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LE IIe CONGRÈS DE L’INTERNATIONALE COMMUNISTE (II)



Content :

Le IIe congrès de l’internationale communiste : Un sommet et une croisée des chemins
7 – Le long du fil rouge : Le débat sur les principes, le programme et leurs applications tactiques
a) Thèses sur le rôle du Parti communiste dans la révolution prolétarienne
b) Conditions d’admission à l’internationale communiste
c) Les partis communistes et le parlementarisme
d) Le mouvement syndical, les conseils d’usine et d’entreprise et l’internationale communiste
e) Conditions de constitution des soviets
Notes
Source


Le IIe congrès de l’internationale communiste : Un sommet et une croisée des chemins

7 – Le long du fil rouge : Le débat sur les principes, le programme et leurs applications tactiques

Précisément parce qu’elle avait des raisons objectives, cette lacune devait se manifester dans le débat portant aussi bien sur les thèses dont nous avons parlé ci-dessus que sur les thèses essentiellement tactiques, ainsi que dans les décisions finales sur la constitution des partis communistes et dans les directives d’action qui leur furent imposées. En raison de l’importance des travaux et de l’alternance entre séances plénières et réunions de commissions et sous-commissions, le débat fut très serré, mais il oscilla malheureusement entre les plus hautes considérations théoriques et principielles, d’une part, et les polémiques sur des détails d’intérêt contingent ou local, de l’autre. Il fallait d’ailleurs s’y attendre, du fait de la difficulté que le « parti communiste mondial » avait à se former, et si un tel état de fait ne méritait certes pas d’être érigé en modèle, il était aussi plus fort que les désirs des militants.

Nous rappellerons les principaux points de ce débat dans l’ordre qui nous semble respecter le mieux le lien existant entre les différents thèmes traités. Nous chercherons à montrer d’une part la continuité des principes qui s’y est manifestée (à cet égard, la Gauche n’eut aucun désaccord avec les bolcheviks) et, d’autre part, l’oscillation des diverses décisions tactiques autour de cet axe solide, les unes étant parfaitement conformés aux principes, mais les autres leur restant parfois inférieures. Dans ce dernier cas, nous expliquerons dans quel sens, à quel degré et pourquoi cela s’est produit.

a)Thèses sur le rôle du Parti communiste dans la révolution prolétarienne[39]

Cet ensemble de thèses de principe ne suscita que peu de discussions et fut finalement approuvé à l’unanimité. Cela peut sembler inattendu, étant données les idéologies variées des congressistes, mais cela confirme la faiblesse de la conscience théorique des groupes et des partis adhérents. Bien pis, s’il y eut bien un effort sincère, quoiqu’insuffisant, il ne vint pas tant des représentants des partis qui avaient déjà adhéré formellement à l’IC (bolcheviks mis à part, bien entendu) que de groupes ou d’organisations non rigoureusement marxistes, mais qui, animés d’un fort instinct de classe, aspiraient à y être admis.

Ce n’est donc pas un hasard si Lénine, Zinoviev et Trotsky consacrèrent le plus clair de leurs efforts à persuader ces derniers et à tenter de leur éclaircir les idées, plutôt que de se hâter de distribuer aux premiers des brevets d’orthodoxie et des investitures.

A l’origine, les thèses sur le rôle du parti étaient plus brèves que dans leur version définitive et la polémique y visait essentiellement des déviations « russes », mais elles furent complétées en commission par une critique sévère de l’ouvriérisme immédiatiste et spontanéiste répandu en Europe occidentale et aux Etats-Unis. Cela n’empêcha toutefois pas Lénine d’expliquer patiemment au porte-parole d’un mouvement authentiquement prolétarien et de masse comme les shop-stewards (l’anglais Tanner, en l’occurrence) que
« si ces camarades sont pour une minorité qui se batte énergiquement pour la dictature du prolétariat et qui éduque les masses prolétariennes dans ce but, une telle minorité ne sera rien d’autre en substance qu’un parti ».
Lénine montra en outre à Tanner que la dégénérescence parlementariste des partis de la IIe Internationale n’était pas un argument valable, parce que
« nous aussi, nous sommes ennemis d’un tel parlementarisme et de tels partis; nous avons besoin de partis nouveaux, de partis différents. »

Zinoviev répondit de même à l’anarcho-syndicaliste espagnol Pestaña qui jugeait inutile de s’évertuer à créer des partis politiques, noyaux de la future armée rouge, sous le prétexte que de toute façon, comme le montrait l’exemple de la révolution française, le processus révolutionnaire engendrerait inévitablement un parti et une armée :
« Aujourd’hui que nous avons tout un monde de partis bourgeois armés jusqu’aux dents à combattre, que peut bien valoir un argument qui présente la création du parti comme pur résultat de la révolution ? Que ferons-nous durant la révolution ? Qui organisera les rangs des meilleurs ouvriers à son début ? Qui préparera, élaborera et propagera le programme ? (…). Nous ne pouvons pas attendre que la révolution nous prenne par surprise et qu’elle ait pour « résultat » la cristallisation d’un parti; nous devons dès maintenant, sans perdre une heure, nous mettre à le construire. »

Dans un certain sens, observait encore Zinoviev, la situation était analogue à celle qui vit la naissance de la Ie Internationale. La bourgeoisie faisait en effet preuve de la même rigueur dans la répression des mouvements de classe et des associations ouvrières, poussant celles-ci sur le terrain de la lutte politique et de l’action violente. N’est-ce pas précisément pour cela que Marx et Engels s’efforcèrent de donner comme plate-forme à ces organisations une théorie et un programme qu’elles étaient toutes prêtes à assimiler, mais qu’elles n’auraient pu se donner elles-mêmes, ainsi qu’une direction énergique et centralisée pour les guider vers des objectifs placés au-dessus de leur horizon immédiat ? En 1920, le mouvement réel ne tendait-il pas comme alors à coïncider avec le programme du communisme, assignant aux révolutionnaires la même tâche qu’aux fondateurs du communisme scientifique ? Cette situation explique que l’« arrogance marxiste » d’un Lévi ait irrité les bolcheviks. Celui-ci prétendant que pour l’énorme majorité des prolétaires européens, la question du parti était toute résolue et qu’il était inutile d’en discuter plus longtemps au sein dé l’Internationale, Trotsky lui répondit que même un Scheidemann et un Kautsky savent que le parti est nécessaire et qu’ils le savent si bien qu’ils l’ont mis au service de la bourgeoisie, après l’avoir créé pour la classe ouvrière.

Les Bolcheviks agirent de même avec Serrati. Tout en déclarant souscrire aux Thèses parce qu’elles opposaient vigoureusement les principes du centralisme et de la discipline à l’esprit petit-bourgeois dont sont animés « le syndicalisme, l’industrialisme, l’anarchisme, le relativisme », celui-ci se refusait en effet obstinément à « balayer devant sa porte » c’est-à-dire à chasser les réformistes du P.S.I. Or les Thèses étaient dirigées aussi bien contre eux que contre les immédiatistes. Serrati l’oubliait, quitte à se poser par ailleurs en « défenseur de la foi » face au danger d’un nouveau « possibilisme » en germe, d’après lui, dans les concessions pourtant limitées faites en Russie aux paysans moyens ou face au danger de se salir les mains en travaillant dans des organisations autres que le parti.

Cette brève discussion, qui annonçait d’autres vigoureux étrillages des « partis-frères » de l’Europe occidentale, permit de souligner au moins deux points de principe. Le premier, que nous dédions aux « théoriciens » modernes du polycentrisme et de la non-ingérence dans les affaires d’autrui, est bien mis en lumière par cette réplique de Zinoviev :
« Nous devons être un parti communiste unique, avec des sections dans divers pays. Telle doit être la signification de l’Internationale Communiste. Quand les communistes russes, les premiers, se nommèrent non plus social-démocrates, mais communistes, nous avons fait la proposition de nous appeler non Parti Communiste de Russie, mais simplement Parti Communiste. Nous devons être un unique parti, ayant ses sections en Russie, en Allemagne, en France, etc., un unique parti poursuivant systématiquement et en pleine conscience son propre chemin. C’est seulement ainsi que nous arriverons à la concentration complète de nos forces; c’est à cette seule condition que n’importe quel groupe de la classe ouvrière internationale pourra toujours recevoir, à un moment donné, l’aide la plus grande possible des autres. »

Le second point de principe fut développé par Lénine à propos de l’opportunité pour le parti communiste anglais naissant d’adhérer au Labour Party; et nous l’adressons aux défenseurs de l’anti-dogmatisme et de la souplesse (ou plutôt de la totale liberté) tactique. Lorsqu’au nom des shop-stewards, Tanner et Ramsay demandèrent qu’on laissât aux communistes britanniques le soin de résoudre la question, par crainte de voir la IIIe Internationale tomber dans l’erreur opposée à celle de la IIe « en devenant trop dogmatique » Lénine répondit avec force (et bien que faisant des réserves sur l’adhésion des communistes au Labour qu’il préconisait pour l’Angleterre, nous ne pouvions pas refuser notre approbation à cette réponse) :
« Que serait l’Internationale, si chaque petite fraction se présentait ici et disait : « Certains parmi nous sont pour, d’autres sont contre, laissez-nous décider » ? A quoi serviraient alors l’Internationale, les congrès et toute cette discussion ?… Nous ne pouvons accepter que la question concerne seulement les communistes anglais. Nous devons préciser, de façon générale, quelle est la tactique juste »; si nous ne le faisons pas, nous imiterions « les pires traditions de la IIe Internationale ».

Et plus loin : s’il est vrai que la majorité des communistes anglais doive être contre nous,
« devons-nous être immanquablement d’accord avec la majorité ? Pas du tout… Même l’existence parallèle de deux partis pendant une certaine période serait meilleure que le fait de renoncer à établir quelle est la tactique juste ».

Ainsi raisonnait le prétendu théoricien de l’anti-dogmatisme : la tactique doit être fixée, et doit l’être internationalement, en dehors de tout scrupule banalement démocratique et contingentiste ! Les théoriciens de l’« unité dans la diversité » peuvent aller chercher leurs précurseurs non chez les bolcheviks, mais chez les immédiatistes de l’ouvriérisme anglais. Ne se réclament-ils pas d’ailleurs de l’idéologie de l’« Ordine nuovo » qui n’avait même pas le mérite, reconnu par Lénine aux shop-stewards, de s’appuyer sur un mouvement ouvrier de masse ?

b) Conditions d’admission à l’internationale communiste

L’âpre débat sur les « Conditions d’admission » occupa lés séances VI, VII et VIII du Congrès[40]. Bien que la question nationale et coloniale ait été traitée avant, il se rattache au précédent. En l’absence d’une déclaration théorique et programmatique préliminaire, les « Conditions » constituaient en effet un moyen de sélectionner et, le cas échéant, de mettre à l’épreuve les partis qui voulaient adhérer à l’IC. C’est à cette occasion que leurs hésitations, leurs préjugés, leurs réactions spécifiques et leurs carences apparurent le plus nettement, tandis que sur ce point, les bolcheviks et les abstentionnistes italiens travaillaient en parfait accord.

