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FABLE SOCIALISTE A LA MANIÈRE D’ESOPE


Content :

Fable socialiste a la manière d’Esope
1870 – 1910
1910 – 1914
1914 – 1918 : guerre
1919 – 1922
Source


Sur le fil du temps

Fable socialiste à la manière d’Esope

Celui qui, parce qu’il manque totalement par nature de « sensibilité » aux événements, la puise dans la grande presse, laquelle surveille avec vigilance tout bruissement d’un vent nouveau, apprendra qu’avec l’arrivée du printemps, si nous n’avons pas l’ouragan de la guerre mondiale, nous serons charmés par le zéphyr des élections administratives. A l’aune des expériences du mouvement prolétarien en Italie, le parfum d’une telle brise nous ferait plutôt songer à l’haleine chargée qui émane des bouches d’égout laissées ouvertes.

Et puisque la jeune génération a peu d’éléments sur ce problème, nous ressortirons pour l’occasion une vieille histoire, une fable aus alten Zeiten, des temps anciens, en l’étendant avec une patience de pédant sur le fil chronologique, indigeste aux charlatans de l’actualité concrète.

1870 – 1910

La douce cité italienne d’Azzuria ne possédait pas de fort mouvement prolétarien, bien qu’elle eût été le siège d’une des premières sections de l’Internationale et le théâtre d’agitations violentes lors des phases aiguës de l’époque du roi Humbert 1er. De petits groupes, parmi lesquels ne manquaient pas des hommes cultivés et profondément engagés, y avaient commencé la diffusion du socialisme marxiste avec des résultats appréciables, même si les syndicats et le parti socialiste n’étaient pas quantitativement très forts.

C’est en 1900 que débuta l’étrange maladie des « campagnes morales ». A la suite d’écrivains et de groupes radicaux bourgeois, on éleva à la hauteur d’un problème prédominant la question de l’honnêteté dans l’administration publique locale, on transforma en méthode centrale celle de l’assainir avec l’aide de l’État et en théorème fondamental le théorème suivant : à capitalisme plus évolué et répandu, correction plus grande; tandis que le théorème marxiste est : à plus de capitalisme, plus de pourriture.

On proclama (avec une de ces si nombreuses manifestations du mal opportuniste qui se déclare à toutes les époques et sous tous les cieux) révolution, socialisme, lutte de classe : nous renvoyons provisoirement tout cela à plus tard, puisqu’il s’agit de garantir et d’assurer des conditions « préalables » – laissons de côté les questions de « principe », et tâchons de donner à la grande masse (histoire vieille comme Hérode que celle d’aller aux masses) ce qui correspond à ses exigences réelles luttes en faveur de programmes « locaux » et « économiques », union de tous les « honnêtes gens » contre les « voleurs de l’argent public ». Bref, la révolution réduite, comme dans une stupide chanson politique française, à la « révolte contre tous les coquins ! ».

Donnons à l’avance la… morale de la fable. Le brillant passage de la doctrine à la pratique, de l’internationalisme au problème local, du programme maximal à la propreté administrative, s’il fait litière de la doctrine, de l’internationalisme et du socialisme, ne vaut pas trois sous falsifiés en matière de solution aux « questions techniques », de chasse aux concussionnaires et de nomination d’administrateurs d’une grande intégrité, « à quelque parti qu’ils appartiennent ». La réalité, c’est la démangeaison irrésistible du succès électoral et le peu d’amour propre de la nouvelle vague de candidats, et plus au fond encore, la poussée économique à exploiter les avantages spéculatifs que ceux qui obtiennent les sièges distribuent aux cliques qui les soutiennent, en dédommagement de leur travail d’agents électoraux.

La critique de l’orientation abstraite et théorique chez les marxistes « purs », qui n’admettent pas de fins éthiques dans la lutte sociale, ne tourne donc le dos à l’amoralisme doctrinal que pour se jeter dans les bras de l’immoralité concrète… Mais nous avons promis de raconter l’historiette véritable.

En 1900, en soutenant la candidature de l’avocat radical Paon dans une circonscription urbaine contre le libéral Pie, le journal socialiste « Fede » met à nu les vols de l’administration communale que ce dernier dirigeait selon une orientation libérale. Pie tombe, et, dans un célèbre procès où le journal était poursuivi, pour diffamation, il est condamné : succès socialiste retentissant, le procureur du Roi se lève pour demander l’acquittement de la feuille.

