BIGC - Bibliothèque Internationale de la Gauche Communiste
[last] [home] [content] [end] [search]

MÉRIDIONALISME ET MORALISME
If linked: [English] [German] [Italian] [Spanish]


Content:

Méridionalisme et moralisme
Anciennes et nouvelles paralysies du mouvement prolétarien en Italie
Hier
Risorgimento et socialisme
Révolution «conservatrice»?
La bourgeoisie radicale
De Mazzini à Bakounine
«Seconde moitié» et réformisme
Radicalisme pré-réformiste«Seconde moitié» et réformisme
Nord et sud
Le crétinisme des mains propres
Défensisme constitutionnel
Aujourd'hui
Positions ordinovistes
Démantèlement du tissu
Des documents, fi donc!
Et maintenant le moralisme
Et le défensisme enfin
Notes
Source


«Sur le fil du temps»

Méridionalisme et moralisme

Anciennes et nouvelles paralysies du mouvement prolétarien en Italie
[top] [content] [next]

Les vicissitudes du mouvement de la classe ouvrière moderne en Italie, de ses origines à nos jours, sont l'objet d'une attention nouvelle. Celles de la période relative à la première guerre mondiale, qui conduisirent à la formation du parti communiste, ainsi que celles du développement de ce dernier, éveillent un intérêt particulier, et, de la même façon, on trouve de nouvelles recherches concernant la période de la lutte d'indépendance nationale. Il est tout à fait logique que l'on cherche dans ces antécédents historiques les explications à la situation actuelle, qui ont indubitablement un caractère international, mais qui constituent un intéressant problème historique qui est en rapport avec cet aspect curieux d'un mouvement ouvrier d'extrême gauche, doté d'une grande importance quantitative, et possédant un contenu dynamique qui fait effet d'épouvantail.

La recherche des bien-pensants des diverses écoles n'a aucun intérêt à mettre en évidence cette dernière caractéristique: le jeu de la contre-révolution en Italie consiste à faire croire qu'il existe une gauche révolutionnaire dans le pays, de même qu'il peut consister ailleurs (par exemple en Angleterre, ou en Amérique) à souligner l'absence de tout mouvement extrémiste. Mais le match historique a le monde pour toile de fond et comme terrain de jeu, et ces expédients ne veulent pas dire grand chose, car ils sont semblables, mais à l'envers, à ceux qu'utilisent les épouvantails à la couleur rouge fané, et qui ont les caractéristiques du caméléon.

Malgré tout, le matériel qui nous est fourni est très utile pour la présentation du développement social selon la méthode authentique du matérialisme historique.

Il n'est pas encore temps de tirer la substance du travail entrepris par Aldo Romani dans son «Histoire», qui s'enorgueillit d'être «monumentale», «du mouvement socialiste en Italie», et qui, pour le moment, traite de la période qui va de 1861 (il vaudrait mieux dire des origines) jusqu'à 1872, époque de la scission de la Première Internationale entre marxistes et libertaires.

Cette étude, dont le détail ne nous est pas encore connu, met nécessairement en lumière la question suivante: «Quelle est la fonction de la classe prolétarienne dans le développement de la révolution bourgeoise (ou si vous voulez, libérale; ou si vous voulez aussi, démocratique; ou si vous voulez encore, nationale tous ces termes, en effet, concernent le même système défini de faits)?». Et il est important, en parcourant par avance tout le cycle qui devrait se clore en 1945, il est important de constater qu'un mouvement qui, d'une façon ou de l'autre, peut se vanter d'avoir l'appui des masses, soutient de plus en plus ouvertement, aujourd'hui, en 1954, que cette fonction de développement est la fonction actuelle du prolétariat, qui doit, au dire de ces courants politiques, se consacrer de toutes ses forces à diffuser les conquêtes de la révolution du XIXème siècle, territorialement et socialement, avec cet idéal suprême de faire devenir bourgeoises les provinces du pays et les couches de la population qui ne le seraient pas encore.

Ce qui devrait donc apparaître inéluctablement comme le bilan de faillite de notre position historique dans la politique italienne, c'est la chose suivante: de même que la classe ouvrière de la grande Europe aurait renoncé à cette fonction-là au moment de la Commune de Paris, de même la classe ouvrière italienne l'aurait fait nettement, quoique avec un certain retard (mais aussi avec de puissantes anticipations, que nous observerons si on les replace historiquement), au moins au début de la période qui suit 1898, au son du revolver, certes pas marxiste, mais tenu avec fermeté, de Gaetano Bresci (1).

La première moitié du XXème siècle devait, selon notre attente, renverser dialectiquement la seconde moitié du XIXème siècle, et mettre la bourgeoisie italienne, et l'Italie gouvernée bourgeoisement, au pied du mur. Comment, pourquoi, jusqu'à quand, faut-il que cette moitié-là de notre siècle soit tombée dans la répétition, selon un mode qui n'est que parodie d'histrions, des thèmes de Hymne de Mameli (2)?

Hier

Risorgimento et socialisme
[prev.] [content] [next]

Une première question serait de savoir si des mouvements prolétariens étaient présents avant 1860, en tant que collaborateurs de la révolution nationale, dans les luttes de 1821, 1831 et 1848. Il faut, à ce propos, attribuer un rôle éminent à Carlo Pisacane (dont nous nous sommes occupés ailleurs), mais non pas, pour l'instant, en tant qu'organisateur de travailleurs, mais plutôt comme idéologue socialiste: cependant, l'importance qu'il donne à l'économie et la dénonciation des caractères capitalistes de cette dernière, permettent de considérer qu'il s'acheminait vers une vision matérialiste de l'histoire et de la lutte de classe: mais on ne peut approfondir ce sujet maintenant.

Des mouvements qui se fonderaient ouvertement sur les travailleurs salariés, distincts des travailleurs autonomes urbains et ruraux, les artisans ou les petits paysans, ne sont peut-être pas observables avant les années 60 mais il est indubitable que les prolétaires ont lutté dans les rangs de la révolution, même s'ils étaient mêlés à d'autres couches pauvres. Il nous faut, pour la énième fois, répéter que, pour le marxisme orthodoxe, ce fait historique est général dans le passage du pré-capitalisme au capitalisme, et que - pour nous exprimer sans détour - les prolétaires auraient le faire même si ils avaient déjà été dirigés par un parti marxiste. Et le verbe devoir et la conjonction si ont momentanément droit de cité dans le discours marxiste dans la mesure où, si cette condition était absente dans l'Italie de l'époque, il est possible qu'elle soit présente en d'autres temps et en d'autres lieux.

On sait que dans l'histoire qui est faite au moyen des noms, nous ne verrons, pour ce qui concerne les acteurs de 1848, et d'avant, que des intellectuels, des étudiants, divers artisans, et aussi des nobles, des dames, quelques princes de sang, et un certain nombre de prélats. Ceci ne nous crée aucune difficulté: il ne nous est pas interdit, ainsi que l'estime Salvatorelli en commentant Romano, de parler de révolution bourgeoise parce que ces couches moyennes se sont battues aux côtés de la haute bourgeoisie industrielle, ni même parce que ces éplucheurs d'histoire auraient du mal à nous fournir au pied levé quelques noms de «patrons de fabrique» de l'époque, mêlés à des conspirations libéralo-nationales ou vêtus de la chemise rouge. Ce n'est pas un hasard si les francs-maçons se sont appelés ainsi, des «maçons», car ils ont pris le nom d'un métier qui, au fond, est le moins artisanal de tous, de sorte que, avant que le principe bourgeois n'ait triomphé, on pouvait, emblématiquement, prendre une activité de vrai salarié comme symbole de son partisan le plus résolu; et pas seulement à cause de l'idée banale consistant à édifier, avec de la chaux et la truelle, une société nouvelle, rendant ainsi hommage au grand Architecte de l'Univers, succédané du Dieu des prêtres.

