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REDRESSER LES JAMBES AUX CHIENS


Content :

Redresser les jambes aux chiens
Contre-thèses et thèses historiques
Contre-thèses et thèses économiques
Contre-thèses et thèses « philosophiques »
Source


Sur le fil du temps

Redresser les jambes aux chiens

A la fin de la Seconde Guerre mondiale il était facile d’affirmer qu’il suffirait de quelques semaines pour dissiper l’illusion généreuse mais inutile et vaine de voir surgir de grands mouvements révolutionnaires armés de la classe ouvrière, correspondants à ceux de la fin de la Première Guerre.

La complexité du développement de la situation présentait deux aspects principaux que nous soulignons encore une fois. Les armées victorieuses, au lieu de se contenter de la reddition totale du principal État ennemi et de son pouvoir politique supprimaient totalement leurs fonctions et occupaient intégralement le territoire des pays vaincus en vue d’une occupation militaire indéfinie. De cela découle l’inutilité pratique d’un rapport de force favorable entre classe prolétarienne et État vaincu et l’impossibilité d’un passage rapide de l’adhésion ou de la résignation à la guerre, au défaitisme. L’autre élément était la décomposition du mouvement révolutionnaire, de la IIIème Internationale, qui commença avec une série de déviations à droite sur la tactique, à partir de 1922, à l’époque, environ, de la formation du parti en Italie; la IIIe Internationale devait par étapes successives abandonner toutes les positions révolutionnaires pour se retrouver sur le terrain des mouvements traîtres de la IIe Internationale et de la Première Guerre, et bien pire.

D’autre part, ces deux éléments du rapport de forces de l’après-guerre étaient perceptibles, non seulement dès le début de la guerre mais dès la formation de partis bourgeois totalitaires gouvernementaux dans différents pays d’Europe. La perspective certaine d’une édition nouvelle de la « guerre idéologique » s’étant établie dans le camp européen et celle d’un bloc « interclassiste » dans les camps nationaux, les déserteurs du communisme puisant leurs directives à Moscou, s’enfoncèrent dans cette orientation politique de la façon la plus dégoûtante et la plus abjecte. Si, cessant d’être classistes et communistes, ils restèrent totalitaires, et si, par manœuvre de politique militaire et étrangère, ils traversèrent une phase de flirt avec les bourgeoisies totalitaires fascistes, ce ne fut qu’une circonstance aggravante.

Une fois tirées les conclusions de ces prémisses, la phase de reprise du mouvement prolétarien, qu’il faut tenir également éloignée des vieux défauts opportunistes et de la nouvelle et bien plus paralysante vérole, ne pouvait être envisagée que sur une échelle non pas d’années mais de décennies, et la tâche des groupes qui avaient tenu et défendu la position désertée par 99 % des communistes de 1919, se révélait longue et difficile : elle commençait par un laborieux bilan du désastre contre-révolutionnaire qu’il fallait examiner, comprendre et utiliser pour une remise en ordre totale.

C’est à cela que les petites forces disponibles ont travaillé en Italie – peut-être étaient-elles encore plus limitées hors d’Italie depuis sept ans déjà – en rétablissant les données historiques et en développant le travail d’analyse qui fut résolument opposé envers et contre tout pessimisme trop enclin à conclure que, puisque les choses sont allées à un tel désastre, les principes de départ devraient, sinon dans leur totalité du moins dans une grande mesure, être abandonnés et remplacés. La revue « Prometeo » et le journal « Battaglia Comunista » ont travaillé à tenir ferme ce point de la continuité de la théorie et de la méthode d’action des communistes. Etant donné la tâche et les moyens, il était non moins évident qu’une répercussion tapageuse ne pouvait pas se produire dans la « politique italienne », ainsi que la comprennent les phraseurs de la radio et de la presse ou des haut-parleurs électoraux. Il fallait même souhaiter qu’il en soit ainsi; toute impatience grossière n’aurait fait que rendre plus long le rude chemin. Du reste, depuis un siècle, le marxisme travaille à se débarrasser des âmes sensibles à ce genre d’émotions. Et si cela arrive, même par vent contraire, c’est un bon résultat.

La base de ce travail a été le rappel des œuvres et des thèses fondamentales du mouvement, de son expérience et de son histoire depuis son surgissement, et la confrontation des faits historiques récents avec la vision originaire des marxistes. Tout ce qui a été élaboré se trouve en des lieux et des études divers avec une constante et inlassable référence aux citations nécessaires.

Notre ferme position est celle-ci : les faits nouveaux ne conduisent pas à corriger les positions anciennes ni à leur ajouter des compléments et des rectifications. La lecture des textes du début nous la faisons aujourd’hui comme en 1921 et avant; la lecture des faits postérieurs à cette date se fait de la même façon, les propositions sur la méthode d’organisation et d’action restent confirmées.

