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CHINE: LA RÉVOLUTION BOURGEOISE A ÉTÉ FAITE, LA RÉVOLUTION PROLÉTARIENNE RESTE À FAIRE


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Chine: la révolution bourgeoise a été faite, la révolution prolétarienne reste à faire
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Chine: la révolution bourgeoise a été faite, la révolution prolétarienne reste à faire

Se référant d’une part aux aléas de la Russie post-révolutionnaire après 1926, dans cette phase à laquelle Staline a laissé son nom et qui mérite d’être qualifiée de bourgeoise non seulement sur le plan économique mais aussi sur le plan politique[1], et d’autre part à la révolution démocratique bourgeoise qui venait de triompher en Chine sous le drapeau de Mao, un de nos textes de parti disait en 1953:

«La révolution bourgeoise en Chine est venue à son heure dans son aire continentale, comme la révolution française.
La révolution capitaliste russe s’est produite en retard par rapport à l’histoire de son aire continentale, elle a brûlé les étapes en parvenant au capitalisme d’État.
Aucune des deux n’est socialiste. Toutes deux tissent le linceul du capitalisme mondial»[2].

Ce passage suffira-t-il à ouvrir les yeux de tous ceux qui croient voir une contradiction insoluble entre notre opposition résolue à la structure économique et sociale née de la «révolution maoïste», ainsi qu’à sa superstructure idéologique, et notamment au soi-disant «marxisme-léninisme» dont Pékin se pare impudemment (tout comme au faux «bolchévisme» impudemment revendiqué par Moscou), et ce qu’ils nomment textuellement notre «ouverture vers la révolution chinoise considérée pourtant comme ouvertement bourgeoise»? Pourront-ils jamais comprendre comment et pourquoi le «Manifeste» de Marx et Engels est un hymne à la bourgeoisie dans la mesure où elle révolutionne tous les rapports économiques, sociaux et politiques des époques antérieures, où elle suscite des forces productives gigantesques jusque-là emprisonnées dans un carcan dépassé; et en même temps et à plus forte raison une déclaration de guerre à mort à la bourgeoisie de la part de la plus importante des forces productives qu’elle ait fait naître, l’armée des travailleurs salariés, la classe de ses fossoyeurs prolétariens? Ou plutôt, pour reprendre les termes d’un de nos textes de parti, pourront-ils jamais comprendre comment et pourquoi, dans la conception marxiste, «la condition centrale pour que le socialisme triomphe est le capitalisme lui-même, même si le parti révolutionnaire, dès sa première apparition, mène contre lui une guerre acharnée et, au fur et à mesure que le rapport des forces le permet, gravit les échelons qui vont de la critique scientifique à l’opposition de principe, à la polémique politique et à l’insurrection armée».[3]

C’est précisément la raison pour laquelle le «Manifeste» assigne au parti communiste, dans une Allemagne non encore libérée des chaînes pré capitalistes (et comme le fera plus tard Lénine en Russie), la tâche de «lutter ensemble avec la bourgeoisie toutes les fois qu’elle prend une position révolutionnaire contre la monarchie absolue, contre la propriété foncière féodale et contre la petite-bourgeoisie réactionnaire» et, en même temps, la tâche encore plus impérative de ne pas «cesser un seul instant de développer chez les ouvriers la conscience la plus claire possible de l’antagonisme et de l’hostilité entre la bourgeoisie et le prolétariat, afin que les ouvriers allemands soient en mesure d’utiliser immédiatement comme autant d’armes contre la bourgeoisie les conditions sociales et politiques que la bourgeoisie doit introduire en même temps qu’elle impose sa domination».

