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SA MAJESTÉ L’ACIER


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Sa majesté l’acier
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Sur le fil du temps

Sa majesté l’acier

Au cours d’une vie d’homme, il nous a été donné d’assister par trois fois à la préparation d’un conflit armé ayant pour scène la terre entière.

La troisième guerre mondiale n’a pas encore commencé, mais neuf personnes sur dix peut-être la considèrent comme certaine. Même si la dixième avait raison, il est sûr que nous sommes dans une période de préparation déclarée; et, pour une fois, l’ancien avertissement préconisant de préparer la guerre afin de l’éviter s’accomp1irait. Cette éventualité n’est pas a-historique; elle se produit lorsqu’un des adversaires possède une force armée si imposante que l’autre lève les mains en l’air sans lutter, ou bien après quelques escarmouches. Comme on dirait sur le ring, il jette l’éponge et prend la bourse.

Il n’est donc pas nécessaire de s’engager dans des prophéties sur la troisième guerre et subsidiairement sur les « chances »[1] d’avoir une place autour du ring toute la vie, pour avoir le droit de tirer des conclusions sur l’expérience directe de la « troisième préparation » en cours.

Comme toujours, ceux qui sont en charge des grandes propagandes travaillent, malheureusement avec succès, à faire en sorte que, sur les décors de premier plan, les foules reconnaissent les causes et les responsabilités du danger de guerre dans des facteurs idéaux, moraux, surtout nationaux, dans le fait que non seulement certains gouvernements et classes dominantes déterminés, mais aussi certains peuples, nations, et même races déterminés, pris par une soif irrépressible de domination et de sang, provoquent, menacent, s’apprêtent à agresser le reste du monde, dans lequel, au contraire, des masses, des foules, des élites[2], des hommes d’État inclineraient à la paix, au désarmement, à une touchante idylle générale.

Tous fabriquent épées et canons, mais tous déclarent que, s’il n’y avait pas les autres, à savoir les mauvais, les cruels, les fils du Malin, ils seraient prêts à se consacrer exclusivement à la culture des rameaux d’olivier, à l’élevage des colombes.

Ce fut une rude tâche durant des années – et ce n’est pas un travail facile (comme cela semblait l’être au bon poète de la bourgeoisie jacobine de miner le Vatican) mais toujours extrêmement difficile – que de faire la lumière sur ce qui se trouve derrière les coulisses, les scènes, les portes closes du temple de Janus, et de se libérer des haines bestiales de race et de nation, pour relier la guerre à ses véritables causes matérielles, économiques et sociales, au développement du processus productif, aux rapports et aux contradictions de classe.

Hier

Nous ne nous occuperons pas ici de Mars, de Thor, ou de l’Archange Michel, mais d’un Dieu aussi ancien qu’eux, plus terrible qu’eux à l’époque moderne, l’Acier.

Au temps de Marx, l’acier n’était pas encore l’indice qui exprimait le mieux le mode de production capitaliste, qui servait à comparer le développement industriel des différents pays. Le nombre des fuseaux pour les métiers à tisser le coton était un instrument plus adéquat. Le Moyen-Age avait vêtu les hommes d’acier et avait connu une floraison d’armureries et de fabriques de cuirasses et de lames. En se donnant l’air d’avoir en horreur les excès de cet usage cruel et sanguinaire, la bourgeoisie annonçait à l’avance une ère civile dans laquelle les ci-devant[3] barons aussi bien que les aborigènes nus de Papouasie seraient vêtus des mêmes laines et cotonnades. Égalité, fraternité[4].

Depuis le début, le marxisme ne crut pas à cela, et il révéla l’infrastructure féroce et sanguinaire du mode capitaliste d’organisation du monde, en établissant les lois qui régissaient l’orbite qu’il devrait décrire vers toujours plus de puissance de classe, de violence, d’oppression et de destruction de masses humaines. Notre analyse et notre prospective tiennent debout depuis lors; et elles ne pouvaient pas être plus pessimistes sur le développement de l’époque bourgeoise : celle-ci ne pouvait pas leur fournir de confirmations plus complètes que celles qu’elle a fournies.

