BIGC - Bibliothèque Internationale de la Gauche Communiste
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LA GAUCHE COMMUNISTE SUR LE CHEMIN DE LA RÉVOLUTION



Content :

La gauche communiste sur le chemin de la révolution
VI. Reconstruction de la doctrine et du parti
Le renversement de la praxis dans la théorie marxiste
Schéma marxiste du renversement de la praxis (fig. 3)
VII. Vers un nouvel assaut prolétarien
Programme et Organisation
Le « Battilocchio »
Hier
Questions et réponses
Continuité de vie
Nature et pensée
Vos papiers !
L’esprit et l’être
Le drame et les acteurs
De limpides oracles
Aujourd’hui
Courrier récent
La force d’inertie de la tradition
Quelques figures de l’actualité
De ternes diadoques
Morphine et cocaïne
Les bases de la reprise de classe
A la jeunesse prolétarienne
Motion de la gauche sur « éducation et culture » au congres de la jeunesse du parti socialiste italien, Bologne, 1912
Le programme des jeunes de la fraction communiste abstentionniste (juillet 1920)
Extrait des « thèses caractéristiques du parti », décembre 1951
Source


En mémoire d’Amadeo Bordiga

La gauche communiste sur le chemin de la révolution

VI. Reconstruction de la doctrine et du parti

Contrairement à bien des survivants du second massacre mondial, Amadeo Bordiga avait prévu que le schéma du premier après-guerre ne se répèterait pas, que la guerre impérialiste ne se transformerait pas en guerre civile.

Il apprit au petit noyau de parti qui se reconstituait à en comprendre les causes. De façon générale, la guerre entre États n’est pas un épisode normal de l’histoire capitaliste : en tant qu’expression de violence sociale, elle représente toujours un tournant historique affectant de façon profonde et décisive les classes, les partis et les doctrines, les bouleversant de la façon la plus inattendue. En ce qui concerne, de façon plus particulière, l’issue de la seconde guerre impérialiste, la Gauche montrait en outre que la victoire de l’Angleterre et surtout des U.S.A., gendarme de l’impérialisme mondial, sur les pays plus faibles de l’Axe capitaliste Berlin – Tokyo – Rome avait constitué la solution la plus défavorable à la reprise du mouvement prolétarien. Repoussant l’indifférentisme pour lequel toutes les issues ont les mêmes effets historiques, elle montrait que cette victoire assurerait au capitalisme mondial une stabilité qu’après la chute de la puissance anglaise, la victoire des États moins solides de l’Axe aurait été incapable de lui procurer. En l’absence de défaite militaire de leurs bourgeoisies respectives, les prolétariats des grandes puissances démocratiques ne trouvèrent en effet pas l’énergie nécessaire pour s’insurger contre leurs États respectifs.

Dans les pays vaincus, l’occupation militaire bloqua toute reprise du mouvement de classe, comme c’était d’ailleurs son but, le capitalisme ayant, mieux que le prolétariat, tiré la leçon de l’histoire antérieure. Il ne fallait donc pas se taire d’illusions sur la durée de la vague contre-révolutionnaire : seul un bouleversement général du nouvel équilibre atteint par le capitalisme au travers de la seconde guerre mondiale, qui pour être durable n’était évidemment pas éternel, pourrait faire mûrir les conditions d’une nouvelle vague révolutionnaire prolétarienne. En attendant, toute défaite du gendarme américain dans ses expéditions en Asie (Chine, Corée, Vietnam, Cambodge), en Afrique et en Amérique latine apparaissait à la Gauche comme un facteur d’accélération de la crise.

La Gauche ayant donc expressément prévu une reprise extrêmement lente, difficile et tourmentée, les impatients la quittèrent en quête de voies plus brèves et plus faciles qui les conduisirent dans des impasses et dans le tourbillon de la contre-révolution. Sous la direction d’Amadeo, elle eut au contraire une claire conscience de la fonction qu’elle avait à remplir : sauver le programme communiste du total naufrage du mouvement organisé, le restaurer contre toutes les altérations que l’opportunisme lui avait fait subir, afin de poser les prémisses du nouvel assaut prolétarien pour le moment où les conditions favorables s’en présenteraient à nouveau au sein de la société. Et ce n’est pas un hasard si la première tentation qu’elle ait eu à réprimer impitoyablement dès que les rares survivants du Parti se trouvèrent à nouveau réunis en Italie fut celle du « parlementarisme révolutionnaire » qu’elle avait combattu comme tactique erronée dans les premières années de l’Internationale mais qui, après la guerre, constituait une déviation, un moyen commode de jouir de la « liberté » retrouvée grâce aux baïonnettes américaines et de reprendre une carrière que les matraques fascistes avaient interrompue ou empêchée.

Tandis que la bourgeoisie et l’opportunisme plus étroitement alliés que jamais remettaient en vigueur le mythe de la démocratie sous la protection des armées impérialistes occupant non seulement les « vaincus », mais certains « vainqueurs », la Gauche remplit la même tâche que Lénine après l’échec de la révolution de 1905 lorsqu’il apparut que la réaction serait longue : elle mena une longue lutte théorique et programmatique contre tous les détracteurs du Communisme, contre les traîtres et les opportunistes, la victoire doctrinale étant la prémisse indispensable de la victoire insurrectionnelle.

Le Communisme en était revenu à l’année zéro : l’ABC du marxisme avait été perdu, les propositions les plus simples, les convictions les plus élémentaires avaient été balayées par la tempête contre-révolutionnaire. Avec sa poignée de militants, la Gauche s’attaqua point par point à la restauration de la doctrine altérée et défigurée aussi bien par ses « partisans » que par ses ennemis, par des mystificateurs conscients ou inconscients que par des traîtres vendus à l’ennemi. Le bilan de ce travail aussi discret et impersonnel que considérable va de l’élucidation de la « question russe », incompréhensible pour la plupart des gens, surtout dans son aspect économique, à l’étude du développement de l’économie capitaliste contemporaine; du développement de la théorie économique marxiste sur la base des textes fondamentaux à la démolition des prétendues « nouvelles » écoles anti-marxistes; de l’examen critique du développement historique de la lutte de classe depuis 1917 à la restauration de la doctrine dans les divers domaines – théorie de la connaissance, tactique et organisation du parti, question syndicale – en suivant le fil ininterrompu du temps.

La poursuite de cette lutte opiniâtre et inégale pendant près de trente ans, n’aurait pu être assurée sans l’apport de nouveaux militants, d’autant plus que depuis la guerre, il ne s’est pas passé d’année sans que du marais petit-bourgeois surgissent tels ou tels personnages armés de « nouvelles » recettes infaillibles et annonçant de fracassantes versions « modernes » du marxisme, considéré comme dépassé et susceptible d’être enrichi par les apports de… la « société de consommation ». Dans les vingt dernières années, à mesure que l’histoire confirmait toujours plus clairement les thèses de la Gauche, ces jeunes militants n’ont pas manqué au Parti, mais on n’est toujours pas à la veille de la reprise révolutionnaire. Pourtant, les prolétaires qui déjà cherchent fébrilement leur Parti de classe, comme on cherche une lumière et un camp où se battre, ne pourront pas ignorer toujours la longue lutte historique de la Gauche communiste. C’est elle qu’ils rencontreront nécessairement quand l’heure en sera venue, et ils y trouveront à la fois la théorie, la tactique et l’organisation, armes indissociables de la bataille révolutionnaire.

Pour illustrer l’œuvre déjà accomplie – et qui n’est pas achevée – nous devons nous contenter de citer le texte fondamental suivant, qui est de portée générale.

En ce qui concerne la question syndicale, le lecteur pourra se reporter aux № 53 – 54 de cette revue, et aux № 126, 127 et 128 du « Prolétaire », ainsi qu’aux nombreux extraits du № 121.

Le renversement de la praxis dans la théorie marxiste

1) Devant la désorganisation de l’idéologie, de l’organisation et de l’action révolutionnaires, il est erroné de compter sur une phase descendante inévitable du capitalisme, phase qui serait déjà commencée et au bout de laquelle se trouverait la révolution prolétarienne. La courbe du capitalisme n’a pas de branche descendante.

2) La seconde crise internationale opportuniste, avec l’écroulement de la IIIe Internationale. dérive de l’intermédisme, c’est-à-dire de la conception qui voulait poser des buts politiques généraux transitoires entre la dictature bourgeoise et la dictature prolétarienne. Renoncer aux revendications économiques particulières des groupes prolétariens pour éviter l’intermédisme est une position erronée.

3) La praxis marxiste juste affirme que la conscience de l’individu et aussi de la masse suit l’action, et que l’action suit la poussée de l’intérêt économique. Ce n’est que dans le parti de classe que la conscience et, dans des phases déterminées, la décision d’agir précèdent l’affrontement de classe. Mais une telle possibilité est inséparable organiquement du mécanisme moléculaire des poussées physiques et économiques initiales.

4) Selon toutes les traditions du marxisme et de la Gauche italienne et internationale, le travail et la lutte dans les associations économiques prolétariennes sont une des conditions indispensables pour le succès de la lutte révolutionnaire, de même que la pression des forces productives contre les rapports de production et que la juste continuité théorique, organisative et tactique du parti politique.

5) Dans les différentes phases de l’histoire bourgeoise (révolutionnaire, réformiste, anti-révolutionnaire), la dynamique de l’action syndicale a subi de profonds changements (interdiction, tolérance, assujetissement); mais il est de toute façon indispensable, organiquement, qu’entre la masse des prolétaires et la minorité encadrée dans le parti, il existe une autre couche d’organisations, politiquement neutres par principe, mais accessibles constitutionnellement aux seuls ouvriers, et des organismes de ce genre doivent renaître dans la phase d’approche de la révolution.

Désordre idéologique dans les nombreux groupes internationaux qui condamnent l’orientation stalinienne et qui affirment se trouver dans la ligne du marxisme révolutionnaire.

Incertitude de ces groupes sur ce qu’ils appellent analyse et perspective : développement moderne de la société capitaliste; possibilité de reprise de la lutte révolutionnaire de prolétariat.