Ce travail n’est confié ni à une personne ni à un comité et encore moins à un bureau; il fait partie d’un moment et d’un secteur de travail unitaire qui se développe depuis plus d’un siècle – bien au-delà du but et de la fin de générations – et ne s’inscrit pas dans le curriculum vitae de quiconque, même pas de ceux qui ont eu de très longues périodes d’élaboration et de maturation cohérentes. Le mouvement interdit et doit interdire des initiatives improvisées et personnelles ou contingentes dans ce travail d’élaboration des textes d’orientation ainsi que des études interprétant le déroulement historique. L’idée qu’avec une petite heure, une plume et de l’encre, quelque bon enfant se mette, à froid, à rédiger des textes, que cela puisse se faire par la « base » bonne-à-tout-faire sur l’invitation d’une circulaire, ou encore par une éphémère réunion académique, officielle ou clandestine, est une idée de nigaud. Dès le départ il faut se méfier et disqualifier les résultats. Surtout si une telle prédisposition aux préceptes vient de maniaques de l’influence et de l’intervention humaine dans l’histoire. Qui intervient ? Les hommes, des hommes donnés, ou un Homme avec la majuscule ? Ce sont les hommes qui font l’histoire seulement ils ne savent pas trop pourquoi ni comment ils la font. Mais en général, tous les « soupirants » de l’action humaine, et ceux qui se moquent d’un prétendu automatisme fataliste, sont d’une part ceux qui caressent dans leur for intérieur l’idée d’avoir dans leur carcasse ce fameux Homme prédestiné; ce sont d’autre part précisément ceux qui ne peuvent rien et qui n’ont rien compris, notamment, que l’histoire ne gagne ni ne perd pas un dixième de seconde qu’ils dorment comme des loirs ou qu’ils réalisent le rêve généreux de se démener comme des possédés.

A tout exemplaire super-activiste plus ou moins autoconvaincu de ses sérieuses fonctions, de même qu’à tout sanhédrin de novateurs et de pilotes de l’avenir, nous répétons avec un cynisme glacé et sans le moindre remords : « Allez vous coucher ! ». Vous n’êtes même pas capables de remonter le réveil.

La tâche de mettre en place les thèses et de laver les cerveaux qui dévient de toutes parts, tâche qui se répète toujours là où l’on s’y attend le moins, réclame bien autre chose qu’une brève heure d’un congrès ou d’un discours. Il n’est pas facile d’établir un répertoire des lieux où l’on doit accourir pour colmater les brèches, travail évidemment tenu pour peu glorieux par ceux qui sont nés pour « passer à la postérité », non pas de façon délicate mais percutante. Nous pensons qu’un petit répertoire peut servir. Il n’est évidemment pas parfait et il peut présenter des répétitions et des inversions. Nous présentons les thèses correctes face à celles qui sont erronées : nous ne nommons pas ces dernières avec le mot antithèse, paroxyton qui se confond avec le proparoxyton antithèse homonyme qui signifie, lui, présence apposée de deux thèses différentes. Nous dirons : contre-thèses.

Pour de simples raisons d’exposition, nous divisons les questions en trois sections aux relations évidentes : Histoire, Economie, « Philosophie » (ce dernier terme entre guillemets). Nous négligeons les thèses véritables et caractéristiques des adversaires bourgeois qui s’opposent diamétralement aux nôtres et dont la réfutation est bien connue. Nous considérons comme contre-thèses les formulations avant tout erronées, prévalant depuis longtemps par mauvaise habitude et génératrices de fortes équivoques.

Contre-thèses et thèses historiques

Contre-thèse 1 :
Vers le début du XIXe siècle, la société est divisée en deux classes antagonistes : les bourgeois détenteurs des instruments de production, et les prolétaires salariés.

Thèse 1 :
Selon Marx, dans les pays complètement industrialisés, il y a trois classes : capitalistes de l’industrie, du commerce et de la banque – propriétaires fonciers (fait bien établi dans l’univers bourgeois avec le libre marché de la terre) – travailleurs salariés.

Dans tous les pays, mais surtout dans ceux où l’industrie est peu développée et au cours de la période où la bourgeoisie n’a pas encore pris le pouvoir politique, d’autres classes peuvent encore exister à des degrés divers : aristocratie féodale, artisans, paysans propriétaires.

La bourgeoisie d’abord et les salariés ensuite commencent à avoir un poids historique à une époque et dans les pays différents : Italie : XVe – Pays-Bas : XVIe – Angleterre : XVIIe – France : XVIIIe – Europe centrale, Amérique, Australie, etc. : XIXe – Russie : XXe – Asie aujourd’hui. Il en découle des aires différentes et des déploiements divers des luttes des classes.

