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HONTE ET MENSONGE DU « DÉFENSISME »


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Honte et mensonge du « défensisme »
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Sur le fil du temps

Honte et mensonge du « défensisme »

Hier

Au dire des professionnels du réformisme et des parlementaires du « programme minimum » qui guidaient les masses ouvrières d’Europe au début du siècle, les socialistes « ne s’occupaient pas de politique extérieure » et n’avaient pas d’opinion sur le problème de la guerre entre les États. Jusqu’au moment, naturellement, où la guerre envahit le terrain et domina la scène, « ils étaient contre toutes les guerres », et à ce sujet ne surent pas aller au-delà du vague « pacifisme » professé par les bourgeois et les anarchistes.

Cette pratique fut la digne prémisse de la politique d’« appui à toutes les guerres » dans laquelle sombrèrent les principaux partis européens lorsque éclata le cyclone de 1914. Alors les vauriens de l’opportunisme devenus alliés et ministres des pouvoirs impériaux bourgeois, commencèrent à accumuler les sophismes et à tricher sur le fait que le marxisme « ne condamnait pas toutes les guerres », mais en admettait certaines : il s’agissait naturellement de la leur, de la guerre appuyée en Allemagne par Scheidemann et Cie, en France par Guesde et Cie, en Autriche par Renner et Cie, en Russie par Plekhanov et Cie, en Belgique par Vandervelde et Cie, en Grande-Bretagne par MacDonald et Cie, en Italie par Mussolini… tout seul.

Avec sa rigueur intellectuelle et son absence de démagogie et de pose habituelle, Lénine travaille infatigablement à remettre les choses en place, de 1914 à 1917 dans la solitude et l’obscurité, et à partir de 1917 dans la plus éclatante lumière.

La première préoccupation du grand révolutionnaire est de rattacher fermement le problème aux bases de la doctrine et de la politique socialiste, à ses textes comme à son expérience de lutte. La continuité du « fil » est la première préoccupation de Lénine. Lui qui fut le plus grand théoricien de la « phase la plus récente du capitalisme » considérée dans son développement historique et social vers les formes impérialistes, il démontre avant tout que seuls les traîtres y ont découvert des « perspectives inattendues », des « situations imprévues » suggérant et autorisant de « nouvelles analyses » et de « nouvelles méthodes » du socialisme.

Ce furent précisément les maniaques de la mise à jour (aggiornamento, ndt) – complexe charlatanesque des intellectuels bourgeois – et des révisions – qui avaient voulu corriger le marxisme à la façon de l’extrême-droite, comme les Bernsteins, ou à la façon de la fausse extrême-gauche syndicaliste, comme les Jouhaux – qui passèrent les premiers dans le camp du chauvinisme.

La voie que nous avons reparcourue avec Engels à propos des guerres en Europe, dans leurs développements historiques fondamentaux – que le marxisme étudie avec autant d’attention que les fondements de l’économie et de la production – est confirmée avec une certitude absolue dans tous les écrits léninistes qui servirent de base à la réorganisation programmatique internationale, dès les thèses de 1915 sur « Le socialisme et la guerre ».

Après avoir écarté la conception abstraite et insuffisante des pacifistes philanthropes et des anarchistes, pour qui toutes les guerres sont barbares et bestiales (ce que nous pensons évidemment nous aussi ) Lénine rappelle la doctrine des « types historiques de guerres ». Les distraits et les étourdis – rien à espérer des passeurs d’éponges sur les conversions et les palinodies en série de leur carrière passée – peuvent relire et réfléchir. Nous redisons la même chose infatigablement.

« La grande révolution française a inauguré une nouvelle étape dans l’histoire de l’humanité. Depuis lors et jusqu’à la Commune de Paris, de 1789 à 1871, les guerres de libération nationale, à caractère progressiste bourgeois, constituèrent l’un des types de guerres. Autrement dit, le contenu principal et la portée historique de ces guerres étaient le renversement de l’absolutisme et du système féodal, leur ébranlement, l’abolition du joug étranger. C’étaient là, par conséquent, des guerres progressives; aussi tous les démocrates honnêtes, révolutionnaires, de même que tous les socialistes, ont-ils toujours sympathisé avec elles ».