Au nombre de dix-sept, les conditions rédigées par Lénine furent peu à peu complétées, ordonnées de façon plus explicite et durcies. Quand on commença à les discuter, il y en avait dix-neuf (vingt si l’on tient compte de l’avant-dernier paragraphe, suggéré par Lénine lui-même, mais que la délégation russe était disposée à retirer, en le présentant non plus comme une condition ou une directive, mais comme un souhait). Dans le texte définitif, elles furent au nombre de vingt et une, les deux dernières ayant été introduites en réintégrant, comme la Gauche le proposait, le paragraphe 20 et en le faisant suivre d’un paragraphe supplémentaire demandé par elle[41].

Aussi bien le rédacteur du texte primitif que les militants qui collaborèrent à la rédaction définitive savaient bien que pour constituer les sections nationales du « parti mondial unique », il faudrait soit amputer les partis déjà formellement admis des importantes ailes réformistes dont ils hésitaient à se séparer, soit tailler dans les partis centristes. Ce n’était bien entendu pas la méthode idéale, mais elle était imposée par la force des choses. Ils savaient aussi que les déclarations programmatiques n’empêchaient pas des incertitudes de peser sur ce que serait dans l’avenir l’action pratique de partis qui avaient déjà scissionné avec le réformisme, et pas de la veille. La constitution des sections communistes exigeait de grands sacrifices, mais faute de les faire, on abandonnait le mouvement ouvrier mondial à lui-même. Devant un tel dilemme, on pouvait et devait empêcher que tout en acceptant de façon formelle les principes constitutifs de l’IC, les nouveaux partis ne mènent une action pratique calquée sur les habitudes de la IIe Internationale. On pouvait et devait empêcher qu’y soient acceptés ou tolérés des réformistes repentants ou des centristes suivant la mode du jour. Soit comme poids mort, soit pire encore comme facteur de corruption voire de sabotage, leur présence ne pouvait en effet qu’empêcher le parti communiste de remplir sa tâche historique « d’organisation de combat décidée non seulement à faire de la propagande pour le communisme, mais à le traduire dans les actes ». Bref, elle ne pouvait que l’empêcher d’être
« une arme de lutte pendant la paix, pendant l’insurrection et après l’insurrection, le point de rassemblement de cette partie de la classe ouvrière qui est consciente du but final et veut combattre pour lui » (Zinoviev).
La tragique expérience de la révolution hongroise (« si vous donnez le petit doigt au réformisme, il vous prend toute la main, puis toute la tête et enfin il vous fait couler à pic ») ne devait pas être perdue. Donc, ou bien l’adhésion à l’IC signifiait la rupture ouverte avec la dernière trace de réformisme, de pacifisme et de gradualisme, ou elle ne signifiait rien. La délégation russe était bien consciente de tout ce qui séparait encore le mouvement ouvrier des pays capitalistes avancés de la théorie et du programme communistes. Aussi Zinoviev n’hésita-t-il pas à déclarer en son nom dans son discours d’ouverture :
« S’il devait arriver que nos camarades italiens ou autres demandent de rester liés, ou de se lier à des éléments de droite [comme ceux cités au paragraphe 7 des « Conditions d’admission »] notre Parti est prêt à rester complètement seul plutôt que de contracter des liens avec des éléments que nous considérons comme bourgeois ».

C’est pourquoi il serait stupide de voir dans ce qu’on devait désormais appeler « les 21 points » une espèce de code pénal ou de « règlement » administratif. Comme nous l’avons déjà noté, ils fixaient au contraire des normes d’action indissociables de la nature même du parti parce que liées à ses principes et définissaient la structure des partis en fonction à la fois de ces principes et de ces normes d’action. Mais la sélection de noyaux communistes solides étant soit incomplète soit trop lente, ce n’est pas tellement l’homogénéité réelle dés différentes sections de l’IC qui pouvait assurer la centralisation étroite et rigoureuse qui était nécessaire, puisqu’elle était très imparfaite, et c’est donc aux interventions de l’Exécutif du Comintern muni des pleins pouvoirs qui en étaient chargées.

Il n’en reste pas moins – et le fait est d’une immense portée – que pour la première fois, l’Internationale se fixa dans ces thèses
« ce plan systématique d’action éclairé par des principes fixes, et rigoureusement appliqué, qui seul mérite le nom de tactique » (vieille formule de l’Iskra) et reposant sur l’« organisation solide, préparée à la lutte en tout moment et dans toutes les situations »,
sans laquelle, avait dit Lénine, on ne peut même pas parler de tactique communiste. Si l’on compare les conditions 2–10 à la IIIe partie des « Thèses de la Fraction Absentionniste », on constate que la convergence est totale, à ceci près que ces « Thèses » contiennent une formulation générale de la doctrine, des buts, des principes et du programme, qu’elles les présentent comme le fondement d’un parti intégralement communiste avec toutes les conséquences qui découlent de son existence, même sur le plan de l’organisation. La divergence est une divergence de degré, ou si l’on préfère, une divergence historique; mais la convergence est une convergence de nature.

Toutes les directives données par l’Internationale à ses partis adhérents, qu’il s’agisse de la rupture avec les réformistes, de la dénonciation du social-patriotisme et du social-pacifisme du travail dans les organisations économiques, dans l’armée, à la campagne, de l’appui aux mouvements insurrectionnels dans les colonies, ou de l’étroite subordination de la presse et du groupe parlementaire à la direction du parti et des sections au centre de l’Internationale sont considérées par les « Thèses » comme des questions de principe, comme des obligations découlant d’un ensemble de développements indissociables sur la tactique. Ce sont ces principes et ces obligations qui distinguent le parti communiste de tous les autres comme organe de la lutte à mort contre la bourgeoisie et ses laquais. Tout ouvrier doit pouvoir lui reconnaître sans peine cette caractéristique. Sans elle, la centralisation et la discipline elles-mêmes ne seraient qu’une forme vide. C’est elle qui leur donne leur contenu de classe.

Pour la rédaction de ces vingt et une conditions, il aurait certainement mieux valu travailler directement sur les principes impliqués dans chaque paragraphe, pour en tirer des conclusions à la fois rigides et indiscutables, comme la Gauche le demandait. Si l’on arriva jusqu’à un certain point à ce résultat, ce ne fut pas par une étude approfondie des normes de tactique et d’organisation ni par une théorie générale du cours historique de la révolution, mais plutôt par la voie expérimentale, c’est-à-dire à la suite de la bataille qui eut lieu au Congrès contre les positions des socialistes français (et dans une certaine mesure italiens) ainsi que des Indépendants allemands. Le résultat fut que si les normes d’action pratique contenues dans ces « conditions » furent bien présentées comme indiscutables, les normes de constitution et d’organisation des partis manquèrent de rigidité. A la longue, cela ne pouvait que favoriser un manquement des sections de l’IC à leurs engagements dans le domaine de l’action pratique lui-même. C’est dans ces limites que le débat eut lieu et à cette lumière qu’il faut comprendre la façon dont la Gauche y intervint.

Au cours des trois séances plénières, la tempête devait se déchaîner, mais on en avait eu un signe avant-coureur avant l’exposé très critique de Zinoviev sur la situation des principaux partis déjà adhérents ou candidats à l’adhésion lorsque des délégués français et hollandais avaient protesté contre la présence au Congrès et surtout à la commission pour les conditions d’admission des « pèlerins » du P.S.F. et de l’U.S.P.D. Se référant surtout à ces derniers, Radek lui-même avait complété le rapport du président de l’Internationale en disant :
« …Quand les camarades français et allemands ont déclaré qu’ils approuvaient (les conditions d’admission), nous qui faisions partie de la commission (qui les avait préparées), nous nous sommes presque tous souvenus qu’après la fusion avec les social-démocrates, Béla Kun avait dit : ‹ J'ai l’impression que tout s’est passé trop facilement ›. Eh bien nous ressentons en ce moment la même impression ! ».
Après quoi, il avait demandé qu’on épure les vieux partis « non au balai, mais au fer rouge » et qu’on liquide le passé sans regret ni réserve au lieu d’accepter des adhésions purement verbales et au fond mensongères. Cela eut pour effet un nouveau durcissement des conditions d’admission, mais entre la lettre de celles-ci et l’esprit dans lequel elles furent interprétées lorsqu’il s’agit de résoudre les différents problèmes posés par leur acceptation ou non-acceptation par les différents partis, il subsista un écart dont nous avons déjà indiqué les causes, mais qui n’en justifiait pas moins les réserves de la Gauche. Les conditions étaient sévères, mais elles ne l’étaient pas assez, même dans la formulation, pour exclure que « deux pas en arrière » fassent suite à « un pas en avant ». Comme le représentant de la Gauche l’observa à son retour en Italie,
« le sens de la discussion fut que d’une façon générale, les « reconstructeurs » pourraient entrer dans l’Internationale sous certaines garanties ».

On paya cher le fait de ne pas avoir montré la même rigueur dans les décisions pratiques que dans la polémique, car lors du reflux de la vague révolutionnaire de 1920, on n’eut plus la force de reconnaître que les conditions qui avaient justifié la relative souplesse d’alors n’existaient plus et qu’il fallait revenir à la rigidité première, savoir « rester seuls » et attendre avec confiance, mais non passivement, le moment qui arriverait tôt ou tard où les ouvriers « comprendraient et viendraient à nous », comme dans la tradition bolchevique rappelée dans le discours de Zinoviev.

« Il y a des choses, dans l’histoire du mouvement ouvrier, qui ne s’oublient pas »,
s’était écrié Radek à propos du sauvetage de la bourgeoisie allemande par les Indépendants. Or c’est précisément l’écho de ces « choses » qui résonnait de façon inquiétante dans la déclaration lue par Cachin en séance plénière et que son critique le plus énergique, C. Rakovsky, dénonça dans « la réserve, dans les réticences et (…) dans les restrictions mentales qui s’y font jour », ajoutant
« La chose la plus inquiétante n’est pas le silence en soi, ce n’est pas la gêne à reconnaître ses propres erreurs devant des camarades, mais l’attitude réservée devant l’avenir dont toute la déclaration est imprégnée ».

Dire, comme le fit Cachin en s’engageant à défendre les conditions d’admission à son retour en France :
« Celui qui, dans les conditions historiques présentes, alors que la lutte sociale décisive se déchaîne de toutes parts, cherche encore à collaborer avec la société bourgeoise, n’a pas sa place dans les rangs de la classe ouvrière »,
c’était sous-entendre[42] :
« Il y a des périodes et des conjonctures historiques où la collaboration de classe est permise et, si cette collaboration a existé, c’est parce que la conjoncture historique l’imposait. Puisque, aujourd’hui, les conditions historiques sont favorables à la révolution, nous renonçons à la collaboration : mais si demain la bourgeoisie devait reprendre des forces, si elle réussissait à surmonter quelques difficultés, pour le socialisme français devenu révolutionnaire depuis peu, la conjoncture historique pourrait se modifier »,
et il n’y avait aucune raison pour que le P.C.F. ne retombe pas dans les vieilles erreurs.