Contre-thèse 2 :
Les prolétaires sont et se montrent indifférents à l’égard des luttes révolutionnaires de la bourgeoisie contre les pouvoirs féodaux.

Thèse 2 :
Les masses prolétariennes luttent partout sur le terrain de l’insurrection en vue d’abattre les privilèges féodaux et les pouvoirs absolus. En des pays et des époques divers, une partie centrale de la classe ouvrière voit ingénument dans les revendications bourgeoises démocratiques une conquête effective même pour les citoyens pauvres. Une autre couche considère que les bourgeois qui parviennent au pouvoir sont aussi des exploiteurs, mais elle est influencée par les doctrines du « socialisme réactionnaire » qui voudraient l’alliance, par haine des patrons, avec la contre-révolution féodale. La partie la plus avancée adopte la position correcte : entre ouvriers et patrons qui les exploitent il n’y a pas de revendications idéologiques et « civiques » communes. Mais la révolution bourgeoise est nécessaire, soit pour ouvrir la voie à l’emploi sur une grande échelle de la production par des masses coopérantes qui permet un mode de vie nouveau, une consommation et une satisfaction plus grandes pour la partie misérable de la société, soit pour rendre possible une gestion sociale, c’est-à-dire en premier temps prolétarienne, des forces nouvelles. Les travailleurs se battent donc avec la grande bourgeoisie contre la noblesse et le clergé, et même (« Manifeste ») contre la petite-bourgeoisie réactionnaire.

Contre-thèse 3 :
Lorsqu’après la victoire bourgeoise survinrent des contre-révolutions (restaurations féodales et dynastiques), la lutte n’intéressa pas les travailleurs parce qu’elle se déroulait entre leurs deux ennemis.

Thèse 3 :
Dans toute lutte armée pour la restauration (les coalitions françaises en sont un exemple) et contre elle (voir les révolutions républicaines françaises en 1830 et 1848), le prolétariat lutta et devait lutter sur les retranchements et sur les barricades aux côtés des bourgeois radicaux. La dialectique des luttes de classes et des guerres civiles démontra qu’une telle aide était nécessaire à la bourgeoisie propriétaire et industrielle pour vaincre; mais aussitôt après la victoire, elle se retourna férocement contre le prolétariat qui voulait des avantages sociaux et le pouvoir. C’est uniquement de cette façon que se succèdent révolutions et contre-révolutions; cette aide historique insurrectionnelle aux bourgeois est la condition pour pouvoir un jour les abattre, après une série de tentatives.

Contre-thèse 4 :
La classe ouvrière fut indifférente à toute guerre entre États féodaux et bourgeois, ou à toute insurrection pour l’indépendance nationale à l’égard de l’étranger.

Thèse 4 :
La formation d’États nationaux, en général de même race et de même langue, est la meilleure condition pour substituer la production capitaliste à la production médiévale; toute bourgeoisie lutte pour cet objectif avant même que la noblesse réactionnaire ne soit renversée. Cette systématisation, surtout de l’Europe, en États nationaux, constitue pour les travailleurs un passage nécessaire, car l’internationalisme, immédiatement affirmé par les tous premiers mouvements ouvriers, n’est atteint que par le dépassement du localisme de production, de consommation et de revendications, caractéristique de l’époque féodale. En conséquence, le prolétariat, dans son intérêt de classe lutte pour la liberté de la France, de l’Allemagne, de l’Italie, des États balkaniques, jusqu’en 1870, époque où ce processus peut être considéré comme achevé. Tandis que dure l’alliance dans l’action armée, la différenciation des idéologies de classe se développe et les travailleurs se soustraient aux idéologies nationales et patriotiques. Les Victoires contre la Sainte-Alliance, contre l’Autriche en 1859 et 1866, et enfin contre Napoléon III lui-même en 1870 sont particulièrement intéressantes pour l’avenir du mouvement prolétarien; de même celles contre la Turquie et la Russie; par contre, les défaites étaient des conditions négatives (Marx, Engels dans toutes leurs œuvres; thèse de Lénine sur la guerre de 1914). Tous ces critères s’appliquent àl’« Orient » moderne.

Contre-thèse 5 :
A partir du moment où, sur un ou des continents peuplés par la race blanche, les bourgeois sont au pouvoir, les guerres sont des guerres de rivalité impérialiste; non seulement aucun mouvement ouvrier n’a d’intérêts solidaires avec le gouvernement en guerre, et poursuit la lutte des classes jusqu’au défaitisme, mais l’issue elle-même de la guerre, quelle qu’elle soit, n’a pas d’influence sur les développements futurs de la lutte de classes et de la révolution prolétarienne.