Même à propos de ces guerres, Lénine tient à bien établir le sens de l’« approbation » ou de la « justification » marxistes, et à expliquer ce qu’on entendait quand on parlait d’un appui à la guerre de « défense » ou « pour la patrie » en des termes adaptés seulement en partie. En effet ces guerres furent souvent des guerres « offensives » et des guerres d’« invasion ». Nous l’avons lu sans lunettes colorées chez Engels; faisons de même pour le texte de Lénine.

Les premières guerres « légitimes » sont celles de la France contre les coalitions : mais il faut établir que Marx, Engels et Lénine (et nous-mêmes, modestes répétiteurs pour des élèves qu’on a recalé à bon droit) comprennent dans ce même « groupe de guerres », considérées comme utiles parce qu’elles diffusèrent dans toute l’Europe l’organisation capitaliste moderne, aussi bien les premières guerres des sans-culottes, célébrées par les poètes, comme des guerres de défense de la Révolution en même temps que du territoire français envahi par les armées étrangères, que les guerres de Napoléon qui, elles, comportaient l’agression et l’invasion des pays féodaux.

Et en effet :
« … dans les guerres révolutionnaires de la France (remarquez la définition révolutionnaires dans le sens de la révolution bourgeoise, mais toujours révolutionnaires), il y avait un élément de pillage (sic) et de conquête (sic) des terres d’autrui par les français; mais cela ne change rien à la portée historique essentielle de ces guerres qui démolissaient et ébranlaient le régime féodal et l’absolutisme de toute la vieille Europe, de l’Europe du servage ».

C’est pour cette raison, par conséquent, que les marxistes « justifient » ces guerres. Ils n’ont donc pas appliqué la méthode puérile qui consiste à se demander qui est l’agresseur, l’envahisseur, le dévastateur, et à décréter que c’est lui qui a tort et que nous sommes « contre sa guerre », ou pis encore, que nous entrons en guerre contre lui. Id est, nous aurions été des recrues de Dumouriez à Valmy, de Blücher à Waterloo..

Un exemple de ce genre de raisonnement nous est donné par Garibaldi qui, « oubliant Rome et Mentana » et le plomb bonapartiste, courut en 1870 défendre la France dans les Ardennes lorsqu’il la vit envahie par les Prussiens : lui, du moins, était respectable car il ne se prétendit jamais marxiste.

Comment un marxiste, par contre, voit-il une telle guerre ? Aide-t-il Bonaparte ou Bismarck ? Ni l’un ni l’autre. Nous avons vu l’analyse d’Engels. Voici maintenant Lénine :
« Dans la guerre franco-allemande, l’Allemagne a dépouillé la France (annexion de l’Alsace-Lorraine, indemnités de guerre en milliards de l’époque), mais cela ne change rien à la signification historique fondamentale de cette guerre, qui a affranchi des dizaines de millions d’Allemands du morcellement féodal et de l’oppression exercée sur eux par deux despotes : le Tsar russe et Napoléon III ».
Lénine nous a « épelé » syllabe par syllabe, le jugement d’Engels dans son invective, celui-ci fut aussi peu motivé par le patriotisme allemand que celui-là pouvait l’être par le patriotisme… russe. Également guidés par les critères du développement du mouvement prolétarien et socialiste, ils considèrent ouvertement comme « libératrices » des guerres qui eurent un caractère de dévastation, de pillage, d’invasion, de conquête et de déprédation : ce sont leurs propres paroles.

Lénine examine ensuite le dilemme « guerre défensive ou guerre offensive ». Il explique de façon limpide : dans cette période de 1789 à 1871, qui « a laissé des traces profondes et des souvenirs révolutionnaires », la lutte prolétarienne n’avait pu se développer dans le sens du socialisme, mais dut appuyer les efforts de la bourgeoisie pour se libérer du féodalisme.
« Les socialistes ont toujours entendu par guerre ‹ défensive › une guerre ‹ justifiée › de ce point de vue ».
C’est Lénine qui souligne, et il ajoute :
« c’est ainsi que Karl Liebknecht a expliqué cette notion ».