De la même manière, la contre-révolution stalinienne de 1926–27 ayant détruit l’organisation, la théorie et le programme du mouvement prolétarien et ayant de ce fait rendu impossible l’apport décisif des mouvements prolétariens d’Occident aux révolutions populaires et plébéiennes d’Orient, les marxistes que nous sommes reconnaissent que «dans les pays d’Asie où domine encore l’économie agraire de type patriarcal et féodal», même «la lutte politique des «quatre classes» est un facteur de victoire dans la lutte communiste internationale, même quand elle aboutit dans l’immédiat à l’instauration de pouvoirs nationaux et bourgeois: tant par la formation de nouvelles aires où seront à l’ordre du jour les revendications socialistes, que par les coups que ces insurrections et ces révoltes portent à l’impérialisme euro-américain»[4]. Mais cette reconnaissance ne signifie pas et ne pourra jamais signifier la renonciation à notre propre position indépendante de parti, l’abjuration de l’antagonisme irréductible entre les deux classes fondamentales de la société moderne, et l’adoption des bases programmatiques et tactiques de l’ignoble interclassisme qui fait la trame de l’idéologie maoïste, que nous dénonçons et ne cesserons jamais de dénoncer parce qu’elle est justement l’idéologie d’une révolution nationale bourgeoise!

L’affranchissement du joug impérialiste, la liquidation du fardeau du féodalisme, la construction, à partir de ce qui n’était qu’une colonie ou une semi-colonie du capital mondial, d’une Chine unifiée et indépendante, la création d’un marché national unitaire, le bouleversement du réseau millénaire des rapports économiques et sociaux dans les campagnes, l’édification des bases de l’extension dans un pays immense de l’industrie moderne: voilà le côté révolutionnaire, bien que révolutionnaire bourgeois, du maoïsme.

Mais le maoïsme a prétendu au XVIIIe congrès du P.C. chinois (1956) que «la dictature démocratique du peuple» (comprenez le pouvoir révolutionnaire bourgeois) exprimait les intérêts et les aspirations de «tous» les citoyens de la République, sans tenir compte de leur appartenance à telle ou telle classe – une prétention commune à toutes les bourgeoisies mais que le marxisme rejette; il a même prétendu qu’elle était «devenue en substance (!) une des formes de la dictature du prolétariat», avant d’en faire, dans la constitution de 1974, la «dictature du prolétariat» tout court, et même le premier stade du communisme; il a lancé au monde, en guise de remise à jour du marxisme et d’étendard pour mener la classe des salariés industriels et agricoles à la victoire, tout le bagage démocratique, gradualiste, pacifiste, coexistentialiste et mercantile que toute révolution bourgeoise plus ou moins conséquente traîne avec elle – c’est là son côté incurablement contre-révolutionnaire.

La classe ouvrière incarnée et dirigée par son parti révolutionnaire n’a jamais hésité, tout en sachant qu’elle devrait y laisser non seulement sa sueur mais son sang, à saluer et à appuyer les résultats historiquement nécessaires des révolutions bourgeoises, même incomplètes comme toutes celles où le prolétariat n’a pu matériellement jouer un rôle dominant. Mais elle n’a jamais accepté pour autant de «retomber au rang de simple annexe de la démocratie bourgeoise officielle» et de renoncer à assumer et à défendre jusqu’au bout «une position indépendante de parti, sans laisser les tirades hypocrites des petits-bourgeois démocratiques (et les sentences de la «pensée maotsétoung» ne sont rien d’autre) leur faire perdre de vue un seul instant l’organisation autonome du parti du prolétariat», qui avance comme son cri de guerre propre le mot d’ordre de la «révolution en permanence»[5].

Voilà donc percé à jour le mystère de l’«ambivalence» de notre jugement sur la révolution chinoise – sauf, évidemment, aux yeux de ceux pour qui le marxisme tout entier est un mystère…

