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LA VICTOIRE DU FRONT POPULAIRE EN FRANCE


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La victoire de la Front Populaire en France
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La victoire du Front Populaire en France

Les conditions qui contresignent le triomphe du Front Populaire et son avènement au pou voir laissent planer sur la situation une terrible inconnue. Nous trouvons-nous devant une nouvelle période où le capitalisme essayera de se survivre sans l’issue de la guerre mondiale et par la réalisation d’une Union Sacrée entre les classes sans précédent dans l’histoire de la société bourgeoise; ou bien encore la victoire du Front Populaire n’est-elle qu’un profond pressentiment de la bourgeoisie française qui comprend que, la guerre étant inévitable, elle doit créer de telles conditions de pourriture du mouvement ouvrier que même les catastrophes de la guerre ne pourront faire surgir un parti révolutionnaire capable de guider les masses vers l’insurrection. Dans l’un sens comme dans l’autre, il est difficile de répondre clairement aujourd’hui. N’oublions pas que les élections en France se sont effectuées pendant cette période de la situation mondiale caractérisée par une détente dont personne ne sait si elle est apparente ou réelle. Ce qui apparaît totalement exclu c’est que la nouvelle forme de domination du capitalisme que s’avère être la Front Populaire se reproduise dans les différents pays démocratiques sous l’influence des événements dans l’un d’entre eux, soit l’Espagne ou la France. De même qu’en Espagne on y retrouve toute l’évolution de la lutte des classes de ces dernières années, de même en France le Front Populaire se constitue et se forme pendant les attaques des différents gouvernements de « trêve nationale » qui, après le 4 février 1931 ont fortement entamé les conditions d’existence des masses travailleuses

Le Front Populaire s’est avéré être le processus réel de la dissolution de la conscience de classe des prolétaires, l’arme destinée à maintenir dans toutes les circonstances de leur vie sociale et politique les ouvriers sur le terrain du maintien de la société bourgeoise.

Contre cette appréciation qui correspond d’ailleurs aux positions centrales que défend notre fraction, il y en a d’autres qui peuvent se synthétiser au tour de la formulation suivante : le Front Populaire représente évidemment un instrument aux mains du capitalisme mais sa base ouvrière, qui a assuré la victoire électorale a une toute autre signification, en l’espèce il s’agit d’une réaction contre la politique d’affamement des décrets-lois. Laissons de côté le fait que les ouvriers français ne pouvaient nullement s’y méprendre socialistes et centristes surtout ayant parlé avec une luminosité éclatante sur la réconciliation des Français, les traîtres à la patrie que seraient les fascistes, sur la France forte, libre et heureuse. Nous voulons seulement insister sur l’impossibilité de départager, dans la victoire électorale du Front Populaire les intentions des ouvriers d’un côté, celles opposées des dirigeants centristes et socialistes de l’autre. Ce qui compte dans la lutte de classe est la nature et les objectifs d’une formation politique donnée surtout lorsqu elle se trouve au pouvoir. En l’espèce le Front Populaire ne peut représenter qu’une forme de domination capitaliste, la forme qui peut le mieux correspondre aux intérêts de la bourgeoisie. Loin de faciliter l’éclosion des luttes de classe des ouvriers elle est appelée a les embrigader dès le premier jour de son ascension au pouvoir et même avant évidemment. Demain, le Front Populaire devait-il se sentir incapable de mater les mouvements ouvriers par la seule corruption et par les manœuvres ? Eh bien, il aura recours à la violence ainsi qu’il est arrivé en Espagne et en Allemagne notamment. Et si, par hasard, le capitalisme devait avoir recours à une vague générale de terreur, eh bien, le gouvernement du Front Populaire n’hésiterait pas à s’effacer – comme il advint en Prusse – paisiblement pour faciliter l’arrivée des nouveaux maîtres.

L’élément essentiel qui prouve que la bourgeoisie française, malgré les sottises du « Temps » et de certains organes de droite, comprend et appui aujourd’hui la tactique du Front Populaire est bien la position de désistement loyal du parti radical au deuxième tour. Certes, le philistin ignorant pourra lever les bras au ciel et mettre en garde les radicaux qui ont fait les frais du succès de leurs co-équipiers dur Front Populaire. Mais sur un tout autre plan on peut rappeler utilement qu’en Allemagne, en Italie les avertissement ne manquèrent pas aux social-démocrates qui néanmoins tirent le lit du fascisme et furent chassés violemment par lui. En France, le parti radical doit faire les frais des succès socialistes et centristes au nom des intérêts supérieurs du capitalisme. C’est son attitude seule qui facilita au deuxième tour le glissement vers la gauche qui fait du parti socialiste le parti le plus fort de France et du P. C. une organisation avec une forte représentation parlementaire.