Le grand et jeune révolutionnaire dut, presque seul, soutenir la polémique contre tous les marxistes de la social-démocratie allemande qui avait passé la sale alliance avec le Kaiser en 1914. Ceux-ci ne manquèrent pas de lui répliquer en mettant en avant les prévisions du marxisme sur la « guerre contre les races latines et slaves coalisées » et sur la menace du despotisme russe, qui était la même – disaient-ils – qu’en 1870. Ils soutinrent la « défense » à outrance. On sait comment la guerre se précipita : assassinat de l’archiduc d’Autriche à Sarajevo, mobilisation de l’Autriche contre la Serbie, riposte immédiate des Russes qui mobilisent à leur tour : les armées du tsar prennent ouvertement l’offensive, non en direction de Vienne et du rempart des Carpates, mais en direction de Berlin à travers les plaines baltes : l’Allemagne, par conséquent mobilise « pour se défendre » : militairement, suivant la logique de ses propres plans, elle se jette vers le Rhin. La France mobilise donc elle aussi pour se défendre : ils se défendaient tous, ces gouvernements de massacreurs ! Le plus hypocrite des tartufes de l’histoire mobilisa à son tour : l’Angleterre prit pour prétexte la défense de la petite Belgique, traversée par les armées allemandes. C’est ainsi qu’au cours du même automne 1914 l’histoire enregistra deux grandes batailles destinées à arrêter l’ennemi, deux victoires « défensives » : celle de Foch sur la Marne, celle d’Hindenburg sur les lacs de Masurie. A Paris comme à Berlin, les ministres socialistes s’étaient rangés sur le front de la « défense nationale ». Les social-traîtres de Berlin voulurent écraser Liebknecht sous l’argument marxiste de la « guerre défensive » (quand ils furent au pouvoir ils le fusillèrent, alors que le Kaiser n’avait fait que le mettre en prison).

Agent provocateur du tsar ! lui crient-ils : nous te jetons à la figure l’Adresse de la Ière Internationale sur la guerre de 1870, écrite de la main de Marx :
« Du côté allemand, la guerre est une guerre de défense… A notre grand regret, nous nous voyons contraints de mener une guerre défensive… La classe ouvrière allemande a résolument donné son appui à la guerre… Ce sont les ouvriers allemands unis aux travailleurs ruraux qui ont fourni les nerfs et les muscles d’armées héroïques… ».

Karl Liebknecht – dont on ne sait ce qu’il faut admirer davantage : la capacité du théoricien ou l’héroïsme du lutteur qui tint tête à toute une masse ivre de démagogie chauvine – expliqua que l’emploi politique de l’expression guerre « de défense » et l’habituelle citation de phrases tronquées ne devaient pas éclipser la claire raison historique et l’appréciation des bases et des effets sociaux des guerres. Après la guerre de 1870 – une fois atteint le but indiqué dans les textes cités d’« indépendance de l’Allemagne et de libération de celle-ci et de l’Europe du cauchemar oppressant du Second Empire », but qui justifiait la guerre même si elle était une guerre d’invasion, de conquête, de pillage – une période historique bien différente s’était ouverte. Ainsi, même avant (même avant 1914, ndt), la distinction entre guerre défensive et guerre offensive était fausse, puisque le critère « discriminant » des guerres était fondé sur des caractères bien différents, de nature sociale et historique. En 1914, il s’agit de toute autre chose : de la rivalité sauvage entre groupes impérialistes pour l’exploitation du monde, et les socialistes ne reconnaissent plus de guerres à appuyer ou de patries à défendre d’un côté ou de l’autre du Rhin ou de la Vistule.

Non seulement Lénine considère comme extrêmement important d’éclaircir ce point, mais il veut établir, documents à l’appui, qu’une semblable vision a été celle des marxistes véritables même avant la guerre européenne de 1914 et dès l’ouverture de cette nouvelle période de capitalisme dominant dans toute l’Europe.

Il établit encore, au moyen d’exemples de guerres, « possibles » à la date de 1914, quelles guerres pourraient apparaître comme « progressives » et justifiables. Il l’explique (et ici les dilettantes sont priés de lire « cum grano salis », comme toujours lorsque les marxistes avancent des hypothèses historiques et n’analysent pas des événements concrets) afin de prouver qu’en 1915 on ne peut jacasser sur la « guerre juste » dans aucun des États d’Europe, et que dans tous les cas, le critère est un critère social, et non celui de savoir si la guerre est une guerre d’agression ou de défense, d’invasion ou de résistance, de conquête ou de libération.