Lorsque Cachin poursuivait :
« Si un jour la guerre mondiale devait éclater à nouveau, la fauté principale en retomberait sur l’actuelle politique criminelle de la bourgeoisie française »,
les réformistes de son parti saluaient avec joie ses paroles :
« Dans le passé », disaient-ils, « les choses étaient différentes. La responsabilité de la guerre n’était pas seulement celle de notre bourgeoisie, mais celle de l’impérialisme allemand; donc notre politique de défense nationale trouve, en ce qui concerne le passé, sa pleine justification ».
Et quand Cachin poursuivait :
« Nous nous refuserons d’avoir rien à faire avec cette politique, soit qu’il s’agisse d’approuver des crédits de guerre, soit qu’il s’agisse de collaborer avec le gouvernement : nous saurons nous rappeler que dans de telles conditions, alors que les intérêts nationaux coïncident avec ceux de la ploutocratie, le plus grand devoir du prolétariat est envers sa classe »,
il admettait implicitement, comme le dit Rakovsky, la possibilité
« qu’il existe dans la société bourgeoise des moments où les intérêts de la bourgeoisie ne coïncident pas avec les intérêts nationaux : autre justification de la tactique passée, autre porte ouverte pour se faufiler de nouveau en cachette, autre moyen pour justifier toute trahison future ».
Pour Rakovsky, il ne pouvait y avoir qu’une conclusion :
« Ce ne sont pas les conditions d’admission qui peuvent nous donner des garanties : nous devons les considérer comme un minimum et, si nécessaire, les rendre plus dures. Mais l’Internationale communiste devra s’assurer une autre garantie. C’est seulement en créant un véritable centre du mouvement international, un véritable état-major de la révolution, muni des pleins pouvoirs pour diriger le mouvement dans le monde entier, qu’on pourra s’assurer que les conditions d’admission sont bien remplies. »

Tel sera le pivot de la conception bolchevique : un poing de fer au centre comme recours contre une certaine liberté de manoeuvre, il est vrai réduite, accordée à la « base ». L’avenir confirmera notre pronostic : le meilleur centre ne suffit pas pour faire marcher droit une périphérie hétérogène ou rebelle qui n’adhère pas réellement à la théorie et au programme défendus par « l’instance suprême » du mouvement ouvrier. En outre, cette anomalie recèle ce danger que, dans certaines conditions, les vices de la périphérie contaminent le centre, l’empêchant de rester fidèle au programme initial et donc de remplir sa fonction de centre[43].

Avec moins de clarté théorique toutefois, on retrouve la même préoccupation dans les déclarations de Rakovsky, Losovsky[44] et de délégués français appartenant à des groupes déjà adhérents au Comintern. Le jeune Lefebvre, qui devait disparaître tragiquement avec Lepetit et Vergeat en rentrant de Moscou par Mourmansk, dit par exemple :
« La conversion des camarades Cachin et Frossard est seulement un fait individuel. Ils retourneront en France et feront leurs déclarations devant une foule attentive : il est à craindre que, sous l’influence d’un long passé opportuniste et de leur mode de pensée particulier […] en poussant le parti vers l’Internationale communiste, ils ne l’affublent d’un programme minimum qui aurait, pour nous Français, le désavantage de rendre purement platonique l’adhésion à l’IC, et pour vous, camarades, le désavantage encore plus grand de faire pénétrer dans vos rangs l’esprit de trahison de la IIe Internationale. J'affirme que l’atmosphère en France est insupportable. Il faut y mettre fin. Le changement d’opinion de deux individus ne doit pouvoir exercer aucune influence. Nous devons rester inflexibles, et je vous assure que, si vous tenez bon, les masses en France vous suivront sans hésitation ».
Guilbeaux abondait dans le même sens :
« Je ne trouve pas qu’il y ait tellement de quoi se réjouir si à Moscou, sous l’influence de l’atmosphère révolutionnaire dans laquelle ils ont brusquement été plongés, les représentants de quelques partis du centre se déclarent pour le communisme. Je ne mets pas en doute leur sincérité, mais je me demande si, une fois rentrés à Paris, dans l’atmosphère pestiférée du PS ou de la Chambre des députés, ils ne retomberont pas dans leurs erreurs […]. Nous devons d’abord jeter les bases d’un solide Parti communiste et attirer les masses dans cette formation; non les agréger autour de nous de façon artificielle […]. Si, après une période de mise à l’épreuve de six à douze mois, on voulait admettre des partis qui pendant des années et des années ont commis des erreurs ou ont trahi, je crains qu’à la fin, ils ne soient en majorité dans l’IC et ne substituent à son drapeau rouge un autre drapeau, semblable comme une goutte d’eau à celui de la IIe Internationale ».
Au nom des Jeunesses socialistes Goldenberg (mais aussi le Suisse Herzog) parla également d’or :
« Je proteste contre la méthode artificielle qui consiste à admettre dans les rangs de l’IC dés éléments qui ne lui sont même pas favorables […]. Le prolétariat français n’a qu’un seul moyen de mener la lutte contre la IIe Internationale : former un parti communiste bien organisé, comprenant seulement des militants communistes ».

Ce n’était malheureusement que des mots et pour qu’il en allât autrement, il aurait fallu que ces militants appuient l’effort de la Gauche d’Italie pour compléter et durcir le texte des conditions d’admission, au lieu de se taire, comme Rosmer, ou de voter contre elles, comme Goldenberg. Il aurait en outre fallu se battre à Paris ou à Berlin comme la Gauche le fit en Italie pour que ces conditions soient appliquées avec toute la rigueur voulue, et pour cela, être capable de regarder au-delà des frontières nationales. Par malheur, on ne fit ni l’un ni l’autre : après avoir crié bien fort à Moscou, on rendit les armes en France.

La seule contribution d’une portée théorique générale et dépassant donc les étroites limites des problèmes locaux et contingents qui soit venue des communistes de l’Europe occidentale fut le discours du représentant de la Fraction communiste abstentionniste[45]. Il est à rattacher aux « Thèses d’avril » dans lesquelles Lénine avait fixé les principes de la future Internationale communiste en imposant la rupture non seulement avec les social-patriotes, mais avec les opportunistes qui niaient que l’insurrection armée et la dictature soient la voie nécessaire, la seule possible, de l’émancipation du prolétariat. La fondation de l’Internationale avait restauré le marxisme dans toute son intégrité, tandis qu’une situation potentiellement révolutionnaire agitait le prolétariat de tous les pays et provoquait une sélection organique dans les vieux partis socialistes. Environ trois ans plus tard, la révolution marquait le pas ou avait été battue, la guerre était finie et le problème de la défense nationale ne se posait plus. Dans ces conditions, même le réformisme le plus endurci avait beau jeu d’accepter en paroles les thèses sur la conquête révolutionnaire du pouvoir, la dictature du prolétariat et la terreur rouge. Le danger d’une infiltration d’éléments droitiers et centristes était donc plus grave que jamais, et l’Internationale à qui l’on ne pouvait demander que ce qui était en son pouvoir, c’est-à-dire de préparer le prolétariat à la révolution, et non pas de la faire naître ou d’accélérer le cours des événements, avait le devoir de s’assurer que l’adhésion des groupes et des partis qui prétendaient entrer dans ses rangs était totale et sans réserve. Pour cela, elle devait appliquer de façon encore plus ferme qu’en Russie la doctrine et la méthode marxistes que Lénine y avait restaurées en dépit de conditions sociales pré-bourgeoises, aux pays capitalistes avancés. Autrement dit, en Occident, il fallait être plus bolchevik que les bolcheviks en matière de programme, de tactique et d’organisation.

Pour faire pièce à l’opportunisme, il ne fallait pas seulement un programme unique et sans équivoque : il fallait que l’organisation et la tactique qui en découlaient soient impératives pour tous. Puisqu’il avait été matériellement impossible de le rédiger, il était urgent de décider que les partis qui désiraient adhérer devaient élaborer un programme
« dans lequel les principes de l’IC soient exposés sans équivoque et de façon conforme aux résolutions des congrès internationaux » (celles du IIe Congrès contenaient des formulations fondamentales en matière de programme et de principes)
et que ce programme ne serait ni discuté ni voté, puisqu’il existe préalablement à tout « choix » individuel et est commun à tous ceux qui s’engagent catégoriquement à militer et combattre pour le communisme. Or, le point 16 (devenu ensuite le point 15) disait seulement que les partis candidats à l’adhésion devaient élaborer un nouveau programme
« dans le sens (ou pire, comme dans certaines traductions, dans l’esprit) des résolutions de l’IC, et adapté aux conditions spéciales de leur pays ».
Non seulement c’était trop vague, mais ce dernier point risquait de permettre à ceux qu’on avait chassés par la porte de rentrer par la fenêtre.

Ce ne sont pas là des arguties juridiques : ce qui est en question ici sont deux piliers de la doctrine marxiste : 1) Les applications tactiques du programme du parti doivent être pesées et décidées à l’échelle internationale; 2) Le programme n’est pas quelque chose qu’on accepte « par discipline » comme une directive contingente :
« on l’accepte ou non; et si c’est non, on se retire du parti »,
parce qu’il n’est pas matière à conjectures, à choix ou à opinions. Sur le plan de l’organisation, cela signifie que « la minorité du parti qui se déclarera contre ce programme devra de ce seul fait être exclue » : ajoutons que si c’est la minorité qui accepte le programme, elle s’exclura d’elle-même du vieux parti, ce qui se produisit à Livourne.

La suite de la discussion prouva aux rédacteurs des conditions d’admission qu’il était nécessaire d’adopter notre point de vue; c’est ce qu’ils firent en rendant le préambule plus tranchant, en donnant au point 20 proposé par Lénine valeur de norme et de directive impératives, et enfin en ajoutant le point 21 disant que « les membres du parti qui rejettent par principe les conditions et les directives de l’Internationale Communiste doivent être exclus ». Mais ce fut une victoire incomplète. Tout d’abord, la Gauche avait demandé que le point 15 soit modifié parce qu’elle savait bien que les fameuses « conditions spéciales » à chaque pays risquaient d’être invoquées – comme cela s’était déjà produit – pour atténuer et finalement rendre inopérant le programme de tous les partis membres de l’IC, mais cette proposition ne fut pas retenue. Ensuite, elle demanda que les organes dirigeants des sections de l’IC soient intégralement composés de communistes éprouvés, mais cette revendication ne fut pas non plus satisfaite. En outre, la Gauche ne parvint ni à modifier l’orientation générale du débat dominé par la perspective de « récupérer » de larges fractions des vieux partis, ni à empêcher que la discussion ne s’égare dans des accusations et des contre-accusations de caractère trop souvent personnel et contingent et ne perde du même coup de vue les questions de principe. On ne trouva pas non plus nécessaire d’ajouter aux modifications introduites le point suggéré par Serrati et soutenu avec chaleur par Graziadei sur l’incompatibilité entre adhésion à l’IC et appartenance à la franc-maçonnerie, bien que la question ait provoqué des batailles mémorables dans le mouvement socialiste italien. Telles qu’elles étaient, ces modifications rendaient néanmoins plus sévères les conditions d’admission. Il est clair cependant que pour opposer une « barrière infranchissable » au réformisme renaissant, il fallait décider fermement de les appliquer dans toute leur rigueur, et surtout si, comme nous le pensions contrairement aux bolcheviks, le coup d’arrêt de la marée révolutionnaire devait se prolonger plus qu’on ne pouvait le supposer au moment où l’Armée rouge menaçait Varsovie et où le prolétariat donnait partout des signes de réveil impérieux après ses trop nombreuses défaites.