Cependant, comme l’indique le passage de notre texte de 1953 cité au début, pour rendre compte du présent de la révolution chinoise, il ne suffit pas de reconnaître qu’elle a été et est une révolution bourgeoise, la plus grande sans aucun doute de cet après-guerre, une révolution aux origines sociales bien définies par le culte de l’individu-démiurge, du personnage créateur de l’histoire au lieu d’en être l’instrument. Il faut ajouter que l’action conjuguée du fléau réactionnaire du Kuomintang de Tchang Kaï-chek et de la peste de l’opportunisme stalinien, avec cette théorie des «révolutions par étapes» que les «grands chefs» du maoïsme ont adoptée en 1926–27 pour ne plus jamais la renier, a mis le mouvement social en Chine dans l’impossibilité d’emprunter la voie – qui, dans la conjoncture internationale d’il y a cinquante ans, pouvait être brève – d’une révolution démocratique bourgeoise menée jusqu’au bout et jusqu’à la transcroissance en révolution prolétarienne; et qu’après le bain de sang de 1926–27, le plus épouvantable que la bourgeoisie puisse dans toute son histoire se vanter d’avoir infligé aux ouvriers et aux paysans accourus pour la soutenir contre l’Ancien Régime, le mouvement social a dû dans les années 30 reprendre le chemin en partant «des profondeurs de la Chine rurale», de la périphérie économique et politique, et suivre la voie tortueuse, la longue, l’interminable marche de la «révolution paysanne», pour n’aboutir aux grandes villes et à leur nœud central, Pékin, qu’après une complexe manœuvre d’approche. Il en est résulté que la «République populaire» et le «pouvoir de tout le peuple» enfin instaurés[6] se sont vus inévitablement interdite la possibilité de s’ériger sur la base d’une grande agriculture, et à plus forte raison d’une grande industrie moderne basée sur une accumulation massive et intensive du capital dans la campagne. Ils ont dû s’édifier sur la base d’une agriculture microscopique, parcellaire, et donc arriérée, bien que protégée dans sa structure fragile par l’existence d’un pouvoir central fort et unitaire débarrassé aussi bien de la pieuvre de la domination impérialiste que du provincialisme écrasant des seigneurs de la guerre, et en mesure ainsi d’assurer, comme il le fait en Chine depuis des millénaires, les conditions matérielles de survie pour la petite et toute petite entreprise rurale par la régulation et le contrôle des cours d’eau dans un système capillaire et hautement «organique» d’irrigation générale.

Ils ont pu le faire en tirant d’un sommeil séculaire et en projetant dans l’arène de l’histoire de gigantesques masses paysannes et même prolétariennes, entraînant même des couches non négligeables de «bourgeoisie utile»[7]. Ainsi, ils ont donné le signal du développement accéléré des forces productives d’une part, de la transformation de la Chine semi-coloniale en grande puissance d’autre part. Mais ils n’ont pas dépassé – ce n’était possible qu’à travers un cours accidenté dont n’ont été jusqu’ici franchies que quelques étapes fondamentales – la première phase de toutes les révolutions bourgeoises, celle que l’on peut définir, toutes proportions gardées pour l’Orient (voir le texte de 1953), comme la phase «française» par opposition à la «russe», l’instauration de la petite propriété et de la petite exploitation paysanne bornée par l’horizon de l’autosuffisance, avec sa défense acharnée, mais désespérée parce qu’impossible à la longue, d’un idéal autarcique au niveau périphérique et central, avec tous les effets secondaires que cela devait avoir sur les destinées de cet immense pays enfin libre et unifié. C’est là le secret des convulsions qui secouent périodiquement la Chine contemporaine, dans le cadre même de sa transformation capitaliste.

De la phase de (prudente) «répartition du sol» de 1949–1953 jusqu’à celle de la soi-disant «collectivisation», avec ses équipes d’entraide mutuelle et ses petites et moyennes coopératives agricoles entre 1953 et 1958; de la phase du regroupement régional des coopératives agricoles en communes élevées au rang d’ «unités sociales de base de la société communiste» et combinant la micro-agriculture avec la micro-industrie, voire… la micro-sidérurgie, jusqu’à l’aveu ouvert, en 1962, de l’échec de l’effort surhumain entrepris pour accumuler dans les campagnes du capital à un niveau suffisant pour donner l’essor à la grande industrie; et jusqu’aux vicissitudes ultérieures (révolution culturelle y compris, n’en déplaise aux «gauchistes») de ce qu’on pourrait définir comme l’idéalisation à la façon du «socialisme petit-bourgeois» d’un capitalisme rétrograde dans le domaine agraire (et a fortiori industriel), mais soucieux de surmonter sa propre arriération en «comptant sur ses propres forces», c’est-à-dire en tendant jusqu’à les rompre les énergies des travailleurs des usines et des campagnes; d’un bout à l’autre, l’histoire de l’évolution capitaliste de la Chine post-révolutionnaire n’est que l’histoire des contradictions inscrites dans sa base matérielle de départ. Contradictions entre la petite agriculture familiale et la poussée irrésistible vers l’industrialisation. Contradictions entre la nécessité objective de dépasser la première phase du bouleversement bourgeois des rapports économiques et sociaux dans les campagnes pour se lancer dans la seconde, celle de l’expropriation et de la concentration des entreprises rurales (clef de voûte d’un véritable et décisif «bond en avant» en direction au moins du capitalisme d’État russe, aussi hybride qu’il soit, du kolkhoze, aussi arriéré qu’il puisse être, et de la grande agriculture), et la farouche résistance du petit paysan contre ce processus irréversible.