Une révolution est bourgeoise, non pas quand elle est faite par les bourgeois, mais quand elle est faite pour les bourgeois, quand bien même ils se seraient planqués à la cave ou dans la sacristie, ou ils seraient loin encore de venir au monde; quand elle est faite pour le type capitaliste de société, même si ses combattants ne le savent pas. Et il est vrai que quand une révolution est bourgeoise, bien qu'étant, dans ce sens explicite et rigoureux, une révolution de classe, elle est, pour nous marxistes, une révolution faite par le peuple, «vraiment populaire», alors que nous mettons, toujours à bon droit, «peuple» et «classe» en antithèse. Seule la révolution prolétarienne sera à son tour une révolution de classe, faite par une classe, et non pour une classe, parce qu'elle détruira les classes, et c'est du délire que de la définir, en proférant des couillonnades genre XIXème siècle, comme populaire.

Révolution «conservatrice»?
[prev.] [content] [next]

Romano a raison quand il dit révolution bourgeoise, et Salvatorelli a tort quand il s'y oppose (avec l'objectif habituel de soutenir que la raison de classe n'explique pas le devenir historique, alors que nous voyons aujourd'hui se rompre autour de nous cette idéologie bourgeoise et ses débris se disperser de plus en plus en bredouillant à nouveau notre propre dictionnaire - et le dialecticien ne tremble pas quand il doit se nourrir de victoires «théoriques» au milieu des échecs matériels; celui qui tremble, de vanité et de convoitise, et qui change à son tour le lexique, c'est le Grand Homme, marionnette candidate au rôle de personnage historique!).

En revanche, Salvatorelli a raison quand il refuse l'expression de révolution conservatrice que Romano a introduite (s'il ne l'a pas prise chez Gobetti ou chez Gramsci). On peut parfaitement discuter pour savoir si une révolution peut être démocratique et progressiste, aristocratique ou réactionnaire, mais pas conservatrice. Ce qui conserve ne révolutionne pas: dans quel but on conserve, cela ne nous intéresse même pas de le savoir, si le résultat est le statu quo. D'un point de vue historique, il est juste de dire que la révolution italienne (nous, nous disons bourgeoise) a été, plus que toute autre, subversive, puisqu'elle a détruit une série d'Etats, parmi lesquels celui du pape, avec les institutions correspondantes.

Mais le danger est ailleurs, et il n'est pas purement terminologique. Quand Romano appelle conservatrice la révolution de Cavour et des Savoie, il dit conservatrice pour dire modérée, pour dire de droite. Et il dit cela parce que, dans sa reconstruction historique, il pense à une seconde révolution bourgeoise, qui reste à faire, et qui sera radicale et de gauche. Révolution, donc, de la même classe, de la même forme sociale bourgeoise, mais révolution en deux phases, en deux étapes et en deux temps.

Il est nécessaire ici d'arrêter ces messieurs et de montrer l'abîme qui se creuse entre eux et le marxisme, science unique de toutes les Révolutions. Quand l'histoire fait des révolutions, elle brûle dans leur incendie les phases, les étapes et les temps. Une révolution peut comporter dans son creuset incandescent deux classes: c'est, pour Marx, la révolution double. Une classe ne peut faire que toute sa révolution ou rien.

La révolution à moitié n'existe pas. Le dernier pays où on devait l'inventer est l'Italie. Ces prophètes de la seconde demi-révolution ont représenté la peste du mouvement.

C'est désormais, non pas depuis notre enfance, mais depuis deux générations, que nous voulons en Italie l'autre révolution, la nôtre, seulement la nôtre.

La bourgeoisie radicale
[prev.] [content] [next]

Ce qui nous occupe aujourd'hui, c'est le rapport entre le mouvement ouvrier, une fois qu'il est apparu, et les courants politiques de l'Italie nouvelle. Ceux-ci étaient multiples, mais ils avaient en commun le postulat de l'unité et de l'indépendance politiques, ainsi que le programme d'abattre les pouvoirs de l'administration autrichienne au nord, et des Etats autocratiques au centre et au sud, y compris celui du pape, pour y substituer un gouvernement unique et parlementaire. Mais on distinguait différents courants, selon qu'ils étaient centralistes ou fédéralistes, monarchistes ou républicains, ou même catholico-unitaires. Le parti libéral-constitutionnel, aux contours flous, était le protagoniste de la conquête du pouvoir par l'Etat piémontais et par sa monarchie; ce parti d'action, dont le nom fut récemment ressuscité de manière stérile, était un partisan décidé de la suppression du pouvoir papal et du siège de la capitale à Rome. Mazzini incarnait le parti républicain, dont Garibaldi faisait partie au sens large après l'année 1860, non seulement le second mais aussi le premier, indubitablement révolutionnaires et pas qu'à moitié, considèrent la conclusion monarchique du cycle comme une victoire, et cela d'autant plus après la brèche de la Porte Pia. Garibaldi se limite à Caprera, Mazzini s'élargit à l'Europe. S'opposant au gouvernement libéral d'Italie, on trouve donc - avant que ce dernier ne se scinde en droite et gauche, et n'utilise ensuite des camouflages transformistes - une démocratie radicale bourgeoise et un parti républicain également bourgeois, peut-être le plus conservateur de tous.

Ces partis-là considérèrent donc les ouvriers, c'est historique, avec des objectifs différents, mais qui se réduisent à ceux de Mazzini: le prolétariat est un formidable instrument de la révolution, pour la révolution. Organiser donc les ouvriers et faire de la propagande auprès d'eux, non pas pour un mouvement nouveau, propre à eux et à eux seuls, mais comme masse d'action aux fins, déjà données, d'une Révolution.

C'est cette position-là que le marxisme renversa, et que, dans une situation historique parallèle à celle du Risorgimento italien, c'est-à-dire dans la Russie tsariste, Lénine renversa en disant: la révolution pour le prolétariat, et non le prolétariat pour la révolution. Justement ce Lénine tout à fait conscient que - dans la lutte armée - le prolétariat devait diriger la révolution anti-féodale.

Il est donc juste de dire que Mazzini «avait pensé se servir de la classe ouvrière italienne comme pierre angulaire de la révolution nationale, et c'est pourquoi il se fit l'apôtre de l'unification des classes ouvrières européennes».

Les éléments avancés de la classe ouvrière ne furent pas, dans un premier temps, sourds à ces appels, et ils se détachèrent des libéraux et des catholiques dans une large mesure. Mais le programme de Mazzini ne pouvait pas leur suffire, du moins à partir du moment où ses revendications de renversement de ce qui restait de féodal (peu de chose en Italie), et d'introduction des libertés juridiques et électorales, étaient un fait accompli. L'instinct de classe des ouvriers les avertissait depuis lors que la question institutionnelle, comme on disait, c'est-à-dire l'alternative entre roi et république, ne pouvait pas avoir un contenu révolutionnaire.

Quels autres éléments, qui s'adressaient à l'ouvrier salarié plus qu'à n'importe quel autre type de citoyen, pouvait avoir l'idéologie de Mazzini? Aucun. Il y avait, au fond de sa conception de la société et de l'histoire, des principes religieux et éthiques dont le développement condamnait toute antithèse et lutte de classe: sur le terrain économique, il soutenait un coopérationisme idyllique qui paraissait peu éloquent dans le contexte de l'éveil irrésistible du capital qui pouvait lancer ses entreprises dans le nouveau climat d'un grand Etat.