Thèse 5 :
D’après Lénine, à partir de 1871 et après la période de capitalisme « pacifique », les guerres sont impérialistes : leur acceptation idéologique est trahison; en 1914, tant dans les pays de l’Entente que dans les pays allemands, chaque parti ouvrier révolutionnaire devait œuvrer contre la guerre et la transformer en guerre civile, en exploitant surtout la défaite militaire.

Toute alliance au cours d’actions armées régulières ou irrégulières avec les bourgeois étant exclue, le problème des divers effets des solutions militaires ne cesse pas d’être examiné, et il est vain de soutenir que les conséquences d’interventions contrariantes n’ont aucun rôle au sein de si grandes forces qui se heurtent. De façon générale, on peut dire que la victoire militaire des États bourgeois les plus vieux, les plus riches et les plus stables socialement et politiquement constitue la solution la plus défavorable pour le prolétariat et sa révolution. Il existe un lien direct entre le déroulement favorable de la lutte prolétarienne depuis 150 ans, ce qui est au moins le triple du temps évalué par le marxisme et la victoire constante de la Grande-Bretagne dans les guerres contre Napoléon, contre l’Allemagne ensuite. Le pouvoir bourgeois anglais est désormais stable depuis trois siècles. Marx éprouva une grande confiance dans la guerre civile américaine, mais elle-même n’eut pas pour résultat la formation d’une force capable de battre l’Europe : elle fut un contrefort de la puissance anglaise, puis devint graduellement le centre à travers toutes les guerres menées en commun et non à la suite d’un conflit direct.

En 1914, Lénine indiqua clairement que la solution la plus favorable résidait dans la défaite militaire des armées du tsar qui rendrait possible l’explosion du heurt de classe en Russie; et il lutta de toutes ses forces contre la considération que l’hypothèse la plus mauvaise serait la victoire allemande sur les Anglo-Français, tout en flétrissant avec une force égale les social-chauvins germaniques.

Contre-thèse 6 :
La Révolution russe n’eut pas d’autre caractère que celui de l’éclatement de la révolution prolétarienne au point où les bourgeois étaient les plus faibles, et à partir duquel la lutte put s’étendre aux autres pays.

Thése 6 :
Il est évident que la révolution prolétarienne ne peut vaincre qu’internationalement, et qu’elle peut et doit commencer partout où le rapport des forces est le plus favorable; la thèse selon laquelle la révolution doit commencer dans les pays de haut développement capitaliste, et ensuite dans les autres pays étant totalement défaitiste. Mais, pour combattre la position opportuniste, la conception marxiste du moment historique est bien différente.

En 1848, Marx considère que malgré les violentes luttes chartristes la révolution de classe n’explosera pas à partir de l’Angleterre industrielle. Il pense que le prolétariat français peut livrer bataille en greffant sa lutte sur la révolution républicaine. Il considère surtout comme point d’appui la double révolution en Allemagne, où sont encore au pouvoir les institutions féodales; il esquissa même la manœuvre du prolétariat allemand avec des dispositions politiques précises : d’abord avec les libéraux et les bourgeois, immédiatement après leur tomber dessus.

Pendant vingt ans au moins et surtout après 1905, où le prolétariat russe apparut sur le terrain en tant que classe, les bolcheviks travaillent en Russie avec une perspective similaire. Elle s’appuie sur deux éléments : décrépitude des institutions féodales qui (sans tenir compte de la couardise de la bourgeoisie) seront attaquées – nécessité de la défaite qui, comme celle contre le Japon, procure la seconde occasion.

Le prolétariat et son parti, bien reliés doctrinalement et organisationnellement aux partis des pays depuis longtemps bourgeois, se fixent la tâche suivante : prendre en charge la lutte pour la révolution libérale contre le tsarisme et pour l’émancipation paysanne contre les boyards et donc la prise du pouvoir par la classe ouvrière russe.

De nombreuses révolutions furent battues au cours de l’histoire : les unes pour n’avoir pas réussi à prendre le pouvoir; d’autres à la suite d’une répression armée qui les renversa (Commune de Paris); d’autres, sans répression militaire mais par destruction de la trame sociale (Communes bourgeoises italiennes). En Allemagne, la double révolution emporta militairement (davantage socialement) le premier obstacle, et succomba sur le deuxième. En Russie, la double révolution surmonta les deux obstacles militaires de la guerre civile, passa le premier obstacle économico-social, échoua devant le second, c’est-à-dire celui du passage du capitalisme au socialisme, bien qu’il n’y ait pas eu d’invasion de l’étranger, mais à la suite de la défaite prolétarienne internationale à l’extérieur de la Russie (1918–1923). Aujourd’hui les efforts du pouvoir russe ne s’orientent pas vers le socialisme, mais vers le capitalisme, dans une marche révolutionnaire vers l’Asie.

