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CORPORATISME ET SYNDICALISME


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Corporatisme et syndicalisme
Hier
Aujourd’hui
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Sur le fil du temps

Corporatisme et syndicalisme

Hier

Depuis l’époque fasciste, on a beaucoup parlé de « corporatisme », de systèmes de représentation des professions et des intérêts sociaux, d’organes d’État fondés sur ce critère. Il est intéressant de remarquer qu’après la chute du fascisme, ces mêmes groupes qui, en lui succédant, se posèrent en fossoyeurs et en destructeurs de tous ses vestiges, en reviennent cependant à demander avec insistance de poursuivre la reconstruction de nombreux organes de ce système social comme les Conseils du travail et de l’économie.

Les fascistes n’ont certainement pas inventé le corporatisme et la république des professions; ceux-ci constituent non seulement des idées et des modèles historiques ou utopistes de société très anciens, mais ils ont été, à une époque récente et avec la convergence de tendances illégitimes mais parfois vivaces du mouvement prolétarien, élevés à hauteur de programme dans la Constitution du Carnaro par les partisans de d’Annunzio, pour ne citer qu’un exemple parmi tant d’autres, et ce avant la Charte du travail de Mussolini (dont la rédaction surpasse pour le moins, du point de vue littéraire, largement les articulations grandiloquentes de l’actuelle charte constitutionnelle post-fasciste).

On fait remonter complètement à tort ces statuts de l’époque moderne fondés sur la classification des citoyens par type social aux traditions du corporatisme médiéval avec lequel ils n’ont rien de commun.

Les corporations du Moyen-Âge encadraient des artisans qui apportaient tous leur contribution, même matérielle, à la production les uns – les plus expérimentés, les plus intelligents ou simplement les plus âgés – en tant que chefs de petites entreprises, les autres en tant qu’apprentis, aides ou assistants du maître. La vie des ordres de la noblesse et du clergé, qui n’étaient pas fondés sur leur apport à la vie économique et à l’activité productive mais sur la naissance et le grade militaire ou ecclésiastique, se déroulait en dehors de cet encadrement. L’Église et les confréries, de même que la chevalerie et l’aristocratie, n’étaient pas des corporations parallèles et opposées aux corporations d’artisans, elles ne faisaient pas peser leur exploitation économique sur le dos de la classe artisanale mais principalement sur celui des travailleurs de la terre, serfs et privés de droit même corporatif, privés d’« état ». Ce corporatisme médiéval était donc uniclassiste, non interclassiste, dans la mesure où la classe des employeurs n’existait pas comme élément décisif du régime. On pourrait l’appeler corporatisme monopolaire, par opposition au corporatisme bipolaire qui va s’établir progressivement dans le régime du salariat.

Aujourd’hui

Il faut le répéter sans cesse, le régime bourgeois libéral, sous la poussée des nouvelles forces impétueuses de productions et des intérêts des capitalistes, refusa et dépassa toute division de l’agglomérat social non seulement en castes mais aussi en ordres à régime juridique différent. Il proclama la loi égale pour tous, nobles ou plébéiens, clercs ou laïcs, il construisit la figure on ne peut plus fictive du citoyen atome social doté d’un lien égal pour tous avec l’édifice étatique, et camoufla sous cette série de puissants bobards une nouvelle domination de classe pire et génératrice de plus de misère.

Étant donné que, par la suite, l’organisation des intérêts économiques des nouveaux exploités, les ouvriers salariés, était devenu irrépressible, la loi, comme nous le rappelions ailleurs, dut admettre le principe syndical, lequel s’étendit à toutes les catégories et devint même finalement l’arme des groupes capitalistes.

Le système, d’un genre on ne veut plus moderne, qui veut non seulement reconnaître mais introduire constitutionnellement dans l’État ces organismes associatifs, est un produit original du monde capitaliste et n’a rien à voir avec le retour aux corporations.

Ce corporatisme capitaliste est bipolaire car, dans le monde moderne, il ne voit comme possibles devant lui que deux strates, deux faces de l’économie, les employeurs et les travailleurs, c’est-à-dire ceux qui fournissent la main d’œuvre et qui ne possèdent rien sinon leur aptitude à produire. Il n’organise pas les personnes en tant que citoyens classés par ordre professionnel ou par catégorie et couche sociales, mais il organise les intérêts qui ne sont plus, dans l’économie bourgeoise, ceux de personnes physiques individuelles mais ceux de forces qui tendent à devenir anonymes.