L’exemple de Lénine est celui-ci : si un pays n’a pas de gouvernement local, mais est sous la domination politique d’un autre pays étranger, proche ou lointain, alors même aujourd’hui nous aurions à soutenir sa guerre. Mais faites attention, ceci n’est pas, ceci n’était pas en 1915, le cas de la France contre l’Allemagne – que nous considérons depuis 1871 comme définitivement organisée selon le système capitaliste – et, vice-versa, ce n’était pas même le cas de l’Allemagne contre la Russie tsariste ! Voici les cas supposés par Lénine : le Maroc contre la France, l’Inde contre l’Angleterre, la Perse et la Chine contre la Russie, car il s’agit là de colonies ou de semi-colonies où l’absence d’autonomie nationale empêche le développement de la société. Mais Lénine ajoute aussitôt : ce seraient des guerres justes et défensives (en ce sens qu’elles visent à déloger un conquérant étranger) quel que soit celui qui commence. Or, tant que le système de domination se maintient « dans l’ordre », il est clair que ces guerres justes possibles ne pourraient être que des guerres d’insurrection, de rébellion, et donc des guerres offensives à l’égard des armées d’occupation étrangères.

En Europe, donc, la période des guerres de constitution des États nationaux se termine en 1871 : après 1871 on pourrait encore en trouver d’autres, historiquement, mais hors d’Europe. La guerre de 1914 appartient aux types des guerres impérialistes, et Lénine la compare à un conflit non entre esclaves et oppresseurs, mais entre
« un propriétaire de cent esclaves et un propriétaire qui en possède deux cents, pour un plus ‹ juste › partage des esclaves ».
Pour masquer cette turpitude,
« la bourgeoisie impérialiste trompe les peuples au moyen de l’idéologie « nationale » et de la notion de défense de la patrie ».

Nous ne répéterons pas une nouvelle fois les caractères de l’analyse de l’impérialisme. Nous reprenons certains points qui démontrent la continuité de l’appréciation marxiste dans la période en question, qui commence en 1871, et donc bien avant Liebknecht, Lénine, et les autres socialistes qui luttèrent tenacement contre la guerre. Il s’agit de mettre à nu les hontes du social-patriotisme.

Lénine se réfère à l’exemple de la Commune de Paris, expressément rappelé dans le manifeste de la IIème Internationale socialiste au congrès de Bâle de 1912 : « transformation de la guerre des gouvernements en guerre civile ». Celui qui prend acte, « ad horas », de ce grand tournant historique n’est autre que Karl Marx en personne, dans le passage classique qui conclut l’adresse du 30 mai 1871 :
« Le plus haut effort d’héroïsme dont la vieille société fut encore capable était la guerre nationale et il est maintenant prouvé qu’elle est une pure mystification des gouvernements, destinée à retarder la lutte des classes, et qu’on se débarrasse de cette mystification aussitôt que cette lutte de classes éclate en guerre civile. La domination de classe ne peut plus se cacher sous un uniforme national, les gouvernements nationaux sont tous confédérés contre le prolétariat ! ».

Marx avait donc vu la future guerre entre les États nationaux, que la période précédente avait définis et organisés, provoquer la guerre de classe, et le prolétariat relever le défi de tous les gouvernements nationaux. Les renégats du marxisme, à Berlin et dans les autres capitales, ne surent répondre au traquenard de la guerre nationale qu’en amenant le drapeau rouge, en déclarant la lutte de classe suspendue, et en s’enrôlant dans les rangs des armées nationales bourgeoises.

Lénine leur reproche qu’ils ont ainsi trahi le marxisme dans toutes ses manifestations explicites de 1871 à 1914, et il a parfaitement raison.

En 1899, dans « En Garde », le chef de la gauche marxiste en France, Jules Guesde, qui devait se renier si misérablement, dénonçait le ministérialisme socialiste, en temps de paix comme en cas d’une guerre « ourdie par les brigands impérialistes ». En 1908, (« Der Weg zur Macht » : Le chemin du pouvoir), Kautsky, qui devait finir de même, déclarait close l’ère pacifique et ouverte celle des guerres et des révolutions. Lénine remarque que le manifeste de Bâle réaffirme la question, du point de vue historique comme du point de vue de l’action. Il rappelle les conflits latents en Europe, qui visent tous à accentuer la domination la plus brutale, de tous les côtés : conflit austro-russe dans les Balkans, anglo-franco-allemand en Afrique, austro-italien en Albanie, anglo-russe en Asie centrale, etc. Lénine commente :
« Ils se combattent entre grands requins pour dévorer ces patries étrangères : la possibilité d’une défense de la patrie est un non-sens théorique et une bouffonnerie pratique ». Mais « de la reconnaissance de la défense nationale dérivait une tactique, de celle de la guerre impérialiste une autre tactique. Le manifeste de Bâle s’exprime clairement. La guerre conduira à une crise économique et politique qu’il faut dépasser non pour l’atténuer, non pour défendre la patrie, mais entraîner les masses, pour hâter la chute de la domination de classe du capitalisme ».
Lénine rappelle que le manifeste de Bâle déclarait que « les classes dominantes craignent la révolution prolétarienne comme conséquence d’une guerre mondiale », et qu’il se rattachait non seulement à la Commune, mais au grandes agitations de 1905 en Russie, après la guerre contre le Japon.