L’évolution historique qui pouvait avoir pour centre l’Allemagne de 1848 ou la Russie de 1917 ne peut pas se renouveler, probablement, en tant que bouleversement national interne : il n’est pas pensable, en effet, que la Chine, par exemple, puisse avoir une influence mondiale analogue, d’autant plus qu’elle est en train de passer du stade féodal au stade bourgeois.

Pour commencer localement la nouvelle phase révolutionnaire, le point faible pouvait, depuis lors, provenir seulement d’une guerre perdue dans un pays capitaliste.

Contre-thèse 7 :
La formation de systèmes totalitaires de gouvernement dans les pays capitalistes n’a rien à voir avec les contre-révolutions restauratrices des thèses 2 et 3, mais est une conséquence prévisible de la concentration économique et sociale des forces de production; l’adoption de la méthode de la lutte partisane et la croyance en la nécessité d’un bloc prolétarien-bourgeois en vue de restaurer le libéralisme en économie et en politique est une rechute dans la trahison; appuyer en cas de conflit entre États bourgeois le groupe adverse à celui qui se propose d’attaquer la Russie, afin de défendre un régime qui, quoi qu’il en soit, dérive d’une victoire prolétarienne, est une position erronée. C’est bien clair, mais en dépit de tout cela, on ne devait attribuer aucune influence aux solutions de la Seconde Guerre mondiale sur les perspectives prolétariennes de classe et de reprise révolutionnaire.

Thèse 7 :
Le problème historique n’est pas épuisé lorsqu’on affirme que toute appréciation de la guerre en tant que « croisade », que conflit idéologique entre démocratie et fascisme était aussi néfaste que celle qui se fondait en 1914 sur les raisons de liberté, civilisation et nationalité. De tels objectifs de propagande cachent des deux côtés l’objectif de conquête de marchés et de puissance économique et politique; c’est juste mais insuffisant. La fin du capitalisme n’adviendra que sous la forme d’une série d’explosions des systèmes unitaires que sont les États territoriaux de classe : tel est le processus à individualiser, et, si possible, à accélérer; à l’époque des guerres impérialistes il est exclu qu’on puisse l’accélérer par l’entremise d’une solidarité prolétarienne politique et militaire. Mais il n’en est pas moins important de le déchiffrer et d’y ajuster la stratégie de l’Internationale des partis révolutionnaires. A une telle ligne de principe la politique russe a substitue la manœuvre d’État cynique d’un nouveau système de pouvoir et cela démontre qu’il fait partie de la constellation capitaliste mondiale. La classe prolétarienne devra remonter la pente a partir de là. La première étape est : comprendre.

Au début de la guerre, l’État de Moscou passe un accord avec celui de Berlin. On ne diffusera jamais assez la critique de ce tournant historique accompagné par la mobilisation des arguments marxistes sur la nature impérialiste et agressive de la guerre de Londres et de Paris, à laquelle les partis soi-disant communistes des pays des deux blocs sont invités à ne pas participer.

Deux années plus tard, l’État de Moscou s’alliait à ceux de Londres, Paris et Washington, et inversait toute la propagande pour démontrer que la guerre contre l’Axe n’était pas une campagne impérialiste mais une croisade idéologique pour la liberté et la démocratie.

Il est de la plus grande importance pour le mouvement prolétarien non seulement d’établir que dans les deux périodes les directives révolutionnaires ont été abandonnés, mais encore d’évaluer le fait historique qu’avec le second mouvement l’État russe, tout en gagnant forces et ressources pour son développement capitaliste interne, a contribué à l’issue conservatrice de la guerre en évitant par un apport énorme de forces militaires une catastrophe au moins pour le centre étatique de Londres, sortant indemne pour la énième fois, de la tourmente guerrière. Une telle catastrophe était une condition extrêmement favorable pour un écroulement des autres États bourgeois et, en commençant par Berlin, pour un incendie de l’Europe.

Contre-thèse 8 :
Dans l’antagonisme actuel entre Amérique et Russie (avec leurs satellites respectifs), il n’y a rien d’autre à voir que deux impérialismes qu’il faut combattre au même titre, en excluant que l’une ou l’autre solution – ou celle d’un compromis durable – détermineraient de grandes diversités de conditions pour la reprise du mouvement communiste et pour la révolution mondiale.