Il est évident pour tout le monde que l’interprétation réformiste du marxisme s’est écroulée avec les guerres mondiales, les grands conflits intérieurs et le totalitarisme bourgeois.

Cependant, puisque l’aggravation de la tension sociale et politique ne s’accompagne pas du renforcement mais de la totale dégénérescence des anciens partis révolutionnaires, certains se demandent s’il ne faut pas réviser la perspective marxiste, et également celle de Lénine qui posait comme issue de la première guerre mondiale et de la révolution russe l’extension au monde entier de la lutte du prolétariat pour le pouvoir,

Une théorie tout à fait erronée est celle de la courbe descendante du capitalisme, qui amène à poser cette fausse question : comment se fait-il que la révolution n’avance pas, alors que le capitalisme décline ? La théorie de la courbe descendante compare le développement historique à une sinusoïde : tout régime (par exemple le régime bourgeois) commence par une phase ascendante, atteint un point maximum, puis commence à décliner jusqu’à un point minimum, après quoi un autre régime remonte. Cette vision est celle du réformisme gradualiste : il n’y a pas de bonds, de secousses, ni de sauts (cf. fig. 1).

diagramme

La vision marxiste peut être représentée schématiquement par un certain nombre de branches de courbes toujours ascendantes jusqu’à des sommets (en géométrie « points singuliers » ou « points de rupture ») suivis d’une brusque chute, presque verticale, puis, tout en bas, d’une autre branche historique ascendante, c’est-à-dire un nouveau régime social (fig. 2).

diagramme

Dans cette vision – la seule marxiste – tous les phénomènes de la phase impérialiste actuelle sont parfaitement escomptés depuis un siècle en économie, trusts, monopoles, dirigisme étatique, nationalisations en politique, régimes policiers, surpuissance militaire, etc.

Il apparaît non moins clairement que le parti prolétarien n’a pas à poser dans la période actuelle de revendications gradualistes ou tendant à restaurer et à faire renaître des formes libérales et tolérantes.

Au contraire, la position erronée du mouvement prolétarien et surtout de la IIIe Internationale a fait qu’au très haut potentiel capitaliste n’a pas pu s’opposer une tension révolutionnaire comparable.

L’explication de ce deuxième écroulement du mouvement de classe, plus grave que celui du social-patriotisme de 1914, nous amène à examiner les difficiles questions du rapport entre les poussées économiques et la lutte révolutionnaire, du rapport entre les masses et le parti qui doit les guider.

De même qu’il faut rejeter les positions des groupes qui sous-estiment le rôle et la nécessité du parti pour retomber dans des positions ouvriéristes ou, pire, ont des hésitations sur l’emploi du pouvoir d’État dans la révolution, de même doit-on considérer comme des égarés ceux qui considèrent le parti comme le regroupement des éléments conscients, n’aperçoivent pas les liens nécessaires qui le rattachent à la lutte de classe physique, et ne comprennent pas que le parti est le produit de l’histoire autant que son facteur.

Cette question nous amène à rétablir l’interprétation du déterminisme marxiste telle qu’elle a été construite à l’origine, en remettant à leurs places respectives le comportement de l’individu sous l’action des poussées économiques et la fonction des corps collectifs tels que la classe et le parti.

Il est utile, ici aussi, de tracer un schéma qui explique le renversement de la praxis dans la théorie marxiste. L’individu passe du besoin physique à l’intérêt économique et à l’action quasi-automatique pour le satisfaire; c’est seulement après qu’il en arrive à des actes de volonté et, enfin, à la conscience et à la connaissance théorique. Dans la classe sociale, le processus est le même sauf que toutes les forces s’exaltent en convergeant dans une même direction. Dans le parti, où confluent toutes les influences venues des individus et de la classe, leur apport détermine la possibilité et la faculté d’une vision critique et théorique et d’une volonté d’action, qui permettent de transmettre aux militants et aux prolétaires individuels l’explication de situations et de processus historiques ainsi que les décisions d’action et de combat (fig. 3).

diagramme

Ainsi, tandis que le déterminisme exclut qu’il puisse y avoir chez l’individu une volonté et une conscience qui précèdent l’action, le renversement de la praxis les admet uniquement dans le parti en tant que résultat d’une élaboration historique générale. Donc, si c’est au parti qu’il faut attribuer la volonté et la conscience, on doit nier que celui-ci se forme par le concours de la conscience et de la volonté d’un groupe d’individus, et que ce groupe puisse le moins du monde être considéré comme en dehors des déterminations physiques, économiques et sociales opérant dans la classe tout entière.

La prétendue analyse d’après laquelle toutes les conditions révolutionnaires sont réunies, mais il manque une direction révolutionnaire, n’a donc aucun sens. Il est exact de dire que l’organe de direction est indispensable, mais sa naissance dépend des conditions mêmes de la lutte, et jamais du génie d’un chef ni de la valeur d’une avant-garde.

Cette clarification des rapports entre le fait économico-social et le fait politique doit servir de base pour illustrer le problème des rapports entre le parti révolutionnaire et l’action économique et syndicale.

L’affirmation courante que le capitalisme est dans sa phase descendante et ne peut plus remonter contient deux erreurs : le fatalisme et le gradualisme.

Le premier consiste à croire qu’une fois que le capitalisme aura fini de descendre, le socialisme viendra de lui-même, sans agitations, sans luttes et sans affrontements armés, sans préparation de parti.

Le second, qui s’exprime dans le fait que la direction de la courbe s’infléchit insensiblement, équivaut à admettre que des éléments de socialisme pénètrent progressivement le tissu capitaliste.

Marx n’a pas prédit une montée du capitalisme suivie d’un déclin, mais au contraire une exaltation simultanée et dialectique de la masse de forces productives contrôlées par le capitalisme, de leur accumulation et de leur concentration illimitées, et en même temps la réaction antagonique des forces dominées, représentées par la classe prolétarienne. Le potentiel productif et économique général continue à monter jusqu’à ce que l’équilibre soit rompu : on a alors une phase révolutionnaire explosive, une chute brutale et de très courte durée, où les anciennes formes de production sont brisées et où les forces productives retombent, pour se réorganiser ensuite et reprendre une ascension plus puissante.

La différence entre les deux conceptions, dans le langage des géomètres, s’exprime ainsi : la première courbe, celle des opportunistes (révisionnistes du type Bernstein, staliniens partisans de l’émulation, intellectuels révolutionnaires pseudo-marxistes) est une courbe continue qui « admet une tangente » en chacun de ses points, c’est-à-dire pratiquement qu’elle procède par variations imperceptibles d’intensité et de direction. La deuxième courbe, dans laquelle nous avons voulu donner une image simplifiée de cette « théorie des catastrophes » si décriée, présente à chaque époque des pointes qu’en géométrie on appelle « points de rupture » ou « points singuliers ». En ces points, la continuité géométrique, et donc la gradualité historique, disparaît; la courbe « n’a pas de tangente », ou bien aussi elle « admet toutes les tangentes », – comme au cours de cette semaine que Lénine ne voulut pas laisser passer.

Il est à peine besoin de noter que le sens général ascendant de la courbe ne prétend pas se rattacher à des visions idéalistes sur le progrès indéfini de l’humanité, mais à une donnée historique : l’accroissement continu et gigantesque de la masse matérielle des forces productives dans la succession des grandes crises historiques révolutionnaires.

Schéma marxiste du renversement de la praxis (fig.3)

Le but de la troisième figure est seulement de représenter schématiquement les concepts du déterminisme économique. Chez l’individu (et donc également chez le prolétaire pris individuellement) ce n’est pas la conscience théorique qui détermine la volonté d’agir sur le milieu extérieur, mais, comme le montre le schéma, il se produit le contraire. De bas en haut : la poussée du besoin physique détermine, au travers de l’intérêt économique, une action non consciente et c’est seulement bien après l’action que se manifestent, par l’intervention d’autres facteurs, la critique de cette action et la théorie.

L’ensemble des individus placés dans les mêmes conditions économiques se comporte de façon analogue, mais la concomitance de stimuli et de réactions crée la prémisse d’une volonté puis d’une conscience plus claires. Celles-ci se précisent seulement dans le parti de classe, qui regroupe une partie de la classe, mais qui élabore, analyse et amplifie l’immense expérience de toutes les poussées, stimuli et réactions. C’est le parti seulement qui parvient à renverser le sens de la praxis. Il possède une théorie et il a donc la connaissance du développement des événements : dans des limites données, selon les situations et les rapports de forces, le parti peut imposer des décisions et des initiatives et influencer le déroulement de la lutte.

Par des flèches pointillées et orientées de gauche à droite, nous avons voulu représenter les influences de l’ordre traditionnel (formes de production); par des flèches hachurées et orientées de droite à gauche, les influences révolutionnaires antagoniques.

Le rapport dialectique entre parti et classe consiste dans le fait que le parti est un facteur conscient et volontaire des événements dans la mesure même où il est également un résultat des événements et du conflit entre les anciennes formes de production et les nouvelles forces productives. Mais cette fonction théorique et active du parti tomberait si on coupait les liens matériels qui lui fournissent l’effort du milieu social et le rattachent à cet élément primordial qu’est la lutte de classes matérielle et physique.

VII. Vers un nouvel assaut prolétarien

Programme et Organisation

Le parti, c’est à la fois un programme historique et une organisation de militants.

Le programme historique est la partie non caduque du parti. Une fois que l’histoire lui a donné naissance, il ne meurt plus; au contraire, l’organisation du parti meurt et renaît, elle suit les vicissitudes de la lutte de classes, jusqu’à la victoire définitive du socialisme. C’est pourquoi nous ne nous sommes jamais inquiétés d’ être peu nombreux pour l’instant, et de ne pas pouvoir influencer les faits contingents.

L’axiome théorique selon lequel les conditions objectives de la révolution seraient réunies, mais non les conditions subjectives, est faux. En fait, l’existence du parti organisé est justement une des conditions déterminantes de la révolution, un indice de sa maturité, et on ne peut définir comme révolutionnaire qu’une situation historique qui conduit à l’affirmation du parti.

