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PAIX SOCIALE EN BELGIQUE
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Paix sociale en Belgique
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Paix sociale en Belgique
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Le 30 Mai dernier, vers 19 heures, M. Louis Major, secrétaire général de la Fédération Générale du Travail de Belgique et député «socialiste», après avoir signé en compagnie de ses compères des syndicats chrétiens et libéraux «l'accord social» mis au point de concert avec les dirigeants des organisations patronales, est retourné chez lui (pas à pied), l'âme en paix et la conscience sereine. Le citoyen Major ne pouvait s'empêcher de murmurer «Les jours se suivent et ne se ressemblent pas» songeant que la veille, vêtu presque comme un ouvrier, il assistait, du haut des marches de la Bourse de Commerce - dont la façade était ornée des portraits des bonzes défunts de la social-démocratie belge - au défilé des délégations venues de tout le pays pour commémorer le soixante-quinzième anniversaire du parti ex-socialiste et que, dans peu de temps, il serait en compagnie de grands personnages et des dignitaires du Royaume. Mais ce soir, le camarade Major était l'invité du Roi au dîner, donné dans la grande salle du Trône, en l'honneur de sa Majesté la très gracieuse Reine des Pays-Bas. En fait de démocratie, on ne ferait pas mieux dans une république; et quelle manière, toute royale, de manifester Sa reconnaissance à l'égard de l'un des plus zélés larbins du capital.

Car au moment où la bourgeoisie belge se trouve aux prises avec des problèmes épineux dont les moindres ne sont pas ceux que soulève l'indépendance prochaine du Congo - qu'il lui a bien fallu accorder faute de tout perdre - pour ne pas parler des multiples difficultés qu'elle rencontre dans son effort d'adaptation au Marché Commun, de la crise charbonnière, de la situation financière de l'Etat - qui se détériore de plus ce plus du fait de l'augmentation incessante de la dette publique - M. Major a contribué à l'élaboration de cet «accord social» qui, espère-t-on, permettra au moins de maintenir la classe ouvrière dans la résignation et l'apathie.

Par 112 voix contre 14 et 6 abstentions, le Comité National de la F.G.T.B., jetant par-dessus bord les résolutions du dernier Congrès, a accepté l'accord entre les patrons et les organisations syndicales. Elle n'étaient pourtant pas bien méchantes, ces résolutions, puisqu'on se bornait à y réclamer des réformes de structure que la social-démocratie nous présente comme la voie spécifiquement belge d'arriver au socialisme (réjouis-toi Khrouchtchev!); la lutte contre les holdings qui font fi de «l'intérêt général» et de «la prospérité du pays»; la réforme de la fiscalité; l'augmentation des retraites aux vieux travailleurs et des allocations de chômage; l'instauration du salaire minimum garanti; le paiement du double salaire pour la période des vacances (actuellement, ce régime n'est en vigueur que pour la moitié du congé); des mesures contre la hausse du coût de la vie, etc. Rien d'inquiétant, on le voit, pour le capitalisme. Dans bien des pays, tout cela a été réalisé - et d'autres choses de surcroît, sans que l'on ait fait pour autant un pas de plus vers cette destruction de l'Etat bourgeois qui reste la première condition, aujourd'hui comme du temps de Marx - n'en déplaise aux social-pacifistes de tout poil - de la libération du prolétariat.

Que reste-t-il de cet ensemble de revendications que nous venons de passer rapidement en revue? Rien d'autre que la «reconnaissance» par les patrons de la «nécessité» d'améliorer le standard de vie des travailleurs; en ce qui concerne le double salaire pour la période de congé, on y arrivera par étapes qui nous mèneront à... 1963; les allocations familiales seront augmentées... d'un demi pour cent... en janvier; la question du salaire minimum est renvoyé aux commissions paritaires. Pour les travailleurs c'est tout, mais pour les capitalistes! Ce n'est pas sans raison que le délégué de la Fédération des Industries belges a qualifié la conclusion de l'accord «d'événement historique». Jugez plutôt étant donné la situation difficile du pays, les organisations syndicales promettent leur collaboration en vue de l'accroissement de la productivité et de l'expansion économique et, comme première mesure en ce sens, elles s'engagent vis-à-vis des patrons et de l'Etat à faire accepter la paix sociale jusqu'à la fin de 1962 par les 750 000 adhérents que groupe environ chacune d'elles.

Major souligne, il est vrai, dans son article de «Syndicats», du 21 mai (où il essaye, lui aussi, de faire passer comme un événement historique - en faveur de la classe ouvrière cette fois - la saleté qu'il vient de commettre): «L'accord laisse aux différentes professions la liberté de résoudre les questions qui demeurent pendantes pour elles et de les régler, elles peuvent de même discuter autant qu'elles le veulent dans ce sens, dans les commissions paritaires.»

Victoire encore sans doute que cette nouvelle division introduite au sein de la classe ouvrière? Mais gageons que cette maigre «liberté de résoudre les questions pendantes» aura la vie courte puisque déjà il est question de doter chaque secteur professionnel d'un accord social, modèle réduit. (Il est question, disons-nous, car M. Major, démocrate s'il en fut, a soigneusement caché, à ses acolytes du Comité National, le texte qu'il avait signé.)

Ceux qui font peine à voir, ce sont les forts en gueule de la prétendue Gauche soi-disant socialiste, eux qui s'étaient prosternés, une fois de plus, devant les caïds à l'occasion du Congrès de novembre de la F.G.T.B. qu'ils avaient salué comme un congrès de lutte.

Pourtant, de quoi se plaignent-ils? Tout comme eux, Major et sa clique ont le sens de «l'intérêt général» et de la prospérité de «notre pays», mais ces derniers sont des individus conséquents, ils veulent s'assurer les moyens de leur politique réformiste. Ils entendent, par exemple, sauvegarder les intérêts que la Belgique capitaliste possède au Congo: donc, affirmait Major au Congrès, «l'ordre doit être respecté». De même Spinoy, au congrès de décembre du parti «socialiste», rétorquait aux démagogues, partisans d'une réduction du budget de la défense nationale: «La Belgique doit être défendue en cas de guerre».

Nous ne pouvons qu'applaudir à ces paroles, car nous ne pouvons que nous réjouir lorsque le social-chauvinisme, qui prétend soutenir et guider le prolétariat, dévoile sa hideuse face de traître, et nous souhaitons qu'en Belgique, qu'en France, qu'en Italie il le fasse d'une façon aussi peu équivoque qu'en Allemagne occidentale et qu'en Angleterre. Il faut choisir: ou pour la nation et les réformes de structure, ou pour le prolétariat et l'instauration de l'Etat ouvrier; ou pour la paix capitaliste, ou pour le socialisme. L'un exclut l'autre.

L'histoire a toujours éliminé, et elle le fera encore, les éclectiques, les opportunistes - quels que soient leurs succès passagers - dont l'action revient, en fin de compte, à tenir sous l'emprise d'un parti passé à l'ennemi de classe ceux qui sans cela s'en sépareraient.

Source: «Programme Communiste», numéro 12, juillet-septembre 1960

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