Le système connaît alors un grand succès populaire : c’est ainsi que le petit journal républicain Frigio l’adopte et que monsieur Ane tombe moralement.

Même si les socialistes, aux élections administratives de 1902, présentent de façon intransigeante leur propre liste qui gagne la minorité, ils se trouvent, dans cette première phase, aux côtés des cléricaux-modérés, qui chassent les administrateurs libéraux, liquidés également par une célèbre enquête menée par un fonctionnaire envoyé par Giolitti, sur les méfaits causés à la commune.

Très vite, nous verrons que la même manie localiste et moraliste prendra pour cible la nouvelle administration de droite, soit en profitant de la vague d’anticléricalisme alors à la mode, soit en taxant comme d’habitude de voleurs et d’incapables le maire et ses adjoints de l’époque, alors qu’ils furent peut-être parmi ceux qui inspirèrent le moins de dégoût à la malheureuse Azzuria.

Il faut cependant faire la relation avec les vicissitudes du socialisme en Italie. C’est aux alentours de 1907 que se déroule la bataille de tendances entre réformistes et syndicalistes révolutionnaires : ces derniers quittent le parti au Congrès de Florence, en raison surtout de leur refus de l’activité électorale. Le gros des socialistes napolitains, ainsi que le journal « Fede », sort du parti et forme le Groupe syndicaliste qui contrôle l’organisation syndicale et appelle la Chambre syndicale, à la française, Bourse du Travail. Peu d’éléments restent dans la Section socialiste.

C’est ici que débute l’étrange épisode des manœuvres de la Franc-maçonnerie : celle-ci, qui avait de nombreux liens avec les parlementaires libéraux incriminés comme voleurs, se place au centre de la campagne morale contre la Municipalité cléricale-modérée; et pour créer le grand « Bloc populaire », elle commence à pénétrer la section du Parti Socialiste, et, ce qui est plus important, la Bourse du Travail et le Groupe syndicaliste ! Premier succès : celui qui gagne avec éclat dans la circonscription la plus prolétarienne de la ville, aux élections politiques de 1908, c’est monsieur Sanglier, alors socialiste de gauche et personnellement ennemi de la Franc-maçonnerie : mais cette dernière paye le loyer du cercle électoral et verse mille lires (qui n’étaient pas encore dévaluées de trois-cent fois) pour la campagne.

Les élections administratives de 1910 approchent. Les « syndicalistes » extrémistes de la Bourse du Travail, qui avaient quitté le parti par « anti-électoralisme » et au moins (on disait ainsi alors) par « a-életionnisme », votent l’adhésion au Bloc, bien qu’en excluant les partis « non extrêmes » et le parti libéral et démocratique (les voleurs de 1900). Le comble : le Groupe syndicaliste y adhère mais pour dire la vérité, une minorité se rebelle, et à la tète de celle-ci se trouve le génial et vif professeur Singe, qui, au Congrès de Bologne, attaque « ces syndicalistes qui ont mis les organisations ouvrières à la remorque d’un populisme maçonnique ambigu, duquel certaines gens, qui en sont les chefs, ont tiré des avantages et des bénéfices personnels ». Ces claires paroles (ah, comme tu chantais bien !), rapportées par la presse de Bologne et de Rome, suscitent, dans « Fede », une protestation indignée de la part des conseillers municipaux appartenant au bloc et élus également à cette époque par la minorité, qui défient Singe de dévoiler les noms afin qu’ils puissent porter plainte pour défendre leur respectabilité personnelle.

1910 – 1914

En 1911, bien que les élections soient encore lointaines, la Franc-maçonnerie décide de fonder à Azzuria le « Bloc permanent ». C’était la belle époque du Grand Maître Nathan et du Bloc capitolin, réprimande. civile à la Rome des Papes; et il parait que le petit roi Victor était un « 33 ». Rejoignent le bloc permanent, non seulement le Groupe syndicaliste et la Bourse du Travail, mais aussi la Section socialiste, conquise par la tendance réformiste.