Que l’une ou l’autre des deux perspectives que nous avons mises en évidence se réalise et la bourgeoisie française sera toujours armée. Que le Front Populaire soit l’instrument pour jeter les ouvriers dans la guerre dans des conditions où leurs sursauts ultérieurs seront chaotiques et confus ou qu’il soit l’instrument nouveau pour pulvériser le prolétariat dans l’Union Sacrée, en dehors d’une perspective de guerre mondiale que la localisation des conflits inter-impérialistes éloignerait encore pour plusieurs années, le fait est que les prolétaires sont lourdement frappés et, dans l’un cas comme dans l’autre, mis dés aujourd’hui dans l’impossibilité de résister efficacement à leurs ennemis de toute couleur.

Les conditions qui accompagnent le triomphe du Front Populaire sont donc celles qui voient l’anéantissement de la conscience de classe des ouvriers. Le triomphe du gouvernement du Front Populaire consacre la disparition de toute résistance prolétarienne au régime bourgeois, du moins de toute résistance organisée du prolétariat. Des centristes aux socialistes, tous s’efforcent de bien faire ressortir que le gouvernement Blum ne sera pas un gouvernement révolutionnaire, qu’il ne touchera pas à la propriété bourgeoise, qu’il ne faut pas que les possédants prennent trop au sérieux la formule centriste : faire payer les pays. Le programme du Front Populaire porte comme premier point l’amnistie et non la révolution; l’épuration des administrations; la dissolution des Ligues et puis des mesures économiques de grands travaux que l’on exécutera, comme en Belgique M. de Man en exécute pour résorber le chômage. Les centristes seront satisfaits des dernières décisions du parti radical, déclarant participer au gouvernement Blum et exigeant l’unité de vote de ses élus au gouvernement. Deux bonnes décisions dira l’« Humanité » qui s’empressera de crier que le Front Populaire représente enfin la revanche des Communards sur Versailles.

Toute la presse bourgeoise louera la modération des socialistes et des centristes et l’on ne prendra pas trop au sérieux les accusations de l’extrême droite criant que le P.C. prépare l’avènement des Soviets avec ses comités de Front Populaire. Mais dans cette atmosphère idyllique une seule note discordante : les menaces de conflits de salaires de prolétaires lassés des promesses « d’humanisation » des décrets-lois. A grand peine la C.G.T. avait liquidé la menace d’une grève générale des mineurs du Pas-de-Calais, menace qui pouvait tomber comme un pavé dans une mare entre les deux tours électoraux. Après la victoire du Front Populaire des mouvements se déterminent progressivement jus qu’à embrasser ces derniers temps l’ensemble de la région parisienne. Un journaliste belge a fait remarquer très justement que les mouvements en France se sont déclenchés un peu sur le type des grèves de mai 1936 en Belgique : en dehors et contre les syndicats, en somme comme des mouvements « sauvages ». Le caractère même de ces grèves, l’occupation des usines, qui n’est en rien comparable à ce qui s’est passé en Italie, est identique à l’occupation des puits par les mineurs de Charleroi. Ici comme là la première préoccupation des dirigeants syndicaux et socialistes est de faire cesser les mouvements qui compromettent leurs positions gouvernementales.

Dès le 11 mai des grèves éclatent au Havre et à Toulouse dans des usines d’aviation où les ouvriers font la grève dans l’usine et obtiennent satisfaction pour ce qui est de la reconnaissance des délégués syndicaux par lès patrons et le réengagement d’ouvriers licenciés pour avoir manifesté le 1er mai.

A partir du 14 mai, le mouvement atteint la région parisienne. C’est à Courbevoie, où les ouvriers font la grève dans l’usine et arrachent 0.25 fr. d’augmentation et un contrat collectif de six mois. C’est à Villacoublay où les ouvriers obtiennent des vacances payées, puis à Issy-les-Moulineaux, à Neuilly, à Gennevilliers.

Partout les mouvements se déclenchent en dehors de toute intervention des syndicats, spontanément, et acquièrent tous le même caractère : des grèves au sein de l’usine.