De Mazzini à Bakounine
[prev.] [content] [next]

Aussi longtemps que l'on voudra nous servir un drame avec des protagonistes illustres, on utilisera mal un matériel précieux qui a été déterré: collections de publications périodiques oubliées, archives de police, correspondances sans nul doute importantes comme celle que l'on a découverte entre Engels et Cafiero. Pourquoi, à la popularité de Mazzini, succéda celle de Bakounine? Les qualités et les origines personnelles de ces agitateurs, le mysticisme du premier et le cynisme du second, ne l'expliquent pas. Seule une véritable analyse sociale peut expliquer la raison pour laquelle les sections de l'Association Internationale des Travailleurs sont toutes, vers 1870 en Italie, de tendance anarchiste-bakouniniste, et pourquoi les théories marxistes y ont peu d'écho, si bien que, dans la lutte de 1872, le même Cafiero, premier divulgateur de la doctrine marxiste en Italie, prit parti contre Marx et Engels dans la scission.

Ce n'est que tardivement et lentement que le prolétariat italien, la Première Internationale ayant disparu, s'organise syndicalement, et afflue vers un parti socialiste des travailleurs, qui, seulement vingt ans après, condamne les anarchistes et les exclut en se déclarant intégralement marxiste.

Le point qui nous intéresse est l'évaluation des deux courants - les premiers organismes de la classe laborieuse italienne étant désormais séparés de l'idéologie mazzinienne et des cercles fermés de son mouvement - par rapport précisément à la tâche que la classe ouvrière tend à assumer, une fois le Risorgimento advenu.

On renverserait l'interprétation correcte si l'on plaçait les bakouninistes à gauche et les marxistes à droite, et, pour être plus exact, si l'on imaginait que les premiers voulaient, par des ruptures violentes, sortir du système de la nouvelle Italie libérale, et que les seconds, au contraire, voulaient seulement (avec la fameuse conquête des pouvoirs publics affichée par le programme de Gênes en 1892) influer, sur le plan de la démocratie constitutionnelle complète, dans le sens et dans l'intérêt vaguement prolétariens, sur l'évolution ultérieure de l'ordre bourgeois.

À l'inverse, et il faudra joindre cette thèse aux documents historiques, ce sont les libertaires, selon le même mode que les mazziniens, qui voulaient veiller au développement de formes inhérentes à la révolution libérale: les premiers seront des libéraux enragés, les seconds des libéraux purifiés, mais toujours des libéraux, liés de manière idéaliste à ces mêmes valeurs absolues dont le triomphe marqua, pour l'opinion courante, le passage de l'ancien régime au constitutionalisme moderne: liberté, exaltation du Citoyen et du Peuple, action, si nécessaire armée, mais tournée vers la défense de ces valeurs suprêmes.

En revanche, ce sont les marxistes qui commencèrent à se libérer de ces limites, de ces liens, et qui virent dans la transition révolutionnaire bourgeoise une nécessité historique, et non pas une conquête sociale ou, pire, «idéale», qui tracèrent les voies de l'écroulement du régime capitaliste et de son économie, d'une nouvelle révolution originale, qui ne rapiécerait pas le costume râpé de la première, mais le brûlerait, exactement de la même façon que ce que fit la bourgeoisie des soutanes des prêtres et des livrées des nobles sur les feux des sans-culottes.

«Seconde moitié» et réformisme
[prev.] [content] [next]

Cette doctrine de l'intégration du Risorgimento, qu'on lança dans les jambes des ouvriers marxistes durant la période de 1860-70, et également durant la période 1940-50, n'est pas un produit spécifique de la société italienne, mais elle représente ce que l'on a désigné partout par le terme de réformisme; et il débuta, avant cela, comme une déclaration encore plus fade de socialité. Le socialisme naissant resta révolutionnaire tant qu'il fut en même temps attaqué et maudit parce qu'il prêchait une société nouvelle et parce qu'il dénonçait et combattait la misère de la vie ouvrière, la faim sociale. Il commença à dégénérer de cent façons différentes quand le second élément fut accepté, précisément à des fins de classe, de par la reconnaissance qu'il existait, dans le monde moderne, libre et civilisé, cette imposante «question sociale». Ce sont des thèmes qui ont été largement traités dans les «Fili».

Cette seconde demi-portion de révolution, la bourgeoisie l'aurait sirotée à petites gorgées, avec la législation en faveur du «peuple» et les mesures d'assistance sociale, ainsi qu'avec les mille sparadraps qui y ont été ajoutés dans le domaine éducatif, religieux, familial, électoral, etc.

Ce grand mouvement historique, le réformisme, qui est un fait et non pas un expédient de pure «propagande», dans la mesure où il contient, toujours plus et mieux, une auto-limitation, une auto-planification du capitalisme, afin de soutenir et de discipliner l'accumulation progressive selon un rythme de plus en plus rapide, mais aussi en faisant en sorte de satisfaire de nouvelles gammes de besoins de la classe qui travaille, a connu en Italie, si l'on désire procéder à une synthèse, trois formes totalement parallèles.

Forme social-démocrate: c'est celle qui est développée par des partis qui sont fiers d'être composés de travailleurs, avec leur action électorale, parlementaire et municipale; ces partis sont liés aux syndicats économiques qui, les premiers, se sont attribué le mérite des conquêtes salariales, d'assistance, et législatives.

Forme catholique: c'est celle vers laquelle s'orienta l'action «séculière» de l'Eglise de Rome, à partir de l'encyclique «Rerum Novarum», en s'appliquant successivement dans le domaine syndical, puis dans les domaines électoral et législatif - de la même façon qu'elle s'exerçait depuis longtemps dans les municipalités périphériques les plus petites - avec la formation du parti populaire.

Forme fasciste: c'est celle avec laquelle la bourgeoisie italienne aussi bien des villes que des campagnes organisa la riposte à la situation de l'aprés-guerre, quand le mouvement prolétarien autonome parut pouvoir ajouter à son rôle théorique celui de l'action: elle le fit non pas pour récupérer les avantages économiques et d'assistance obtenus aux dépens des classes possédantes, puisqu'elle eut même tendance à les étendre et à les consolider, mais pour couper la route à l'organisation du prolétariat en un parti qui s'orientait vers l'attaque et le renversement de l'ordre étatique.

Tout notre jugement sur la phase ultérieure est fondé sur la négation du fait que les deux premières formes et forces, en s'alliant à la forme libérale ou à ce qui en restait, se seraient battues à mort avec la troisième, et l'auraient détruite après avoir été piétinées par elle durant vingt ans. Il ne s'agit pas d'une lutte entre idéaux et programmes irréductibles, mais d'une division du travail et d'une succession logique d'époques.

La conséquence, la pire, pour la destinée de la classe prolétarienne, c'est que la fascination anti-fasciste bouffie d'orgueil a gagné la partie du prolétariat qui s'était finalement engagé dans la voie originale et autonome, de sorte que tous, chacun à sa façon, se sont mis à refaire le cours du premier Risorgimento. Et si l'aspect contre-révolutionnaire de Mussolini a duré vingt ans, celui du Risorgimento, également contre-révolutionnaire, a duré un siècle, lui. Mais le premier n'a pesé dans le sens contre-révolutionnaire que parce que les intrigants de la politique opportuniste l'ont considéré comme tel: pour le mouvement qui aurait emprunté la voie directe, il aurait été, comme il le sera un jour, le meilleur cadeau de l'histoire.