Nous devons attendre l’année 1880 pour que les statistiques de la production mondiale d’acier deviennent éloquentes : époque de paix où l’acier servait à faire des machines et des locomotives, des navires et des charrues, tout cela est bien connu. Mais laissons parler un peu les chiffres.

Nous suivrons seulement six pays, puisque tous les autres réunis ne représentent qu’environ le dernier dixième de la masse produite dans le monde. Ce seront les big six, et pour l’année 1880, ils ne sont que quatre. Nous trouvons en première ligne l’Angleterre cotonnière, avec un million trois cent mille tonnes annuelles d’acier, et immédiatement après, les États-Unis d’Amérique avec un million deux cent mille, puis l’Allemagne, distancée, avec 700 000, et la France avec 400 000. Total :3 600 000 tonnes. Ces chiffres varient beaucoup en fonction des sources, mais les arrondis que nous donnons suffisent à notre objectif.

S’écoulent ensuite trente années de paix bourgeoise, de progrès civil, de fadaises libérales et réformistes, de crétineries de la part de tous les révisionnistes qui multiplient les analyses et les prospectives, qui changent avec les saisons de la mode et qui ironisent sur l’échec des visions catastrophiques de Marx. Nous arrivons à la pleine époque de la concentration et de l’impérialisme, à l’époque de Lénine, à la gestation de la première guerre mondiale dans le ventre abject du capitalisme.

Dans les statistiques de 1913, la quantité de 1880 a été rien de moins que multipliée par vingt. La population de la terre a augmenté environ de 25 pour cent; admettons que la satisfaction de sa consommation utile ait doublé : à savoir la nourriture, l’habitation, l’habillement, et nous pouvons y mettre un peu de ce fameux acier (même si une charrue pèse moins que les pioches qu’elle remplace, une fraise que les limes, et ainsi de suite, et en tenant compte que les plumes en acier se sont substituées aux plumes d’oie au bénéfice de la production de sottises); mais nous nions toujours que la bourgeoisie, même dans la phase initiale, ait accru le bien-être véritable. La disproportion entre les deux rapports demeure effrayante. Peut-elle ne pas avoir d’influence sur le déroulement des événements mondiaux ? Une cause de cette dimension, fondamentale et significative mais certainement pas unique dans le cadre de la virulence du Capital, n’est-elle pas suffisante au jaillissement d’effets imposants ? Non, il leur faut le grand méchant loup, le mauvais sujet, le tyran de tragédie, la horde des barbares qui vient, qui sait comment, de l’extérieur de ce monde magnifique de l’économie bourgeoise !

En 1913, ce sont les États Unis qui produisent déjà la plus grande partie du nouveau chiffre de 71 millions de tonnes annuelles d’acier : 31 millions. Après 33 années, vingt fois plus. La Grande Bretagne, ayant perdu le premier rang, a fait un bond inférieur avec quelques 10 millions. Pendant ce temps, l’industrialisme capitaliste a fait des pas de géant chez le troisième grand, l’Allemagne, qui s’est placée entre les deux premiers avec plus de 19 millions, une augmentation de 27 fois. La France a un peu plus de cinq millions. Nous devons aligner deux autres personnages : la Russie, avec peut-être 5 millions, et le Japon, qui se limite à deux cent mille tonnes annuelles, bien qu’il ait vaincu la première.

Les possesseurs de ces masses métalliques organisées en monstres automoteurs se surveillent férocement dans la course aux gisements miniers, au charbon, au pétrole et aux marchés de consommation; la concentration en grandes entreprises, l’alliance internationale entre groupes de celles-ci, la pression sur les masses laborieuses de l’industrie et sur les populations des pays non industriels croissent parallèlement aux chiffres de la production. Lénine recalcule, à partir d’observations, les positions prévues par la théorie sur l’orbite qui, en cohérence avec la progression de ces données de production, voit croître la pression du pouvoir bourgeois, le dévoilement de la dictature de classe, le caractère esclavagiste de l’oppression salariée et de la « civilisation » des races de couleur. Il ne fait pas une analyse nouvelle; il démontre que la première, celle de Marx, est toujours en vigueur, qu’elle doit nous servir, à nous classe, à nous parti, jusqu’au moment où nous écrirons en observation dans le livre de bord : dans le monde entier, le capitalisme a été anéanti; et puis encore : son cadavre puant a été enlevé. Ce n’est pas une étape nouvelle du capitalisme, c.-à-d. une étape différente et imprévue; c’est la phase « la plus récente », et dans certaines traductions du titre la phase « suprême », celle qui est la plus proche de l’explosion, celle qui était attendue depuis si longtemps, celle qui n’était pas nécessaire pour augmenter notre haine, déjà intégrale, mais qui l’était pour alimenter notre espérance.

