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MARXISME OU PARTISANAT


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Marxisme ou partisanat
Hier
Aujourd’hui
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Sur le fil du temps

Marxisme ou partisanat

Hier

Au temps de la révolution bourgeoise, les forces d’avant-garde de la classe qui arrivait au pouvoir connurent leur internationalisme, surtout dans la période de feu de 1848, quand, d’autre part, la classe prolétarienne moderne déjà présente, les insurrections se répercutèrent bouleversant l’une après l’autre les capitales de l’Europe. Les démocrates révolutionnaires bourgeois de différents pays nouèrent de fréquents contacts, se prêtèrent des appuis armés efficaces. Les systématisations théoriques d’un mouvement européen et mondial de la démocratie bourgeoise ne manquèrent pas. Il suffit de rappeler la Jeune Europe de Mazzini parallèle à la Jeune Italie et le large emploi de la mystique patriotique et nationale.

Une méthode de lutte caractéristique de cette période de la conquête du monde de la part de la bourgeoisie fut la conspiration des sociétés secrètes et la participation, grâce à des expéditions armées, à des légions de volontaires organisés à l’intérieur et à l’extérieur des frontières, aux luttes qui se développaient dans les différents pays (guerres d’indépendance).

Il est fondamental que, depuis le siècle dernier, les premiers groupes d’ouvriers et de socialistes venus à la conception de classe marxiste, opposèrent à ce mode de conduire la lutte révolutionnaire, propre à l’époque bourgeoise, une critique décisive et un type très différent d’organisation et de lutte. Il suffira de relire, à ce propos, la note d’Engels sur l’histoire de la Ligue des communistes qui sert de préface aux révélations de Marx sur le procès de Cologne de 1852. En 1848, en pleine période révolutionnaire, les communistes étaient convaincus que la défaite de la réaction féodale dans les différents pays avait une grande importance pour le prolétariat. Ils ne désespéraient pas, d’autre part, de greffer sur les révolutions de Paris, de Berlin et des autres capitales l’assaut de la classe ouvrière à la bourgeoisie, afin de conquérir le pouvoir. Toutefois ils dénonçaient, même dans des circulaires de parti, l’utilisation des légions et le « partisanat » des démocrates extrémistes.
« A Paris sévissait alors la manie des légions révolutionnaires. Italiens, Espagnols, Belges, Hollandais, Polonais, Allemands se groupaient en bandes pour délivrer leurs patries respectives. La légion allemande avait à sa tête Herwegh, Bornstedt, Börnstein. Comme tous les ouvriers étrangers se trouvaient, au lendemain de la révolution, non seulement sans travail, mais encore en butte aux tracasseries du public, ces légions avaient beaucoup de succès. » (« K. Marx devant les jurés de Cologne », Ed. Costes, pp. 88–89)
« Nous prîmes parti, de la façon la plus nette, contre cet enfantillage révolutionnaire… Nous fondâmes un club communiste allemand, où nous donnions aux ouvriers le conseil de rester à l’écart de la légion, mais de rentrer isolément en Allemagne et d’y faire de la propagande en faveur du mouvement. » (Ibid., pp. 89–90)
À la vague de crises et de luttes de 1848 succéda une période de consolidation de l’économie bourgeoise et de pauses dans les luttes politiques. La réaction féodale s’illusionnait avoir politiquement vaincu ; mais dans une analyse de 1850 Marx notait que :
« la base des conditions sociales est momentanément tellement sûre et, ce que la réaction ne sait pas, tellement bourgeoise. C’est contre cette base que viendront échouer toutes les tentatives faites par la réaction en vue d’arrêter l’évolution sociale, tout aussi sûrement que toute l’indignation morale et toutes les proclamations enthousiastes de la démocratie. » (Revue de mai à octobre 1850, in « Neue Rheinische Zeitung »).
Engels notait encore :
« Mais cette froide appréciation de la situation était considérée par beaucoup de gens comme une hérésie à une époque où Ledru-Rollin, Louis Blanc, Mazzini, Kossuth et, parmi les lumières allemandes de second ordre, Ruge, Kinkel, Gregg et tutti quanti, constituaient en masse à Londres de futurs gouvernements provisoires, non seulement pour leurs patries respectives, mais encore pour toute l’Europe, et où il ne restait plus qu’à réunir, au moyen d’un emprunt révolutionnaire émis en Amérique, l’argent nécessaire pour réaliser en un clin d’œil la révolution européenne, ainsi que les différentes républiques qui devaient en être la conséquence naturelle. » (pp. 96–97).
La conclusion de ce texte d’Engels qui date de 1885 est un rappel historique et un hommage à la puissance gigantesque de la conception révolutionnaire de l’histoire due à Marx.