Le jeudi 28 mai, c’est enfin la grève chez Renault, où 32 000 ouvriers se mettent en branle. Le vendredi et samedi les entreprises métallurgique de la Seine entrent dans le mouvement.

Ce n’est pas par hasard que ces grandes grèves se déclenchent dans l’industrie métallurgique en débutant par les usines d’avions. C’est qu’il s’agit de secteurs qui travaillent aujourd’hui à plein rendement, du fait même de la politique de réarmement suivie dans tous les pays. Ce fait ressenti par les ouvriers fait qu’ils ont dû déclencher leurs mouvements pour diminuer le rythme abrutissant de la chaîne; améliorer leurs salaires; obtenir un contrat collectif de travail et la reconnaissance des syndicats par le patronat; des vacances payées, sur la base d’une intensification dur travail en métallurgie qui se fait en fonction de la guerre. C’est donc là un paradoxe douloureux dont les ouvriers ne sont pas responsables mais qui revient aux forces du capitalisme qui ont réduit les travailleurs à cette situation.

Mais, dès samedi, une détente se manifeste, un accord intervient chez Renault, au moment où des usines sont à peine touchées par le mouvement et que le nombre des grévistes restant s’élève approximativement 480 000. Il est certain que la C.G.T. fera l’impossible pour arrêter l’extension du mouvement et le liquider au plus vite.

Chez Renault qui fut l’axe du conflit dans la région parisienne, les ouvriers obtiennent une promesse d’examen dans le délai le plus court du relèvement des salaires en dessous de 4 fr. (combien sont-ils chez Renault ?); une demi-journée de grève payée; aucune sanction pour fait de grève; la reconnaissance du syndicat des métaux au travers de l’élaboration d’un contrat collectif au sujet duquel des pourparlers auront lieu entre ouvriers et patrons. Dans des entreprises moins importantes (Gennevilliers, 15 000 ouvriers) le succès est réel, car les prolétaires obtiennent 1 fr. à 1.50 fr. d’augmentation, la reconnaissance des délégués d’atelier, les heures de grèves payées et des vacances payées. Dans presque toutes les petites entreprises le succès ouvrier est plus complet que dans les grandes, telles Renault et, semble-t-il, Citroën.

Après l’exposition des faits, il faut dégager leur signification. Il s’agit d’abord d’essayer de comprendre le caractère nouveau de ces grèves. Dans le « Peuple » Belin donne cette explication : ce sont les patrons qui sont responsables de la forme des grèves en métallurgie. On a montré aux ouvriers « les résultats qu’on obtient par la force, par l’illégalité, et à tout le moins par l’interprétation restrictive ou abusive de la loi. Que ceux-ci n’aient pas tout à fait oublié la leçon qui leur fut donnée par leurs employeurs, il n’y a pas lieu d’en marquer de l’étonnement ».

Dans l’« Humanité » et dans le « Populaire » on fit un particulier effort pour bien prouver que le Front Populaire n’était pour rien dans ces mouvements et surtout dans leurs formes. Il fallait à tout prix tranquilliser la bourgeoisie qui, comme le prouve l’article de Gallus dans l’« Intransigeant » n’était pas le moins du monde effrayée. Le capitalisme comprenait parfaitement qu’il ne pouvait être question d’une véritable occupation des usines, mais d’une lutte ouvrière prenant pour champ de combat l’intérieur de l’usine où l’intrusion des partis du Front Populaire de la C.G.T. est moins à craindre. En Belgique aussi les grèves des mineurs en mai 1935 eurent ce caractère et l’exprimèrent clairement en refusant de recevoir dans la mine des délégués officiels des syndicats socialistes, du P.O.B. ou dur P.C.

De pareils mouvements sont symptomatiques et gros de dangers pour le capitalisme et ses agents. Les ouvriers sentent que leurs organisations de classe sont dissoutes dans le Front Populaire et que leur terrain d’action spécifique devient leur lieu du travail où ils sont unis par les chaînes de leur exploitation. Dans de pareilles circonstances une fausse manœuvre du capitalisme peut déterminer des heurts, des chocs qui peuvent ouvrir les yeux aux travailleurs et les éloigner du Front Populaire. Mais Sarraut comprit encore une fois la situation Il laissa faire. Pas de gardes mobiles, pas de brutale expulsion des travailleurs des usines. Des marchandages et puis laisser faire socialistes et centristes.