Radicalisme pré-réformiste«Seconde moitié» et réformisme
[prev.] [content] [next]

Les réformismes social-démocrate, catholique et fasciste, que la société italienne a connus, n'ont pas été, avec leurs résultats réels, une farce. Mais ils avaient été précédés par la forme historiquement inférieure, dans laquelle nous nous voyons replongés à notre grande honte, du radicalisme bourgeois qui se situe entre la formation de l'Etat unitaire et la fin du siècle, et qui, au moins de 1900 à 1910, a emprisonné dans ses organes populaires-maçonniques - comme dans d'autres nations - le mouvement socialiste qui se proclamait pourtant marxiste.

Les chevaux de bataille de la Table Ronde de cette drôle de démocratie romantique sont au nombre de deux: la question des régions sous-développées et les questions morales. C'est avec un énorme travail qu'il fallut se dégager d'elles, lorsqu'on commença à replacer le parti prolétarien sur une position révolutionnaire, et que l'on connut les épreuves de la première guerre mondiale et de la lutte entre la deuxième et la troisième Internationales. Les batailles qui furent livrées contre la politique administrative de l'Etat s'appuyèrent systématiquement sur l'état arriéré des régions méridionales, et même sur leur recul après l'unité nationale, ainsi que sur les scandales en série, sur les dénonciations du système de vols et de saloperies qui, face à l'océan du profit capitaliste, n'en est que l'écume qui en traduit le mouvement, mais dont l'importance correspond au poids de l'écume par rapport à celui de la vague et même de toute la masse de l'eau.

Tous ces faits étaient invoqués afin de démontrer que la révolution du Risorgimento ne s'était pas acquittée de toutes ses tâches et que, par conséquent, il fallait la poursuivre, alors que, au contraire, ces résultats et ces effets, et surtout ces mouvements d'avant-scène, n'étaient que la preuve de l'avènement achevé de la révolution bourgeoise, de la libération de forces productives qui avaient fait de l'Italie un Etat capitaliste moderne. Par-dessus tout, cette agitation des Cavalotti, des Bovio, des Imbriani, des Romussi, des Colajanni, etc., était la meilleure contre-mesure au développement, dans les rangs de la classe ouvrière, de la conscience d'une tâche anti-capitaliste, de la tendance à supprimer et non à rendre tolérable le capitalisme, auquel la théorie marxiste assignait des effets de plus en plus désastreux sur le plan historique général, ainsi que c'est (victoire théorique...) aujourd'hui évident à tout le monde après deux guerres mondiales et toute la pathologie sociale d'après-guerre.

Cela équivalait - mais ils y croyaient - à revenir à cette conception classique de la libération du féodalisme qui eut pour exemple un Robespierre, un Garibaldi, combattants qui n'avaient rien pris pour eux, et qui donc étaient, par définition, «incorruptibles» et incorrompus: à savoir une immense et définitive croisade pour le vrai à la place du faux, pour le juste à la place du criminel, pour la vertu à la place du vice: conception aussi classique qu'est classique le fait que celle du marxisme prolétarien en est l'antithèse la plus déclarée. Le chef d'œuvre du matérialisme historique, autour duquel le prolétariat mondial avait commencé à se ranger, consiste dans la mise en pièces de ce système de blagues généreuses et de formules creuses et ronflantes.

Nord et sud
[prev.] [content] [next]

Il n'existe pas la moindre once de faits historiques qui démontrerait que le régime libéral et capitaliste nivelle les conditions disparates d'une aire donnée: il est aussi marxiste de démontrer que cela est impossible et faux, que de prouver qu'il est impossible et faux, en régime bourgeois, d' «harmoniser» les intérêts entre couches opposées et de diminuer les distances sociales. De même que le capitalisme est l'exaspération des distances sociales verticales, entre l'armée de ceux qui ne possèdent rien et les sommets du grand capital, de même il est l'exaspération des distances horizontales, dans l'espace géographique d'une société-Etat, entre la super-entreprise industrielle et la production minable des derniers producteurs autonomes et des taudis prolétariens.

L'unité nationale en grands blocs est l'une des étapes historiquement indispensables à la formation de la société capitaliste développée et à sa diffusion dans le monde entier; c'est en tant que telle que, dans les différentes phases historiques, nous, les marxistes, nous l'acceptons et la défendons. Nous avons besoin de ce résultat pour la course dialectique ultérieure vers le socialisme, de même que nous avions besoin de l'expulsion sanglante du petit artisan ou du petit cultivateur, mais certainement pas pour qu'il réalise la justice, au sein de la patrie, entre les provinces qui la constituent.

L'unité nationale signifie le dépassement, à l'intérieur d'un marché national, de l'isolement des petites oasis de production et de consommation directes, elle signifie la concentration de la production et l'application de la ressource immense de la division du travail, qui est en même temps horizontale et verticale, dans l'entreprise et dans la société, laquelle reste divisée non seulement entre strates et entre catégories économico-professionnelles, mais aussi entre provinces, selon qu'il existe des conditions, des gisements miniers aux voies de transport, qui permettent les «faibles prix des marchandises», dont parle le «Manifeste» et qui, il y a déjà un siècle, faisaient s'écrouler la muraille de Chine.

Quand ce circuit, dans lequel le nouveau mode de production répartissait les secteurs de travail, s'est étendu jusqu'à englober les petits circuits des anciens petits Etats, l'évolution de beaucoup d'entre eux a subi localement un retard, mais elle a procédé moins lentement que si l'unité n'avait pas eu lieu. Ceci était un résultat escompté de la révolution bourgeoise et non la faute de son caractère inachevé. L'industrie naissante de l'Etat des Bourbons, par exemple, fut mise en morceaux: les filatures de laine napolitaines fermèrent, et il existe encore aujourd'hui de vastes ruines, parce que la laine et le tissu de Biella brisèrent leur marché, et ainsi de suite.

Il y a plus: dans tout le périmètre du nouvel Etat, il n'y avait plus les bases de la grande industrie lourde: le capitalisme italien qui, selon ce critère, se classait parmi les moins importants du monde, se fit une santé sur le plan - très moderne - des ouvrages publics, et la conquête du sud par le nord plus équipé lui ouvrit un domaine immense, en faisant tomber en faillite d'un seul coup les petites entreprises locales et en donnant un champ d'action aux grandes compagnies de chemins de fer et de construction, de navigation et de tout autre nature, à celles que l'on pourrait appeler les industries n'ayant pas de siège fixe. Tout ce système ne pouvait pas ne pas constituer un pompage de richesse et une intensification des écarts de niveaux de vie entre les parties du nouveau royaume. Inutile de recommencer la révolution bourgeoise pour remédier à cela: si ce n'était pas une illusion vide de sens, cela serait encore pire.

L'existence de la FIAT de Turin, que l'on admire tant, a pour condition nécessaire celle du «trullo» des Pouilles. Réduire la différence entre une grande entreprise d'automobiles et l'artisan de jupes de Matera (3) n'est pas une affaire administrative d'application de constitutions républicaines ou d'honnêteté de classe (!): on ne peut y arriver qu'en faisant sauter l'économie d'entreprise et marchande. Ceux qui font croire au travailleur que c'est possible sans cela, lui font plus de tort que le plus fameux capitaliste ou grand propriétaire, que le plus truculent membre des couches parasitaires.

