la distinction entre superstructure «de forces» et superstructure «de conscience». [back]
  5. Fr. Engels, «L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'Etat», Paris, Editions Sociales, 1954, p.136. [back]
  6. Fr. Engels, «L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'Etat», Paris, Editions Sociales, 1954, p.143. [back]
  7. Engels cite Fourier en montrant comment celui-ci eut le premier l'intuition que l'introduction du servage lié à la terre «fournit aux cultivateurs des moyens d'affranchissement collectif et progressif»(Op. cit., p. 144), chose qui s'était avérée impossible pour les esclaves du monde antique. [back]

Source: «Editions Prométhée», novembre 1979, ISBN 2-903210-01-2

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