La lutte contre l’opportunisme devait être menée sur tous les fronts et sans ménagement; mais cette tâche devenait plus difficile à remplir si l’on ne prenait que des demi-mesures qui, ou bien laissaient aux réformistes la possibilité d’emprunter au moins la porte de service ou bien risquaient de les laisser rentrer à travers les mailles du filet après leur exclusion. C’est ce qui se produisit (pour la plus grande joie des partisans de l’opportunisme actuel, mille fois pire que la variante maximaliste ou indépendante d’alors) et qui fut payé de la liquidation non seulement politique, mais physique du parti de Lénine. Notre avertissement aurait dû être écouté, sinon en 1920, du moins quand, à partir de l’année suivante, il apparut que les perspectives révolutionnaires à brève échéance s’éloignaient : c’était le moment de serrer les freins et non pas – comme on le fit – de les lâcher ! La débâcle commença au moment où l’on fit une vertu et un modèle de ce qui, en 1920, était une nécessité. Notre point de vue, si on l’avait accepté intégralement, aurait favorisé une sélection organique des partis et par conséquent de l’Internationale en tant que parti mondial unique, sur la base du programme : une sélection politique où les questions d’organisation et de discipline auraient représenté le point d’arrivée et non le point de départ. Accepté en partie seulement, il devint un moyen parmi d’autres pour encadrer des forces imparfaitement homogènes. L’homogénéité dans l’action et dans le mouvement est le fait soit de conditions objectives particulièrement favorables (et donc ne se répétant pas de façon mécanique) soit de facteurs subjectifs dont la conjonction dans un état-major compact et efficace et la cohésion en dépit des vicissitudes représentent dans l’histoire l’exception plutôt que la règle. Mais qui, à cette époque, était disposé à aller jusqu’au bout sur le plan des principes ? Il est significatif qu’en dépit des protestations provoquées de plusieurs côtés par l’attitude de tolérance au moins relative du congrès à l’égard des Cachin-Frossard ou des Crispien-Dittmann, un seul délégué se soit déclaré ouvertement favorable à la totalité de nos propositions : le Suisse Humbert-Droz, et encore fut-il de ceux qui, par la suite, se hâtèrent de changer d’avis. C’est l’époque qui le voulait.

La tempête déchaînée par la déclaration française éclata à nouveau, dans une atmosphère encore plus tendue, quand les délégués de l’U.S.P.D. prirent la parole. Les responsabilités de ce parti dans le dénouement sanglant des mouvements prolétariens en Allemagne, le cynisme de son aile droite, le suivisme de son aile gauche, et la duplicité dont elles avaient fait preuve toutes deux en se rapprochant de l’IC, avaient déjà été vivement dénoncés par de nombreux orateurs. Tous invoquaient la nécessité de « s’adresser aux masses en leur disant que nous condamnons l’U.S.P.D. et que ce n’est pas de ses instances supérieures, mais des prolétaires qui en sont membres que nous attendons qu’ils manifestent leur intention de se ranger aux côtés de la Troisième Internationale, des communistes russes, de la Russie soviétique ». La plaidoirie en faveur de la « droite » que Crispien et Dittmann prononcèrent au milieu d’interruptions continuelles fut aussi cynique qu’avocassière. Nous en donnons un résumé assez long, comme contre-épreuve de ce que nous avons déjà écrit sur ce sujet, et surtout pour montrer que, dans les réponses, la polémique s’éleva bien au-dessus des escarmouches mineures pour rappeler aux communistes de toujours l’ABC de leur doctrine, qui ne doit jamais être oubliée ou passée sous silence pour des raisons… d’opportunité ou de convenance. Voici à peu près ce que nos deux avocats eurent le front de dire : nous nous sommes battus contre la guerre tout autant que les spartakistes et si, à la fin du conflit, nous n’avons pas pu dénouer la situation dans l’intérêt de la classe ouvrière, si nous n’avons pas été en mesure d’instaurer cette dictature du prolétariat, qui était déjà inscrite implicitement dans le programme… d’Erfurt, là où il est question de la conquête du pouvoir politique comme condition de la réalisation du socialisme, c’est parce que nous avons manqué des… points d’appui nécessaires et parce qu’il était impossible de donner à l’action des ouvriers et des soldats, dont les conseils n’étaient pas composés en majorité de socialistes révolutionnaires, le caractère d’une action consciemment révolutionnaire et prolétarienne (la faute, selon eux, en revenait aux masses !!!). Par ailleurs, si vous accusez les chefs indépendants d’être opportunistes, vous oubliez qu’ils sont régulièrement élus aux postes de direction et il n’en irait pas ainsi si, comme vous le dites, c’étaient des traîtres (de la même façon, leurs décisions tactiques expriment la volonté démocratiquement formulée par les congrès : au « sommet », que diable, on fait ce que désire la « base » !). Si vous nous reprochez d’avoir commis des erreurs, eh bien, que celui qui, dans cette assemblée, est sans péché nous jette la première pierre ! Si nous avons tardé à prendre contact avec l’IC, dont nous pensions que la fondation était prématurée, c’est parce que, avant que les ouvriers puissent jouer un rôle international, il faut les aider (les pauvres !) à avoir des idées claires sur la dictature du prolétariat et sur les moyens d’y parvenir, et pour cela il faut du temps et de la patience : ce n’est pas à coups de scissions, qui peuvent être nécessaires, mais qui dans tous les cas sont regrettables, qu’on y arrivé. Si nous avons signé le traité de paix, c’est parce que sur l’Allemagne pesait le cauchemar d’une misère croissante, et que ceux qui peuvent faire la révolution, ce ne sont pas les prolétaires tombés dans la misère et « en haillons », mais uniquement « les couches ouvrières dont le niveau de vie a pu s’élever de façon relative » (les réformes et le plein emploi, si possible avec des salaires élevés, au service de la révolution !). Pour la même raison, tout en appréciant l’offre de blé russe comme un geste de solidarité internationale, nous l’avons refusée et nous avons préféré accepter le blé (et tout le reste) promis par les Américains, dans le double but de vous sauver vous-mêmes, qui n’aviez que peu de blé, et de sauver nos ouvriers, qui étaient en train de mourir de faim. Nous aussi nous sommes, et sans aucune hésitation, pour l’usage de la violence, mais nous ne pouvons faire un principe ni de la violence, ni de la terreur. Nous admettons qu’elles sont nécessaires « dans certaines situations », mais nous ne devons pas le dire ouvertement, parce que nous éloignerions de nous des couches qui sont non seulement importantes, mais vitales dans l’exercice de la dictature prolétarienne dans l’avenir. Si, quand nous étions au gouvernement avec les majoritaires, nous avons repoussé la mission russe sans lui laisser franchir la frontière, c’est que nous étions… trois contre trois : que pouvions-nous faire d’autre ? (Bravo ! répliquera Rakovsky : c’est seulement maintenant que vous vous apercevez, vous qui vous dites marxistes, que la voie du ministérialisme est condamnée au départ, même sur le plan des « conquêtes » partielles ?). D’ailleurs, cette mission venait dans le but déclaré de faire de la propagande défaitiste et révolutionnaire dans l’armée : qu’auraient dit les Alliés, qu’auraient dit les généraux, qu’auraient dit les hauts fonctionnaires ? Et, pour finir, la flèche du Parthe : vous dites que nous sommes opportunistes; mais vous, ne l’êtes-vous pas tout autant quand vous prêchez des concessions aux petits paysans ? Vous nous accusez de ne pas avoir voulu fusionner avec les spartakistes en décembre 1918 – janvier 1919; mais n’êtes-vous pas les premiers à désavouer le « putschisme » des résolutions du congrès constitutif du K.P.D. ? Vous déplorez que nous ne nous déclarions pas ouvertement pour la terreur; mais Rosa Luxembourg ne faisait-elle pas comme nous dans son « programme de la Ligue Spartakus » ? Conclusion rhétorique : « Vous nous donnerez la réponse que vous voudrez. Quant à nous, nous souhaitons, nous désirons honnêtement bâtir un front commun avec l’Internationale Communiste. Vous ne pouvez pas mettre en doute nos convictions, nos sentiments, notre activité révolutionnaire. Nous restons des révolutionnaires, même si vous nous soupçonnez d’être des opportunistes ». Bref, c’est de vous que tout dépend et non de nous :
« Si vous voulez la même chose que nous, c’est-à-dire une unité compacte entre le prolétariat de Russie et celui d’Allemagne, il faut que vous vous efforciez comme nous [ !!!] de trouver au cours de nos prochaines négociations un moyen qui nous permette d’aller ensemble rapidement de l’avant dans la bataille commune contre le capitalisme, dans l’intérêt du prolétariat mondial ! ».

La réponse de Lénine fut brève et tranchante, et il faut noter qu’elle toucha certains des points de principe sur lesquels « Il Soviet » avait le plus fréquemment insisté. Quand on prétend être en règle avec le marxisme simplement parce qu’on a toujours été pour la conquête du pouvoir politique (les indépendants se réclamaient du programme d’Erfurt; les réformistes italiens de celui de Gênes !), on « élude la question de fond; on admet la conquête du pouvoir politique, mais on n’admet pas la dictature » : on est kautskyste ! On l’est aussi quand on se présente de façon toute formelle comme l’expression de la volonté des masses ou des membres du parti, en passant sous silence les tendances opposées qui se manifestent dans le parti et dans les masses. On est kautskyste quand on déplore la scission, au lieu de reconnaître que « la classe ouvrière internationale se trouve encore sous le joug de l’aristocratie ouvrière et des opportunistes » et que l’on s’est séparé trop tard des Noske et des Scheidemann. On l’est à plus forte raison quand on affirme (dans un langage dont « je me demande s’il est permis de l’employer dans un parti communiste, un langage contre-révolutionnaire ») que la révolution n’est possible que si la situation des ouvriers n’empire pas « trop » :
« La victoire des prolétaires est impossible sans sacrifices, sans une aggravation provisoire de leur situation […]. A l’échelle historique mondiale, il est vrai que, dans les pays arriérés, les coolies chinois ne sont pas en mesure de faire la révolution prolétarienne, mais dans des pays plus riches, là où grâce au pillage impérialiste on vit mieux, il est contre-révolutionnaire de dire aux ouvriers qu’ils doivent craindre une aggravation ‹ trop grande › de leur situation. C’est le contraire qu’il faut dire. Une aristocratie ouvrière qui a peur des sacrifices, qui craint de ‹ trop › s’appauvrir pendant la lutte révolutionnaire, ne peut pas adhérer au parti. Autrement la dictature est impossible, surtout dans les pays d’Europe occidentale » !