Le crétinisme des mains propres
[prev.] [content] [next]

Démolir le problème des questions morales est plus facile que de repousser celui de l'invraisemblable question méridionale. Il fallut s'attaquer aux fondements de ces questions lorsque, peu après 1900, ce fut le début de la voie pénible qui devait conduire à constituer à Livourne un parti marxiste révolutionnaire. Une fois liquidée la déviation anarchiste, également dans sa forme syndicale récente (laquelle, par aversion envers les méfaits de l'opportunisme-réformisme parlementaire, vidait de son contenu la politique de classe, et donc affaiblissait les forces révolutionnaires), il s'est agi de se libérer de la peste de la politique des blocs, de la méthode des alliances - qui n'était pas mise en œuvre pour tirer des coups de fusil, mais pour réunir des forces électorales contre des épouvantails que l'on agitait à chaque fois pour exciter les masses, depuis les prêtres jusqu'aux barons féodaux, depuis la bedaine du saint pape Bepi (4) jusqu'aux favoris de l'affreux empereur Cecco (5). L'asino (l'Âne) fut le drapeau grandiose de cette politique, mais, aujourd'hui, nous avons pire. Et de nous répliquer sans arrêt la même affirmation: eh, à Milan, le parti peut agir seul avec toutes ces industries, tous ces syndicats, toutes ces cartes, toutes ces voix; mais à Naples, ou à Palerme, c'est différent; au sud, nous devons encore faire tant de chemin!

Ces gens-là étaient-ils capables de comprendre la force unitaire de l'Etat, la durée historique d'un type d'Etat depuis sa naissance violente jusqu'à sa destruction? Pour eux, la tactique devait être locale; autonomie, criaient-ils, dans les unions électorales, de même que les élus prétendaient être autonomes par rapport aux directions locales ou centrales du parti.

Tout ça, ce sont des conneries, quoi qu'en disaient les exaltés, émises par Bakounine, et certainement pas par Marx. À preuve, les fameuses «communes révolutionnaires» locales dont Marx et Engels se moquèrent avec férocité.

Et ces blocs locaux, nourris de régionalisme, et en particulier de méridionalisme crasse, se vautrèrent dans les scandales municipaux; les détournements d'argent épisodiques, les larcins des fournisseurs, les saloperies des prêtres. Certains noms de curés, qui avaient mis en oeuvre des pratiques peu édifiantes dans les pensionnats religieux, eurent - et cela à l'échelle nationale - un tel succès de notoriété que si, à l'époque, Hollywood avait existé, ils l'auraient conquise.

Si on a fait quelque chose, si on a pu éviter au parti la menace du possibilisme ou de la participation ministérielle en temps de paix, et de l'union sacrée en temps de guerre, et si, dans son sein, ont pu se développer les forces - qui visaient à en faire un organe parfaitement guéri sur le plan de la doctrine et sur celui de l'organisation, ce fut parce qu'on put se débarrasser de ces entraves et de ces vieilleries bourgeoises, méridionalistes, moralistes. Et défensistes.

Défensisme constitutionnel
[prev.] [content] [next]

Nous avons situé en 1898-1900 le tournant de cette période historique que nous avons ébauchée à grands traits et de manière incomplète. La crise économique des dernières années du siècle avait débouché sur des révoltes de la faim du nord au sud: les petits-bourgeois quémandaient régionalement, alors que les masses laborieuses s'insurgeaient déjà nationalement, et contre le gouvernement de Rome. Vint la répression, ce n'était pas évidemment la première fois, et elle s'abattit sur des organisateurs ouvriers et des propagandistes socialistes, de même qu'elle frappa des radicaux et des républicains, voire un certain nombre de prêtres catholiques. Toute l'opinion de gauche réagit contre l'état de siège du général Pelloux, contre les fusillades de rue, les arrestations, les procès, les condamnations et la résidence forcée. Et ces braves gens de crier à l'«Etat policier»! Mais depuis quand l'Etat bourgeois n'a-t-il pas la forme de l'Etat policier? C'était l'Etat féodal qui, fondamentalement, ne l'était pas! Et quand cet Etat bourgeois pourra-t-il ne plus l'être? Quand nous lui aurons expliqué, les cartes de la doctrine historique sur table, que nous allons lui couper les jarrets? Et quand un Etat pourra-t-il ne pas l'être s'il veut contrôler un territoire égal, sinon beaucoup plus vaste, à celui des Etats bourgeois historiques? Où trouve-t-on, d'ouest en est, un Etat qui ne soit pas policier?

La police est une saloperie? Peut-être. Mais en réalité, c'est l'Etat qui est une saloperie que les classes, de manière déterministe, se doivent de commettre, ô moralistes!

Parfois (mais Freud n'y a rien à voir), un lointain souvenir d'enfance peut fournir une indication utile à ceux qui... sont venus plus tard. Deux bons et loyaux libéral-radicaux discutaient. À la Chambre, on avait attaqué Pelloux pour avoir violé, par ses mesures d'exception, le statut albertin et les garanties constitutionnelles. La minorité d'extrême gauche avait attaqué une majorité cléricalo-modérée parce qu'elle avait voté les lois d'exception, en commettant ainsi un abus de pouvoir. Depuis les bancs de la droite, il avait été répondu que, étant donné le principe démocratique, la majorité du Parlement peut violer le statut, la constitution de l'Etat. La phrase lancée par l'un de ces braves hommes, le moins avancé d'idées, mais malgré tout adversaire de Pelloux, fut la suivante: l'extrême gauche les a taxées d'hérésie!, les a taxées d'hérésie!

De quel côté se plaçaient les révolutionnaires? On a la même situation qu'avec les polémiques de Marx contre Lassalle et autres sur la politique de Bismarck en Allemagne. Les révolutionnaires étaient les gens qui appuyaient Pelloux. Et, à la vérité, leurs adversaires de gauche, exaspérés dans leur défensisme de cette grande conquête que fut le statut de Charles-Albert de 1848, démontraient en réalité qu'ils étaient incapables de faire la «seconde demi-révolution» libérale et populaire, mais qu'ils étaient englués dans la tâche fangeuse des «révolutions conservatrices».

Depuis lors, à côté de la maladie «dépressiste» (6) et de la maladie «moraliste», il existe la maladie «défensiste», à laquelle Lénine avait arraché dents et ongles (pour son bien, et pour notre mal, il n'avait pratiquement pas connu les deux premières). Défense de la patrie, défense de la civilisation, défense (boum!) des constitutions!

Messieurs de la bourgeoisie!, crie le prolétaire par la bouche de ces gens-là, entubez-nous et affamez-nous autant que vous voulez, et même plus qu'aujourd'hui. Mais faites-le dans le respect religieux de votre constitution, de la charte fondamentale de l'Etat (aujourd'hui, on dit plutôt: du pays). Nous serons sages et silencieux.

Si vous violiez la constitution, fi donc!, nous nous lèverions et vous verriez apparaître devant vous ce spectre qu'il vous était si facile de ne pas évoquer: Sa saloperie constitutionnelle, la révolution conservatrice.

Aujourd'hui

Positions ordinovistes
[prev.] [content] [next]

Si l'on passe de la période qui va de l'entre-deux-guerres à aujourd'hui, faut-il chercher beaucoup pour trouver les preuves que les positions de l'époque du Risorgimento sont identiques aux positions actuelles des partis italiens soi-disant communistes et socialistes selon leurs dénominations officielles.