Il y en a assez pour établir qu’à la méthode mystique propre à la révolution bourgeoise, celle des anciens exilés devenus partisans, la révolution ouvrière en oppose une bien différente : l’organisation en parti de classe, territorialement présent partout où le capital exploite ses esclaves salariés, parti unique pour tous les pays parce que non fondé à partir de la reconnaissance des États nationaux et des constitutions populaires, parti en lutte incessante avec les institutions bourgeoises en place tant sur le plan théorique que dans la bataille pratique.

La méthode démocratico-bourgeoise et partisane, pour qui tout mouvement ne peut parvenir à s’opposer à l’ordre régnant dans un pays que s’il a l’appui d’un régime d’un autre pays qui lui fournit armes et aides, donne refuge en cas de défaite à des congrès d’inspirés, des gouvernements de fantoches, n’a pas cessé, par ses séductions corruptrices, de créer des obstacles à la constitution du mouvement prolétarien mondial.

La tradition littéraire italienne possède le fameux texte de Carducci sur les jeunes printemps sacrés de l’Italie qui vengent Rome et Montana en tombant victorieux sur la gentille terre de France. Dans la guerre franco-prussienne de 1870 – on peut se demander si la démocratie moderne progressait plus avec les baïonnettes de Moltke ou avec celles de Napoléon le Petit – les garibaldiens italiens furent volontaires, en tant que légion, à Dijon où ils remportèrent sur les Prussiens une victoire tactique secondaire.

Lorsqu’il s’est agi de consolider la critique socialiste au nationalisme et au patriotisme, les épisodes des légions de la guerre de libération grecque contre les Turcs à la fin du siècle dernier donnèrent des ennuis assez importants. Les partisans nous crièrent, en polémique, qu’à Domokos avec tous les démocrates du monde il y avait aussi les anarchistes.

Nous expliquâmes plusieurs fois avec patience que nous ne considérions pas les anarchistes comme un modèle révolutionnaire de gauche pour les marxistes.

Au cours de la guerre de 1914, on peut penser que le fait dominant ne fut pas un choix des « démocrates » du monde entier pour une des deux parties. En Autriche et en Allemagne les socialistes, comme du reste tout autre parti parlementaire de gauche, furent pour le régime et pour la guerre. Nous en étions déjà au type de guerre moderne, impérialiste, générale concernant tout le monde capitaliste. Il y avait dans le coup un régime réactionnaire, féodal, celui de la Russie, mais, voyez un peu, il était dans le camp des grandes démocraties d’Occident, celles qui ont toujours couvé dans leur sein généreux les partisanats de la liberté. On ne pouvait pas à Londres et à Paris songer à organiser des légions contre l’allié, le tsar sérieusement engagé à supporter les coups de bélier des armées du Kaiser. Mais la révolution russe éclata. La position de Lénine et des bolchéviks en face des différents groupes opportunistes d’émigrés russes démocrates et socialistes n’a pas besoin d’être rappelée. En théorie c’est celle de Marx vis-à-vis du mazzinisme et du kossuthisme, dans la pratique il les fit foutre en l’air en même temps que les partisans du tsar et les bourgeois.

