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LES SCISSIONS SYNDICALES EN ITALIE


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Les scissions syndicales en Italie
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Sur le fil du temps

Les scissions syndicales en Italie

Hier

Il n’est pas facile de mettre un peu d’ordre dans les notions et les positions relatives aux rapports qu’entretiennent les partis et les tendances politiques avec le mouvement ouvrier économique en Italie, de même que dans les contrecoups qu’elles engendrent sur les rassemblements et les dissolutions des confédérations syndicales dans le cadre national.

Dans les luttes du Risorgimento bourgeois national,. les groupes de travailleurs, là où ils existaient à l’état embryonnaire, étaient alliés avec les patriotes et penchaient vers les positions les plus décidées: garibaldiennes, mazziniennes, anticléricales. Quand l’unité bourgeoise fut réalisée, on assista, en fonction du développement social existant dans les différentes régions, à la constitution d’associations et de sociétés ouvrières dans lesquelles, pour les unes, les artisans se mêlaient aux prolétaires, et pour les autres, le paternalisme des chefs politiques du nouveau régime parlementaire prévalait.

Les groupes les plus avancés apparurent avec les premiers adhérents à l’Internationale dans les années 1867–71; les sections (certaines très fortes comme en Romagne, en Toscane et aussi en Campanie) connurent les répercussions des luttes entre Mazzini, Bakounine et Marx, et donnèrent la majorité à la tendance libertaire à laquelle on doit en effet, lorsque la différence de fonction entre associations politiques et organisations économiques commença à devenir claire, les premiers syndicats véritables, bien que les anarchistes, partisans de l’individualisme et très nombreux en Italie, se méfiassent non seulement de la formation de partis mais aussi de celle d’organes syndicaux.

Voilà les quelques faits marquants du début de l’histoire syndicale, dont le développement serait d’un intérêt majeur et qui nous permettent d’arriver à l’apport très important du mouvement politique et du parti socialiste à l’organisation des classes ouvrières italiennes de l’industrie et de la terre. C’est qu’il ne faut jamais oublier que si, en Italie, la diffusion de l’industrie diffère énormément selon les régions et si elle parvient, plus tard, seulement dans une petite partie du pays, à un poids comparable à celui qu’elle a dans d’autres nations européennes voisines, il existe, réparti du nord au sud et malgré des disparités locales, un prolétariat de purs ouvriers agricoles qui a fait ses preuves dans la lutte de classes comprise dans le sens critique nettement marxiste (c’est-à-dire en jouant un rôle de protagoniste et non d’allié secondaire ou temporaire d’une classe plus révolutionnaire) et qui a une puissante tradition de combat contre le patronat capitaliste et l’État bourgeois; c’est la lâcheté, imbécile et qui a tout envahi, des chefs actuels qui abaisse cette tradition à des « jacqueries »[l], contre le fantôme d’une noblesse inexistante, de serfs de la glèbe, affamés de propriété et non de socialisme, qui devraient donc conclure des alliances démocrates-libérales pour la conquête de réformes bourgeoises. Pire encore quand on présente comme révolutionnaire ce projet fantomatique de lutte.

C’est donc aux côtés du parti socialiste et grâce à ses propagandistes, qui sont en même temps des organisateurs – pas encore des fonctionnaires – syndicaux, que naissent les premières ligues. Elles associent naturellement des travailleurs de tous partis et toutes croyances sur la base de leurs activités professionnelles dans les usines et dans les fermes. Et non moins naturellement elles sont des ligues rouges et des ligues socialistes (elles sont d’ailleurs ainsi nommées par leurs amis comme par leurs ennemis); le siège du parti a souvent la même adresse que celle de leurs sièges, lesquels accueillent également les conférences de propagande politique: la propagande électorale n’en est qu’un aspect occasionnel, surtout dans la mesure où les camarades candidats courent peu de riques d’échapper à la veste.

Le bourgeois, le bien-pensant et le prêtre excommunient en fait tous ensemble la prétention des travailleurs à obtenir par la seule force de leur union des conditions économiques moins odieuses, cela parce qu’ils arrivent à s’y connaître en propagande socialiste et parce qu’ils ont alors le sentiment qu’elle est dirigée – et elle l’est – contre toutes les orthodoxies religieuses, nationales et libérales.

Il ne s’agit pas ici de faire l’apologie d’une époque romantique du socialisme mais d’énumérer des points factuels afin de comprendre l’évolution du régime capitaliste et les réactions qu’elle provoque sur le mouvement ouvrier, car ce dernier ne peut en éviter les répercussions sur ses formes d’organisation et sur ses tendances.