La position prise, face à l'immense événement historique de la révolution russe, par un courant qui eut en Antonio Gramsci son représentant certainement le plus respectable - et pas seulement parce qu'il est mort à temps –, ne permet pas d'examiner de manière adéquate (il est possible toutefois de citer utilement quelques avertissements explicites) la position de ce courant sur la structure de la société italienne, une position qui se révéla par la suite surtout dans les écrits de ce même Gramsci, écrits non officiels comme c'était dans le tempérament de l'homme, aussi en cela pré-marxiste: position clairement de «seconde demi-révolution», comme celle de Gobetti. Un jour que je demandais à Antonio un recueil des écrits de ce dernier, afin qu'on puisse en faire un examen critique approfondi à la lumière et avec les méthodes du marxisme, il répondit avec un regard des plus éloquents de ses yeux limpides: oh, ne le fais pas! Et ce ne fut pas fait, au détriment de l'interlocuteur (7), que l'on pourrait accuser au moins en cela d'insuffisance marxiste.

Il n'est pas difficile de comprendre dialectiquement la curieuse méprise par laquelle les vicissitudes, les normes et l'histoire (ah, bolchévisation, quelle énormité que ce mot d'ordre!) de la lutte des camarades russes ont pu, dans leur motivation marxiste orthodoxe, concorder avec cette littérature intéressante et évoluée mais hybride dans son origine et dans son essence. Une révolution double telle que celle de 1917, qui fut l'une des périodes où l'événement court devant l'idéologie fatiguée et même devant la doctrine du mouvement marxiste sélectionné et minoritaire depuis des décennies, n'a pas pu ne pas utiliser ensemble des langages de deux époques, et ne pas rapprocher, au moins dans la forme, des revendications qui sont éloignées et ennemies dans l'histoire qui suit un cours moins brusque. Pour ceux qui n'ont pas une vision matérialiste, le langage surpasse les faits, et il est aisé de déformer les mots d'une révolution double irrésistible qui enflamme tout l'horizon humain en ceux d'une demi-révolution cachectique en retard, laquelle devrait expliquer pourquoi, anthropologiquement, le berger de Sardaigne parle de choses si différentes et comprend les choses autrement que l'ajusteur de la FIAT, placé, comme une espèce zoologique, sous la loupe perspicace d'un chercheur consommé, dont la tête est un volcan de questions et de problèmes et non une cuirasse entourant quelques directives d'airain.

La subtile question de la fin et des moyens, de la conscience et de l'action, la profonde polémique à propos de la tactique du parti, firent penser que cela ne signifiait rien d'être derrière la révolution bourgeoise, ou bien d'être à des kilomètres devant elle, une fois que les doléances (8) régionale et morale faisaient pareillement courir un frémissement sur la surface de l'océan des masses.

Démantèlement du tissu
[prev.] [content] [next]

La même tactique casuistique qui convient à la veille d'une révolution double est encore employée dorénavant, alors que la révolution devrait être coupée non plus en deux mais en trois: il s'agit de la révolution unique, celle que nous appelons bourgeoise. En effet, le premier tiers a été le fait de Cavour, le second doit être de droit celui des C.L.N. de 1945, et le troisième est celui de ce qu'il faudrait faire pour aller au-delà de Scelba, toujours à grand force de dépressisme, de moralisme et de défensisme.

Mais lisons les réprimandes que Marx adressa à l'Allemagne avant et durant 1848, de Lénine en 1917, et nous trouverons la même tactique «double» bien connue, mais aussi l'opposition nette entre la théorie de parti et la préparation au cours historique.

Duplicité et même feinte, c'est aux moralistes que cela fera éventuellement peur, et nous les laissons à leur tâche quotidienne: faire semblant de ne pas faire semblant.

Le parti fera semblant de prendre au sérieux les spasmes de certaines couches pour la démocratie, si et dans la mesure où, vraiment, physiquement, le mouvement qui se déclenche nous rapproche du moment où l'on donnera le coup final à la démocratie.

Mais parti et classe seront, au même moment, préparés à cette phase ultérieure, à ces coups donnés dans une nouvelle direction, non seulement sans mystères et publiquement, mais surtout dans le travail d'organisation et de prédisposition aux tâches de la lutte.

Cela n'a rien à voir avec la politique traditionnelle des blocs en Occident. Dans celle-ci, les différents groupes déclarent qu'ils ont trouvé un fonds commun de principes qui resteront tels même après la lutte imminente, principes qui sont supérieurs historiquement aux principes particuliers de chaque groupe: ils le déclarent et ils le croient, et surtout ils travaillent pour le faire croire à leurs propres adhérents.

Il n'y a plus que les bourgeois pour croire aujourd'hui (même de ce côté-là, n'en doutez pas, c'est une feinte utile que de croire) que ces partis que nous avons dû nommer soient révolutionnaires et portent sous la casaque, pour le dévoiler en temps voulu, l'outillage de la révolution rouge. Les travailleurs sont si exhortés chaque jour à encenser les idéologies défensistes, moralistes, constitutionalistes, qu'ils y croient réellement. L'appareil tout entier, aussi drogué que la masse est abrutie, y adhère avec sérieux. Et les chefs suprêmes? S'ils en étaient indemnes, ou s'ils croyaient l'être, nous aurions seulement une nouvelle preuve de notre parallèle avec les extrémistes du Risorgimento: le carbonarisme d'initiés. Mais ne craignez rien, ils croient eux aussi, que Dieu nous confonde, à ce qu'ils disent.

Divisons-les en deux groupes. Les uns ne comprennent rien et ne croient en rien. Les autres sont nourris de philosophie gramscienne, bien qu'ils ne soient pas à même de définir le cursus de la pensée de Gramsci. Comme lui, qui a dû malgré tout apprendre de trop nombreuses et terribles choses en trop peu de temps, et avec un effort pour lui incroyable dans une première approche enthousiaste d'événements niés dans le temps mais éloignés dans le schéma (totalement scolastique), et étant donné qu'il l'a dit lui-même, ils attendent et ils attendront, convaincus qu'il doit venir un Kérenski.

Des documents, fi donc!
[prev.] [content] [next]

(9) Ce que pouvaient dire les partisans pur sucre de la «demi-révolution» d'il y a un demi-siècle, vous pouvez le lire dans des articles, ou des discours, comme celui par exemple qui a été tenu au congrès fédéral napolitain. Etrange: il y a fort longtemps de cela on s'en prenait à ceux qui disaient que les mots d'ordre du mouvement devaient être identiques à Naples et à Milan; aujourd'hui, les cartes et les voix du Sud sont plus nombreuses que celles du Nord. Et le capitalisme vit toujours.

Pardonnez-nous le florilège qui va suivre. Un parti franchement patriotique, pour lequel l'amour de la patrie n'est pas une formule réthorique, mais qui veille à, et recherche continuellement, l'intérêt du pays et de son unité. (Dans ce qui suit, les guillemets peuvent rester dans leurs boîte). À Milan, 25% de la population dans l'industrie; à Naples, la désagrégration définie par Gramsci. Mais quantitativement et qualitativement, le parti est le même. Malgré tout, tâches particulières: un slogan pour Naples: 100 000 travailleurs dans l'industrie, chef d'œuvre des communistes locaux.

(Entre parenthèses: cette revendication, qui ne signifie rien, si ce n'est l'exigence inutile d'investissements appropriés de la part de l'Etat ou des capitalistes milanais, ne nous amène qu'à 10% par rapport aux 25% de Milan: et après?).

Autres tâches particulières: existence de la question méridionale. Arrêt dans le développement économique, social et civil. Absence d'industrialisation. Résidus féodaux dans les campagnes. Absence de développement des villes.

(Celle-là, elle est forte: pourquoi donc le classement des villes par importance de la population, qui était en 1860: Naples, Rome, Milan, est aujourd'hui: Rome, Milan, Naples? La concentration de la vie moderne dans les villes est-elle une formule marxiste, ou super-bourgeoise?).