Enfin, on est kautskyste à la puissance n, quand on introduit entre la violence et la terreur une distinction
« qui est possible dans un manuel de sociologie, mais non dans la pratique politique, surtout dans la situation allemande… Non seulement Kautsky, mais également Ledebour et Crispien parlent de la terreur et de la violence de façon contre-révolutionnaire. Et un parti qui s’adapte à ces conceptions ne peut apporter sa contribution à l’instauration de la dictature ».

Il est vain d’essayer de marquer des points en accusant les bolcheviks de parler en faveur du petit paysan et de son exploitation au lieu de proposer la socialisation immédiate de toute propriété foncière et de toutes ses formes de gestion : il s’agit là d’une « conception pédantesque » qui ignore la persistance en régime bourgeois, à côté de la grande exploitation capitaliste à travail associé, d’une énorme variété de formes semi-féodales ou en tout cas pré-capitalistes, impossible à éliminer immédiatement; et c’est une conception qui nous ôte la possibilité d’avoir les paysans pauvres avec nous dans la révolution. Vous dites que nous devons reconnaître vos « convictions révolutionnaires » ?
« Je le conteste catégoriquement, non pas parce que vous ne voulez pas agir de façon révolutionnaire, mais parce que vous n’arrivez pas à penser en révolutionnaires […]. Vous êtes imprégnés jusqu’à la moelle d’esprit bourgeois ! »

Il ne faut pas croire qu’à Moscou la soi-disant gauche indépendante ait eu quelque chose de plus ou de mieux à dire que la « droite ». Si Däumig s’en tira en disant que son parti devait être jugé non pas d’après un passé équivoque, mais d’après un présent limpide où
« tout bougeait, où tout fermentait », que rien n’empêchait donc d’introduire dans le parti les principes de la conquête violente du pouvoir et de la dictature « en une dure lutte contre les résistances de la matière » (!!!),
Stöcker, lui, repoussa l’idée d’une scission. A propos de la terreur, il affirma que
« une chose est d’en voir clairement la nécessité, et autre chose de faire ouvertement de la propagande à ce sujet ».
Il apporta de l’eau au moulin de Crispien, en déclarant qu’au cours de la période révolutionnaire, on ne peut certainement pas éviter de graves perturbations dans le procès de production, mais que
« dans un pays industriel comme l’Allemagne, il faudra donner plus d’importance au maintien de la continuité de la vie économique que dans un pays agricole comme la Russie ».

Il appartint à Zinoviev de rappeler non seulement les expériences de la révolution bolchevique victorieuse, mais aussi celles de la révolution allemande malheureusement vaincue (« il n’y a pas une rue, dans les quartiers ouvriers de vos grandes villes, où le sang des prolétaires n’ait pas coulé… Comment pouvez-vous hésiter sur la question de la terreur ? »), et de conclure :
« Nous n’avons pas besoin que l’on s’agenouille devant la révolution russe et l’Internationale Communiste : ce dont nous devons être sûrs, c’est que dans tous les pays on fait son devoir ».
C’est sur la base de ces principes et uniquement de ces principes que le Comité exécutif pourra décider qui il acceptera dans ses rangs, quand et comment.

Serrati avait pris la parole avant Däumig et Stoecker. Il s’était d’abord plaint de façon insupportable des difficultés qu’il y avait à s’entendre après un long isolement réciproque, comme si les marxistes n’avaient pas leur langage, et ne se comprenaient que sur la base des… rapports humains, et avait parlé du complexe d’infériorité qui s’emparait des congressistes devant les bolcheviks (« Que suis-je, moi Serrati, par rapport au camarade Lénine ? »). Après cette introduction larmoyante, son discours avait été d’un bout à l’autre une apologie de la tolérance, du genre « aimons-nous les uns les autres » :
« Ouvrons les portes de l’Internationale à tous les partis capables de faire la révolution avec nous [formule aussi large que les bras de la Providence]; après, nous discuterons », au lieu de nous poser en « maîtres d’école qui distribuent de bonnes ou de mauvaises notes à leurs élèves » !
Son raisonnement avait été digne du matérialisme mécaniste de la IIe Internationale décadente : il ne s’agit pas de juger des hommes et des courants, dit Serrati, (donnez-moi, si vous le pouvez, un « sincéromètre » !), mais d’établir si la situation dans tel ou tel pays est révolutionnaire ou non, car « c’est la situation générale qui crée les hommes, et non le contraire ». En France, par exemple, la situation n’est pas révolutionnaire, donc elle fait naître « des attitudes équivoques et confuses, un pas à droite et un pas à gauche, sans que l’on sache jamais ce que l’on veut ». En Allemagne, en revanche, la situation est révolutionnaire, donc l’U.S.P.D. vaut mieux que le P.S.F. Il vaut moins cependant que le P.S.I., qui, pour sa part, agit dans une situation pré-révolutionnaire : dans de telles circonstances, qu’importe un Turati qui, après tout, « observe la discipline », et n’a qu’une influence négligeable ? Mais attention ! il ne faudrait pas qu’il s’en aille en entraînant d’autres membres du parti derrière lui : la réaction, contre laquelle il est décidé à défendre les ouvriers, ne ferait de nous qu’une bouchée ! De plus, Turati a à son actif une opposition à la guerre qu’il a menée « non seulement en pacifiste, mais en ennemi de l’opportunisme bourgeois » et, dans ses discours tant déplorés par Lénine et Zinoviev il a le courage et l’habileté de dire à la bourgeoisie : « Tu vois bien que tu n’es plus en mesure de garder le pouvoir, d’exercer ta domination sur le peuple : écarte-toi ! ». Les conditions 15 et 16, ajoute Serrati, disent qu’il faut tenir compte des conditions particulières de chaque pays (c’est uniquement pour cette raison, que moi Serrati, convaincu que l’Exécutif « les interprétera au sens large », je voterai les 21 points !). Qu’on nous laisse donc choisir
« le moment de l’épuration du parti; nous vous assurons tous – et personne, je pense, ne nous accusera d’avoir jamais trahi notre parole – qu’elle sera accomplie; mais donnez-nous la possibilité de faire cela nous-mêmes d’une façon qui soit bénéfique pour les masses laborieuses, pour le parti, pour la révolution que nous sommes en train de préparer ! » (avec quelle clarté dans les idées et quelle cohérence dans l’action, nous venons de le voir).

La réponse de Lénine, comme on l’imagine, ne fut pas moins dure pour Serrati que pour les indépendants allemands. Le discours de Serrati
« est de ceux que nous avons déjà entendus prononcer dans la IIe Internationale […]. Serrati ne fait que répéter ce qu’a dit Crispien »
(enfin ! cela faisait des mois que nous disions que le maximalisme était le cousin germain du centrisme indépendant !). Comment un parti peut-il être plus ou moins révolutionnaire selon la situation ?
« Même dans une situation contre-révolutionnaire, on peut et on doit faire de la propagande révolutionnaire […]. C’est là justement la différence entre les communistes et les socialistes. »
Et que vient faire ici la volonté des réformistes de défendre le prolétariat contre la réaction ?
« Même Tchernov, même les menchéviks et beaucoup d’autres encore, en Russie, ‹ défendent › le prolétariat; mais ce n’est pas une raison pour les accepter dans nos rangs ! »

Peu après, Zinoviev déclara que la situation en Italie, où les réformistes manœuvraient les syndicats à leur gré, était inadmissible :
« Si les dirigeants du P.S.I. toléraient cela encore longtemps, nous nous adresserions, par-dessus leur tête, aux ouvriers italiens ».
Deux semonces mémorables. Mais il faut reconnaître que pratiquement ni celle de Lénine ni celle de Zinoviev n’allaient au-delà de la revendication de la « rénovation du parti », de même que, à propos de l’U.S.P.D. et du P.S.F., elles n’allaient pas au-delà de l’attente vigilante des décisions de leurs congrès et renvoyaient à ce moment-là le jugement sur la possibilité d’admettre ou non leur aile scissionniste : le verdict, du moins sur ce dernier point, resta en suspens…

La discussion, dont nous laissons de côté les aspects mineurs, tirait à sa fin. Les 21 conditions furent approuvées avec seulement deux voix contre. Très fermes dans les directives d’action, il apparut qu’elles étaient relativement modérées dans les critères de constitution des partis adhérents. Il n’est pas difficile de voir les points de convergence profonde, mais aussi les différences entre le texte définitif et les demandes contenues dans le discours de Bordiga[46]. Cependant, malgré certaines lacunes et imprécisions, les « conditions » constituaient un solide point d’appui pour le travail des mois à venir. Ce n’était pas le maximum de ce qu’on pouvait faire, mais c’était la condition pour y parvenir. C’est bien ainsi que notre Fraction était décidée à les considérer : c’est pourquoi en Italie, il y eut Livourne, et non pas Tours, ni même Halle ! Le malheur, c’est que cela n’a pas suffi, et ne pouvait pas suffire, pour préserver l’Internationale de Lénine

c) Les partis communistes et le parlementarisme

Les illustres historiens du super opportunisme d’aujourd’hui voudraient faire croire au public cultivé et au gratin intellectuel auquel ils s’adressent que le parlementarisme révolutionnaire a été le nœud du IIe Congrès et que pour Lénine et les bolcheviks la participation aux élections constituait la véritable caractéristique de partis réellement communistes. Pour démentir la première affirmation, l’imposant corps de thèses pour le IIe Congrès suffit, puisqu’il a pour centre les questions de principe de la révolution, de la dictature, de la terreur rouge et de la préparation nécessairement anti-parlementaire du prolétariat à celles-ci. Quant à la seconde, elle est démentie par le préambule et par tous les paragraphes des thèses sur le parlementarisme[47] qui, subordonnant strictement l’activité électorale et parlementaire à la lutte révolutionnaire, la considèrent en outre comme une arme subsidiaire, valable seulement dans certains cas, de la lutte communiste. Si les bolcheviks ont fait du parlementarisme révolutionnaire un des critères de l’efficacité révolutionnaire des partis communistes naissants en exigeant qu’ils l’appliquent dans toutes ses déductions pratiques, c’est que ce parlementarisme avait des buts anti-parlementaires : d’une part, il visait à la destruction des préjugés démocratiques qui survivaient encore dans le mouvement ouvrier comme chacun des paragraphes des thèses qui sont autant de gifles aux historiens actuels le prouve; d’autre part, ils visaient à l’élimination de préjugés inverses, de nature anarchiste, syndicaliste, ouvriériste, conduisant à fonder l’abstentionnisme électoral sur des considérations morales (répudiation du « pouvoir », de l’« autorité », des « chefs »; scrupules de « pureté », condamnation du compromis en soi, etc.), à identifier la lutte parlementaire à la lutte politique en général et enfin à refuser la lutte politique elle-même au profit de la lutte purement syndicale, le Parti au profit des syndicats, ou encore les syndicats au profit des conseils d’usine, etc., mettant dans le même sac les parlements et les syndicats réactionnaires qu’ils proposaient de boycotter au même titre. De façon plus générale, les bolcheviks visaient également à la réfutation critique de courants pratiquant le culte de la souveraineté des masses voire de l’individu, et donc affectés de la même maladie démocratique que les partis de la IIe Internationale auxquels l’I.C. avait ouvert ses portes dans l’espoir que, sous une direction centralisée, ils pourraient servir de contrepoids efficace (parce que nettement prolétariens) aux ailes soi-disant « communistes » issues de la social-démocratie et pas encore débarrassées de son lourd héritage. Dans les deux cas, les bolcheviks se plaçaient sur le même terrain que nous et les questions sur lesquelles portait notre discussion avec eux suffiraient par elles-mêmes à montrer que le point de départ, les principes anti-démocratiques du communisme, était le même.