Ce sont ces chiffres avec trop de zéros qui préparent la guerre, qui prennent la place des diverses Hélène et de l’incrimination naïve des diverses Troie. Un seul Troyen immense a effectué le sinistre travail : le capital.

Avec ces chiffres nouveaux, le concurrent le plus affamé de débouchés et de colonies économiques et politiques, l’Allemagne, peut regarder ses rivaux en Europe sur un pied d’égalité. La production allemande est équivalente à celles de l’Angleterre, de la France et de la Russie, mises ensemble. Nous en sommes à la première guerre impérialiste. La guerre à l’époque capitaliste, à savoir le type de guerre le plus féroce, est la crise engendrée de façon inévitable par la nécessité de consommer l’acier produit, et par la nécessité de lutter pour le droit de monopole à la production de plus d’acier. Ce sont les débouchés inévitables du mode bourgeois de production, les fatalités tant reprochées par la sagesse des barguigneurs pseudo-scientifiques à la prose ardente de Karl Marx.

Mais comme le faux pacifisme bourgeois avait été démasqué par l’entrée sur le champ de bataille – l’on prouva ensuite qu’elle fut froidement préméditée par les gouvernements eux-mêmes – de l’Angleterre prétendument non militariste, un second événement vient changer tout le rapport des forces, lorsque l’autre champion de la « neutralité », de la « non intervention », du type de civilisation « non militaire », jette dans l’incendie de la lutte ses trente millions de tonnes, parce que celles-là aussi ne pouvaient pas dormir. L’Allemagne est écrasée.

La « fable du loup », on la raconte tout à fait différemment pour les imbéciles, démocratiquement très forts. La guerre n’aurait pas eu lieu s’il n’avait existé un peuple, le peuple allemand, imbu d’un esprit belliqueux, militaire, national, impérial et si les vapeurs les plus enivrantes de cet « esprit » n’étaient pas montés au cerveau malade d’un unique despote paranoïaque, mégalomane et frénétique, qui, un beau jour, tira le cordon de la sonnette et, au lieu de demander son café au lait, cria à l’histoire  : que la guerre soit ! Il s’agit alors de Guillaume de Hohenzollern, sur lequel on a tout dit, pour établir des théorèmes de ce calibre : il suffit de la volonté d’un seul sodomite pour que des millions de guerriers virils dégainent leur épée. Donnez-nous le grand coup de sonnette, le passage de la frontière belge et la torpille dans la coque du Lusitania, et les tonnes d’acier des adversaires au nombre de cinquante millions contre vingt, sont absoutes devant Dieu et les hommes, en vertu de leur bonne intention trahie d’être cinquante millions de tonnes de crème fouettée.

L’« esprit » guerrier et les vapeurs de son évaporation sont dépourvus de poids et on ne peut les mettre sur la balance de la statistique. C’est pourquoi il est très commode et facile d’en faire des protagonistes, de les attribuer en masse à une nation et à un gouvernement, et d’en déclarer exempts son propre régime et son propre pays. Quant à nous, nous nous en tenons à du solide, et nous continuons avec les chiffres de l’acier. Ce n’est pas l’esprit, bon ou mauvais, qui gouverne le monde, mais la force des agents matériels.

Mais si l’Allemagne fut vaincue, elle ne fut ni occupée, ni désarmée. Les hauts-fourneaux et les convertisseurs se remirent au travail dans le monde entier. Immédiatement après la guerre, les chiffres reprirent leur croissance partout, et à la veille de la crise de 1929, ils avaient dépassé ceux d’avant la guerre dans les six pays considérés, 108 millions contre les 71 de 1913. La crise fit tomber la production à environ seulement 40 millions en 1932. La crise économique a été violente, mais la crise politique l’a précédée dans son acmé, et le capitalisme mondial les a toutes deux surmontées. Ses centres de direction en savaient suffisamment sur l’analyse et la prospective avant une autre crise à la fois économique et politique, une autre guerre générale.