Même s’ils sont encore une fois convaincus de leur vacuité phi1osophique, les « immortels principes » bourgeois de 1789 ne sont pas trahis dans ce qu’ils avaient, à leur proclamation, d’essentiellement révolutionnaire et donc d’anti-médiéval on ne naît pas employeur, ouvrier, fonctionnaire ou appartenant à une profession libérale, on le devient, si l’on s’en tient aux termes des codes.

Si nous n’avons pas cru au truc du mécanisme démocratique que les bourgeois naïfs auraient donné comme arme à leurs subordonnés – c’est-à-dire, les électeurs prolétariens étant beaucoup plus nombreux que les électeurs possédants, ils n’ont qu’à tendre la main pour obtenir pacifiquement le pouvoir – on ne peut d’autant moins ne pas voir où réside le défaut dans le mécanisme totalitaire et corporatiste. Pour parler simplement, les ouvriers votent en fonction de leur nombre, ou mieux ce sont leurs chefs syndicaux qui votent pour eux, tandis que les patrons votent en fonction « du volume d’intérêts économiques » qu’ils représentent dans leurs entreprises, à savoir selon le nombre d’ouvriers qu’ils ont et, en dehors de la masse des salariés, en fonction du plus qui correspond au capital fixe…

Et pourtant toute cette machinerie a beaucoup séduit dans le camp ouvrier puisque certains sont tombés dans de pitoyables confusions concernant le syndicalisme de classe, les différentes constructions économiques (et donc tronquées de l’organisation et de la lutte révolutionnaires comme le réseau des conseils d’entreprise) jusqu’aux Soviets de la Révolution Russe d’Octobre, oubliant que ceux-ci redevenaient – ici non plus, ce n’est pas le Moyen-Âge qui ressurgit… par tous les dieux ! – monopolaires, à savoir que le chef d’entreprise n’y représentait absolument rien puisqu’il n’était compté ni pour le nombre de ses salariés, ni pour la crétinerie juridique qu’il est tout seul.

Tout cela semble si simple et si évident, et pourtant nous assistons à une grande dépense d’efforts pour cette représentation des intérêts de catégorie que tous les Solon contemporains sont disposés à admettre.

Le différend entre les corporatistes rouges et blancs dans la rédaction de cette mauvaise copie incorrecte de la Charte fasciste porte sur des points secondaires est-ce que les conseillers doivent être désignés par l’État parmi ses fonctionnaires, par les syndicats parmi leurs représentants, ou bien var une énième consultation et crétinisation « à la base » des corps électoraux ?

Il s’agit au contraire d’un processus essentiel du mode d’organisation du régime capitaliste qui tend, avec ces encadrements obligatoires, à la suppression des syndicats autonomes et à l’abolition de la grève: les gauchistes, en véritables nigauds, veulent faire inscrire dans la Constitution – voir Mussolini – l’interdiction du lock-out alors qu’elle constitue la condition évidente de l’abolition de la grève.

La question de la revendication, dans les lois constitutionnelles, d’organes économiques de l’État ne vaut pas mieux que celle de la revendication d’une Cour Suprême constitutionnelle – plus haut il ne reste que le bon dieu.

Dans ce cas également, on demande vaguement qu’elle soit « désignée démocratiquement » sans comprendre qu’il s’agit d’une magistrature et donc de la forme la plus intégralement conservatrice qu’il puisse y avoir, instrument direct de la classe au pouvoir et possédant jusqu’à la faculté de détruire toute expression des corps « électifs » provenant des combines[1] mêmes des différents partis, tant qu’il y en aura. Quant à nous…

Les « batailles » des partis « de la classe ouvrière » se valent toutes: qu’elles soient menées avec la distinction raffinée de Terracini ou avec la trivialité ordurière de Di Vittorio.

Notes:
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  1. Note du traducteur: « combines » est en français dans le texte. [⤒]


Source: « Bataglia comunista », n°6, 9 Janvier – 16 Fevrier 1949. Traduction incertaine, se reporter au texte original.

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