De Marx à Lénine, les révolutionnaires socialistes ont suivi une voie cohérente et ininterrompue. Loin de copier la stupide figure bourgeoise du « conjureur de guerres », aussi imbécile qu’impuissant, ils se sont préparés à être – au sens révolutionnaire du terme, diamétralement opposé à celui du super-impérialisme – « des profiteurs de guerre ».

Lénine édifia la doctrine du défaitisme et la mena à une éclatante victoire historique.

Alors que cette victoire n’était encore qu’une perspective lointaine, Lénine, répondant à la question : « défaitisme contre qui ? », sut écrire :
« Seul le bourgeois qui croit que la guerre engagée par les gouvernements finira de toute nécessité comme une guerre entre gouvernements, et qui le désire, trouve ridicule et absurde l’idée que les socialistes de tous les pays belligérants doivent affirmer qu’ils veulent, la défaite de tous les gouvernements, de ‹ leur › gouvernement ».

C’est lorsque les partis prolétariens ont été amené par la trahison a « vouloir » la victoire de certains gouvernements et à combattre pour eux, que les forces de la révolution mondiale se sont effondrées.

Nous avons montré que, dans la doctrine marxiste et léniniste, qu’il s’agisse de guerres de systématisation nationale (1792–1871) ou des guerres impérialistes, la distinction entre les types historiques de guerres n’a jamais été fondée sur l’idée que toute guerre de défense serait justifiée. Dans la première période, le marxisme justifie comme historiquement utiles certaines guerres, généralement offensives, dans la seconde il désavoue aussi bien les guerres offensives que les guerres défensives, c’est-à-dire il attend une utilité historique non d’une victoire de l’un ou l’autre des camps dans les guerres, mais des succès du défaitisme révolutionnaire dans chaque pays, qu’il préconise et hâte partout où c’est possible.

Aujourd’hui

Une fois le critère de la « défense » éliminé de la position des marxistes sur les guerres dans les deux périodes, une série de questions se pose au sujet des guerres qui sont survenues et pourront survenir dans la période qui s’est ouverte après les événements historiques constitués par la première guerre impérialiste mondiale, la révolution russe, la faillite de la IIème Internationale et la fondation de la IIIème.

Nous avons vu dans d’autres « fils du temps » le problème de la « guerre révolutionnaire » prolétarienne. Après la révolution bourgeoise il y eut des guerres des États pour éviter que le régime féodal ne fût restauré de l’extérieur, et aussi pour l’attaquer chez lui : la révolution prolétarienne présentera-t-elle un processus analogue ?

Une première tentative d’application de cette hypothèse fut faite, après la chute du tsar en février et la première révolution qui porta au pouvoir les partis démocratiques bourgeois, par les opportunistes russes, qui prétendaient faire cesser l’opposition prolétarienne à la guerre contre l’Allemagne. Nous avons montré comment les bolcheviks liquidèrent cette manœuvre. Mais le problème se présenta à nouveau lorsqu’ils prirent le pouvoir et que l’armée allemande avança pour abattre la révolution. A cette occasion, Lénine combattit la thèse de « gauche » de Boukharine, qui était tout feu tout flamme pour la guerre révolutionnaire; il expliqua qu’on avait hérité d’une guerre réactionnaire et qu’on devait la liquider en prenant appui sur le défaitisme du prolétariat allemand. La Russie rouge sembla s’agenouiller avec la fameuse paix de Brest-Litovsk, mais le militarisme allemand ne tarda pas à s’effondrer : les Ludendorff ont reconnu que c’était pour des raisons de politique intérieure qu’après des succès stratégiques remarquables ils virent s’écrouler le front occidental en novembre 1918 et durent capituler sans que leurs ennemis aient remporté de grande victoire ni violé les frontières allemandes.