Contradiction entre les myriades d’économies locales d’autoconsommation et l’irruption des échanges mercantiles sur une échelle croissante, entre ces unités économiques et entre la ville et la campagne. Contradictions entre les composantes du bloc fictif de plusieurs classes, entre la grande et moyenne bourgeoisie naissant du tissu même de la micro-agriculture et la petite bourgeoisie (et mini-petite bourgeoisie) rurale, et entre ces classes et demi-classes et le prolétariat. Contradictions entre l’intégration progressive de la Chine dans le marché mondial et dans le «concert» (à plusieurs voix et sans chef d’orchestre) des nations, et la tentative de se protéger derrière le bouclier d’une autosuffisance poursuivie en vain[8]. Contradictions entre l’irrésistible poussée en direction de l’ «ouverture» vers l’extérieur a et la tendance – de plus en plus faible – à la «fermeture sur soi».

C’est ce jeu de contradictions sans cesse renaissantes qui explique les avancées et les reculs, tous ponctués de catastrophes non pas naturelles mais sociales et économiques, de la «Chine populaire»; et seul le «romantisme» idéaliste et petit-bourgeois de Mao pouvait espérer le résoudre sur le terrain de la «conscience», de la pédagogie politique et des «lumières» idéologiques, en les fondant, puisque soi-disant «non-antagoniques», dans l’harmonie supérieure du «peuple tout entier». C’est ce jeu de contradictions qui explique les luttes périodiques entre factions rivales, l’apparition sur la scène et la disparition de «chefs historiques» soudain transformés en déviationnistes de droite et de gauche. C’est le reflet de ces contradictions «au sein du peuple» – donc au sein d’un régime qui s’avoue, derrière son masque, incontestablement bourgeois – qui explique les mises à jour continuelles d’une pensée qui se fonde cependant toujours sur les bases immuables d’un populisme interclassiste. C’est le débordement de ces contradictions sur la scène mondiale qui donne la clef d’une politique extérieure destinée à «surprendre» et à «désorienter» chaque fois davantage le troupeau bariolé mais amorphe des fausses «gauches»; et qui explique en même temps l’apparent paradoxe d’une Chine qui, parce qu’elle s’est rendue indépendante et s’est lancée sur la voie du dépassement de sa propre arriération historique, est prise pour modèle par les détachement avancés des peuples du tiers-monde au moment même où, loin de déclarer la guerre aux métropoles impérialistes, elle prône – comme le prônait déjà la célèbre «Lettre en 25 points» de 1963, restée la Bible du maoïsme – les «principes» de l’égalité complète entre les États, du respect de leur intégrité territoriale, de leur souveraineté et de leur indépendance, de la non-ingérence dans les affaires d’autrui, du développement «mutuellement avantageux» des échanges, et, enfin, de la «paix universelle», en premier lieu avec l’ancien «tigre de papier», l’impérialisme américain, et par conséquence logique, avec l’ennemi héréditaire japonais. C’est aussi le jeu de ces contradictions qui explique le paradoxe non moins apparent d’une politique extérieure qui, à la consternation des «gauchistes» de tout poil, mise toutes les cartes de l’ «anti-impérialisme» sur les régimes les plus conservateurs d’Asie et sur une Europe unie sous le bouclier yankee contre l’U.R.S.S.