En 1938–39, le fracas des aciéries bat son plein. Nous sommes bien au-delà des cent millions de tonnes annuelles. L’Allemagne a fait de son mieux : plus de 23 millions, beaucoup plus qu’en 1913. L’Angleterre s’en tient à 10 mais forcera en 39 à 14 millions, cependant que la France forcera de 6 à8 et demi. L’Allemagne les surpasse de nouveau, mais il y a un autre personnage, la Russie. La révolution anti-féodale ne pouvait pas, dans ses développements complexes, ne pas se traduire historiquement dans l’indice d’acier : il y a déjà 18–19 millions de tonnes à l’est du « nouveau fou », Hitler. Encore plus à l’est, il y avait le Japon, mais avec un indice de 5 millions seulement. Hitler, avec son état-major de gens extraordinairement remarquables, était-il assez fou pour ne pas faire les comptes avec le chiffre américain, qui était passé d’un coup de fouet, qui représentait une caresse érotique aux coffres-forts des sidérurgistes, de 29 millions de tonnes à 47 ? Même un fou aurait levé les mains et baissé le pantalon. Le Dieu froid, lucide et sévère, ne le voulut pas, et encore une fois, la guerre fut.

Aujourd’hui

La seconde guerre ayant été gagnée par les « bons esprits », le traitement à infliger à l’Allemagne criminelle et turbulente est décidé à Yalta (février 1945) et confirmé à Potsdam (2 août). En effectuant des piqués sur le peuple fou et sur sa sinistre hiérarchie nazie, les participants garantissent au monde que la paix ne sera plus jamais troublée et qu’il n’y aura pas de troisième guerre. Le gouvernement et l’industrie en Allemagne seraient tellement ligotés qu’il ne pourra plus y avoir d’agressions dans le monde  : pacifistes, les gouvernements et les races anglo-saxonnes, slaves et latines, pourront vivre en paix. Eh bien donc ? Fermeture des aciéries du monde entier, excepté un petit pourcentage pour les plumes à écrire et les ronds du béton armé ? Doucement, s’il vous plaît !

Déjà, dans la conférence qui s’était tenue à Moscou le 30 octobre 1943, il y avait eu la solennelle « Déclaration sur les atrocités », à la suite de laquelle il y eut, entre Russes et Occidentaux, un véritable concours de pendaisons, dont nous n’avons pas les statistiques. Cette recette n’est-elle pas utilisable pour les atrocités dénoncées des deux côtés aujourd’hui en Corée ?

On fit une liste de 858 usines à démanteler ou à piller (il semble que les Russes aient mieux compris la chose puisqu’ils ont emporté tout l’outillage en acier), et on posa une limite solennelle au culte de la démoniaque divinité sidérurgique  : l’Allemagne n’aurait pas pu produire plus de 7 millions et demi de tonnes d’acier par an, en droit, et en fait on lui en autorisa 5,8. Et cela, dit-on, contre la moyenne normale de 14, mais en réalité contre le maximum rappelé auparavant de 23. Le monde de l’économie industrielle nous a ainsi donné acte qu’il reconnaît que les trois-quarts au moins de son potentiel mécanique sont destinés à tuer.

Ce serait une grave erreur d’en tirer la conséquence que les cent millions et plus de tonnes mondiales de la veille de la guerre, une fois l’esprit teuton privé de tête et de squelette, pouvaient se limiter à une trentaine  : cela signifierait admettre que le capitalisme puisse planifier la vie de l’humanité, alors qu’il ne peut que planifier sa destruction et son oppression.

En 1946, la course a déjà repris; accentuée en 1947 lorsque a commencé la nouvelle « tension », elle a reçu en cette fin de 1950 une autre accélération terrible dont les chiffres, quand ils seront connus, épouvanteront.