Il suffit de comparer les thèses Lénine-Boukharine et leur préambule écrit par Trotsky à celles qu’a présentées notre fraction et que nous reproduisons dans l’appendice pour s’apercevoir que la dénonciation de la fonction anti-révolutionnaire du parlement comme instrument de gouvernement de la bourgeoisie y est identique; identique, la dénonciation du parlementarisme aussi bien comme « forme de l’ordre social futur »que comme « forme de la dictature de classe du prolétariat »; identique, le refus d’admettre la possibilité de le conquérir pour le mettre au service de la lutte d’émancipation du prolétariat; identique, la proclamation de la destruction des institutions parlementaires et démocratiques comme tâche du communisme (Cf. en particulier, les points 1–6 paragraphe I des thèses de l’I.C.[48]; identique, la condamnation de « l’anti-parlementarisme par principe » (point 16, paragraphe III) ainsi que de toute illusion « de voie parlementaire au socialisme »; identique, le refus de considérer comme un motif de scission dans le mouvement communiste aussi bien le parlementarisme à buts anti-parlementaires et révolutionnaires que l’abstentionnisme dont le but est le même, la question étant subsidiaire par rapport à celles qui définissent le parti de classe et en constituent en même temps la base (point 19); identique, enfin, la condamnation de l’« indifférence » anarchiste pour cette démonstration typique de la démocratie bourgeoise que sont les élections et le parlement, puisque notre abstentionnisme comportait l’intervention dans les réunions électorales pour y attaquer politiquement la façade démocratique de la dictature capitaliste et pour y dénoncer les illusions et les mystifications parlementaires.

Les thèses Lénine-Boukharine excluent par ailleurs que la participation aux élections et au parlement puisse être élevée au rang d’une directive permanente. Loin de l’exclure, elles proclament la nécessité de les boycotter (point 17) dans certaines circonstances clairement définies. Soit dit entre parenthèses, cela enterre la prétention dés prétendus « léninistes » d’aujourd’hui à parler au nom de… Lénine, car à supposer qu’ils admettent le boycott de la Chambre des députés et du Sénat, ils le font exclusivement dans l’hypothèse que… démocratie et parlementarisme aient besoin d’être sauvés, perspective explicitement exclue par les thèses de 1920.

Sur quoi portait donc le désaccord entre les bolcheviks et nous ? Nos thèses l’expliquent surtout aux points 6 et 7 qui soulèvent la question de fond : à une époque historique où la préparation à la conquête du pouvoir n’était pas encore une perspective unique et directe, la participation aux élections et à l’activité parlementaire étaient utiles et nécessaires dans des buts de propagande, d’agitation et de critique. Elle le reste dans les pays où la révolution bourgeoise est encore en cours et où le parlement conserve son caractère originel d’institution antiféodale et donc historiquement révolutionnaire (Russie 1917, pays coloniaux et arriérés de 1920 et en partie d’aujourd’hui). Par contre, dans les pays de vieille tradition démocratique, où la révolution bourgeoise est depuis longtemps terminée, toutes les énergies du Parti et de la classe doivent être consacrées à la préparation de la révolution. Dans ce but, toutes les traditions, les habitudes, les préjugés, les illusions inhérentes à la pratique habituelle du parlementarisme doivent être impitoyablement déracinés. Cette lutte ne se mesure pas en mois ou en années, mais occupe tout le cycle historique destiné à se conclure par la victoire mondiale du prolétariat révolutionnaire.

Dans ces pays, à l’ère impérialiste, le boycott du parlement s’impose, en même temps que l’intervention dans les réunions électorales pour y dénoncer le mythe infâme de la souveraineté populaire. C’est le seul moyen de démontrer que présenter le bulletin de vote et l’urne comme des « armes » de la conquête du pouvoir est une énorme mystification.

Face à cette considération de principe, les considérations d’ordre pratique n’avaient qu’une valeur secondaire. Elles n’avaient non plus rien à voir avec la « peur de se salir les mains », ou de « perdre du temps », ou de « courir des risques inutiles », ou de se « compromettre » même sans le vouloir. Par malheur, c’est ce que l’on ne comprit ni alors ni plus tard. On ne comprit pas davantage que nos objections répondaient à un diagnostic essentiel : pour que les jeunes partis adhérant à la IIIe Internationale, surtout dans les pays de capitalisme archi-mûr et donc de parlementarisme bien ancrée soient dignes de leur titre de communistes, il fallait que toute l’orientation traditionnelle de leur activité et de leur organisation soit non seulement « redressée », comme se le proposaient le paragraphe IV des thèses de l’I.C. et toute une série de clauses, mais renversée. En d’autres termes, elle devait être placée sur des bases exactement opposées à celles du passé, toutes les forces du parti étant engagées sur un terrain de lutte non seulement anti-légalitaire, mais illégal. Or en Occident, tant que la participation aux élections et au parlement absorberait le plus clair des énergies du parti dans un mécanisme qui les brisait ou les étouffait, la chose resterait impossible. Il fallait donc que les militants communistes et les prolétaires en général se voient ouvrir des horizons complètement nouveaux. Dans la Russie tsariste, pays de révolution double, toute véritable opposition politique prenait immédiatement, même dans le cadre étroit d’une Douma, une nature, une forme et un caractère révolutionnaires; mais en Occident, pour que les objectifs révolutionnaires apparaissent avec la même clarté et la même évidence aux yeux des ouvriers, il fallait que les derniers bandeaux démocratiques leur soient arrachés des yeux.

La préoccupation des bolcheviks qui voulaient réorienter les « antiparlementaires par principe » était tout à fait légitime. Mais ayant milité sous un régime absolutiste, ils ne comprirent pas qu’il aurait fallu tout d’abord rééduquer de fond en comble les « parlementaristes par habitude mentale et coutume », aussi honnêtes qu’aient pu être leurs aspirations anti-démocratiques. « La question centrale est celle du parti », dira Boukharine, rapporteur des thèses de l’I.C.
« Si vous avez un parti vraiment communiste, vous ne craindrez jamais d’envoyer un de vos hommes au parlement bourgeois, parce qu’il saura comment un révolutionnaire a le devoir d’y agir. »
Mais il aurait fallu renverser le problème : nous n’aurons jamais un parti « vraiment communiste » si nous ne déplaçons pas de 180 degrés l’axe de son activité. Or il sera impossible de le déplacer sans faire table rase des traditions dans lesquelles ils ont grandi et continuent à vivre et qui ont la terrible force de l’inertie. Boukharine croyait « que le vieux parlementarisme a cessé d’exister » parce qu’il pensait que l’élimination des réformistes et des opportunistes était déjà chose faite. Pour nous la condition sine qua non de cette élimination (cf. notre thèse 11) était la rupture complète avec le parlement et avec toutes les habitudes électoralistes. Cette rupture constituait d’ailleurs l’arme la plus efficace contre les préjugés anarcho-syndicalistes, qui n’étaient souvent qu’une réaction instinctive contre la dégénérescence parlementaire du socialisme (thèse 9).

S’appuyant sur une tradition uniquement révolutionnaire, les bolcheviks couraient d’autant moins de risques de se corrompre en étendant leur activité au secteur ultra-secondaire de la Douma que celle-ci était une institution récente et pouvait donc, du fait des conditions historiques du pays, devenir le théâtre de batailles efficaces. En Occident, la tradition socialiste était au contraire parlementaire et électoraliste à cent pour cent, et l’activité des partis s’exerçait dans des institutions désormais vidées de tout contenu, non seulement révolutionnaire, mais même simplement politique, ce qui, comme Trotsky le reconnut explicitement dans son préambule aux thèses de l’I.C., est une caractéristique propre à l’époque impérialiste et tendanciellement fasciste de la domination bourgeoise.

Tels étaient les points essentiels de notre vision du problème. Ni les thèses de Lénine-Boukharine ni les arguments contenus dans leurs discours ne purent nous convaincre que nous avions tort, car ni les unes ni les autres ne répondaient aux questions que nous soulevions. Le bilan du parlementarisme révolutionnaire, c’est l’histoire qui l’a tiré : non seulement on n’a pas vu naître de véritables partis communistes, mais ceux qui se sont parés de ce titre ont fini par tomber dans la boue d’un parlementarisme vulgaire qui n’a même pas eu la pudeur de se justifier, comme les Turati, les Trèves et les Modigliani se sentaient obligés de le faire !

La commission pour la question parlementaire présidée par Trotsky avait apporté quelques modifications au projet de thèses Lénine-Boukharine. Elle l’avait complété par un préambule dénonçant le caractère et la fonction contre-révolutionnaire des institutions représentatives de la bourgeoisie à l’époque impérialiste et par une critique de l’opportunisme parlementaire des partis de la IIe Internationale et de ses survivances dans ceux qui voulaient adhérer à la IIIe. Malheureusement la discussion ouverte par la lecture de ce préambule et par le discours de Boukharine[49] fut en grande partie viciée par le fait qu’à nos arguments qui partaient de prémisses théoriques marxistes, comme le rapporteur lui-même le reconnut, se mêlèrent les arguments naïfs, sentimentaux et hétérodoxes des « anti-parlementaristes par principe ». Par ailleurs, par suite de leur insistance excessive sur des situations locales et des aspects contingents du problème, elle finit par tomber dans des détails pratiques au lieu de porter sur le problème de fond. Les bolcheviks craignaient légitimement que « de prémisses justes, on tirât des conclusions fausses » ou que l’on abordât les graves et difficiles questions de la tactique communiste d’un point de vue moral, sentimental et même esthétique, tombant ainsi soit dans l’idéalisme, soit dans le négativisme. Malheureusement cette crainte leur fit perdre de vue les points qui auraient dû constituer le centre du débat : 1) la nécessité de détruire ces « survivances d’une mentalité parlementaire » au sein des partis adhérant ou désireux d’adhérer à l’I.C. dont Boukharine avait donné des exemples éclatants dans son discours; 2) l’analyse critique de leurs causes, sans laquelle il était impossible de combattre efficacement ce mal reconnu chronique ou semi-chronique[50].