Un nouveau réactif est ici introduit dans cette composition chimique trouble : la guerre de Tripoli éclate, et elle est soutenue par Giolitti et par tous les partis bourgeois, sauf le socialiste et quelques républicains comme monsieur Chouettes Un effort d’attention. Les syndicalistes participant au bloc d’obédience maçonnique se lancent dans une importante campagne contre l’entreprise de Tripoli, qui culmina dans un procès célèbre; Singe, l’anti-bloc et l’anti-maçon, délire d’enthousiasme pour l’entreprise coloniale de la bourgeoisie italienne, et fonde la doctrine de l’impérialisme marxiste, selon laquelle les prolétaires doivent aider le capitalisme à se diffuser par les armes dans le monde des peuples de couleur, puisque cela représentait la seule voie vers le socialisme !

Nous craignons de ne pas être compris et nous sommes presque certains de passer pour des imbéciles nés. Ça c’est de la politique, ça c’est la vie, par Pieu ! Que celui qui peut lancer la première pierre à Singe ou aux autres sorte des rangs !

Et divers socialistes d’Azzuria siégeant au Conseil Municipal chantent des hymnes à la louange de « Tripoli, belle terre d’amour » – l’un d’eux, on ne peut plus maçon et Vénérable de la Loge des « Fils de Garibaldi » (après trente ans, nous en avons eu les… petits-fils), parle dans la ville voisine de Ferria, l’insigne tricolore à la boutonnière (quel précurseur ! et nous qui sortions de nos gonds, quels imbéciles !) et déclame la Chanson des Dardanelles de D’Annunzio. Il n’est pas chassé du parti (la Dardanelle, c’est moi).

La section socialiste est manipulée, dans ses assemblées, de façon si visible par les maçons et par un de leurs séides préposé à ce travail, que les éléments de gauche s’en vont et forment le Cercle Socialiste Karl Marx qui en appelle au parti. Et c’est ici qu’arrive le plus beau : sous les auspices de la Franc-Maçonnerie et au nom du Bloc, les syndicalistes et les réformistes, tripolitains et anti-tripolitains, se réunissent dans la Fédération Socialiste. Afin de ne pas être exclue du parti, utilisant un vieil expédient classique, elle vote au congrès socialiste de Reggio Emilia pour la tendance… révolutionnaire intransigeante qui gagne, avec Mussolini. Pendant ce temps, le bloc s’aventure bien plus loin que les partis extrêmes : il repêche le tristement célèbre libéral Ane, fait une cour pressante auprès de Giovanni Giolitti pour qu’il cesse de soutenir l’administration cléricale par l’intermédiaire de ses préfets, s’entend dire par le « Giornale d’Italia » : « Ce n’est plus désormais le fameux bloc maçonnique syndicaliste, avec ses alliances secrètes bovines et asines, qui peut enseigner la correction politique… ». Qui était monsieur Bœuf ? Nous allons l’apprendre immédiatement. Bœuf père meurt en 1912 et Bœuf fils se présente dans sa circonscription. La droite cléricalisante présente contre lui le grand avocat Rossignol.

Ce fut une lutte électorale intéressante. Les « socialistes » déclarent par un manifeste qu’ils « s’abstiennent » après avoir expliqué que Bœuf est démocrate et anticlérical, et Rossignol le défenseur des bourgeois (pour l’histoire, ce dernier exerçait normalement sa profession libérale, alors que l’autre était lié à la pègre). Même l’« Avanti ! » de Milan s’étonne de cela, et aussi du désaveu de la candidature Todeschini présentée par les socialistes du Cercle Karl Marx. Ce fut une belle lutte électorale, et si nous nous risquons à le dire, c’est parce que la propagande fut très importante, qu’un bon paquet de torgnoles furent échangées et tout ça pour treize voix !

Autre épisode typique en 1913 : il s’agit d’une agitation, qui en arriva à de vifs accrochages de rue, contre la « Loi du cadenas » avec laquelle le gouvernement de Giolitti aggrava les taxes de la commune d’Azzuria. L’« Avanti ! » dût à nouveau se fâcher : le magnifique comité de « Front unique » qui dirigeait le mouvement (et qui, comme tous les comités de Fronts Uniques de l’histoire passée et future, le brisa après l’avoir exploité, sans qu’il soit parvenu aucunement à son objectif de faire retirer la loi, malgré la modestie de cet objectif) était le suivant : Pour le Commerce, Union Commerciale Humbert Ier, Parti démocratique constitutionnel, Association des employés, Bourse du Travail, Union radicale, Association républicaine, Société Centrale ouvrière, Groupe syndicaliste, Fédération socialiste, Socialistes réformistes, Union des matériaux de construction, Cercle Ferrer, Liberté et Justice. Nous avons donné la liste complète parce qu’elle nous semble un beau petit modèle ante litteram de cette union de tous les Italiens honnêtes, a laquelle les partis extrêmes de 1951, ceux de Togliatti et de Nenni, sont prêts. Quant aux adhérents du Cercle Karl Marx, ils attaquèrent à fond le comité et encaissèrent quatre-vingt-quinze pour cent des coups de nerf de bœuf démocratiques distribués par les sbires de Giolitti.