C’est plus tardivement que d’autres partis que le socialiste descendirent dans l’arène syndicale avec des objectifs non seulement de concurrence mais de contre-attaque sociale. C’est surtout en Romagne que naquirent des ligues et des Bourses du Travail que nous avons nommées jaunes par opposition à celles qui étaient socialistes et rouges. A la base de la diversité de tradition et d’idéologie politiques, il y a une différenciation sociale: les républicains organisaient les gros métayers de Romagne, qui, avec leur portefeuille à soufflet muni de trente-deux compartiments, allaient de marché en marché pour vendre et acheter des bovins à mille lires-or comme si c’étaient des boîtes d’allumettes, puis faisaient des ripailles gargantuesques de pâtes et de boissons dans des restaurants avec chambres et écurie. Les travailleurs devaient leur disputer leur maigre salaire quotidien et c’est contre leur Bourse du Travail ornée du portrait émacié de Mazzini qu’ils menaient les grèves, tandis que les luttes entre les deux partis se réglaient souvent à coups de bâton si ce n’est pire. A l’exemple de ceux de la riche et rouge Imola, c’est en vain que les journaliers pourraient aller à la recherche du baron lettré; ils pourraient tout au plus trouver chez lui le comte Tonino Graziadei, mais ils seraient alors tombés par hasard sur l’un des rares qui auraient lu et compris Marx en Italie. Comprendre n’est pas suivre, mais c’est cependant toujours quelque chose d’aussi rare que de sympathique.

En Vénétie en revanche, c’était la propriété très fractionnée qui dominait et là, les prêtres l’emportaient. Lorsque la chaire ou le cercle catholique à peine moins sombre et silencieux que la sacristie ne suffisaient plus, on assistait alors à la constitution d’une Bourse du Travail blanche. Il n’est pas facile d’affirmer si elle rassemblait des syndicats, des mutuelles ou des coopératives d’agriculteurs pour l’achat d’engrais, puisque parfois elle avait carrément sa plaque en commun avec celle de la Banque catholique. Le bon croyant épargne pour l’autre vie mais également pour cette vallée de larmes. C’était alors l’époque de l’Encyclique Rerum Novarum. La prévoyance représente le pivot de l’économie petite-bourgeoise et de celle des curés, mais elle est la bête noire de notre économie marxiste, n’est-ce pas Tonino ? Pourtant, les statistiques des dépôts de Ivanovo Vosnessensk ont battu celles de San Donà di Piave…

A ce stade, il y avait en Italie trois Confédérations syndicales: la rouge, la jaune et la blanche, chacune ayant un poids différent selon les régions. Continuons à examiner l’affaire avec le simplisme qui nous caractérise, nous qui sommes de pauvres et limités monochromatiques. Et si vous voulez appeler noire la dernière en date, pour nous c’est du pareil au même.

La crise tant de fois rappelée de la séparation du syndicalisme révolutionnaire fut, en grande partie, une réaction à la dégénérescence de droite du mouvement socialiste. Cette dernière eut un double aspect: parlementaire et confédéral. Le parti en tant que tel, avec ses meilleurs militants et au sein même de sa direction, était écrasé sous la double pression du groupe parlementaire et de la hiérarchie des chefs confédéraux, ces deux forces étant également orientées vers une forme légaliste et conciliante d’action au bout de laquelle il était facile d’apercevoir la collaboration, économique avec les patrons et politique avec les ministères bourgeois. Les chefs syndicaux et les députés affirmèrent leur autonomie par rapport au parti pour une bonne raison démocratique, à savoir que les adhérents du parti étaient bien moins nombreux que ceux qui étaient organisés économiquement d’une part et que les électeurs politiques d’autre part. L’extrême réformisme des Bonomi et des Cabrini développa un véritable « syndicalisme réformiste » qui, tout en considérant que son champ d’action n’était plus dans la rue mais dans le bureau de l’industriel et le cabinet du préfet, s’estimait libre des influences du parti et même de celles du groupe parlementaire socialiste, pourtant de droite également, dépréciant ainsi – symptôme commun à tous les révisionnismes du marxisme radical – l’action du parti par rapport à l’action purement économique.

Les syndicalistes soréliens ou révolutionnaires, épaulés par les anarchistes, s’appuyèrent sur le dégoût des masses pour les excès de la méthode apathique qui prévalait dans les ligues ouvrières et dans le parti, lequel se consacrait trop au fait électoral, et mirent en première ligne leurs slogans préférés de l’action directe, consistant à s’imposer auprès du patronat sans l’intermédiaire de parlementaires et de fonctionnaires de l’État, et de la grève générale comme moyen de solidarité entre les différentes catégories. Les organisations appartenant à cette tendance sortirent de la Confédération Générale du Travail socialiste, mais en réalité dominée par les réformistes même s’ils étaient minoritaires dans le parti, et fondèrent la batailleuse Union Syndicale Italienne, protagoniste de luttes ouvrières inoubliables. Le Syndicat des Cheminots, aussi puissant que riche de traditions de classe, tout en réprouvant le réformisme confédéral, se tint en dehors des deux organisations nationales.