Boukharine crut voir une certaine analogie entre notre abstentionnisme et celui de la « gauche infantile » sur le plan tactique. Il nous reprocha de répugner au « contact physique » avec les bourgeois au cours des élections et au parlement (réaction sentimentalement juste, mais politiquement fausse, précisa-t-il) et il nous défia de prouver logiquement l’impossibilité d’utiliser la tribune parlementaire à des fins de propagande et d’agitation. En réalité le « contact » que nous dénoncions était celui de l’interclassisme qui est à la base de toute la conception démocratique et de la praxis électorale et parlementaire qui lui correspond. Quant à la seconde question, elle n’était pas « logique », mais historique et dialectique. Les répliques polémiques de Boukharine manquaient donc leur but et tournaient autour de la question centrale sans même l’effleurer. Il n’était pas théoriquement plus correct ni pratiquement moins dangereux de comparer, comme il le fit, le parlement à l’armée. Cette analogie ne valait rien puisque nous étions les premiers à demander aux communistes d’entrer dans l’armée pour la miner de l’intérieur; si, en tant qu’abstentionnistes, nous repoussions par contre l’entrée au parlement, même dans le but de le détruire, c’est que cette institution n’est pas seulement un organe de domination de la classe bourgeoise comme l’armée, mais le terrain par excellence d’une mystification à laquelle, l’opportunisme aidant, les prolétaires ne se sont jamais montrés que trop vulnérables. D’ailleurs, le seul exemple de « parlementarisme révolutionnaire » que Boukharine ait pu donner et qu’il donna à l’appui de sa thèse était celui des bolcheviks à la Douma du Tsar, mais la question était précisément de savoir s’il pouvait être appliqué mécaniquement à l’Occident où le mouvement ouvrier était pourri de démocratisme depuis de longues décennies. En exhortant les partis communistes à se libérer de leurs résidus de social-démocratisme pour devenir « vraiment communistes », c’est-à-dire capables de sortir indemnes de la pratique électorale, il éludait la question essentielle : comment obtenir de ces partis qu’ils deviennent « vraiment communistes », alors que, même dans leur forme définitive, les conditions d’admission (surtout en cas d’application trop souple) ne constituaient pas une barrière suffisante pour empêcher que les « survivances » parlementaristes tenaces qu’ils avaient traînées derrière eux comme un boulet jusqu’à Moscou n’entrent en force dans l’I.C. ?

C’est sur ces questions de fond que le délégué de la fraction abstentionniste du P.S.I. revint dans son rapport[51]. Il commença par réaffirmer que notre anti-parlementarisme dérivait de la critique marxiste de la démocratie bourgeoise, ce qui n’était pas le cas de celui des anarchistes et des syndicalistes. Il montra qu’il était impossible de mettre sur le même plan les conditions historiques de la révolution en Russie et en Occident. En Russie, l’action des bolcheviks qui ne fut d’ailleurs que subsidiairement une action parlementaire, s’était déroulée dans une situation analogue à celle de l’Allemagne lorsqu’en 1848–49, Marx et Engels tracèrent la perspective de la révolution double. En Occident, aire de capitalisme avancé, il fallait au contraire orienter d’urgence la classe ouvrière vers les objectifs d’une révolution purement socialiste qui, bien avant de pouvoir abolir les rapports de production et de propriété capitalistes, devait abattre l’État bourgeois par la violence. Mais pour cela, il fallait détruire toute illusion gradualiste et parlementaire et couper l’herbe sous le pied aux réactions instinctives de l’« antiparlementarisme par principe » dérivant soit de l’horreur des « chefs », soit du dédain de l’« action légale » et donc de type syndicaliste. Il montra également qu’on ne pouvait pas assimiler notre tactique anti-parlementaire à la tactique de sortie des syndicats préconisée par certains. Il souligna qu’il était urgent de passer au crible les partis et les militants en affirmant une position sans équivoque à l’égard dés élections et du parlement qui, dans les pays capitalistes les plus évolués absorbent par la force des choses le plus clair des énergies des partis et les transforment en machines à fabriquer des votes et des mandats électoraux. Enfin, il conclut en disant que dans ces pays, il fallait adopter « une tactique beaucoup plus directe que celle qui avait été nécessaire dans la révolution russe », mais que la question ne pouvant et ne devant pas conduire à des scissions dans le mouvement communiste mondial, les abstentionnistes italiens appliqueraient fidèlement la décision du Congrès quelle qu’elle soit, tout en souhaitant que le triste bilan du « parlementarisme communiste » que Boukharine avait présenté dans son rapport s’améliore dans l’avenir.

Les interventions suivantes méritent à peine une mention. En effet, tantôt elles se contentaient d’évoquer des expériences locales d’action parlementaire communiste, soit positives, comme par exemple en Bulgarie et, aux dires des « participationnistes », en Angleterre, soit négatives, comme en Angleterre, encore, aux dires de l’« abstentionniste par principe » Gallacher ou en Suisse, selon Herzog. Tantôt elles soulevaient des questions d’ordre pratique qu’on pouvait parfaitement résoudre par une tout autre tactique que celle qu’elles défendaient (Cf. le discours de Murphy), tantôt elles partaient de prémisses anti-marxistes, comme par exemple celle du syndicaliste allemand Suchy qui considérait le parlementarisme comme le produit logique du… doctrinarisme et du sectarisme marxistes en général ! Seul le Suisse Herzog aborda les questions de fond, sans faire malheureusement plus que les effleurer, en montrant le danger qu’il y aurait pour l’I.C. à voir affluer dans ses rangs des ailes entières des vieux partis socialistes hâtivement converties au communisme, mais toujours attachées au fond à leurs traditions ultra-légalitaires et ultra-parlementaires (P.S.F., U.S.P.D.). On peut comprendre que les répliques de Lénine et de Boukharine aient été fâcheusement influencées par la confusion ainsi créée Il n’en reste pas moins que leur polémique d’ordinaire aussi impitoyable qu’impartiale éluda cette fois le véritable nœud de la question et qu’ils se laissèrent aller à des affirmations risquées qui n’étaient pas inquiétantes chez des militants aussi éprouvés et attachés aux principes qu’eux, mais qui avaient le grave défaut de favoriser les conclusions opportunistes, alors qu’ils avaient voulu éviter, comme nous l’avons vu ci-dessus, que « de prémisses justes, on tirât des conclusions fausses ».

Par exemple, afin de convaincre les communistes qu’ils avaient le devoir d’utiliser le parlement, fût-ce comme une arme subsidiaire parmi tant d’autres, pour favoriser le dénouement révolutionnaire des situations politiques qui s’y reflètent nécessairement, Lénine usa de cet argument emprunté à Boukharine que les Soviets n’existaient encore qu’en Russie et qu’on ne pouvait les créer artificiellement, alors qu’on avait les parlements à portée de la main et qu’ils étaient le produit d’un développement historique dont on ne pouvait faire abstraction sous le prétexte qu’on n’avait pas encore la force de les détruire. Mais, comme le délégué abstentionniste n’hésita pas à l’affirmer dans sa réplique finale, dire cela, même dans la meilleure intention du monde, c’était fournir une arme providentielle à ceux qui allaient jusqu’à proposer la participation communiste aux gouvernements bourgeois, autre moyen indubitable d’influer sur les événements, mais dans une direction opposée à celle du communisme ! De même, objecter aux abstentionnistes que pour être logiques avec eux-mêmes, ils auraient dû abandonner les syndicats sous prétexte qu’ils étaient opportunistes et présentaient donc eux aussi un danger, c’était oublier que, réactionnaires ou non, les syndicats restent des organisations exclusivement composées de prolétaires et ne sont pas, comme les parlements, des institutions de forme interclassiste et de nature classiste bourgeoise. Dire qu’il fallait faire comprendre aux couches arriérées de la classe ouvrière la fonction contre-révolutionnaire du parlement qui leur échappait encore en leur démontrant par les faits et pas seulement par les mots, qu’il était impossible de s’en servir comme moyen d’émancipation était également une arme à double tranchant, car ceux qui préconisaient l’emploi de tous les moyens pour atteindre le but prétendument commun pouvaient fort bien l’utiliser. L’argument contredisait en outre notre thèse fondamentale sur la tâche du parti, qui est de précéder les masses, et non de les suivre. On nous reprocha aussi de croire ingénument que les intellectuels, les classes moyennes, la petite bourgeoisie deviendraient communistes dès que le prolétariat aurait remporté la victoire dans la révolution, ce qui apportait de l’eau au moulin des opportunistes qui, partisans de courtiser les classes moyennes, nous avaient fait exactement la même objection injustifiée sous le prétexte qu’après tout, nous ne pouvions nous payer le luxe d’ignorer l’importance de ces couches, ce qui, pour nous, revenait à enfoncer une porte ouverte. Enfin affirmer comme le fit Boukharine que la situation « révolutionnaire » mondiale garantirait à coup sûr les communistes contre la corruption parlementaire, c’était prêter des vertus salutaires bien mystérieuses à une simple contingence. Nous savions bien que Boukharine était sincère, quand pour conclure le débat, il s’écria « A bas le parlement ! », même s’il visait alors à dissiper les appréhensions des syndicalistes-révolutionnaires, des shop-stewards et des I.W.W.; mais le cri le plus sincère et le plus passionné n’était pas suffisant pour maintenir dans le droit chemin des gens qui, de toute évidence, n’étaient communistes que de nom et qui, même s’ils désiraient le devenir réellement avaient encore à faire beaucoup de chemin et à se transformer eux-mêmes de fond en comble pour y parvenir. Nous savions bien que la hardiesse de certains de leurs arguments polémiques ne signifiait pas que les bolcheviks renonçaient aux principes et qu’ils n’approuvaient nullement des thèses opportunistes comme celles que nous craignions de leur voir attribuer. Par malheur, les paroles comme les écrits ont leur destin; elles sont, elles aussi des faits matériels dont les conséquences peuvent échapper au contrôle de ceux qui les ont prononcées et servir à la déformation complète ou partielle de leur pensée quand elles sont reprises par des hommes ou des groupes n’ayant pas, dans le meilleur des cas, la solidité nécessaire pour se payer le luxe d’une polémique risquée sans altérer du même coup la théorie et les principes et sans les violer dans l’action.

Tout cela obligea la fraction communiste abstentionniste à confirmer son désaccord dans sa réplique finale aux bolcheviks. Elle demanda néanmoins que ses thèses soient votées uniquement
« par les camarades abstentionnistes qui les acceptent en bloc et qui partagent les affirmations marxistes qui en constituent la substance » et qui n’ont « rien de commun avec les arguments anti-parlementaires des anarchistes et des syndicalistes ».
Ce fut un bel exemple de « sélection organique » effectuée sur la base dés principes : alors que les thèses de l’I.C. avaient été approuvées par environ quatre-vingts voix contre onze, seuls trois délégués (un Belge, un Suisse et un Danois) approuvèrent les nôtres[52].