Si donc le programme prolétarien est valable jusqu’à l’avènement du communisme, et, dans ce sens, indestructible, l’organisation est sujette aux coups de l’ennemi de classe (…) On a cru (et on croit encore, croyance infantile s’il en fut) qu’après de tels coups (ceux du fascisme en Italie, du nazisme en Allemagne, du stalinisme en Russie par exemple), la classe ne peut retrouver son chemin que si elle est guidée par quelque homme providentiel, de même que sa défaite serait imputable à l’absence de « génies » : cette conception triviale relève de la doctrine selon laquelle ce sont les « grands hommes » qui font l’histoire et sont donc les maîtres du destin de l’espèce (…)

Notre époque de dévaluation du travail individuel et qualifié ne craint pas de se contredire en exaltant grossièrement l’individu, stratagème destiné à maintenir en vie un mécanisme démocratique et parlementaire d’autant plus anachronique que le capitalisme contemporain est une organisation économique plus anonyme qui ne tolère ni « pouvoir personnel » ni « libres joutes » de héros de Parlement.

En réalité, ce dont la classe a besoin pour retrouver sa vie, c’est du parti qui, grâce à son programme, lui confère la conscience de ses buts et qui, grâce à son organisation, donne à sa volonté révolutionnaire diffuse, dès qu’elle se manifeste, le maximum d’efficience et de continuité. Dire que le parti « naîtra » spontanément de la lutte, c’est négliger l’organisation. Proposer des blocs a trois, à quatre ou davantage alors qu’on est conscient du fait que l’organisation doit être largement implantée dans la classe, c’est assassiner le programme. Le parti ne peut renaître que sur la base du programme invariant de la révolution et comme résultat d’une lutte opiniâtre, d’une action historique dont la condition est l’organisation centralisée.

Dans ce parti, il est devenu possible – du fait de la rigoureuse sélection à laquelle les impitoyables dernières années d’histoire l’ont soumis – de dépasser le mécanisme démocratique, anticipant sur son dépassement dans la dictature prolétarienne et dans la société communiste.

Toute tentative de reconstitution du parti qui s’écarterait de ces trois points centraux de la conception marxiste est, dans le meilleur des cas, destiné à l’échec – dans le pire, elle fait obstacle à cette reconstitution.

Le « Battilocchio »

Récemment, à propos de l’appréciation marxiste de la révolution russe, nous citions la phrase d’Engels : « Le temps des peuples élus est achevé ». Il n’y aura probablement pas grand monde pour rompre des lances en faveur de la thèse opposée, car elle n’a guère porté chance au nazisme allemand et non plus aux juifs, qui paient cher leur incroyable entêtement pluri-millénaire dans le racisme : écrasés d’abord par la manie aryenne d’Hitler, puis par l’affairisme impérial des Britanniques, et aujourd’hui par l’inexorable appareil soviétique, ils le seront demain, probablement, par la politique des États-Unis, cosmopolites et tolérants en paroles, mais qui se sont déjà fait les dents sur les noirs.

Il sera beaucoup plus difficile de faire admettre que ce n’est plus le temps des individus élus, des « hommes providentiels » – comme George Bernard Shaw appelait Napoléon (mais surtout pour se moquer de lui en le montrant en chemise de nuit) –, bref des grands hommes, des grands capitaines et des chefs historiques, des Guides suprêmes de l’humanité.

Il semble en effet (et plus que par le passé) que dans les camps les plus divers et au nom de tous les crédos, catholiques ou francs-maçons, fascistes ou démocratiques, on ne puisse s’empêcher de s’exciter et de se prosterner dans une admiration baveuse devant le nom de quelque personnage auquel on attribue à tout instant tout le mérite du succès de la « cause » en question.

Tous sont d’accord pour attribuer une influence déterminante sur les événements, passés ou à venir, à l’œuvre et donc aux qualités personnelles des chefs qui occupent le fauteuil suprême : on discute à perte de vue pour savoir s’ils doivent le faire en vertu d’un choix électif et démocratique, d’une décision du parti, ou même d’un coup de main personnel, mais tous sont d’accord, amis ou ennemis, pour tout faire dépendre de l’issue de cette dispute.

Si ce critère général était vrai, et si nous n’avions pas la force de l’attaquer et de le détruire, il nous faudrait reconnaître que la doctrine marxiste a été mise en échec. Mais au contraire, comme de coutume, nous confirmons aujourd’hui deux positions : 1) le marxisme classique avait déjà mis les grands hommes à la retraite, et sans appel; 2) le bilan de l’œuvre des grands hommes récemment mis en circulation où qui nous ont débarrassés de leur présence confirme notre théorie.

Hier

Questions et réponses

Il est intéressant à cet égard de voir les réponses de Friedrich Engels aux questions qui lui avaient été posées sur ce sujet. Dans une lettre du 25 janvier 1895, il parle des grands hommes dans le deuxième point de la deuxième question, mais l’une et l’autre sont bien posées. Les voici :

1) Dans quelle mesure les conditions économiques ont-elles une influence causale (attention : ne pas lire « casuelle »).

2) Quelle est la part : a) du facteur racial, b) du facteur individuel dans la conception matérialiste de l’histoire de Marx et d’Engels ?

Mais il est également intéressant de voir la question à laquelle répondait une lettre précédente, celle du 21 septembre 1890 : comment Marx et Engels lui-même comprennent-ils le principe fondamental du matérialisme historique ? Considèrent-ils que la production et la reproduction de la vie réelle représentent le seul facteur déterminant, ou seulement la base fondamentale de toutes les autres conditions ?

Le lien entre ces deux points : rôle du grand homme dans l’histoire et rapport exact entre conditions économiques et activité humaine, est clairement expliqué par Engels dans ses réponses, qu’il affirme modestement avoir écrites au fil de la plume et non rédigées avec l’« exactitude » qu’il recherchait quand il écrivait pour le public. Il se réfère ici aux exposés généraux de la conception marxiste de l’histoire qu’il avait donnés dans l’« Anti-Dühring » (1e partie chap. 9–11; 2e partie, chap. 2–4; 3e partie, chap. 1) et surtout dans son limpide essai sur Feuerbach de 1888. Comme exemple lumineux d’application particulière de la méthode, il renvoie au « 18 Brumaire de Louis Bonaparte » de Marx, qui décrit en traits mordants celui qu’on peut considérer comme le prototype du « battilocchio », terme que nous allons expliquer dans un instant.

Continuité de vie

Quitte à faire une digression (…) nous voudrions d’abord féliciter l’étudiant inconnu qui posa la question de la première lettre. En général, ceux qui se donnent l’air d’avoir assimilé et digéré et qui prétendent être capables de recracher ce qu’ils ont appris et de pérorer sentencieusement sont justement ceux qui n’ont rien compris. Les plus simples, ceux qui posent le plus sérieusement les problèmes, sont toujours persuadés qu’ils ont quelque-chose de plus à comprendre, alors qu’ils ont déjà une main de maître. En effet, le jeune et (heureusement) obscur correspondant d’Engels, au lieu de l’expression normale « conditions économiques » utilise l’autre expression, exacte et qui est un bon équivalent de la première : « production et reproduction de la vie physique » (…).

Nous avons déjà fait allusion ailleurs à des passages des maîtres du marxisme où « production » et « reproduction » vont ensemble, en citant Engels, qui définit la reproduction, c’est-à-dire le domaine de la sexualité et de la procréation, comme la « production des producteurs ».

Toute science économique, qu’elle soit métaphysique, c’est-à-dire avec des lois immuables, ou à plus forte raison dialectique, c’est-à-dire tendant à établir la théorie d’une succession de phases et de cycles, serait inutile si nous examinions un groupe, une société de producteurs dont le travail et l’activité économique tendraient certes à satisfaire leurs besoins en conservant leur existence et leur force productive jusqu’à la limite de durée physiologique, mais qui auraient été opérés (par exemple par un chef raciste) de façon à ne plus pouvoir se reproduire et avoir des successeurs biologiques.

Une telle condition (et toutes les écoles économiques le reconnaîtront) modifierait radicalement tous les rapports de production et de distribution de cette communauté plutôt hypothétique.

Ceci nous amène à rappeler que la reproduction biologique, qui prépare les futurs remplaçants du travailleur – avec une dépense considérable de consommation et d’efforts productifs –, a autant d’importance dans le réseau des rapports économiques que la production qui fournit les aliments (et autres) destinés à conserver la vie physique de ce même travailleur (…).

Nature et pensée

Le rapport entre le problème examiné ici, celui des personnalités historiques, et le problème général de la conception matérialiste, est immédiatement compréhensible. Admettez un seul instant que la succession, le développement, l’avenir d’une société ou même de l’humanité dépendent de façon décisive de la présence, de l’apparition, du comportement d’un seul homme. Il ne vous sera plus possible de penser et d’affirmer que la cause première de toute l’histoire de la société vient de ce que les grandes masses, celles qui comprennent les « autres » individus, les « normaux », les « petits », se trouvent dans certaines conditions et situations économiques analogues.

En effet, un long et difficile chemin (et nous n’avons jamais prétendu en faire un pur et simple automatisme) mène du parallélisme dans les conditions de vie et de travail à la grande lutte finale, à la révolution sociale, au passage de pouvoir d’une classe à l’autre, à la destruction des formes qui déterminaient ce parallélisme des rapports de production. Si ce chemin devait passer par la tête (critique, conscience, volonté, action) d’un seul homme, en ce sens que celui-ci serait un élément nécessaire (c’est-à-dire tel qu’en son absence ce mouvement ne pourrait plus se produire), alors il faudrait admettre qu’à un certain moment, toute l’histoire se trouve « dans la pensée » et dépend d’un acte de cette pensée. Il y a là une contradiction insurmontable, parce qu’une fois cela admis, il faudrait aussi s’incliner devant la conception opposée à la nôtre, qui dit qu’il n’y a pas de causalité, pas de lois de l’histoire, mais que tout y est « accident » imprévisible et contingence, bref qu’elle peut être étudiée après, mais jamais avant l’événement. On aura mis chapeau bas, ni plus ni moins, devant l’ennemi.