Les six grands pays ont produit en 1947 au moins 125 millions de tonnes, bien que le Japon soit descendu à seulement un million. La Grande Bretagne était à son maximum de 1939 : 13 millions (nous laissons toujours de côté les années de guerre effective au cours desquelles la production sidérurgique « frie et magna » comme on dit à Naples). La France était à sa limite de 1938 : six millions, l’Allemagne écrasée à trois millions seulement, la Russie à environ 21 millions pour 1945, mais avec un plan 46–50 qui retenait 24,5 millions annuels, à savoir un quart de plus qu’avant la dernière guerre. Et les États Unis ? Contre les 29 millions de 1929, et les 47 millions de 1939, ils en ont produit effectivement 60 en 1946, 77 en 1947, quatre vingt en 1948, et ils ont, ces derniers temps, déclenché une frénésie industrielle qui les amènera à produire au moins autant d’acier qu’en produisait le monde entier à la veille de la seconde guerre.

Arrêtons-nous pour un instant à la supposition qu’au lieu des deux guerres, qui ont imprimé à la courbe du phénomène examiné une telle secousse, il y ait eu continuellement la paix bourgeoise, la paix industrielle. Puisqu’en trente-cinq ans environ la production avait été multipliée par vingt, elle aurait été encore multipliée par vingt à partir des 70 millions de 1915, et atteindrait aujourd’hui 1400 millions. Mais tout cet acier ne se mange, ne se consomme, ne se détruit qu’en tuant les peuples. Les deux milliards d’hommes, qui pèsent environ 140 millions de tonnes, produiraient en une seule année dix fois leur poids en acier. Les dieux punirent Midas en le transformant en une masse d’or, le capitalisme transformerait les hommes en une masse d’acier, et la terre, l’eau et l’air, dans lesquels ils vivent, en une prison de métal. La paix bourgeoise propose donc une perspective plus bestiale que la guerre. Mais revenons à la réalité.

Du côté de l’impérialisme américain et de ses agents et serviteurs, on déplore sévèrement la bêtise commise à Yalta et on réclame à grands cris la reprise de l’industrie de guerre allemande. La tentative d’entente avec la Russie ayant échoué à la conférence de Moscou d’avril 1947, Marshall commença à protester à l’Université d’Harvard (on l’a rappelé au pouvoir aujourd’hui) et on se met d’accord finalement en août pour relever la limite de la production allemande à 11,6 millions de tonnes.

A présent, une très violente campagne américaine, dirigée contre les négligences franco-anglaises de plus en plus faibles, vise au réarmement de l’Allemagne, à la réactivation de l’ensemble de son industrie lourde, à la formation d’une véritable armée.

Parmi les dernières nouvelles, on apprend que les énormes aciéries Krupp d’Essen ne seront plus démolies comme le programme le prévoyait.

L’affaire ne peut pas manquer d’émouvoir les Parisiens, tout du moins ceux qui se rappellent les coups de la fameuse « Bertha », le premier canon qui, lançant à l’altitude de la stratosphère de gros projectiles d’une portée de 120 km, commença à faire pleuvoir à partir du front de 1914, sur un rythme régulier des coups en chaîne sur la « ville fortifiée », sur le « camp retranché » de Paris. Mais maintenant, avec les brevets les plus modernes, les projectiles peuvent faire le voyage entre Moscou et New York en passant au-dessus du pôle, tandis que la planète tourne au dessous obliquement..

Il est évident que les chefs de l’industrialisme et du militarisme américain calculent qu’ils ont besoin de la contribution des usines et des divisions allemandes pour battre les forces russes en Europe. Les mêmes éléments, c’est évident, seraient utiles aux armées russes. Il n’y a rien d’étrange dans cela, comme il n’y a rien d’étrange dans le fait que les deux compères, en planifiant à Yalta le désarmement des Allemands, ne s’engagèrent pas à leur désarmement réciproque.

Celle qui s’en sort mal, c’est l’histoire du loup; et l’impudence qui nous est offerte par ses bouffons est, elle, sans limites.

Quand toutes les radios des capitales alliées prêchaient pour que les « partisans » et les « résistances » de tous les pays ne lésinent pas sur les victimes à la « cause de la civilisation et de la liberté », toutes promirent, en parfaite harmonie, qu’une fois les Allemands dispersés, il n’y aurait plus de guerre. Elles mirent toutes la responsabilité du militarisme mondial sur le système de gouvernement allemand, sur l’idéologie allemande. Elles proposèrent toutes l’étouffement de l’« esprit » d’agression allemand, et elles en arrivèrent souvent à proposer l’extermination, l’extinction du peuple et de la race in toto.