Voici venir le coup de vent de la guerre. La Confédération du Travail, toujours dirigée par des éléments de droite du parti socialiste, résista sans scission dans l’opposition à la guerre mais refusa pourtant de proclamer la grève générale lors des journées d’ivresse patriotique du Mai 1915. L’Union Syndicale y résista mal et éclata en deux: l’union interventionniste de De Ambris, l’union opposée à la guerre du libertaire Armando Borghi. Les noms ne sont utilisés que pour réduire le bouillon.

Aujourd’hui

Quand apparut le fascisme, qui était en réalité le courant auquel correspondaient le mieux, d’une part les partisans les plus à droite de Bissolati et de Bonomi, et d’autre part les pseudo-gauchistes de l’interventionnisme, qu’ils soient républico-nenniens ou syndico-deambrisiens, il s’essaya lui aussi au terrain syndical puisqu’il fonda ses propres syndicats en jouant l’air de la lutte contre le patronat selon l’accord national, entre autres lors du discours plein d’intérêt de Dalmine. Ce n’est pas pour rien en effet qu’il réussit à convaincre des représentants non négligeables de ces courants, puisqu’il embrigada un Michele Bianchi qui, dans le bouillon syndicaliste italien, avait un rôle plus important que le persil, ainsi que les carottes de type réformiste comme Rigola, Calda et ceux des Problèmes du Travail. Le fascisme était le seul et véritable héritier possible du réformisme, c’est-à-dire de notre bête noire à nous les archéo-marxistes.

Les syndicats fascistes se présentèrent sous de nombreuses étiquettes syndicales, tricolores par opposition aux rouges, blanches et jaunes, mais le monde capitaliste était désormais un monde monopoliste et ils se transformèrent en un syndicat d’État, en un syndicat obligatoire qui encadre les travailleurs dans la structure du régime dominant et détruit en fait et en droit tout autre organisation.

Ce fait important et nouveau de l’époque contemporaine n’était pas réversible, il est la clef du développement syndical dans tous les grands pays capitalistes. L’Angleterre et l’Amérique parlementaires sont monosyndicales et les hiérarchies des syndicats servent les gouvernements comme en Russie.

La Victoire des Démocraties et le retour en Italie de personnages qui ont été plutôt des distributeurs d’huile de ricin que ceux à qui elle a été administrée n’ont donc pas été une réversion du fascisme, lequel fut beaucoup plus progressiste que les autres (et tu noteras en passant, Tonino, que nous, monomarxistes, etc., plus nous donnons le titre de progressiste à quelqu’un, plus nous désirerions le voir pendu).

Si la situation historique italienne avait été réversible, c’est-à-dire si la sotte position du second Risorgimento et de la lutte nouvelle pour la Nation et l’Indépendance, cheval de bataille plus que jamais enfourché même par les staliniens, avait eu quelque base, la tactique consistant à fonder une confédération unique avec les rouges et les jaunes, avec les blancs et les noirs, n’aurait pas existé une seule minute, et les masses n’auraient pas supporté cet ordre bestial contenu dans l’encyclique moscovite de Pâques 1944 sans l’influence des facteurs de force historique pour laquelle nous prendrons, si nous devons lui donner un nom, celui de Mussolini.

Les scissions successives de la Confédération Italienne Générale du Travail avec le départ des démocrates-chrétiens, puis celui des républicains et des socialistes de droite, même si elles conduisent aujourd’hui à la formation de confédérations différentes et même si la constitution admet la liberté d’organisation syndicale, ces scissions donc n’interrompront pas le processus social d’asservissement du syndicat à l’État bourgeois, et elles ne sont qu’une phase de la lutte capitaliste pour enlever aux mouvements révolutionnaires de classe future la solide base d’un encadrement syndical ouvrier véritablement autonome.

Dans un pays vaincu et où la bourgeoisie locale se voit privée de l’autonomie de son État, les effets des influences des grands complexes étatiques étrangers qui se taquinent sur ces terres de personne, ne peuvent masquer le fait que même la Confédération qui reste avec les social-communistes de Nenni et de Togliatti n’est pas fondée sur l’autonomie de classe. Ce n’est pas une organisation rouge mais c’est une organistion tricolore cousue sur le modèle mussolinien.

L’histoire de la « renaissance » syndicale de 1944 est là pour le démontrer avec ses rubans tricolores et ses gouttes d’eau lustrale sur les drapeaux ouvriers, avec ses basses consignes d’Union Nationale, de guerre anti-allemande, de nouveau Risorgimento Libéral, avec sa revendication, toujours actuelle, d’un ministère de concorde nationale; toutes ces directives qui auraient fait vomir un bon organisateur rouge - même s’il était de tendance réformiste pure.[2]

Notes:
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  1. En français dans le text (NDT) [⤒]

  2. Note du traducteur:
    A la cinquième page de ce filo, les fascistes faisaient avaler de l’huile de ricin à leur adversaires. Bordiga veut dire ici que les prétendues antifascistes sont plutôt des néofascistes que des victimes du fascisme. [⤒]


Source: « Battaglia Comunista » Nr. 21, 25–01 juin 1949. Traduction incertaine, se reporter au texte original.

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