Comment nier que la naissance de ce colosse soit un accident, comment éviter de ramener tout le domaine de la reproduction au faux pas d’un spermatozoïde ?

Nous avons durement combattu la conception plus moderne, propre à la bourgeoisie rationaliste, qui voulait faire passer préventivement le fait historique non par un mais par tous les cerveaux, en posant l’éducation et la conscience de tous comme préalable à la lutte révolutionnaire. Mais plus insuffisante encore que cette conception incomplète et unilatérale est la théorie qui concentre tout dans une unique boîte crânienne, ce qui ne pourrait guère se produire autrement que par l’union, tant de fois évoquée dans la tradition, d’un homme et d’une divinité.

Nous avons démoli la théorie, encore plus stupide que celle de la conscience populaire universelle, qui se base pour manœuvrer l’histoire sur la moitié plus un des cerveaux, parce qu’elle faisait pitié du point de vue marxiste; et nous laisserions en vie la théorie du cerveau unique ? Pourquoi pas alors celle du reproducteur unique, de l’étalon humain, qui de toute évidence est moins grossière ?

Retournons à la question initiale : ce qui est premier, est-ce la nature, ou la pensée ? L’histoire de l’espèce humaine est-elle un aspect de la nature réelle, ou une « parthénogenèse » de la pensée ?

Le court essai d’Engels sur Feuerbach ou plutôt contre une apologie de Starcke (essai qu’il définit, à son ordinaire, comme une simple esquisse générale, et tout au plus quelques illustrations de la conception matérialiste de l’histoire) résume d’une part l’histoire de la philosophie et d’autre part l’histoire de la lutte de classes dans un système magnifique par sa concision et par son ampleur.

Vos papiers !

Il y aurait là matière à un exposé-fleuve de quelques demi-journées, avec un commentaire adéquat. Contentons-nous de relever quelques signes particuliers de l’ouvrage, pour prouver son identité marxiste.

L’auteur rappelle qu’historiquement, c’est de l’idéaliste Hegel dont la philosophie avait pu être adoptée par la droite conservatrice et réactionnaire allemande, que dérive le matérialiste Feuerbach, sous l’influence du matérialisme et de la révolution française, puissants précurseurs. En un certain sens, c’est de Feuerbach que dérivent les conceptions bien différentes de Marx et d’Engels, après une vague d’admiration autour de 1840 et de la parution de « L’Essence du Christianisme », et après une critique (non moins radicale que celle que Feuerbach avait faite de Hegel) que Marx résume dans ses fameuses Thèses de 1845, ignorées pendant plus de quarante ans, et qui s’achèvent sur la onzième : « Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde, il s’agit à présent de le transformer ».

Hegel avait mis au premier plan l’activité humaine, mais son idéalisme absolu l’avait empêché de donner à cette prémisse son développement révolutionnaire dans le domaine de l’Histoire. Selon lui, la société future, avec son dessin et son modèle, serait déjà contenue ab aeterno dans l’Idée absolue : découverte et développée par l’esprit d’un philosophe, selon les normes de la pensée pure, l’idée trouve sa réalisation intégrale quand ces résultats se transmettent dans le système du droit et dans l’organisme de l’État. Pourquoi ne pouvons-nous pas accepter cette théorie ? Pour deux raisons, qui constituent les deux faces dialectiques d’une raison unique. Nous nions qu’il puisse y avoir un point d’aboutissement définitif et indépassable de l’histoire. Nous nions que les propriétés et les lois de la pensée puissent être déjà données avant que s’ouvre le cycle de la nature et de l’espèce.

Mais citons plutôt. « Pas plus que la connaissance, l’histoire ne peut trouver un achèvement définitif dans un état idéal parfait de l’humanité; une société parfaite, un État parfait sont des choses qui ne peuvent exister que dans l’imagination; tout au contraire, toutes les situations qui se sont succédé dans l’histoire ne sont que des étapes transitoires dans le développement sans fin de la société humaine progressant de l’inférieur vers le supérieur. »

Hegel a dépassé tous les philosophes précédents en mettant en évidence la dynamique des contradictions dont se compose le long chemin de l’humanité jusqu’à aujourd’hui. Malheureusement, comme tous les autres philosophes, et comme tous les autres philosophes possibles, il a emprisonné et figé ce vivant bouillonnement de contradictions dans son « système ». « Toutes ces contradictions étant supprimées une fois pour toutes, nous arrivons à la prétendue vérité absolue; l’histoire mondiale est terminée et cependant il faut qu’elle continue, bien qu’il ne lui reste plus rien à faire : donc nouvelle contradiction impossible à résoudre. »

Dans ce passage, Engels fait tomber la vieille objection, reformulée plus tard par Croce peu avant sa mort (voir notre réfutation dans « Prometeo », IIe série, no 4), selon laquelle le matérialisme historique assignerait un terme à l’histoire, parce qu’il dit que la lutte opposant le prolétariat à la bourgeoisie sera la dernière des luttes de classes. Dans son incorrigible anthropomorphisme, tout idéaliste confond la fin de la lutte des classes économiques avec la fin de toute lutte et de tout développement dans le monde, dans la nature et dans l’histoire. Enfermé qu’il est dans les limites étroites (lumière pour lui, ténèbres pour nous) d’une boîte crânienne, il ne peut pas voir que le communisme sera à son tour une lutte intense et imprévisible de l’espèce pour la vie, que nul ne connaît encore : car on ne peut pas plus appeler « vie » cette solitude stérile et pathologique du moi, que le trésor de l’ avare ne constitue une « richesse », même personnelle.

L’esprit et l’être

Feuerbach arrive et il élimine l’antithèse. La nature n’est plus l’expression de l’Idée (lecteur, tiens bon le fil : il n’est pas rompu, nous allons vers la thèse que l’histoire n’est pas l’expression du Battilocchio !), il n’est pas vrai que la pensée soit l’élément primordial et la nature l’élément dérivé. Le matérialisme est « replacé sur le trône », au grand enthousiasme des jeunes, y compris le jeune Marx. « La nature existe indépendamment de toute philosophie; elle est la base sur laquelle nous autres hommes, nous-mêmes produits de la nature, avons grandi; en dehors de la nature et des hommes, il n’y a rien et les êtres supérieurs créés par notre imagination religieuse ne sont que le reflet fantastique de notre être propre ». Jusqu’ici, le vieil Engels applaudit lui aussi, mais il s’arrête pour se moquer de la notion que l’auteur substitue à l’impératif moral de Kant sur le plan de l’activité pratique : l’amour. Il ne s’agit pas ici de l’amour sexuel, mais de la solidarité, de la fraternité « innée » qui unit les hommes. C’est à cette « apothéose excessive de l’amour » que se rattacha le « socialisme vrai » de l’époque, socialisme bourgeois et prussien, incapable de saisir la nécessité de l’activité révolutionnaire, de la lutte des classes, de la destruction des formes bourgeoises.

C’est alors qu’Engels résume la conception marxiste qui conserve le fondement du vieux matérialisme, mais en le libérant des entraves métaphysiques et de l’impuissance dialectique qui le figeaient dans la même immobilité historique que l’idéalisme, et ce malgré la parure de volonté et d’activité pratique dont Feuerbach semblait l’avoir recouvert.

Engels explique le problème en partant de la formation des images et des pensées chez les peuples primitifs. Nous ne pouvons ici que glaner quelques citations pour préciser notre point de vue, mais il serait utile d’encadrer et de compléter tout ceci, en particulier dans les passages où Engels rapproche ses déductions de l’apport des différentes sciences positives. Nul doute que l’avenir y pourvoira.

« La question du rapport de la pensée à l’être, de l’esprit à la nature… ne pouvait être posée dans toute sa rigueur et ne pouvait acquérir tout son sens que lorsque la société européenne se réveilla du long sommeil hivernal du moyen âge chrétien. La question de savoir quel est l’élément primordial, l’esprit ou la nature, a pris vis-à-vis de l’Église cette forme aiguë : le monde a-t-il été créé par Dieu, ou existe-t-il de toute éternité ?
Selon qu’ils répondaient de telle ou telle façon à cette question, les philosophes se divisaient en deux camps : matérialisme et idéalisme ».
Ceux qui considéraient la nature (l’être) comme l’élément primordial étaient matérialistes, ceux pour qui c’était l’esprit (la pensée) étaient idéalistes. Mais alors il faut faire intervenir l’acte créateur et il est intéressant de relever ici l’appréciation marxiste de l’idéalisme, dans cette remarque lapidaire : « Cette création est souvent chez les philosophes, par exemple chez Hegel, beaucoup plus embrouillée et plus impossible encore que dans la christianisme ».

Mais une fois expliquée cette séparation des philosophes en deux camps, la question du rapport de la pensée à l’être n’est pas épuisée. Sont-ils étrangers l’un à l’autre ou y a-t-il identité entre eux ? La pensée humaine est-elle en état de connaître et de décrire pleinement le monde réel ? Il y a des philosophes qui ont séparé et opposé les deux éléments : l’objet et le sujet; Kant, entre autres, avec son insaisissable « chose en soi ». Hegel surmonte l’obstacle, mais en idéaliste, c’est-à-dire qu’il absorbe la chose et la nature dans l’idée, qui peut bien les connaître et les comprendre, puisqu’elles ne sont que sa propre émanation. C’est ce que Feuerbach dénonce et combat : « La préexistence des « catégories logiques » de Hegel, antérieures au monde matériel, n’est rien d’autre qu’une survivance fantastique de la croyance en un créateur supra-terrestre ». Mais, parvenu à cette démolition critique de l’idéalisme hégelien, Feuerbach s’arrête.