Le 30 mai, Cachin tente de lier ces mouvements de classe en opposition au Front Populaire à ce dernier. Il écrit : « Le drapeau tricolore fraternise sur l’usine avec le drapeau rouge. Les ouvriers sont unanimes à soutenir les revendications générales : Croix de Feu, Russes blancs, étrangers, socialistes communistes, tous sont fraternellement unis pour la défense du pain et le respect de la loi (souligné par nous, N.d.l.r.) ». Mais le « Populaire » du même jour n’est pas complètement d’accord avec cette appréciation car après avoir chanté victoire au sujet de la rentrée chez Renault, il écrit : « C’est fini. C’est la victoire. Seuls dans l’Ile Séguin, quelques exaltés – il y a des sincères, mais aussi des provocateurs Croix de Feu – semblent en douter ». Il est probable que la « victoire » chez Renault n’ait pas été approuvée par de nombreux ouvriers qui n’ont pas voulu faire preuve de « cet esprit conciliant » dont Frachon parle dans l’« Humanité » et qui les détermina très souvent à reprendre le travail « avec une partie seulement de ce qu’ils réclament ». Ceux-là seront les « provocateurs », les « Croix de Feu ».

Ces Messieurs du Front Populaire ont bien nuis en évidence non seulement pour la bourgeoisie, mais aussi pour les ouvriers eux-mêmes, qu’il ne s’agissait pas d’événements révolutionnaires. Cela « une occupation révolutionnaire, écrit le « Populaire », allons donc ! Partout : Joie, ordre, discipline ». Et l’on montre des photos d’ouvriers dansant dans les cours des usines; on parle de parties de plaisir : « les ouvriers se baignent, on jouent à la belote ou flirtent. »

Par ces moyens tout peut rentrer dans l’ordre sans l’intervention d’un seul garde mobile. Les prolétaires obtiennent évidemment certains avantages matériels, mais dans les grandes boîtes beaucoup de promesses et un contrat collectif qui, comme en Belgique, sera basé sur un système étouffoir de conciliation. Nous ne sommes pas contre les contrats collectifs qui substituent à l’initiative individuelle, l’initiative des masses, mais nous n’acceptons pas qu’ils soient autre chose qu’une consécration d’un simple rapport de force. Le gouvernement Blum s’efforcera certainement de les développer mais dans le sens belge. Et à ce sujet il faut mettre en garde les ouvriers. N’oublions pas que la C.G.T. collaborera aux organes « techniques » du gouvernement et mettra tout en œuvre pour incorporer les syndicats à l’État.

Pour ce qui est des concessions consenties par la bourgeoisie aux métallurgistes de la Seine, il faut évidemment les relier à la reprise intensive du travail dans ces établissements. Mais du fait qu’elles furent nécessaires pour liquider pacifiquement le mouvement, il n’est pas exclu qu’elles précipitent une dévaluation monétaire dont M. Gaston Jèze a prêché l’opportunité ces jours-ci avec les mêmes arguments (réduction des frais de production, etc…) que l’économiste bourgeois, M. Baudhuin, le fit en Belgique quelque temps avant la dévaluation. En tout cas, il s’avère ici clairement avec quelle force le Front Populaire éteint aujourd’hui le prolétariat français. Dans ses organisations de classe règne l’Union Sacrée et quand il déclenche enfin des luttes sur les lieux de son travail, immédiatement toutes les forces de la corruption et de la démagogie interviennent pour l’aveugler et lui faire quitté ce chemin dangereux.

Non ! le Front Populaire n’est pas une réaction des ouvriers, c’est une prison démocratique pour tous leurs mouvements : c est une nouvelle victoire du capitalisme faussant et dénaturant toutes les libertés et institutions prolétariennes conquises rudement et chèrement par les travailleurs au prix de sanglantes luttes contre la bourgeoisie et ses institutions démocratiques. Les récentes grèves de la région parisienne devront donc être préservées par les communistes internationalistes français des griffes capitalistes du Front Populaire, car elles en sont la négation de classe, l’émanation des ouvriers mêmes sentant l’impossibilité de faire triompher la moindre revendication de classe au sein du Front de la réconciliation des Français.


Source : « Bilan (Bulletin théorique mensuel de la Fraction italienne de la Gauche communiste) », № 31, 1936

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