Thèse 8 :
Poser une telle équivalence et si cela ne se limite pas à condamner tout appui aux États dans l’éventualité d’une troisième guerre, toute action partisane des deux côtés, et toute renonciation à des actions défaitistes intérieures et autonomes du prolétariat, là où il en aurait la possibilité, est non seulement insuffisant mais insensé. On ne pourra jamais avoir une vision de la voie par où arrive la révolution mondiale (vision nécessaire même quand l’histoire éloigne les possibilités favorables, et sans laquelle n’existe pas de parti marxiste) sans poser la question de l’absence d’une lutte de classes révolutionnaire entre capitalistes et prolétaires américains, anglais aussi, là où l’industrialisation est la plus puissante. La réponse à cette question ne peut être séparée de la constatation de la réussite de toutes les entreprises et de l’exploitation du reste du monde.

Deux blocs sont apparus : dans l’un les systèmes de pouvoir en Amérique et en Angleterre n’ont d’autre exigence que la conservation du capitalisme mondial; ils y sont préparés par une longue force vive historique de mouvement dans une même direction et vont d’un pas mesuré vers le totalitarisme social et politique (autre inévitable prémisse du heurt antagoniste final); dans les satellites de ce bloc nous avons un régime bourgeois avancé; dans l’autre bloc, les conditions sont à l’opposé : nous trouvons les territoires européens et extra-européens où la bourgeoisie plus récente lutte encore socialement et politiquement contre les restes féodaux; les formations étatiques y sont jeunes et de structure moins solide; ce bloc est en outre réduit à utiliser l’illusion démocratique et collaborationniste des classes à l’extérieur seulement; il a déjà brûlé toutes les ressources de gouvernement unipartite et totalitaire, abrégeant ainsi le cycle. Il entrera évidemment en crise dès que croulera le formidable système capitaliste qui a pour centre Washington qui contrôle les cinq sixièmes de l’économie mûre pour le socialisme ainsi que les territoires où existe un prolétariat pur.

La révolution ne pourra passer que par une guerre civile à l’intérieur des États-Unis; une victoire de ceux-ci dans la guerre mondiale l’ajournerait pour une période mesurable en demi-siècles.

Puisque le mouvement marxiste non dégénéré est aujourd’hui infime, sa tâche ne peut être de demander à des forces importantes de rompre du dedans l’un ou l’autre système. Il s’agit en premier lieu de réunir sur des points fondamentaux, les groupes prolétariens (encore si petits) qui comprennent à quel point en 30 ans la politique de Moscou et des partis qui sont avec Moscou, a contribué à cette consolidation de la puissance capitaliste dans les systèmes hautement organisés, en créant, d’abord par une politique fausse, et directement ensuite par l’apport de millions et de millions de morts, les principaux moyens contribuant au succès de la sujétion criminelle des masses à la perspective de bien-être et de liberté en régime capitaliste et dans la « civilisation occidentale et chrétienne ».

La manière dont le prolétariat encadré par Moscou la combat à l’intérieur des pays atlantiques, est pour cette civilisation maudite, le meilleur succès et le plus sûr garant; et cela, malheureusement, même dans le cadre des prévisions sur l’issue d’une attaque militaire qui pourrait être portée par l’Orient.

Contre-thèses et thèses économiques

Contre-thèse 1 :
Le cycle du développement de l’économie capitaliste va vers une dépression continue du niveau de vie des travailleurs, à qui il n’est laissé seulement que ce qui suffit à entretenir l’existence.

Thèse 1 :
La doctrine de la concentration de la richesse en unités toujours plus grandes en volume et plus petites en nombre demeurant intacte, la théorie de la misère croissante ne signifie pas que le système de production capitaliste n’ait pas énormément augmenté la production des biens de consommation en cercles clos et en augmentant progressivement la satisfaction des besoins pour toutes les classes. La théorie marxiste signifie que, ce faisant, l’anarchie de la production bourgeoise gaspille les neuf dixièmes des énergies centuplées, qu’elle exproprie impitoyablement toutes les couches moyennes détentrices de petites réserves de biens utiles, et qu’elle augmente donc énormément le nombre de sans-réserves qui consomment au jour le jour leur rémunération. De telle sorte que la majorité de l’humanité est sans défense contre les crises économiques, sociales et les destructions épouvantables de la guerre inhérentes au capitalisme, sans défense aussi contre sa politique prévue depuis un siècle déjà de dictature exaspérée de classe.

Contre-thèse 2 :
Le capitalisme est dépassé dès lors qu’on parvient à attribuer au travailleur la part de plus-value qui lui est soustraite (fruit intégral du travail).

Thèse 2 :
Le capitalisme est dépassé quand on a rendu a la collectivité laborieuse, non la part du profit sur les dix pour cent consommés, mais les quatre-vingt-dix pour cent dilapidés par l’anarchie économique. Ceci n’est pas obtenu par une comptabilité différente des valeurs échangées, mais en ôtant aux biens de consommation le caractère de marchandises, en abolissant le salaire en monnaie; et en organisant centralement l’activité productive générale.