Dans un clair exposé, Engels reproche à cette attitude, que la culture allemande n’avait pas su dépasser, son incapacité à comprendre la vie de la société humaine comme un mouvement et un processus incessants, malgré les bases posées par Hegel. Cette conception anti-historique condamnait le moyen âge comme une espèce de parenthèse inutile et obscure (de même les marxistes doivent refuser la manière dont l’antifascisme et l’antinazisme ont orienté leur lutte, et leur critique de la période que nous venons de vivre) et elle ne savait pas en analyser les causes et les effets, ni en apercevoir les grands progrès et les immenses apports pour l’avenir.

« Tous les progrès réalisés dans les sciences naturelles ne leur servirent que d’arguments contre l’existence du Créateur. » Ils méritaient bien la moquerie que s’étaient attirée les premiers socialistes réformistes français : « Donc, l’athéisme, c’est votre religion ».

Le drame et les acteurs

Puis vient la présentation organique du matérialisme historique, la meilleure peut-être qui ait jamais été écrite. Le pas que Feuerbach n’avait pas osé franchir est désormais franchi : on remplace « le culte de l’homme abstrait » par « la science de l’homme réel et de son développement historique ».

On revient ainsi un moment à Hegel : il avait instauré (et non découvert) la dialectique, mais pour lui il s’agissait de « l’évolution autonome du concept ». Chez Marx elle devient « le reflet dans la conscience humaine du mouvement dialectique du monde réel ». Comme dans la célèbre formule, elle est remise sur ses pieds.

Engels commence alors l’exposé de la science de la société et de l’histoire, selon une méthode analogue à celle qui s’applique à l’histoire de la nature. Mais nul n’ignore les caractères de ce « domaine » particulier de la nature qu’est la vie de l’espèce humaine. Comme nous avons hâte d’en venir aux « réponses » d’Engels, nous nous contenterons de citer quelques passages fondamentaux.
« Dans la nature (…) il y a uniquement des facteurs inconscients. (…) Par contre, dans l’histoire de la société, ceux qui agissent sont exclusivement des hommes doués de conscience, agissant avec réflexion ou passion et poursuivant des buts déterminés. (…) Mais cette différence, quelle que soit son importance pour l’investigation historique, surtout d’époques et d’événements pris isolément, ne peut rien changer au fait que le cours de l’histoire est sous l’emprise de lois générales internes. (…) Ce n’est que rarement que se réalise le dessein formé. (…) C’est ainsi que les conflits des innombrables volontés et actions individuelles créent, dans le domaine historique, une situation tout à fait analogue à celle qui règne dans la nature inconsciente. Les buts des actions sont voulus, mais les résultats que donnent réellement ces actions ne le sont pas ou, s’ils semblent, au début, correspondre malgré tout au but poursuivi, ils ont finalement des conséquences tout autres que celles qui ont été voulues. (…) Les hommes font leur histoire, quelque tournure qu’elle prenne, en poursuivant chacun leurs fins propres (…) et c’est précisément la résultante de ces nombreuses volontés agissant dans des directions différentes et de leurs répercussions variées sur le monde extérieur qui constitue l’histoire. (…) Mais s’il s’agît de rechercher les forces motrices qui – consciemment ou inconsciemment et, il faut le dire, très souvent inconsciemment – se situent derrière les mobiles des actions historiques des hommes et qui constituent en fait les forces motrices dernières de l’histoire, il ne peut pas tant s’agir des motifs des individus, si éminents soient-ils, que de ceux qui mettent en mouvement de grandes masses, des peuples entiers, des classes entières; et encore des raisons qui les poussent non à une effervescence passagère et à un feu de paille rapidement éteint, mais à une action durable, aboutissant à une grande transformation historique ».

Ici la partie philosophique cède la place à la partie historique jusqu’au grand mouvement du prolétariat moderne. Ceci met fin à la philosophie dans le domaine de l’histoire comme dans celui de la nature. « Il ne s’agit plus d’imaginer des enchaînements dans sa tête, mais de les découvrir dans les faits. »

De limpides oracles

Souvenez-vous des questions posées et écoutez les réponses d’Engels, qui confirment nos positions. Elles ne sont pas obscures et ambiguës comme celles de l’oracle antique, mais transparentes.

Voici ce qu’Engels répond à la question que nous avons rappelé au début, celle de 1890.

« Le facteur déterminant dans l’histoire est, en dernière instance, la production et la reproduction de la vie matérielle. »

« La situation économique est la base, mais les divers éléments de la superstructure – les formes politiques de la lutte des classes et ses résultats, les constitutions établies une fois la bataille gagnée par la classe victorieuse, les formes juridiques et même les reflets de toutes ces luttes réelles dans le cerveau des participants, théories politiques, juridiques, philosophiques, conceptions religieuses et leur développement ultérieur en systèmes dogmatiques – exercent également leur action sur le cours des luttes historiques et, dans beaucoup de cas, en déterminent de façon prépondérante la forme. C’est dans l’interaction de tous ces facteurs que le mouvement économique finit par se frayer un chemin comme une nécessité, au travers d’une infinie multitude de contingences. »

A la première question, celle de la lettre de 1894 sur l’influence causale des conditions économiques, Engels répond : « Par conditions économiques, que nous considérons comme la base déterminante de la société, nous entendons la manière dont les hommes produisent leurs moyens d’existence et échangent leurs produits (tant qu’il existe une division du travail). Toute la technique de la production et du transport y est donc comprise… Ceci détermine la division de la société en classes, les conditions de patron et de serviteur, l’État, la politique, le droit, etc. »

« Si, comme vous le dites, la technique dépend en très grande partie de la science, à plus forte raison celle-ci dépend-elle des conditions et des exigences de la technique. (…) Toute l’hydrostatique (Torricelli, etc.) est née du besoin que l’Italie a ressenti aux XVIe et XVIIe siècles, de régulariser les cours d’eau descendant des montagnes » (cf. divers articles de notre journal et de notre revue sur la précocité de l’entreprise agricole capitaliste en Italie et sur la décadence de la technique de défense hydraulique moderne, qu’on a pu voir dans l’inondation du Polsine).

A propos du premier point de la deuxième question, le facteur racial, nous ne citons que ce brûlant apophtegme : « La race est un facteur économique ». N’aviez-vous pas entendu : production et reproduction ? La race est une chaîne matérielle d’actes de reproduction.

Et enfin voici le second point, qui concerne le battilocchio. C’est sur cette citation que nous quitterons le magnifique Friedrich.

« Ce sont les hommes qui font eux-mêmes leur histoire, mais jusqu’à présent ce n’est pas selon une volonté générale et un plan général, même dans une société limitée. Leurs aspirations se contrarient; c’est pourquoi précisément dans chaque société prévaut la nécessité, dont la contingence forme le complément et la manifestation. C’est alors qu’apparaissent ce qu’on appelle les grands hommes. Qu’un grand homme donné, et justement celui-là, naisse dans une époque donnée et dans un endroit donné, c’est naturellement un pur hasard. Mais si nous l’éliminons, il y a aussitôt demande d’un remplaçant, et on le trouve, tant bien que mal, mais à la longue on le trouve. Que Napoléon ait justement été ce Corse, ce dictateur militaire que la situation de la république française, épuisée par les guerres, exigeait, c’est un pur hasard : mais qu’en l’absence de Napoléon un autre aurait pris sa place, c’est prouvé par le fait que chaque fois qu’on a eu besoin d’un homme, on l’a toujours trouvé : César, Auguste, Cromwell, etc. »

« Et Marx ! » Engels entendait bien le hurlement du parterre, et il lui donne également son congé : Thierry, Mignet, Guizot écrivirent des histoires d’Angleterre qui tendaient au matérialisme historique, Morgan y arriva de son côté, bref « les temps étaient mûrs et cette découverte devait (cette fois ce n’est pas nous qui soulignons) être faite ».

Et pourtant dans une note du « Feuerbach », Engels écrit : « Marx était un génie; nous n’étions que des talents ». Il serait regrettable que tous n’aient pas compris après toute cette démonstration qu’il y a d’individu à individu des différences considérables, pour le potentiel de la machine-cervelle comme pour la force des muscles.

Mais ayant pris justement l’exemple le plus haut, l’« homme providentiel » de G. B. Shaw, pour le liquider, nous ne nous imaginons pas nous être débarrassés des « crétins providentiels », de ces malheureux qui se proposent comme bouche-trous pour les occasions que l’histoire leur réserverait, et s’inquiètent à la pensée qu’ils pourraient manquer à l’appel et rester en arrière quand la gloire les attend.

Aujourd’hui

Courrier récent

Voici ce que nous écrivions il y a quelque temps à une camarade ouvrière, qui, tout en s’excusant à tort de s’exprimer incorrectement, avait su poser le problème d’une manière frappante. Nous transcrivons en partie le texte de la réponse, qui entre tout à fait dans notre sujet :

Tu écris : « Tu as raison de dire qu’un marxiste ne doit pas considérer les hommes, mais les principes… Nous disons : les hommes ne comptent pas, laissons-les de côté. Mais dans quelle mesure est-ce juste, si ce sont les hommes qui déterminent en partie les faits ? Si les hommes sont en partie la cause de la pagaille qu’il y a, on ne peut pas les laisser complètement de côté. » Ce n’est pas du tout une façon « boîteuse » d’envisager le problème : tu le poses très correctement au contraire.

Les faits, les luttes sociales dont nous nous occupons en tant que marxistes, sont faits par des hommes, leurs acteurs sont les hommes. C’est une vérité indiscutable; sans le facteur humain notre construction ne tient pas. Mais traditionnellement, ce facteur a toujours été considéré d’une manière bien différente de celle introduite par le marxisme.

Ta simple expression peut être énoncée de trois façons différentes; c’est alors que le problème apparaît dans sa profondeur, et tu as le mérite de t'en être approchée, Les évènements sont faits par des hommes. Les événements sont faits par les hommes. Les événements sont faits par l’homme Pierre, par l’homme Paul, par l’homme Jean.