Mais seuls des imbéciles comme ceux qui pullulent aujourd’hui peuvent prétendre que Lénine aurait qualifié de provocatrice la théorie de la guerre révolutionnaire. Lénine n’en a jamais, en principe, exclu l’éventualité historique : de 1918 à 1920 la Russie a mené d’authentiques guerres révolutionnaires, soit défensives, contre les agressions des expéditions montées par les Français et les Anglais, soit offensives, contre la Pologne blanche et bourgeoise.

Mais pour que la théorie, indéniablement léniniste, de la guerre révolutionnaire puisse s’appliquer, encore faut-il qu’il s’agisse d’un État effectivement prolétarien et que cette guerre soit menée par une armée rouge, comme Lénine le déclara au deuxième congrès de Moscou, que partout surgissent des armées prolétariennes, et que les communistes de tous les pays travaillent à former une seule et même armée !

Lorsque que ces conditions sont réunies, la guerre révolutionnaire est non seulement possible, mais « légitime », dans la mesure où elle coïncide avec la guerre civile mondiale : elle peut naître soit d’une résistance à une invasion capitaliste du pays prolétarien, soit surtout – et c’est seulement dans un tel cas que sa victoire sera possible – comme guerre d’attaque au capitalisme mondial.

Les guerres qui marquèrent l’achèvement de la constitution des États nationaux furent révolutionnaires par la victoire de la bourgeoisie, en tant que cette victoire a pour condition économique et sociale l’indépendance nationale. Une guerre pourra être révolutionnaire par la victoire du prolétariat, en tant que la condition économique et sociale d’une telle victoire est qu’elle prenne une dimension internationale

Cependant, il existe un troisième « type » de guerre où, à la lumière de la méthode de Marx et de Lénine, il apparaît, comme dans les deux autres cas, faux et contre-révolutionnaire d’appliquer le critère du « défensisme ».

Nous avons subi la deuxième guerre mondiale, et on a prétendu qu’elle n’était pas une guerre de type « impérialiste » et qu’on pouvait la « justifier » en tant que guerre contre l’Allemagne et ses alliés. On a voulu à la fois la faire passer pour une guerre du premier type, c’est-à-dire une guerre de « libération nationale », et pour une guerre du troisième type, c’est-à-dire une guerre révolutionnaire prolétarienne. Dans chacune de ces deux falsifications, les staliniens ont prétendu respecter le marxisme-léninisme, et en même temps ils ont largement utilisé l’argument de la « défense », en affirmant qu’il s’agissait de repousser l’agression allemande.

Or, toute définition marxiste autre que celle de la seconde guerre impérialiste mondiale tombe immédiatement dans l’absurde, pour des raisons encore plus fortes que celles qui, dans le cas de la première guerre mondiale, faisaient tomber l’explication progressive et celle défensiste alléguées par les sociaux-patriotes des différents pays.

S’agissait-il d’une guerre de « libération nationale » ? Celles-ci avaient été considérées par les marxistes comme progressives seulement et précisément dans la mesure où elles constituaient un passage nécessaire vers la diffusion de la production capitaliste et la destruction des liens et des institutions féodales. Cet argument n’a rien à voir avec une acceptation générale, où pis, avec une apologie des prétendues conquêtes juridiques de la révolution bourgeoise telles que la liberté, la démocratie, l’égalité des citoyens, déjà disqualifiées par le socialisme prolétarien dès ses premières affirmations. Or, si Mussolini et Hitler avaient entamé ces fameuses conquêtes, ils n’avaient pas pour autant ramené l’histoire sociale cinquante années en arrière; non seulement ils n’avaient pas démoli les industries, les machines, les chemins de fer, les banques et tout le reste de l’appareil de production capitaliste, mais ils n’avaient nullement l’intention de le faire; il s’agissait bien plutôt pour eux d’accélérer le cycle capitaliste, dont nous savions depuis toujours qu’il est bestial et négrier. Appliquer à Mussolini ce que nous avions dit de Napoléon III, à Hitler ce que nous avions dit du Tsar, était donc pure bouffonnerie. S’il fallait appliquer le défaitisme à l’égard de leur guerre, il n’était donc pas question d’approuver et de soutenir pour autant la guerre des gouvernements adverses.