Remède à la désagrégation des grandes masses: l'organisation populaire, et surtout les alliances, toujours entre populaires. Mais si - certains de nos adversaires objectent-ils - vous voulez détruire la société capitaliste, comment pouvez-vous ensuite proposer de rénover le Mezzogiorno, qui en fait partie? Il y a 50 ou 100 ans, c'était là une contradiction, mais plus aujourd'hui, parce que il existe des pays entiers où il y a le socialisme. Dans une situation où la révolution bourgeoise n'a pas encore accompli son œuvre, en laissant dans le sud des résidus de féodalisme, que devrions-nous faire? Nous limiter à prêcher la société socialiste, ou bien résoudre pour le peuple les problèmes que la bourgeoisie n'a pas résolus? La classe ouvrière, en luttant pour la résolution de ces problèmes, lutte dans l'intérêt de tout le pays. Ainsi, la lutte contre le fascisme, dans laquelle nous avons été les premiers, a été une lutte de toute la nation pour toute la nation.

La question méridionale peut-elle attendre sa solution jusqu'à la victoire du socialisme? Non, elle ne le peut pas. (Qu'attende le socialisme lui qui a fait si vite ailleurs).

La tâche fondamentale est de faire naître une nouvelle vague démocratique et socialiste-méridionaliste... en s'inspirant des traditions des luttes du Risorgimento et des luttes qui furent à l'origine du mouvement socialiste.

Et maintenant le moralisme
[prev.] [content] [next]

Le petit chapitre qui vient d'être présenté, on l'aura bien compris, est une collection documentaire des positions de l'actuel mouvement kominformiste italien, qui se rattachent au méridionalisme le plus tranché: nous les avons reproduites sans les réfuter, bien que cédant parfois à la tentation de quelques commentaires légers entre parenthèses. La réfutation ne consiste pas à tourner en dérision un texte ennemi et à le démonter pas à pas, et mot à mot. Dialectiquement, elle équivaut à un syllogisme historique. Ceux qui exposent un tel texte n'ont pas dit une série de bêtises, mais ils ont présenté une thèse cohérente et complète, qu'il s'agit simplement de mettre à sa place.

Le syllogisme historique est le suivant. À partir de 1910, aux positions du radicalisme bourgeois de la «seconde demi-révolution», du Risorgimento par hoquet, qui ont sévi en Italie de 1860 aux environs de 1900, s'oppose le mouvement marxiste de gauche du prolétariat italien. Historiquement, on trouve ce second terme du syllogisme internationalement chez Marx, chez Engels, chez Lénine, et nationalement dans l'aile révolutionnaire intransigeante du socialisme, puis dans l'aile défaitiste qui s'oppose à la guerre, puis encore dans la fraction communiste qui fonda à Livourne en 1921 le Parti Communiste d'Italie. Puisque ces deux programmes doctrinaux et ces deux mouvements historiques d'action se situent comme les termes d'une contradiction inexorable, il faut examiner le troisième terme du syllogisme: c'est la position politique actuelle du gros parti communisto-socialiste: ses positions affirmées ouvertement, non pas au gré d'occasions contingentes, mais sur tout le front, coïncident pleinement avec le radicalisme à la Schubert, lequel a commis son chef d'oeuvre dans sa symphonie inachevée risorgimentale et nationale. Ergo, le troisième terme qui reprend entièrement le premier, s'oppose totalement au second.

Comment peut-il représenter, non pas au sens des obscénités électorales, mais du cours historique, la classe laborieuse italienne? Comment celle-ci a-t-elle pu retomber, reculer à ce point d'avoir aujourd'hui les mêmes objectifs de lutte qu'on voulait lui dicter en 1860, et contre lesquels, au cours d'un long processus, elle s'était rebellée? Elle a aussi, par conséquent, fait reculer épouvantablement la puissance nationale et mondiale du prolétariat? Non, nous répond-on, puisque on a eu des victoires éclatantes du socialisme dans d'autres pays!

Tout se remet en place dans l'édifice du matérialisme dialectique avec ce second syllogisme: la prétendue victoire du socialisme à l'Est n'est rien d'autre qu'une phase du radicalisme bourgeois qui infecte le prolétariat sur le territoire de pouvoirs néo-capitalistes.

Le test du méridionalisme a donné un résultat positif, avec trois points; restent celui du moralisme et celui du constitutionnalisme: devons-nous procéder par citation alors que les textes circulent par millions d'exemplaires? Les conclusions sont du même calibre.

Un chef d'œuvre de cette tendance, qui revisite les décennies passées, c'est la campagne Montesi. Dans les déclarations officielles, cet événement a ému la nation au même degré que celui de l'assassinat de Matteotti! Et allons-y! Nous nous sommes exprimés très souvent en 1924, et après, pour lutter contre l'exagération quasi idolâtre qui est née à propos de l'élimination de ce député, qui était loin d'être révolutionnaire, et à propos des conséquences anti-classistes de cette campagne: il était encore possible de ramener en les tirant par l'oreille les parlementaires communistes, et eux seuls, de l'Aventin «risorgimental» à la Chambre bourgeoise. Mais il nous semble bien, à l'heure actuelle, que l'idole Matteotti soit profanée: il s'agissait de la victime d'une lutte politique; comment alors la comparer à la victime d'un fait divers? L'hypothèse plus cohérente que celle qui est soutenue et espérée dans les discours-fleuves communistes, c'est qu'il s'agit tout simplement de la victime d'habitudes pathologiques misérablement privées.

Que de sensibilité chez les fondateurs de cette Italie, où les jeunes filles immolées à la corruption l'ont été par milliers! Offertes pendant des mois et des années aux vainqueurs qui, armés de violence primitive ou de dollars, sont venus du féroce Maroc ou de la très civilisée Amérique, tandis que les «ciellenistes», qui sont aujourd'hui brouillés entre eux, chantaient en choeur, elles ont été employées en colonies installées dans les quartiers misérables de Naples ou dans les bois de Toscane.

La corruption de la classe capitaliste dirigeante prouve que la société bourgeoise est sur le point de s'écrouler! Argument à envoyer valser au même titre que celui de l'existence de victoires du socialisme sur le continent. La révolution est mûre; et l'on donne aux masses les mêmes mots d'ordre qu'à l'époque romantique bourgeoise, on fait des campagnes du type scandale de Panama ou de la Banca Romana, pour le résultat révolutionnaire colossal de trouver des ministres ou des fils de ministres la main dans le sac?! Tout le marxisme devrait déboucher sur cette utilisation des responsabilités du fils contre le père; sur la stupeur soulevée par cette technique évidente qui consiste à étouffer des friponneries pénales-morales par raison d'Etat? Cavallotti et Zola étaient encore compréhensibles dans leur indignation romantique: ceux d'aujourd'hui sont des avortons de l'histoire, ils sont la honte et l'infamie de la tradition révolutionnaire (10).

Et le défensisme enfin
[prev.] [content] [next]

Il est ici pareillement inutile de dresser une anthologie des hymnes à la constitution, des croisades déclarées en faveur de la Constitution, des proclamations selon lesquelles le prolétariat ne demande pas le pouvoir mais exige seulement d'«être admis dans l'Etat», selon lesquelles les dénommés Togliatti et Nenni ne veulent pas, même par la voie électorale, constituer leur propre ministère, mais seulement participer à un ministère avec les Saragat et les Scelba, c'est-à-dire une ouverture à gauche. Est-il besoin de citer les milliers de passages de cette marchandise frelatée qui figurent dans les éditions officielles du parti, et de citer en regard, Marx sur la constitution, et Lénine sur l'Etat?