L’homme est d’une part un animal, d’autre part un être pensant. Ce qui nous distingue des « autres », ce n’est pas seulement qu’ils disent que l’homme pense d’abord, et qu’ensuite les effets de cette pensée déterminent sa vie matérielle et même animale – alors que nous, nous disons qu’à la base de tout, il y a les rapports physiques, animaux, l’alimentation, etc. …

C’est que justement le problème ne concerne pas l’homme pris individuellement, mais l’homme considéré dans la réalité des groupes sociaux et de leurs rapports. Or, la façon dont les hommes interviennent (excuse les grands mots !) dans l’histoire peut se formuler de trois manières. Les voici :

Les systèmes religieux ou autoritaires traditionnels disent : un grand homme ou un envoyé de Dieu pense et parle : les autres apprennent et agissent.

Les idéalistes bourgeois plus récents disent : la raison, qui est le partage de tous les hommes civilisés, détermine certaines directives, qui font que les hommes agissent. Ici aussi, il y a certains hommes particuliers qui tranchent sur les autres : des penseurs, des agitateurs, des tribuns, d’où viendrait l’élan initial.

Quant aux marxistes, ils disent : l’action commune des hommes, ou, si on veut, ce qu’il y a de commun ou non dans l’action des hommes, est déterminé par des poussées matérielles. La conscience et la pensée viennent après, et elles déterminent les idéologies de chaque époque.

Et alors ? Pour nous comme pour tous les autres, ce sont les actions humaines qui deviennent les facteurs historiques et sociaux : qui fait une révolution ? Des hommes, c’est évident.

Mais pour les premiers, l’élément fondamental c’était l’homme éclairé, prêtre ou roi.

Pour les seconds, c’était la conscience et l’idéal qui s’est emparé des esprits.

Pour nous, c’est l’ensemble des données économiques et la communauté d’intérêts.

Nous non plus, nous ne réduisons pas les hommes, qui sont des créateurs ou des acteurs, à n’être que des marionnettes dont les fils seraient tirés… par l’appétit. Sur la base de cette communauté de classe, il existe toute une série de degrés et de niveaux complexes : tous n’ont pas la même disposition à agir et encore moins la même capacité de saisir et d’exposer la théorie commune.

Mais ce qu’il y a de nouveau, c’est que contrairement aux révolutions précédentes, nous n’avons nullement besoin, et même pas à titre de symboles, d’hommes particuliers, ayant une individualité et un nom particuliers.

La force d’inertie de la tradition

Le fait est que justement parce que les traditions sont les dernières à disparaître, les hommes agissent souvent sous l’influence puissante de la passion pour le Chef. Alors, pourquoi ne pas « utiliser » ce facteur, qui certes ne modifie pas le cours de la lutte de classes, mais peut favoriser le regroupement des forces et précipiter l’affrontement ?

Or, quelles leçons devons-nous tirer de toutes ces années de durs combats ? On ne peut pas renoncer à marcher avec des hommes, à vaincre avec des hommes. C’est précisément notre courant, la Gauche, qui a soutenu que la collectivité d’hommes qui lutte ne peut pas être toute la masse, ni la majorité de celle-ci, mais que cela doit être le parti (un parti pas trop grand) et les groupes d’avant-garde qu’il organise Mais les noms qui entraînent en ont entraîné dix et en ont égaré mille Freinons donc cette tendance, et supprimons autant que possible, non les hommes, bien sûr, mais l’Homme avec son Nom particulier et son Curriculum vitae particulier.

Je sais bien la réponse qui peut influencer les camarades naïfs : Lénine. Eh bien, il est sûr qu’après 1917, nous avons gagné de nombreux militants à la cause révolutionnaire parce qu’ils ont été convaincus que Lénine avait su faire et avait fait la révolution : ils sont venus, ils se sont battus, et ensuite ils ont mieux approfondi notre programme. Cet expédient a mis en mouvement des prolétaires et des masses entières qui sinon auraient peut-être dormi. Admettons. Et après ? C’est ce même nom de Lénine que l’opportunisme invoque pour corrompre complètement les prolétaires. Nous en sommes au point que l’avant-garde de la classe est bien moins avancée qu’avant 1917, quand il y avait bien peu de gens qui connaissaient son nom.

Dans les thèses et dans les directives établies par Lénine se résume le meilleur de la doctrine collective du prolétariat, de la politique de classe réelle; mais son nom en tant que tel a un bilan négatif. Evidemment on a exagéré. Lénine lui-même en avait plus qu’assez du culte de la personnalité. Il n’y a que les petits hommes de rien du tout qui se croient indispensables à l’histoire. Il riait comme un enfant en entendant de telles choses. Il était suivi, adoré, et on ne le comprenait pas.

Est-ce que j'ai réussi par ces quelques lignes à te donner une idée de la question ? Le temps viendra où un fort mouvement de classe aura une théorie et une action correctes sans se servir de noms pour se gagner des sympathies. Je crois qu’il viendra. Celui qui ne le croit pas ne peut être qu’un marxiste peu convaincu ou, pire, un traître vendu à l’ennemi.

Comme tu vois, je n’ai pas mis en parallèle l’effet historique de l’enthousiasme pour Lénine avec l’effet néfaste des milliers de chefs renégats, mais avec les effets négatifs produits par son nom lui-même; et je ne me suis pas aventuré non plus sur le terrain dangereux du « si Lénine n’était pas mort ». Staline aussi était un marxiste en règle et un homme d’action de premier ordre. L’erreur des trotskistes, c’est de chercher à expliquer ce gigantesque reflux de la force révolutionnaire par la sagesse ou par le tempérament de certains hommes.

Quelques figures de l’actualité

Pourquoi avions-nous appelé la théorie du grand homme théorie du battilocchio ?

Le battilocchio est un type qui attire l’attention et qui en même temps révèle sa totale vacuité.

Grand, dégingandé, voûté pour cacher un peu sa tête dodelinante et ahurie, la démarche incertaine et oscillante. A Naples on l’appelle battilocchio à cause de ce clignement de paupières de niais et de philistin (…).

L’histoire et la politique contemporaines, en cette année 1953 (où tout se ressent de ce fait général et non accidentel qu’une forme à demi pourrie, le capitalisme, n’arrive pas à crever) nous sommes entourés de véritables constellations de battilocchi. Cette époque de marasme propage dans des masses admiratives et rampantes la conviction absolue que c’est eux, eux seuls, qu’il faut regarder, que partout il s’agit des battilocchi providentiels, et que surtout la relève de la garde du régiment des battilocchi est le facteur (pauvre Friedrich !) qui détermine l’histoire.

Parmi les chefs d’État, il y a un trio ineffable, qui se distingue par son manque absolu de nouveauté dans ses discours et même d’originalité dans l’attitude : Franco, Tito, Perón. Ces champions, ces Oscars de beauté historique ont perfectionné au maximum l’art suprême : l’absence totale de signes particuliers. Pas de nez dynastiques; pas de regards d’aigle !

Quant à feu Hitler et à feu Mussolini le premier nous fait penser au formidable état-major de non-battilocchi qui l’entouraient, promus au grade de criminels, et qui non seulement « faisaient l’histoire », mais la violaient à qui mieux mieux; le second, lui, se fait pardonner à cause de l’ineffable compagnie de sous-battilocchi qui le mettait dans le pétrin et qui a cédé la place, en 1944–45, à la confrérie de même acabit, qui fait aujourd’hui nos délices.

Autre tiercé magnifique (non dans l’espace, mais dans le temps) qui nous fournit la preuve par neuf que toute succession(par héritage ou par élection) produit un effet historique équivalent à zéro multiplié par zéro : Delano, Harry, Ike. Les forces américaines qui occupent le monde justifieraient qu’on définisse notre époque comme celle de l’expédition des battilocchi.

De ternes diadoques

Une autre constellation non moins représentative de l’époque actuelle est celle des chefs nationaux récents et présents, des pays et des partis liés à la Russie; ils sont souvent déplacés sans ambages, si bien qu’on ne sait où trouver le plus de battilocchi. au fin fond des Balkans ou dans les jupes de Marianne. Quand Alexandre le Grand mourut, l’empire macédonien, qui s’était étendu sur deux continents, fut morcelé en États plus petits, confiés à ses différents généraux, qui disparurent bientôt sans laisser de souvenir. Si quelqu’un se rappelle leurs noms, il nous rend des points en fait d’histoire.

Quand l’histoire a besoin d’un grand homme, elle le trouve. Il se peut bien qu’il n’ait pas une grosse tête, mais il peut aussi s’agir d’un homme de valeur. Nous ne traitons personne de crétin.

Le fait est qu’en Italie, par exemple, le concours ouvert aux grandes personnalités concerne des postes qui ont jadis été occupés par des colosses historiques. Il s’agit de jouer en farce ce qui fut une tragédie. A l’occasion du soixantième anniversaire de Togliatti, qu’on a fêté avec un cérémonial bassement passéiste, après avoir longuement évoqué son curriculum vitae et ses écrits, on a abouti à cette définition synthétique : un grand patriote.

Ce rôle, depuis un siècle, est désormais usé jusqu’à la corde et il n’y a guère d’espoir d’y trouver une grandeur qui ne soit pas celle d’un battilocchio. L’histoire a déjà trouvé ses héros, et sans trop chercher. Mazzini, Garibaldi, Cavour, et tant d’autres, ne se laisseront pas déloger. En fait de patrie, il ne nous reste plus grand chose, à dire vrai, mais pour ce qui est des patriotes, nous en avons à revendre. L’autobus de la gloire révolutionnaire est complet. Cela ne diminue en rien les qualités du candidat actuel : on a exhumé ses écrits de 1919 (époque où on eut le tort de ne pas leur accorder l’attention qu’ils méritaient), et ils lui font honneur : il n’a jamais cessé d’être marxiste, puisqu’il ne l’avait jamais été. Il soutenait à l’époque la même chose qu’aujourd’hui, c’est-à-dire la mission de la patrie. Un très grand patriote, si vous voulez, comme une très grande diligence au temps de l’électrotrain et de l’avion à réaction.