S’agissait-il d’une guerre de défense ? Nous avons vu que ce critère n’a jamais guidé les marxistes fidèles. Admettons un instant l’hypothèse ridicule (littéralement : hypothèse qui ferait pisser les poules, ndt) qu’en Italie en 1922 et en Allemagne en 1933 on aurait « restauré le Moyen-Age », de sorte qu’il eût fallu en revenir aux « guerres de libération nationale » : eh bien dans ce cas, l’offensive aurait été sacro-sainte.

On a dit que c’était Hitler qui avait attaqué la Pologne avec Dantzig, après une série de vexations infligées à l’Autriche et à la Tchécoslovaquie et « tolérées » par les Anglais et les Français. Pourquoi donc, alors, si la règle de la défense et de l’indépendance des nations est sacrée et primordiales l’armée russe n’a-t-elle pas marché contre l’armée allemande, au lieu d’attaquer précisément la Pologne en accord avec l’envahisseur pour procéder au plus tôt au partage ?

S’agissait-il d’une guerre prolétarienne ? Pour soutenir une blague pareille il faudrait admettre que les régimes de France, d’Angleterre et des États-Unis – archi-bourgeois, archi-capitalistes et archi-impérialistes à l’époque de Lénine et de la première guerre mondiale, et évidemment tout aussi bourgeois et impérialistes aujourd’hui, en 1951 – aient connu une curieuse parenthèse, non pas a partir de 1939, mais de 1941 à 1945, et aient engagé tout leur potentiel industriel et militaire pour étendre le régime socialiste dans le monde, en empêchant les Allemands de 1'abattre !

Les staliniens reconnaissent aujourd’hui que la politique du capitalisme américain, non seulement en Asie mais même en Europe, est une politique d’agression impérialistes, et ils le démontrent à l’aide des mêmes arguments qui nous permirent de l’établir à l’époque de Wilson, contre le mensonge de la guerre juste et de la Ligue pour la paix. Ils vont chercher les textes de Lénine – ceux-là mêmes que nous avons toujours cités – sur les origines lointaines, depuis 1898, de l’impérialisme conquérant des États-Unis, le dernier venu mais aussi le plus terrible dans la série des impérialismes des peuples blancs. Et il faudrait admettre qu’après la mort de Lénine, ces caractéristiques fondamentales liées à un processus économique et social profond et prolongé de la machine productive des États-Unis, auraient préparé une phase intermédiaire de lutte pour la liberté, pour la répression des agresseurs, carrément pour la défense du pays socialiste ?

On ne peut rien, absolument rien invoquer, sur le terrain socialiste marxiste, à l’appui de la thèse fabriquée de toutes pièces selon laquelle la guerre de 1939–1945 présenterait des caractères semblables à ceux des guerres bourgeoises progressives d’avant 1871. Cette guerre a été une guerre ouvertement impérialiste. Tous ceux qui ont travaille à créer à l’intérieur des États bourgeois une solidarité de guerre avec les gouvernements de l’un des deux camps, ont accompli un travail contre-révolutionnaire irréparable, et ont irrévocablement contribué à accroître le potentiel des impérialismes vainqueurs.

Bien qu’elle s’explique par l’influence des traditions de la révolution de Lénine sur les masses du monde entier, l’erreur sur l’attitude de l’État russe dans la dernière guerre mondiale n’a fait qu’aggraver le démantèlement du potentiel révolutionnaire par comparaison avec les effets produits par l’union sacrée de 1914–1918.

Cette deuxième vague d’opportunisme ne peut se justifier par la falsification des traditions marxistes au sujet des guerres « utiles ». Elle ne pouvait que retomber dans le méprisable pré-léninisme, et elle l’a fait en ramenant au premier plan l’expédient hypocrite de la défense.

Hypocrisie qui n’a pour égale que celle du pacifisme[1].

Notes :
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  1. Note des traducteurs :
    Une traduction de ce texte est déjà parue dans le journal « Le Prolétaire », Nr. 169 et 170 en 1974.
    Le texte de Lénine « Le socialisme et la guerre » est paru en automne 1915 et figure dans le tome 21 des « Œuvres complètes » aux éditions de Moscou (p. 305). [⤒]


Source : « Battaglia Comunista » nr. 5, 1951 (« Onta e menzogna del ‹ difesismo › »). Traduit dans « Invariance », Septembre 1994. Traduction incertaine, se repporter au texte original.

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