Aujourd’hui

C’est au cours de la guerre civile espagnole que le partisanat a fait ses grandes preuves au cours de sa ruineuse réédition. Avec les dannunziens nous avions eu en Italie, au cours de la grande guerre, une production du légionnarisme. C’est un fait qui pour l’analyse marxiste se relie aux vastes exigences du militarisme professionnel déterminé par les guerres modernes, spécialement au sein des classes moyennes, et qui conduit directement à diverses formes propres du totalitarisme fasciste.[1]

En Espagne, nous vîmes le légionnarisme rouge et noir qui tous deux prirent des formes partisanes, c’est-à-dire la forme de corps militaires soutenus par la technique moderne et par une dépense relative, sans que les États n’apparussent de façon officielle, par exemple la Russie d’un côté, l’Italie de l’autre.

Cela semblait le heurt de deux mondes, mais tout finit par une opération de police complaisamment soutenue par les grands marchés des démocraties occidentales et par le comportement ambigu de Moscou, et se termina par la terrible ruine du mouvement révolutionnaire international, ruine idéologique, organisationnelle et le sacrifice d’hommes valides et audacieux, dans l’intérêt intégral et à l’avantage du capitalisme.

Tout ceci conduisit directement à la situation défaitiste, du point de vue prolétarien, de la Seconde Guerre mondiale. Tandis qu’après la première, tout l’effort du mouvement orienté vers la victoire communiste en Russie était porté à la formation du parti de classe international qui se levait menaçant contre la bourgeoisie de tous les pays, après la seconde guerre, les staliniens liquidèrent l’orientation classiste et de parti et, avec cent partis petits-bourgeois, renversèrent toutes les forces que, malheureusement, ils contrôlaient, dans le mouvement de type légionnaire.

Les militants révolutionnaires se muèrent en aventuriers d’un type peu différent de celui fasciste des premiers temps. Au lieu d’être des hommes de parti, gardiens de l’orientation marxiste et de l’organisation autonome solide des partis de l’Internationale, ils devinrent des caporaux, des colonels ou des généraux d’opérette. Ils ruinèrent l’orientation révolutionnaire du prolétariat en le faisant terriblement reculer d’au moins un siècle. Ils appelèrent tout cela progressisme. Ils convainquirent les ouvriers de France, d’Italie et de tous les autres pays que la lutte de classe – naturellement offensive et ayant un caractère d’initiative délibérée et déclarée – se concrétisait en une défense, en une résistance, en une inutile et sanguinaire hémorragie contre les forces capitalistes organisées qui ne furent expulsées que par d’autres forces non moins régulières et non moins capitalistes, tandis que la méthode adoptée empêchait absolument, dans le mouvement en cours, une tentative d’attaque autonome de la part des forces ouvrières. L’histoire démontrera que de telles tentatives ne manquèrent pas comme celle de Varsovie[2] durant laquelle les soviétiques attendirent impassibles à quelques kilomètres que l’armée allemande rétablisse l’ordre classique. Mais ce furent des tentatives condamnées à cause du fourvoiement démocratique et partisan des énergies de classe.

La dégénérescence opportuniste de 1914–1918, battue par le bolchevisme, c’est-à-dire par le marxisme dans sa vraie conception, se présente dans le même rapport vis-à-vis du chemin difficile de la classe travailleuse socialiste que la dégénérescence partisane de 1939–1945.

Le partisan est celui qui combat pour un autre. Peu importe qu’il le fasse par foi, par devoir, ou pour de l’argent.

Le militant du parti révolutionnaire est le travailleur qui combat pour lui-même et pour la classe à laquelle il appartient.

Le sort de la reprise révolutionnaire dépend de la possibilité d’élever une nouvelle barrière insurmontable entre la méthode de l’action classiste de parti et celle démo-bourgeoise de la lutte partisane.

Notes :
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  1. Note du traducteur :
    Cf. une série d’articles d’A. Bordiga, in « Prométeo » 1924, № 1 et 2. [⤒]

  2. Cf. « En souvenir de la commune de Varsovie » dans « Il Programma comunista », № 23, 1953 et № 1, 1954. [⤒]


Source : « Battaglia Comunista » № 14, 6–13 avril, 1949. Traduction incertaine, se reporter au texte original.

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