C’est sur la toile de fond de ces mêmes contradictions que le reflet idéologique renversé du heurt des forces matérielles projette, depuis la mort de Mao, le sordide film à scandale de la lutte entre Hua Guofeng et la énième «clique» de Shanghaï, n’hésitant pas à tirer cyniquement de l’arsenal d’un passé barbare les mythes de la femme serpent, de l’ange déchu, du héros transformé en gredin[9], pour cacher sous le voile de «conjurations de palais» et même de secrets d’alcôve la dure réalité des antagonismes sans cesse renaissants du mode de production capitaliste qui se fraie péniblement une voie dans les convulsions.

La révolution chinoise a été capitaliste, mais elle a eu lieu. Parvenue à la phase de sa difficile consolidation, la Chine s’est intégrée et s’intègre toujours davantage comme grande puissance (même si c’est en sourdine) dans le système mondial des États, elle a son siège à l’O.N.U., elle voit toutes les huiles du monde bourgeois s’agenouiller respectueusement devant la dépouille mortelle de son grand timonier, et les businessmen les plus rapaces accourir à Pékin à la chasse aux affaires. L’écheveau de ses contradictions internes ne sera démêlé par aucune «pensée», mais par la double pression du marché mondial et de l’accumulation du capital dans ses campagnes et dans ses villes. Et ce dénouement dans le sens du grand capitalisme ne se produira pas sous le signe de développements pacifiques, mais s’accompagnera de nouvelles et puissantes secousses dans le sous-sol social. Ce sera là l’après-Mao dont les politicologues bourgeois ont cherché désespérément le secret, au lendemain de la mort du grand timonier, dans l’ordre de succession hiérarchique de possibles «dauphins», et le cherchent aujourd’hui dans les destinées du nouveau groupe au pouvoir; et c’est sur cet après, en tous points cohérent avec l’avant, que se greffera la lutte de classe indépendante du prolétariat chinois, appelé à venger l’hécatombe de 1926–27 dans le feu de la révolution communiste.

Que le gigantesque cycle révolutionnaire bourgeois en Extrême-Orient se soit paré et continue à se parer des couleurs du socialisme est si peu étrange et si peu mystérieux pour le marxisme qu’en 1920 déjà, alors que le réveil de l’Asie se teintait de lueurs d’incendie, les thèses de la IIIe Internationale sur la question nationale et coloniale proclamaient la nécessité d’une «lutte résolue contre la tentative de revêtir des couleurs communistes les mouvements de libération non réellement communistes des pays arriérés» (tentative mille fois répétée dans les années 20 par le parti de Sun Yat-sen et de Tchang Kaï-chek, et logiquement reprise par son successeur déclaré, le Parti Communiste Chinois de Mao). Que ce cycle se prolonge non seulement en une intégration croissante au marché mondial, mais en une insertion accélérée dans l’orbite du capitalisme euro-américain était si peu imprévisible que, dans le même article de 1953, nous écrivions:

«Si la Chine sortie de la révolution cherche comment accélérer sa marche vers le capitalisme privé, qu’elle ne peut encore rassembler en un bloc unique manoeuvré par un gouvernement militaire de fer, comme a pu le faire la Russie, ce sera sur les économies d’Occident qu’elle devra s’appuyer.»

La révolution prolétarienne et communiste chinoise devra avoir lieu et elle sera mondiale. Loin de se réclamer de la «pensée» de Staline ou de ses héritiers plus ou moins dégénérés, ou de la «pensée» de Mao ou de ses dauphins plus ou moins orthodoxes, elle les jettera au rebut parmi les outils périmés d’une sombre préhistoire. Mais elle le fera au cri de «Bien creusé, vieille taupe!». Les révolutions qui se sont sottement parées de ces deux noms et nourries du sang prolétarien et plébéien répandu sans pitié créent en effet jour après jour, nul ne peut l’empêcher, l’armée des prolétaires industriels et agricoles qui jettera au rebut non seulement ces dérisoires bannières idéologiques, mais tout un mode de production et toute la société fondée sur ses bases; elles créent jour après jour les conditions matérielles de la bataille gigantesque que cette armée aura à livrer, et de son éclatante victoire, ouvrant dès à présent un champ immense à la dure tâche de reconstruction du parti de classe après les dévastations accomplies par l’opportunisme.