Contre-thèse 3 :
Le capitalisme est dépassé par une économie où les groupes de production ont le contrôle et la gestion des entreprises qui traitent librement entre elles.

Thèse 3 :
Un système d’échange mercantile entre entreprises libres et autonomes, tel qu’il peut être soutenu par les coopérativistes, syndicalistes, libertaires, n’a aucune possibilité historique et n’a aucun caractère socialiste. Il est même rétrograde par rapport a de nombreux secteurs déjà organisés à une échelle générale a l’époque bourgeoise, comme le nécessitent les procédés techniques et la complexité de la vie sociale. Socialisme, ou communisme, veut dire que la société toute entière est l’association unique des producteurs et des consommateurs. Tout système d’entreprise conserve le despotisme interne de fabrique et l’anarchie dans l’utilisation de la force de travail qui est aujourd’hui utilisée au moins au décuple du nécessaire.

Contre-thèse 4 :
Une direction de l’économie par l’État et une gestion étatique des entreprises, même si ce n’est pas le socialisme, modifie toutefois le caractère du capitalisme tel que Marx l’étudia, transforme donc la perspective de son écroulement et détermine une troisième forme non prévue du post-capitalisme.

Thèse 4 :
La neutralité économique de l’État politique n’a été qu’une revendication des bourgeois contre l’État féodal. Le marxisme a démontré que l’État moderne ne représente pas la société entière, mais la classe capitaliste dominante; de plus, dès la première page, il a dit que l’État est une force économique dans les mains du capital et de la classe des entrepreneurs. Dirigisme et capitalisme d’État sont des formes ultérieures de sujétion de l’État politique au capitalisme d’entreprise. Ils délimitent l’antagonisme final prévu et exacerbé des classes, qui n’est pas un heurt de nombres statistiques, mais de forces physiques : le prolétariat organisé en parti révolutionnaire contre l’État constitué.

Contre-thèse 5 :
Étant donné la forme imprévue de l’économie, le marxisme, s’il veut rester valide, doit chercher une troisième classe, qui n’est pas le prolétariat, mais qui arrive au pouvoir après la bourgeoisie, groupe humain des détenteurs de capital, aujourd’hui disparu. Cette classe, qui est celle qui gouverne et possède des privilèges en Russie, c’est la bureaucratie. Ou bien, comme on le soutient pour l’Amérique, cette classe est celle des managers, c’est-à-dire des dirigeants techniques et administratifs des entreprises.

Thèse 5 :
Tout régime de classe a eu sa bureaucratie, administrative, judiciaire, religieuse, militaire dont l’ensemble est un instrument de la classe au pouvoir, mais dont les composants ne constituent pas une classe, puisque la classe est l’ensemble de ceux qui se trouvent dans la même relation avec les moyens de production et de consommation. La classe des propriétaires d’esclaves avait déjà commencé à se désagréger, ne pouvant plus nourrir ses propres serfs (« Manifeste ») alors que la bureaucratie impériale régnait encore, luttait contre la révolution anti-esclavagiste et la réprimait sanguinairement. Les aristocrates avaient depuis longtemps connu misère et guillotine, que les réseaux d’État militaires et cléricaux luttaient encore pour l’Ancien Régime. La bureaucratie en Russie n’est pas définissable sans une coupure arbitraire entre les gros bonnets et le reste : en capitalisme d’État tous sont bureaucrates. Cette prétendue bureaucratie russe, et, de son côté, la manageriale classe américaine, sont des instruments sans vie et sans histoire propre, au service du capital mondial contre la classe ouvrière. Les limites auxquelles tend l’antagonisme de classe correspondent à la perspective marxiste des faits économiques, sociaux et politiques, et à nulle autre vieillerie; encore moins à des constructions neuves, fruit de l’atmosphère enténébrée actuelle.

Contre-thèses et thèses « philosophiques »

Contre-thèse 1 :
Puisque au sein de la société actuelle les intérêts économiques déterminent les opinions de chacun, le parti bourgeois représente les intérêts capitalistes, celui composé d’ouvriers, le socialisme. Tout problème se résout donc par une consultation, non de tous les citoyens, ce qui est un mensonge démocratique bourgeois, mais de tous les travailleurs qui se trouvent dans une même situation d’intérêts, et dont la majorité voit clairement son avenir général.

Thèse 1 :
A chaque époque, les opinions dominantes, la culture, l’art, la religion, la philosophie, sont déterminés par la situation des hommes par rapport à l’économie productive et par les rapports sociaux qui en découlent. En conséquence, chaque époque, surtout à son apogée et à la plénitude de son cycle, voit tous les individus tendre vers des opinions qui non seulement ne proviennent pas de l’éternelle vérité ou des lumières de l’esprit, mais qui sont éloignées de l’intérêt même de l’individu, de la catégorie ou de la classe, pour être dans une large mesure modelées sur les intérêts de la classe dominante et des institutions qui leur conviennent.