Nous en sommes maintenant aux élections générales politiques de 1913. Qu’on prenne note : le parti socialiste avait déjà décidé l’intransigeance, avec des candidatures dans toutes les circonscriptions. Que se passe-t-il à Azzuria ? La Fédération, devenue Union socialiste après de longues négociations avec la direction du parti, et d’inutiles enquêtes de cette dernière, présente une seule candidature de ses inscrits, celle du professeur Mulet, en ville; et celle du professeur Loir dans la prolétarienne Ferria. Elle soutient ensuite trois perles d’« indépendants » : Sanglier, Paon et Singe, déjà remarqués dans cette fable. Réussiront-ils tous les cinq ? Et dans les autres circonscriptions ? L’entente de bloc locale fonctionna à plein, à la barbe du parti; non seulement on n’opposa pas de candidats mais on soutint Bœuf, Cerf, Chien et d’autres radicaux et libéraux maçonniques bien connus.

Bien que Lazzari ait écrit contre Singe un article : « Une autre régression », on décida de l’appuyer lors du ballottage, en contrepartie de ses promesses de changement d’opinion après ses errements tripolitains mais, quelques mois plus tard, il exaltait à la Chambre dans un grand discours l’entreprise libyenne, roulant ainsi ses parrains napolitains qui lui offraient la « carte » chez eux.

Le bubon éclata en 1914 avec les élections administratives. Les francs-maçons exigèrent le solde des engagements et des comptes. Leur journal bien diffusé « Italia », qui avait soutenu les cinq socialistes, s’exprima clairement. « On ne s’est pas occupé de la couleur des trompettes, à condition que, montés sur une chaise, ils aient dit pis que pendre des cléricaux de la municipalité ! Il serait bien que l’« Avanti ! » (qui buvait du petit lait) le comprenne »« Qui peut imaginer Paon assez niais pour croire qu’il doive le plébiscite de ses électeurs uniquement aux partisans de Karl Marx ? La même chose vaut pour Singe et pour Mulet… Les prochaines élections doivent se faire sur la base de programmes économiques d’intérêts locaux, administratifs, ceci étant le seul objectif pour lequel les socialistes susmentionnés ont été envoyés à la Chambre…, ceci étant le programme auquel puissent adhérer nos meilleurs hommes… les partis alliés… et (le meilleur pour la fin) les industriels et les commerçants authentiques ».

Prolétaire de 1951 habitant Azzuria ou Nebbionia : il se peut que ce soit un sermon pour rien, mais « de te fabula narratur » : il s’agit de ton affaire. Car l’objectif des partis aux énormes congrès n’est pas différent : nous les embrasserons tous, à condition qu’ils disent pis que pendre de Truman !

Qu’ils soient beaucoup ou peu, le plus souvent d’ailleurs très peu, les marxistes de la gauche se battent, têtus, depuis cent ans contre « la tactique du dénigrement ». Et, trop souvent, la classe ouvrière se fait avoir.

Au Congrès d’Ancône, en avril 1914, le parti socialiste prit des décisions qui permirent l’exclusion de ceux d’Azzuria : intransigeance dans les élections même administratives, incompatibilité avec la franc-maçonnerie. Mais ce sont les partisans du bloc qui eurent la majorité, après comme avant le Congrès, dans l’Union d’Azzuria. Beaucoup dans la minorité, par discipline…, quittèrent le parti et suivirent le bloc. D’autres, peu nombreux, se réunirent avec ceux du « Marx » au sein du parti. Parmi ces disciplinants, qui déclarèrent qu’ils étaient restés pour préparer la « rentrée » dans le parti après l’expérience du bloc, certains personnages de second plan, qui ne dédaignèrent pas les candidatures du bloc, viennent au-devant de la scène : le médecin Grenouille, l’avocat Zèbre, lieutenant du député Mulet, et l’avocat Caméléon, lequel apparaît ici mais avec des antécédents de crises politiques variées : il fut maçon, républicain, anarchiste et ainsi de suite, selon les saisons. Les cinq députés, deux faisant partie du groupe parlementaire du parti, et trois non, regardaient cela du haut de leur « petite médaille ».