C’est en cela, et en cela seulement, que réside la justification historique de ces révolutions dans le fait que, sans le savoir, et a fortiori sans le vouloir, elle creusent leur propre tombe.

C’est l’oraison funèbre que nous dédions à Mao.

Notes:
[prev.] [content] [end]

  1. La révolution politiquement prolétarienne d’Octobre savait qu’elle devait mener à bien des tâches économiques bourgeoises, il aura fallu la contre-révolution stalinienne pour lui faire perdre ses caractères politiques prolétariens et communistes. [⤒]

  2. «Stalin-Malenkov toppa, non tappa» («Staline-Malenkov un rapiéçage, non une étape»), article publié dans le № 6 de notre bimensuel en langue italienne «Il Programma Comunista». [⤒]

  3. «Les perspectives de l’après-guerre en relation avec la plate-forme du Parti», «Prometeo», № 3, 1946; repris dans «Per l’organica sistemazione dei principi comunisti», Editions ‹Il Programma Comunista›, Milan, 1973, p. 151. [⤒]

  4. «Les révolutions multiples», texte de 1953 reproduit dans «Le Prolétaire» № 164, 7 janvier 1974. [⤒]

  5. Marx-Engels, «Adresse du Comité Central à la Ligue des Communistes», 1850. Seul l’incurable crétinisme gauchiste peut assimiler ce cri de guerre à… l’impératif moral maoïste de la «révolution ininterrompue» qui se fixe pour objectif de «promouvoir la production» dans une lutte incessante pour brûler les étapes conduisant au capitalisme d’État. [⤒]

  6. Non sans les hésitations, les compromis, les craintes et, souvent, les abandons propres à tout mouvement petit-bourgeois, même révolutionnaire, voir à ce sujet la série d’articles sur «Le mouvement social en Chine» publiés dans «Programme communiste», № 28 à 35. [⤒]

  7. «Utile» dans la mesure où, à la différence de la Russie pré-révolutionnaire, ses ailes les plus avancées, réduites en nombre mais non dépourvues de vigueur, avaient pour bagage une tradition appréciable de culture, et le fait d’avoir dès 1911–1912 «lutté avec beaucoup de courage, les armes à la main, contre le féodalisme et le despotisme central et périphérique» (Cf. notre «Struttura economica e sociale della Russia d’oggi», Editions ‹Il Programma Comunista›, Milan, 1976, pp. 446 sq.). [⤒]

  8. La tentative a sans doute trouvé une impulsion dans la dure expérience de l’avarice avec laquelle l’U.R.S.S. a concédé son «aide» à la République «sœur», engagée dans un effort d’industrialisation et de modernisation analogue (mais bien plus épuisant) à celui des plans quinquennaux staliniens, ce n’est là qu’une des ironies de l’histoire pour qui croyait et croit encore au «socialisme» russe ou chinois. [⤒]

  9. Les révolutions bourgeoises ne seraient pas ce qu’elles sont si elles n’appelaient pas sur la scène, à côté du démiurge qui fait l’histoire, le démiurge qui la défait. Mao comme idéologue de la transformation capitaliste de la Chine ne fait pas exception à la règle il a bien théorisé la persistance des «classes» et de leurs oppositions dans la phase qu’il n’hésitait cependant pas à nommer «passage au socialisme», mais comme des faits de la superstructure, de la «pensée» ou même de la «mentalité». Il ne faut donc pas s’étonner si dans son «marxisme» qui marche sur la tête, ce sont les orthodoxes, ou plutôt les «bons», qui créent en tant qu’individus le socialisme, et les hétérodoxes, ou plutôt les «méchants», qui réintroduisent ou s’efforcent de réintroduire le capitalisme, toujours en tant qu’individus, en somme deux styles de… comportement personnel, honnête ou malhonnête, économe ou dissipateur, fidèle à la tradition nationale vierge et sans tâche, ou ouvert aux séductions corruptrices d’un monde étranger. Les épigones ne font aujourd’hui que prolonger, en le tournant en farce macabre, l’héritage du Père de la Patrie. [⤒]


Source: «Programme Communiste», numéro 72, décembre 1976

About the romanisation of chinese names etc. consult our page «A Non-Exhaustive Euro-Hannic Transcription Engine»

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