Si après avoir parlé de Lénine, nous n’avons pas fait mention de Staline, disparu depuis peu, ce n’est pas de peur qu’après une expédition punitive notre scalp s’en aille orner le mausolée, pratique à laquelle il y a bon espoir d’arriver un jour. Staline est encore le surgeon d’un parti anonyme, d’un parti de fer, qui a organisé sous la poussée de forces historiques qui n’étaient pas accidentelles un mouvement collectif, anonyme, profond. Ce sont des réactions de la base historique, et non les hasards de la mesquine course au succès, qui déterminent le moment crucial de la contre-révolution. L’escadron révolutionnaire s’est immolé lui-même à la flamme de la réaction thermidorienne et s’il est vrai qu’un nom peut constituer un symbole même si la personne, en tant que telle, ne compte pour rien dans l’histoire, le nom de Staline reste le symbole de cet extraordinaire processus : la force prolétarienne la plus puissante réduite en esclavage et pliée aux exigences de la construction révolutionnaire du capitalisme moderne sur les ruines d’un monde arriéré et inerte.

La révolution bourgeoise doit nécessairement avoir un symbole et un nom, bien qu’elle aussi, en dernière instance, soit faite par des forces anonymes et des rapports matériels. Elle est la dernière révolution qui ne sache pas être anonyme : c’est pourquoi nous nous en souvenons comme d’une révolution romantique.

Notre révolution apparaîtra quand on aura fini de se prosterner à deux genoux devant des individus, dans une attitude faite surtout de lâcheté et de désarroi. L’instrument de sa force sera un parti parfaitement homogène dans sa doctrine, son organisation et son combat; un parti qui n’accordera aucun crédit au nom et au mérite de l’individu, et qui refusera à l’individu la conscience, la volonté, l’initiative, le mérite ou la faute, pour tout résumer dans son unité nette et clairement délimitée.

Morphine et cocaïne

Lénine a repris à Marx la définition (que beaucoup critiquent et trouvent vulgaire) de la religion comme opium du peuple. Le culte de la divinité est la morphine de la révolution, dont elle endort les forces agissantes; ce n’est pas pour rien que, lors de la mort de Staline, on a prié dans toutes les églises d’U.R.S.S.

Le culte du chef, de l’être et de la personne non plus divine, mais humaine, est un stupéfiant social encore plus pernicieux : nous l’appellerons la cocaïne du prolétariat. L’attente du héros qui enflammera les enthousiasmes et entraînera les foules à la lutte ressemble à l’injection de sympamine; les pharmacologues ont trouvé le terme correspondant : c’est l’héroïne. Après une brève exaltation pathologique de l’énergie, survient un état de prostration chronique et de ralentissement du cœur. Il n’y a pas de piqures à faire à une révolution qui hésite, à une société honteusement enceinte de dix-huit mois et qui n’a pas encore accouché.

Nous rejetons la ressource vulgaire qui consiste à se tailler un succès en exploitant le nom d’un homme d’exception, et nous crions cette autre définition du communisme : le communisme est la société qui n’a pas eu besoin de battilocchi.

Les bases de la reprise de classe

Le long travail de restauration de la doctrine et de reconstitution de l’organisation du parti n’est pas achevé.

La profonde infection opportuniste, qui a brisé l’assaut révolutionnaire du prolétariat dans le premier après-guerre, l’hécatombe de travailleurs au cours du deuxième massacre impérialiste, et les guerres « locales » pour l’hégémonie capitaliste qui ont éclaté par la suite dans les divers points du globe, ont non seulement détruit des vies prolétariennes, mais surtout éloigné du communisme des génération entières d’ouvriers. L’alliance inouïe de l’État soviétique avec les centrales de l’impérialisme mondial, si elle a sauvé l’existence de cet État, a en revanche, arraché du cœur et des esprits des travailleurs les principes de la révolution communiste et la foi en elle. C’est au feu de nouvelles luttes générales de classe que se tremperont les nouvelles générations appelées à relever le drapeau rouge de la révolution violente.

Le passage historique de la théorie révolutionnaire au parti politique de classe est désormais une chose acquise. Les résurgences actuelles de l’immédiatisme petit-bourgeois, produit de la défaite, représentent un simple retour aux origines confuses du mouvement ouvrier : ce sont non des manifestations d’avant-garde, mais une résurrection momentanée du passé.

Dans le domaine de l’action de classe, la supériorité de la forme parti sur toutes les autres formes contingentes, tant dans sa période pré-capitaliste que post-capitaliste, est également acquise. De cette hiérarchie de formes et de fonctions découle le choix des moyens d’action, c’est-à-dire la tactique. En accord avec les principes énoncés ci-dessus, celle-ci est imposée par le dynamisme de la lutte historique qui mène au communisme : elle n’est donc pas dictée par le hasard, le moment, les circonstances.

Les conflits sociaux naissent de déterminations économiques. L’exploitation économique pousse les prolétaires à s’organiser dans l’association de classe, l’action de classe – défaite, victoire – déchaîne la haine et l’enthousiasme : c’est sur ce chemin qu’ils rencontrent le Parti.

Toute forme de positivisme, de rationalisme, a été repoussée. La conscience suit l’instinct. Le sentiment la précède et la soumet. La haine pour l’ennemi bourgeois, pour le traître; le mépris pour tout ce qui peut sortir de leurs bouches. La joie dans la lutte, l’amour des camarades de combat, le désir ardent de se faire le meilleur instrument au service de la révolution : voilà les sentiments qui caractérisent la résurrection révolutionnaire du prolétariat. Ils sont la prérogative de la jeunesse ouvrière, avant-garde de la classe.

Encore une thèse que nous suggère le texte que nous publions et que nous avons volontairement choisi dans notre vieil arsenal pour battre en brèche les attraits mensongers et religieux du « savoir ». Au nez de la jeunesse dorée d’aujourd’hui nous lançons le vieil axiome : la révolution sera l’œuvre des « ignorants » !

Les « amis du peuple » ou plutôt les amis de nos ennemis, les partisans des « révolutions culturelles » d’hier ou d’aujourd’hui sont horrifiés par cette thèse marxiste : mais qui dirigera les usines, qui planifiera l’économie, qui manœuvrera l’État ? demandent-ils. Ces gens-là ne pourront jamais comprendre la puissance sociale de « l’ignorance », de même qu’ils n’ont pas compris celle de la barbarie, ni celle de la religion primitive, commodément reléguée au rang des superstitions.

Les prolétaires n’ont rien à apprendre du capitalisme. La future société devra. hélas, hériter de sa structure économique et sociale. Mais la dictature du prolétariat n’attendra pas une minute après la victoire pour procéder systématiquement et progressivement à la destruction des structures et des rapports sociaux. Dès 1848 Marx, qui n’avait rien d’un ignorant ni d’un utopiste, envisageait que le pouvoir prolétarien, après avoir abattu les bastions des États démocratiques, d’origine toute récente, renverse le cours déjà délirant de l’économie. en s’appuyant sur le prolétariat armé. La partie finale du « Manifeste » contient les premiers rudiments pratiques de l’économie politique prolétarienne. L’héroïque classe ouvrière européenne d’alors parlait et agissait de manière révolutionnaire et communiste, sans avoir la moindre notion de la doctrine scientifique que Marx lui-même élabora après 1848. La « culture » existante était déjà plus que suffisante pour abattre le pouvoir bourgeois.

Aujourd’hui. l’excès de « culture » étouffe comme dans un étau même la masse des déshérités. A plus forte raison « l’ignorance » de cette « culture » permettra-t-elle au prolétariat d’acquérir la totale conviction de sa victoire sociale sur le capitalisme. Sans, préjugés, sans inquiétudes, fort de la fraternité, sûr de posséder l’arme du Parti, il abattra toutes les idoles des classes possédantes et il gravera fidèlement dans son cœur et dans sa mémoire les signes indélébiles de l’histoire nouvelle

A la jeunesse prolétarienne

Les générations qui vivent sous le règne infâme du capital ont la tâche de détruire le pouvoir d’État capitaliste. C’est la tâche la plus difficile. L’intelligence que l’histoire requiert du prolétaire d’aujourd’hui n’est que celle de lutter contre le capitalisme, de repousser toutes les influences qui pourraient le détourner de cette tâche. Intelligence de classe, violence de classe !

Mais la jeunesse prolétarienne, qui sera appelée à occuper les premiers rangs sur la ligne de feu, aura non seulement la tâche spécifique d’abattre le pouvoir bourgeois avec toute la classe ouvrière, mais aussi d’instaurer la société nouvelle, la société sans classes. Ce travail de reconstruction ne demandera pas moins d’enthousiasme, pas moins de volonté et d’esprit de sacrifice. C’est cet esprit qui anime le programme de 1920 des Jeunesses. Il est inutile d’ajouter qu’aujourd’hui le problème de l’encadrement des jeunes dans le parti se pose différemment; c’est la position de principe qui compte, et c’est pour cela que nous avons voulu le republier.

Les idéologues petits-bourgeois en vogue. actuellement, sous des étiquettes « contestataires » et pseudo-révolutionnaires, tout en ne touchant pas les jeunes travailleurs, les rejettent dans les bras de l’opportunisme. qui est encore susceptible d’une action organisée et disciplinée.

La lutte contre les faux communistes, contre les agents de la bourgeoisie dans les rangs de la classe ouvrière, requiert une action mille fois plus organisée et plus disciplinée. Une organisation et une discipline imposées non par un ensemble de règles despotiques, faites pour cacher la division qu’on entretient parmi les prolétaires entre ceux qui votent pour les chefs prestigieux, et les prétoriens qui aident ces mêmes chefs à conserver leurs prébendes, mais une organisation et une discipline dictées par le programme communiste.

Une soumission personnelle, dans la dépersonnalisation de chaque combattant, aux buts, aux principes, aux moyens révolutionnaires. Une adhésion volontaire et enthousiaste à la lutte pour le communisme. Un dévouement total et désintéressé à la cause.