Il suffirait de rappeler cette phrase puissante, tirée des «Luttes de classes en France»: le cri de «Vive la constitution!» équivaut à celui de «À bas la révolution!».

Et cette manière de revenir en arrière vers les périodes d'avant 1870 et de 1852, se justifie, comme d'habitude, par la puissance organisée de la classe ouvrière en Italie, par son triomphe dans dix républiques «socialistes»!

Tout cela serait de l'habileté raffinée. Cette effrayante course à reculons pour se retrouver un siècle entier de mouvement et de lutte en arrière, serait justifiée par l'objectif de faire tomber un Scelba de son tabouret au plus vite, parce que sa police ou sa faible majorité ne sont pas constitutionnelles!

Mais le très modeste Scelba, en fait de fourberie, peut rire allégrement dans le dos de ses ennemis impitoyables. Courant derrière le mirage d'un bis ou d'un ter risorgimental, ils mettent en avant cependant (eux pour qui les choses changent et les tactiques s'improvisent chaque jour) l'histoire dépassée de la destruction du fascisme, du meurtre moral et civil de ceux qui étaient fascistes ou ovristes (11), et autres sornettes, qui ont déjà été démystifiées depuis dix ans et se sont estompées piteusement. Et les deux ailes de l'opposition à Ike, à Clara, et au majordome de la chaste Italie (12), échangent des torgnoles, et se promettent d'échanger des coups de feu. Quelle rigolade!

Vous aurez brûlé et troqué les plus hautes traditions - non pas les vôtres, mais celles de la classe laborieuse italienne - pour gagner la chose suivante: donner au falot Scelba le droit d'avoir non pas une, mais deux majorités; non pas une, mais deux polices.

Faites au moins ce numéro qui est bien digne de vous, et qui a parfois été présenté comme une tactique «bolchéviste» dans les discussions acharnées d'autrefois: alliez-vous avec les monarchistes et les néo-fascistes. Ce ne serait d'ailleurs, semble-t-il, que reprendre quelques positions de jeunesse (13).

Notes:
[prev.] [content] [end]

  1. Gaetano Bresci: l'anarchiste qui assassina le roi Humbert 1 on 1900 (NdT). [back]
  2. Goffredo Mameili (1827-1849) est l'auteur des paroles de l'hymne national italien (déclaré hymne officiel en 1946), l'auteur de la musique en est Michele Novaro (1822-1885) (NdT). [back]
  3. Matera est un «département» (en italien «provincia») de la région Basilicate (ex-Lucanie) (NdT). [back]
  4. Le pape Pie X dont le nom était Giuseppe Sarto (Bepi veut dire en vénitien Giuseppe) (NdT). [back]
  5. L'empereur François Joseph Ier que ses sujets lombards avaient surnommés ainsi (NdT). [back]
  6. Le «dépressisme», néologisme de Bordiga, pourrait être un terme psychologique, Bordiga fait allusion à Freud un peu plus haut, le dépressite - atteint de dépression - pourrait être celui qui n'est pas capable de se projeter dans le futur, celui qui se plaint sans cesse, le défensiste, mais aussi le défaitiste, c'est-à-dire l'antifasciste. Il y a peut-être aussi une allusion aux politiques économiques anti-dépressions. [back]
  7. Donc Bordiga lui-même [back]
  8. En français dans le texte. [back]
  9. «Fi donc!» est en français dans le texte. [back]
  10. Bordiga dénonce ici l'imbécillité et l'ignominie de fonder une campagne politique de dénigrement sur les scandales et turpitudes plus ou moins privés: le capitalisme serait le mal parce que les dirigeants politico-économiques détournent des sommes énormes et font pression sur la justice pour éviter la condamnation de leurs enfants délinquants. [back]
  11. L'ovriste est le membre de l'OVRA, la redoutable police politique fasciste. [back]
  12. Ike est bien sûr le président des Etats-Unis Eisenhower, Clara est Clara Booth Luce, l'ambassadrice des Etats-Unis en Italie, féroce anti-communiste; quant au majordome de la chaste Italie, il s'agit de Scelba le chef du gouvernement démocrate-chrétien de l'époque. [back]
  13. Bordiga fait allusion à tous les antifascistes qui furent fascistes ou philo-fascistes dans leur jeunesse, avant tout ici à Nenni, nous semble-t-il, mais il faudrait citer Croce ou hors d'Italie Churchill, quant à Togliatti et Gramsci eux-mêmes ils furent interventionnistes au début de la première guerre mondiale. Dans «La formation du groupe dirigeant du P.C.I. (1923-1924)», 1962, Togliatti essaie de défendre maladroitement Gramsci - c'est en fait un plaidoyer pro domo - mais ne peut nier les faits (Togliatti, «Sur Gramsci» Editions Sociales, p.305-306). Gramsci et Togliatti adoptèrent en fait les positions que Mussolini exposa dans son fameux article «De la neutralité absolue à la neutralité active et agissante» («Avanti!» du 18 octobre 1914) qui prépara en fait son ralliement à l'Union Sacrée et à l'interventionnisme un mois plus tard que Gramsci ne suivit pas (mais Togliatti s'enrôla dans l'armée à la déclaration de guerre dans les services de santé des chasseurs alpins et donna sa démission du P.S.I. en désaccord avec le neutralisme de celui-ci!). Bordiga répondit à Mussolini par l'article «Pour l'antimilitarisme actif et opérant» («Il Socialista», du 22 octobre 1914, repris dans «l'Histoire de la Gauche communiste Italienne», volume 1 bis, p. 33). On trouve l'article mussolinien de Gramsci, «Neutralité active et agissante» dans ses «Ecrits Politiques, I» éditions Gallimard, p.63, et Robert Paris aborde la question dans son introduction, très intéressante, à ces écrits p. 19 et dans sa note 1, p. 415-416. Il note que Tasca a affirmé que Gramsci avait accepté de collaborer avec le nouveau quotidien interventionniste de Mussolini «Il Popolo d'italia», donc après le 15 novembre 1914 - comme beaucoup de futurs antifascistes (Nenni par exemple!) - avant de se reprendre. Il est aussi notable que Mussolini ne fut pas exclu du P.S.I. après son article du 18 octobre, il fut simplement démis de ses fonctions de directeur de l'«Avanti!» (il fut remplacé par Serrati). Mussolini ne fut exclu que le 24 novembre après son ralliement définitif à l'union Sacrée.
    Jacques Texier, le préfacier de Palmiro Togliatti, dans le livre des Editions Sociales cité plus haut, 1977, attaque les introductions de Robert Paris aux trois volumes des «Ecrits politiques» de Gramsci: «Elles visent à la démolition de Gramsci et à l'exaltation d'Amédéo (sic, NdR) Bordiga comme seul dirigeant marxiste et révolutionnaire qu'ait produit le mouvement ouvrier Italien. Cette double opération est conduite sur la base d'une polémique incessante avec Togliatti» (page 1 de la préface). Or Paris connaît bien la Gauche, il cite même «Invariance» («Ecrits Politiques, III», p. 385). Dans «La réaction fasciste en Europe», 1999, Pierre Hempel, dans une note page 86, écrit que Gallimard «a mis fin aux services de R. Paris parce que celui-ci se mettait à montrer l'apport fondamental de Bordiga sur la question du parti et son intégrité politique».
    [back]

Source: «Il Programma Comunista», Nr. 20, octobre 1954. Traduit dans «(Dis)continuité», Nr. 9, avril 2001. Traduction non vérifiée, se repporter à l'original.

[top] [content] [last] [home] [mail] [search] [webmaster]