Ce n’est seulement qu’après un long et pénible affrontement des intérêts et des besoins, après de longues luttes physiques provoquées par les oppositions de classe, que se forme une opinion nouvelle et une doctrine propre à la classe assujettie qui attaquent les raisons de défense de l’ordre établi et en annoncent la destruction violente. Ce n’est que longtemps après la victoire physique, prélude à un long démantèlement des influences et des mensonges traditionnels, que seule une minorité de la classe intéressée est en mesure de se placer avec sûreté sur la voie d’un nouveau cours.

Contre-thèse 2 :
L’intérêt de la classe détermine la conscience de classe, et la conscience détermine l’action révolutionnaire. On comprend par renversement de la praxis le heurt entre la doctrine bourgeoise selon laquelle chaque citoyen doit se faire une opinion politique pour des raisons idéales ou culturelles, et selon laquelle il doit agir même contre son intérêt de groupe, et la doctrine marxiste selon laquelle les intérêts de groupe et de classe dictent à chacun son opinion personnelle.

Thèse 2 :
Le renversement de la praxis selon la vision exacte du déterminisme marxiste signifie ceci : tandis que chaque individu agît suivant des déterminations du milieu (qui ne sont pas seulement les besoins physiologiques mais aussi toutes les influences innombrables des formes traditionnelles de production), et seulement après avoir agi, tend à avoir une « conscience » plus ou moins imparfaite de son action et des motifs de celle-ci; tandis que cela se produit aussi dans les actions collectives qui surgissent spontanément et sous l’effet des conditions matérielles avant de devenir des formulations idéologiques, le parti de classe regroupe les éléments avancés de la classe et de la société qui détiennent la doctrine du développement à venir. C’est donc seulement le parti, non par arbitraire ou sous l’effet des enthousiasmes émotifs, mais en procédant rationnellement, qui est un élément actif d’intervention que, dans le langage des philosophes de profession on appellerait « conscient » et « volontaire ». Conquête du pouvoir de classe et dictature sont des fonctions du parti.

Contre-Thèse 3 :
Le parti de classe construit la doctrine de la révolution, et sous l’effet d’événements et de situations nouveaux, la transforme selon les nécessités nouvelles et les exigences de la classe ou de ses tendances.

Thèse 3 :
Une lutte historique de révolution de classe et un parti qui la représente sont des faits réels et non une illusion doctrinale dans la mesure où le corps de la théorie nouvelle (qui n’est rien d’autre que la discrimination des lignes des événements non encore survenus mais dont il est possible d’individualiser les conditions et les prémisses dans la réalité antérieure), dans la mesure où ce corps a été formé quand la classe est apparue historiquement au sein d’une disposition nouvelle des formes de production sociale. La continuité, dans le champ le plus ample possible de temps et d’espace, de la doctrine et du parti de classe est la preuve de la justesse de la prévision révolutionnaire.

A chaque défaite physique des forces de la révolution répond une période d’égarement qui prend la forme de révision des chapitres du corps théorique, sous le prétexte de faits et d’événements nouveaux.

Tout le tracé révolutionnaire sera valable seulement quand, et seulement si, dans le cours achevé, se confirme qu’après chaque affrontement perdu, les forces se reconstituent sur la même base et sur le même programme qui fut établi lors de la « déclaration de guerre de classes » (1848).

Toute tentative de constructions nouvelles et différentes de la théorie – ainsi que le démontre non pas une élucubration philosophique ou scientifique mais une somme d’expériences historiques tirées de la lutte séculaire du prolétariat moderne – équivaut pour les marxistes à un aveu de défection.

• • •

Les éclaircissements sur ces aperçus synthétiques se trouvent répartis dans de nombreux écrits de parti, et comptes rendus de conférences et de réunions.

Le frein mis aux improvisations dangereuses ne signifie pas que l’on puisse se représenter un tel travail comme un monopole ou une exclusive aux mains de qui que ce soit.

Il est possible d’ordonner les arguments avec plus de soins et d’énoncer l’argumentation avec une clarté et une efficacité plus grandes. Il est possible par l’activité et l’étude de faire mieux au cours de sept autres années et à raison de sept heures par semaine.

Si entre-temps des brûleurs d’étapes se manifestent à foison, il conviendra de dire – comme nous le fîmes au froid Zinoviev – qu’il en est venu de ces hommes qui apparaissaient tous les cinq cent sans et, lui, il pensait à Lénine.

Nous attendons qu’ils soient embaumés. Nous ne sommes pas en mesure de faire comme eux.


Source : « Battaglia Comunista », numéro 11, 1952.

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