L’arme principale au moyen de laquelle le capitalisme enchaîne la classe ouvrière à la domination opportuniste, c’est la corruption par la mystification démocratique savamment dosée avec la violence dans les diverses formes culturelles. religieuses, politiques, étatiques. La jeunesse prolétarienne a en elle-même assez de force pour repousser cette corruption, avec l’abnégation qui lui est propre, et cette générosité désintéressée qui caractérise les jeunes.

Le futur assaut du prolétariat révolutionnaire sera l’œuvre de la jeunesse travailleuse. C’est à elle que notre Parti consacre le meilleur de ses forces. C’est à elle que les communistes révolutionnaires s’adressent pour qu’elle donne le signal de la reprise de la lutte révolutionnaire de classe.

Motion de la gauche sur « éducation et culture » au congrès de la jeunesse du parti socialiste italien, Bologne, 1912

Le Congrès, considérant qu’en régime capitaliste l’école représente une arme puissante de conservation dans les mains de la classe dominante, qui tend à donner aux jeunes une éducation qui en fasse des partisans fidèles et résignés du régime actuel et les empêche d’en apercevoir les contradictions fondamentales, constatant par conséquent le caractère artificiel de la culture actuelle et des enseignements officiels, dans toutes leurs phases successives, et estimant qu’on ne doit nullement faire fond sur une réforme de l’école dans un sens laïque ou démocratique;

Reconnaissant que notre mouvement a pour but de s’opposer aux systèmes d’éducation de la bourgeoisie, en formant des jeunes libres intellectuellement de tout préjugé, décidés à travailler à la transformation des bases économiques de la société, prêts à sacrifier tout intérêt individuel dans l’action révolutionnaire;

Considérant que cette éducation socialiste, s’opposant aux diverses formes d’individualisme où se perd la jeunesse moderne, et partant d’un ensemble de connaissances théoriques strictement scientifiques et positives, tend à former un esprit et un sentiment de sacrifice;

Reconnaît la grande difficulté pratique de donner à la masse des jeunes adhérant à notre mouvement une base de notions théoriques si vaste qu’elle exigerait la formation de véritables instituts culturels et des moyens financiers sans proportion avec les forces dont nous disposons; et tout en s’engageant à donner le soutien le plus enthousiaste au travail que la Direction du Parti Socialiste entend faire dans ce domaine, le Congrès estime que l’attention des jeunes socialistes doit plutôt porter sur la formation du caractère et du sentiment socialistes;

Considérant qu’une telle éducation ne peut être donnée que par le milieu prolétarien quand celui-ci vit de la lutte de classe, comprise comme une préparation aux conquêtes finales du prolétariat, repoussant la définition scolaire de notre mouvement et toute discussion sur ce qu’on voudrait appeler sa « fonction technique », il pense que les jeunes trouveront dans toutes les agitations de classe du prolétariat le meilleur terrain pour le développement de leur conscience révolutionnaire et que, de même, les organisations ouvrières pourront trouver dans la collaboration active de leurs éléments les plus jeunes et les plus ardents cette foi socialiste qui seule peut et doit les sauver des dégénérescences utilitaires et corporatistes;

Il affirme en conclusion que l’éducation des jeunes se fait plus par l’action que par l’étude réglée par des systèmes et des normes quasi-bureaucratiques. En conséquence, il exhorte tous les membres du mouvement de la Jeunesse socialiste :

a) A se réunir beaucoup plus souvent que ne le prévoient les statuts, pour discuter entre eux sur les problèmes de l’action socialiste, en se communicant les résultats de leurs observations et de leurs lectures personnelles et en s’habituant toujours plus à la solidarité morale du milieu socialiste;

b) A prendre une part active à la vie des organisations de métier, en faisant la propagande socialiste la plus active parmi les camarades syndiqués, et particulièrement en y répandant la conscience que le Syndicat n’a pas pour seul but les améliorations économiques immédiates, mais est au contraire un des moyens pour l’émancipation complète du prolétariat, aux côtés des autres organisations révolutionnaires.

Le programme des jeunes de la fraction communiste abstentionniste (juillet 1920)

1) La jeunesse prolétarienne, depuis l’enfance, est prise dans l’engrenage fatal du système capitaliste de production, qui la frappe cruellement dans son développement physique et intellectuel et qui fait naître sa conscience de classe, alimentée et favorisée par sa psychologie rebelle et généreuse.

2) De cette psychologie particulière découle l’opportunité d’une organisation particulière : l’organisation de la jeunesse, qui rassemble la partie la plus vigoureuse et la plus enthousiaste du prolétariat, l’avant-garde héroïque et combative du parti communiste, disposée à tous les sacrifices et à toutes les abnégations, prête à occuper les postes les plus dangereux dans une lutte acharnée.

3) L’organisation de la jeunesse communiste a pour tâche l’éducation marxiste de la jeunesse travailleuse, l’utilisation des énergies qu’elle renferme en vue d’atteindre le but final commun.

4) La jeunesse communiste tend à frapper l’organisation de l’État dans ses bastions les plus solides; c’est pourquoi elle consacre une part non négligeable de son activité à la propagande antimilitariste, fondée non pas sur de vagues théories humanitaires et pacifistes, mais sur la désagrégation de l’appareil de défense de l’État bourgeois, et sur la préparation de l’armée de défense de l’État du prolétariat.

5) Elle tend à compléter la conscience de classe et à élever le niveau culturel du prolétariat : c’est pourquoi elle s’efforce de le libérer de toutes les superstitions et avant tout de toutes les mesquines superstitions morales et politiques dérivant du cléricalisme, fidèle allié du capitalisme, et qui tente en particulier de maintenir la classe laborieuse dans sa plus totale ignorance.

6) Elle sait que la lutte de classes est la lutte de toute la bourgeoisie contre tout le prolétariat, elle sait que la victoire finale du prolétariat ne pourra consister que dans la révolution mondiale : c’est pourquoi elle appartient à une organisation internationale dont la tâche est de lier et de coordonner le travail et les efforts de tous les jeunes communistes du monde entier.

7) Tout en faisant son éducation au travers de la lutte, la jeunesse communiste ne cesse de diffuser dans le prolétariat les principes fondamentaux de la doctrine marxiste, d’une part en vulgarisant ces principes eux-mêmes et les phases historiques de la lutte de classes, d’autre part et surtout en faisant une critique impitoyable de toutes les révisions, des fausses interprétations et des multiples dégénérescences de la théorie marxiste.

8) Elle combat toutes les dégénérescences petites-bourgeoises du marxisme, du réformisme au syndicalisme, tout en comprenant le rôle que ces formes ont pu jouer dans la genèse historique du mouvement d’émancipation des classes laborieuses. Elle combat également toutes les formes de l’extrémisme anarchisant, qui n’a rien à voir avec la base théorique et la réalisation pratique du programme communiste.

9) Elle combat toutes les formes (et surtout les formes avancées, qui sont plus équivoques) du socialisme parlementaire, que Marx a qualifié justement de crétinisme parlementaire et qui, sous quelque forme que ce soit, équivaut en dernière analyse à la tentative d’empêcher à tout prix le déroulement fatal des crises irrémédiables qui précipitent la chute du régime bourgeois.

10) Dans la période historique révolutionnaire, où le prolétariat de chaque pays attend que l’heure de sa révolution sonne d’un moment à l’autre, la jeunesse communiste considère la participation des représentants de la classe opprimée aux organismes de la classe des oppresseurs comme incompatible, car le travail de critique est achevé et il est urgent de concentrer les énergies du prolétariat dans la préparation à la révolution imminente.

11) Elle affirme que rien n’est plus infantile que la théorie qui nie les tendances dans le mouvement de la jeunesse : en effet il n’existe pas une interprétation unique de la doctrine marxiste, mais chaque tendance politique représente justement une révision ou une interprétation différente de la doctrine marxiste pour laquelle nous devons faire de la propagande et l’action de propagande elle-même présuppose donc une interprétation de cette doctrine, c’est-à-dire une tendance politique.

12) C’est donc en pleine conscience que la jeunesse communiste affirme que la tendance social-démocrate est la pire dégénérescence révisionniste du système marxiste, qu’elle est le dernier rempart du régime bourgeois; elle affirme vigoureusement la nécessité d’un Parti Communiste homogène et l’incompatibilité absolue de la présence de non-communistes (qu’ils appartiennent à des fractions du centre ou de la droite) dans la Fédération et dans l’Internationale des Jeunesses Communistes.

13) En particulier, dans la période actuelle de la lutte, elle déclare changer sa dénomination de Fédération de la Jeunesse Socialiste en Fédération de la Jeunesse Communiste, et elle retire son adhésion au Parti Socialiste Italien, tant qu’il n’aura pas renoncé à ses hésitations, en procédant à l’élimination des non-communistes et en se constituant en Parti Communiste étroitement lié à la IIIe Internationale de Moscou.

14) C’est à cette action primordiale qu’elle subordonne tout jugement et tout appui au travail que le Parti Socialiste pourra accomplir en vue de la préparation révolutionnaire, de la constitution des soviets, et de toute autre action possible, car elle sait que rien de tout cela ne pourra se faire tant que le Parti voudra rester dans l’équivoque où il se débat actuellement.

Extrait des « thèses caractéristiques du parti », décembre 1951

S’appuyant sur une donnée de l’expérience révolutionnaire, à savoir que les générations révolutionnaires se succèdent rapidement et que le culte des hommes est un aspect dangereux de l’opportunisme, car le passage des chefs âgés et usés à l’ennemi et aux tendances conformistes est un fait confirmé par les rares exceptions à la règle, le parti accorde toute son attention aux jeunes et consacre une grande partie de ses efforts à les recruter et à les préparer à l’activité politique, exempte de tout arrivisme et de toute apologie des personnalités.

Dans la période historique actuelle, profondément contre-révolutionnaire, la formation de jeunes dirigeants capables de garantir la continuité de la révolution s’impose. L’apport d’une nouvelle génération révolutionnaire est une condition nécessaire pour la reprise du mouvement.


Source : « Programme Communiste », numéro 56 juillet-septembre 1972

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