C’est sur cette folle ligne que la majorité du mouvement prolétarien abandonna pitoyablement ses principes, ses traditions, son organisation, sa force, les armes et les hommes qu’il aurait pu mobiliser sur le plan de la guerre sociale.

Et aujourd’hui, après à peine cinq années depuis la fin de la guerre et de la seconde orgie de collaboration nationale et militaire entre prolétaires et bourgeois, entre serfs et maîtres, nous pouvons déjà lire des titres comme celui-ci : Pour la sauvegarde de la liberté européenne, l’armement de l’Allemagne est indispensable !

Ah ! Ignoble troupeau de porcs au potentiel de cent mille chevaux ! La sûreté que vous inspire la naïveté, l’amnésie et la crédulité des masses, en arrive à ce point ! Depuis quarante ans, vous nous avez infecté avec ces Allemands, avec ce cri ininterrompu de « delenda Carthago » contre tout ce qui avait quelque chose de teuton, avec ce mensonge, cette farce, cette infamie de la défense contre les agressions ! Plus encore; cela fait au fond deux mille ans que vous nous assommez. Dans la violente campagne pour la préparation de la première guerre européenne et mondiale, l’un parmi les nombreux membres de ce troupeau porcin de traîtres ressortit et traduisit rien de moins que la « Germania » de Tacite, véritable opuscule de propagande militariste à l’usage des Romains, avec toutes les descriptions pouvant susciter la haine de race à l’encontre de ces hommes hirsutes et velus, à la recherche continuelle de guerre et de massacre, par des rites féroces et des sacrifices obscènes à leur dieux ténébreux. Par chance, ils n’avaient pas encore, à cette époque, envahi l’Empire, mais c’étaient justement les Latins qui avaient transporté chez ces peuples leur soif de conquête et de domination. La colère de Tacite venait de certaines dures défaites infligées aux légions invaincues.

Le nouvel impérialisme ment comme l’ancien, et comme l’ancien, il attelle les combattants à son char d’oppression, suscitant une haine insensée contre des hommes parlant une autre langue ou ayant une chevelure et une couleur différentes.

Impavide, il joue avec son appareil de mensonges, fort des moyens de mobilisation des « esprits » que lui donne le monopole de la presse, de l’école, de la radio et de tous les moyens de propagande. Il se moque des masses qui lui ont été vendues par les chefs traîtres, et il leur souffle à quelques mois de distance, hier  : attends dans le bois le soldat allemand armé, et, au nom de la liberté, plante lui ton couteau dans le dos; aujourd’hui : réarme le soldat allemand qui combattra à tes côtés pour cette même très sainte liberté !

La voie historique pour déjouer les manœuvres des « mangeurs d’acier », pour démasquer le caractère universel et international de l’impérialisme, pour amener les masses appelées à s’armer à tourner leurs armes d’abord contre terre, puis contre le front intérieur des exploiteurs de tous pays, dans la fraternisation de tous les opprimés de toute langue et de toute couleur, cette voie, donc, était si lumineuse et si directe que la faute apparaît d’autant plus irréparable de la part de ceux qui ont transformé le drapeau prolétarien en drapeau national et qui, après les ravages si importants et effroyables du mensonge patriotard et raciste, parlent, dans le mouvement de la classe laborieuse, de motifs et de fins nationaux.

Cette politique de défaitisme est « progressistement » plus désastreuse puisque, de l’objectif sanguinaire d’une prochaine campagne de guerre, elle passe à celui d’une fausse apologie d’une paix monstrueuse entre les centrales capitalistes aciérées; ou encore à celui irréel, absurde, mais encore plus obscène, d’une coexistence entre les pouvoirs du capitalisme négrier et les pouvoirs de la révolution des travailleurs.

Notes :
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  1. En français dans le texte. [⤒]

  2. En français dans le texte. [⤒]

  3. En français dans le texte. [⤒]

  4. En français dans le texte. [⤒]


Source : « Battaglia Comunista » Nr. 18 1950. Traduit dans Invariance, Mai 1993. Traduction incertaine, se repporter à l’original.

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