Le bloc gagna les élections municipales, apaisant ainsi une faim plus que décennale. Quelques épisodes réjouissants eurent lieu pour les élections provinciales. Dans le canton rouge qui avait pour député Sanglier, on pouvait facilement rassasier trois appétits, en simulant la méthode intransigeante et en laissant libre jeu aux maçons dans les autres cantons. L’avocat Caméléon, quelques jours après avoir adhéré à l’Union, était « passé » au parti, qui l’aurait présenté comme candidat parmi les trois, et les deux autres auraient été tacitement les partisans du bloc, Grenouille et Zèbre. Mais la section socialiste flanqua Caméléon de deux autres candidats du parti. Cela suffit pour que ce dernier, voyant le gain de ce siège moins certain, préfère partir. Ils gagnèrent; tous les trois. L’autre avocat Loutre, directeur de « Fede » dans la période de syndicalisme extrémiste et anti-libyen, était de retour au parti : il est présenté comme candidat dans un canton de la province qui n’est pas certain : peut-il se permettre de ne pas être élu ? Au dernier moment, il se jette dans les bras des partisans du bloc : il réussit. A Ferria également, il se passe quelque chose de semblable : centre ouvrier important, son député Loir couve un bloc communal. Magnifique bilan de la fièvre électorale : cinq députés, sept conseillers provinciaux, dix-neuf conseillers municipaux : tous ont craché sur le parti et le socialisme, pour obtenir tout cela.

Suffit ! Le printemps d’élections fut suivi par un été de guerre. Le parti socialiste, à son Congrès d’Ancône, s’était occupé avec sang froid de la guerre… Il avait conquis les « bastions » des Communes et des Provinces du Nord, par ses seules forces. La guerre ne le bouleversa pas.

1914 – 1918 :guerre

Au cours des dix mois de lutte entre adversaires et partisans de la guerre, il y eut peu de défections dans le parti socialiste; celle de Mussolini fît sensation mais elle ne fut que personnelle. Cela n’en finirait plus de raconter comment cela se passa chez les « autonomes » d’Azzuria. Quelques jours avant le mai radieux, les cinq députés étaient annoncés dans des meetings contre la guerre, mais ceux qui vinrent furent hués. Synthétisons : Députés à l’appel nominal pour la guerre, sont favorables Paon et Singe, of course, et avec eux le « marxiste » Sanglier, qui plonge définitivement. Y sont opposés Loir, qui ne valait pas mieux mais qui avait la circonscription rouge, et Mulet, qui en vérité, en tenant ferme et en lançant son apostrophe célèbre contre les patriotards partisans du bloc pourris, a mérité cependant le nom de cette bête respectable. Journal : c’était celui de l’antimilitarisme à la Hervé (qui, lui aussi, tomba dans le bellicisme) et de la bataille contre Tripoli avec Sylva Viviani… cette fois-ci, il annonce qu’il acceptera des écrits pour et contre la guerre ! Et il continue à cirer les bottes des députés et des conseillers des deux nuances. Le 21 mai arrive, et il écrit « Après l’appel nominal, dans le danger réel : en première ligne ». Personne ne va au front, mais c’était la thèse opportuniste du fait accompli. « Quand la Nation est en lutte, tous les Italiens prennent les armes ». On entonna le même refrain après Caporetto. Et les coups donnés à la « germanophilie de l’Avanti ! » n’ont pas manqué. Conseillers provinciaux : même l’avocat Loutre devient interventionniste et correspondant de Mussolini. Conseillers municipaux : plus d’une demi-douzaine sont pour la guerre : partisans et opposants font partie jusqu’à un certain point de la « municipalité socialiste » qui eut Singe pour maire… Tous, députés, conseillers, journalistes demeurent fidèles au bloc maçonnique et au journal ultra-belliciste « Italia » qui en est l’organe, avec divers radicaux et républicains du type Chouette, lequel était contre Tripoli, mais qui, pour Trieste, prend sa super-cuite…

1919 – 1922

La guerre est finie et la vague prolétarienne d’indignation qu’elle suscite contre elle est utilisée, pas seulement à Azzuria, à des fins électorales. Monsieur Mulet, un homme qui sait ce qu’il veut, force l’allure et fait sortir les siens de la municipalité, puis du bloc; mais la véritable raison en est que les autres partis du bloc laissent tomber l’adjoint Zèbre qui a des ennuis à cause du Ravitaillement. Sur 19 conseillers, 13 démissionnent, et Sanglier crie avec raison à la trahison. Traîtres à des traîtres. Octobre arrive : nous sommes intransigeants, nous sommes contre la guerre ! Le bloc aussi bien que la guerre sont derrière nous; le passé des hommes politiques est une ardoise sur laquelle on passe l’éponge.

Que se passa-t-il dans la pagaille électorale ? L’organisation du parti socialiste n’est plus finalement qu’un simple comité d’agents électoraux qui ferme les portes à ceux qui en sont sortis auparavant. Singe, qui se lance dans une crise de maximalisme et même de soviétisme, et malgré une violente polémique contre Turati, n’attaque pas. Caméléon au contraire, qui s’était fait pardonner l’erreur d’avoir été partisan du bloc et était resté neutraliste, se lance dans une crise de turatisme; et il s’en va du parti en disant qu’il est trop maximaliste… alors que Turati y était encore ! Lecteur, prends un cachet contre le mal de tête : la courte fable est pratiquement terminée. Désormais, il y a un scrutin de liste. Tandis que la liste du parti obtenait deux quotients électoraux, celle des autonomes ne sauve pas même monsieur Mulet. Quant à Loir, il attrape l’unique quotient de la liste du Pendolo (c’était le début de l’utilisation des symboles), soutenue par les polices de Nitti, laissant ainsi à terre Caméléon, Grenouille et d’autres de ce calibre; après une lutte fratricide, Sanglier et Singe, des sociaux-patriotes, ainsi que Chouette et ses semblables, se retrouvèrent sur la liste de la Retroguardia; quelques-uns parvinrent à la Chambre, et Singe au ministère avec Giolitti. Le vertige n’a pas encore cessé que surviennent les élections administratives où le parti se bat seul, et y obtient pourtant un succès plus important que les 136 sièges socialistes acquis en 1914 après Ancône, et les autonomes se taisent. Une nouvelle vague de contorsions se déroule lors des élections suivantes de 1921. Avant celles-ci, est intervenue la scission de Livourne : les éléments de gauche sont avec le parti communiste et quelques transfuges vont au parti socialiste : Mulet et Caméléon y entrent tous drapeaux déployés, et le 15 mai, ils sont à Montecitorio. Qu’on élève le grand pavois ! Qu’en est-il de Loir ? Il est sur la liste de Singe, et des interventionnistes ! Il a pris la place de Sanglier, lequel se met carrément sur la liste fasciste, et reste à terre.

Et que firent ces messieurs face au fascisme ? L’histoire n’est pas simple, et on devrait la raconter pour tout le personnel parlementaire italien. Monsieur Mulet fut antifasciste. Après quelques articles prenant en haute considération la ligne de Mussolini (à l’époque où en faisait autant un philosophe ex-marxiste dont nous ne nous sommes pas occupés parce qu’il n’entra jamais dans la ménagerie électorale), Singe fut antifasciste, et il s’exila. Quant à Caméléon, il le fut fièrement à l’époque de Matteotti, mais en 1926, dans un grand discours, il chanta des louanges à Mussolini : le sauvetage de la « petite médaille » et du laissez-passer ferroviaire ne réussit pas. Et qu’en est-il pour les personnages secondaires ? Ce serait trop long; certains se retrouvèrent en chemise noire, et républicains de Salo.

Et aujourd’hui ? Dame, quelle question inutile ! Tendres bambins qui avez suivi cette historiette, même vous, vous le savez : tous antifascistes !

La fable est ainsi. Si vous voulez connaître la suite, retournez au début. L’ingénuité des masses ne s’épuisera qu’après les réserves minières de charbon fossile et de pétrole, et l’ambition politicienne y creuse encore, avec profit.

Toute référence à des personnages qui ont réellement existé et existent encore, non seulement n’est pas fortuite mais a été rigoureusement contrôlée. Seuls les noms ne présentent aucune importance pour l’histoire du mouvement prolétarien; pas même pour les inscrire sur le fût de la « colonne d’infamie ».


Source : « Battaglia Comunista » Nr. 8, 1951. Traduit dans Invariance, septembre 1994. Traduction incertaine, se repporter au texte original.

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