C’est ainsi que la question fut close, mais nous ajouterons que le seul parti qui ait pratiqué le « parlementarisme bolchevique » et qui soit resté fidèle à son esprit et pas seulement à sa lettre a été, en 1921, le Parti Communiste d’Italie dirigé par la Gauche. Ce ne fut pas par hasard, mais parce que la sélection pratiquée à Livourne avait été assez sévère pour mettre en fuite tous les « parlementaristes par principe » !

d) Le mouvement syndical, les conseils d’usine et d’entreprise et l’internationale communiste

Le texte définitif des thèses traitant de cette question très importante fut le fruit de longs débats en commission. La rédaction originelle était plus stricte, mais il avait fallu tenir compte de l’évolution des formes traditionnelles des associations économiques ouvrières dans quelques pays capitalistes avancés dont on pouvait prévoir qu’en liaison avec la phase impérialiste du capitalisme elle gagnerait d’autres pays dans un proche avenir si du moins la révolution prolétarienne ne venait pas en interrompre irréversiblement le cours. D’ailleurs, comme le dira Radek dans son discours d’introduction, la présence au Congrès d’organisations économiques parfois imbues d’une idéologie néo-syndicaliste plus ou moins nette, mais qui avaient été invitées à adhérer à l’I.C., ne pouvait pas faire autrement que de se traduire dans des divergences de principe sur des aspects fondamentaux de la question. Les thèses se ressentent de cet état de choses : le développement des arguments n’est pas toujours rigoureux, elles laissent de multiples « portes ouvertes », c’est-à-dire que, sur certains points, elles s’abstiennent volontairement de conclure. En outre, on n’y trouve ni déclaration de principes préliminaire, ni critique théorique détaillée des déviations et des erreurs contre lesquelles elles sont dirigées, mais sous une forme insuffisamment explicite. Elles restent donc impuissantes à éliminer les équivoques, à définir une ligne d’action et à la traduire en directives claires et sûres. Quant à la discussion au Congrès même, elle fut simplement l’écho affaibli des controverses et des discussions qui avaient éclaté en commission. Fait caractéristique, si l’accord sembla réalisé dans les séances de travail du 4 août, le conflit rebondit vivement le 5. Cela contraignit Radek et Zinoviev à revenir sur des points qu’on croyait désormais acquis et finalement à mettre terme à une discussion qui menaçait de devenir à la fois interminable et stérile. C’est pour ces raisons que les thèses ont été alternativement dirigées contre des déviations contraires et cependant parallèles. D’une part, l’« infantilisme » faussement de gauche considérait que la lutte économique était « dépassée » en faveur de la lutte purement politique : contre lui il fallait affirmer que la perspective révolutionnaire du marxisme était inséparable des déterminations matérielles et des conflits de classes qu’elles engendrent; il fallait en outre rappeler que la fécondité de ces luttes ne résidait pas dans les « conquêtes » elles-mêmes, puisque sous la domination capitaliste, celles-ci sont toujours précaires, mais dans le fait que les luttes elles-mêmes influent de façon positive sur la disposition de la classe ouvrière à se battre contre le régime qui l’exploite, sur la solidarité entre les exploités par dessus les barrières de la division du travail et des frontières nationales, sur l’extension de leur organisation, et enfin sur leur capacité à dépasser les limites des revendications de salaires et de réduction de la durée du travail et à se mobiliser pour une attaque politique contre le capital et à son État. Il fallait donc rappeler aussi que les révolutionnaires communistes avaient l’obligation non seulement d’y participer, mais d’en prendre l’initiative dans le double but de les renforcer et de les étendre et – autre aspect de la question – de diffuser le principe marxiste selon lequel la lutte économique est par elle-même insuffisante et qu’elle doit se déplacer sur le plan plus élevé de la lutte politique de classe.

Il fallait réaffirmer que les tâches historiques de l’organisation économique constituaient un problème de fond et non de forme. Il fallait souligner sa valeur permanente comme premier type d’organisation des ouvriers salariés et comme levier de l’action du parti de classe. Il fallait montrer du même coup que dans une situation caractérisée par d’âpres luttes sociales mobilisant de larges couches prolétariennes, même le syndicat dirigé par les réformistes les plus corrompus constitue un champ très fertile pour la propagande et l’agitation du parti, et en outre un anneau intermédiaire irremplaçable entre l’avant-garde politique et les jeunes arrière-gardes sans maturité politique, et qu’il peut passer sous la direction du parti révolutionnaire chaque fois que le mouvement réel est trop impétueux pour ne pas faire éclater les structures sclérosées héritées d’une ère de « paix sociale » et pour ne pas submerger des directions syndicales passées plus ou moins directement à l’ennemi. Il fallait du même coup proclamer qu’au cours de cette activité, le but ultime des communistes est de transformer les syndicats, organes ouverts aux seuls ouvriers, en instruments de la révolution et en courroie de transmission des directives et des principes du parti (thèse 1–3) étant donné que c’est seulement grâce à la présence active du parti de classe que le syndicat peut lui-même devenir révolutionnaire[53].

On repoussait en ligne de principe la scission syndicale et la prétention de construire artificiellement des syndicats révolutionnaires en vertu de leur seule forme en opposition à ceux qui étaient dominés par lés réformistes (thèse 4). On ne pouvait toutefois pas ignorer deux choses : la première est que, dans de nombreux pays, ces derniers empêchaient et réprimaient toute propagande et agitation communistes, jouant le rôle d’une véritable police bourgeoise auxiliaire, ou encore « se fermaient hermétiquement » aux masses inorganisées des simples manœuvres, des travailleurs immigrés ou de couleur et n’ouvraient leurs rangs qu’à « l’aristocratie ouvrière », agissant comme facteur non d’unification, mais de division de la classe. La seconde est qu’en réaction à cet état de choses, des organismes scissionnistes ouverts à tous les salariés s’étaient constitués ou étaient sur le point de le faire et que les ouvriers les plus combatifs et les plus dévoués à la cause de la révolution (les I.W.W. contre l’A.F.L., etc.) affluaient dans leurs rangs. Il fallait par ailleurs réagir contre la tendance répandue même dans des mouvements proches de l’I.C. ou affiliés à elle d’ériger la scission syndicale en dogme. Défendu avec une extrême légèreté, un tel dogme dérivait en effet d’une confiance erronée dans le remplacement des anciennes formes d’organisation par des formes nouvelles (par exemple des syndicats de métier par des syndicats d’industrie) pour remédier à tous les maux, et dans la fétichisation de « nouvelles formes » considérées comme « incorruptibles » par décret de l’histoire.

Mais il fallait également réaffirmer que la scission peut devenir nécessaire et qu’alors les communistes doivent non seulement la préconiser, mais ne pas hésiter à en prendre la responsabilité, mais exclusivement quand, premièrement, la masse des organisés comprend clairement qu’elle ne vise pas des buts lointains qui leur sont pour l’instant incompréhensibles, mais qu’elle répond aux exigences de leurs luttes économiques elles-mêmes; et quand, deuxièmement, les communistes sont assurés de ne pas s’isoler ainsi du gros de l’armée prolétarienne qu’il s’agit d’élever à la hauteur de la lutte politique contre le mode de production capitaliste, et non pas de confiner dans une éternelle subordination à ses lois, et en particulier à celle qui veut que l’exploité combatte exclusivement pour améliorer sa condition, et non pas pour l’abolir (Cf. point 5).

Même dans ce cas, affirment cependant les Thèses, les communistes ne peuvent ni ne doivent renoncer à développer une activité (forcément illégale) au sein des syndicats désertés. Ils doivent compter sur elle ainsi que sur la pression externe d’organismes nouveaux du type I.W.W. (qu’ils ont le devoir d’appuyer en les aidant à vaincre les préjugés syndicalistes dont ils sont pour la plupart imbus) afin de révolutionner ces vieilles structures grâce à l’élan donné par une vague rapide et impétueuse de luttes sociales.

On trouve dans les « Thèses de la fraction abstentionniste »[54] une vision historique plus claire et des formulations plus explicites, mais il est facile de voir que sur tous ces points l’accord entre la gauche marxiste italienne et l’I.C. était total, comme nous l’avons montré plusieurs fois ci-dessus. De retour en Italie, A. Bordiga observera dans un numéro du « Soviet » qu’il aurait fallu lier la critique du « scissionisme par principe » à la condamnation de la
« conception très répandue, mais fausse selon laquelle l’action prolétarienne reposerait non pas sur la lutte politique du parti pour la dictature prolétarienne, mais sur l’action économique de syndicats « révolutionnaires » qui, une fois les capitalistes expropriés, assumeraient directement la gestion de la production ».

Dans les Thèses de l’I.C. (11/6–7) l’argument était à peine effleuré, mais dans sa réplique du 5 août (« Protokoll », p. 621) Radek le traita avec beaucoup de décision, quoique brièvement, en parfaite harmonie avec la position marxiste classique selon laquelle la transformation économique qui fait suite à la prise du pouvoir s’accomplissant en fonction des intérêts généraux et des buts historiques de la classe, elle ne peut être dirigée que par le parti qui, dans cette œuvre, reçoit certes l’aide des syndicats, mais ne se subordonne pas à eux.

L’Internationale ne pouvait pas ignorer le vigoureux mouvement des conseils d’usine qui était en partie spontané. Elle ne pouvait pas ne pas voir qu’il ouvrait une perspective d’organisation aux prolétaires qui n’étaient pas encore syndiqués et qu’il permettait l’extension capillaire de la bataille contre l’opportunisme et pour la « subordination des organisations syndicales à la direction du parti, avant-garde de la révolution prolétarienne » par l’intermédiaire des groupes communistes d’usines et d’associations de catégories. Mais en même temps, elle devait rappeler que les conseils d’usine ne peuvent jamais remplacer ces organismes centralisés et non localistes que sont les syndicats, ni avant la prise du pouvoir, ni à plus forte raison sous la dictature prolétarienne et dans l’organisation économique du communisme. L’I.C. devait donc s’appuyer sur la lutte que les conseils avaient engagée pour le « contrôle de la production »; mais elle ne pouvait pas cultiver l’illusion qu’il soit effectivement possible aux salariés de contrôler les mécanismes productifs en régime capitaliste. Elle avait au contraire pour tâche de faire clairement comprendre aux prolétaires que la condition préalable du contrôle était la conquête du pouvoir politique[55]. Sans doute le paragraphe 2 des thèses de l’I.C. ne développe-t-il pas ce point avec la même clarté et la même cohérence que les articles du Soviet qui lui sont consacrés, mais elles sont néanmoins sans équivoque.

En ce qui concerne les conseils d’usine, les thèses de l’I.C. appellent d’une part les communistes à y participer et à les défendre contre les directions syndicales qui cherchent à les discréditer et d’autre part, chaque fois qu’ils contrôlent eux-mêmes le syndicat, à lui intégrer et lui subordonner les conseils afin d’aligner les deux organisations sur un front de lutte unique. Là encore, elles bannissent tout fétichisme de formes particulières, tout en reconnaissant la nécessité de suivre avec la plus grande attention le développement de chacun des types particuliers d’organisation nés de la dynamique même de la lutte de classe afin d’apprécier leur valeur respective aux fins de la bataille politique finale.

Dans leur dernier paragraphe, les Thèses de l’I.C. rappellent qu’il est urgent de donner une direction internationale centralisée aux organisations économiques ralliées aux principes de la révolution et de la dictature prolétariennes, direction dont le Conseil provisoire récemment constitué était l’ébauche. Par contre, elles ne disent pas clairement que la rupture avec la centrale d’Amsterdam, instrument de la S.D.N. et bouclier de l’opportunisme, ne dément ni n’invalide le critère général excluant la scission syndicale sur le plan national, sauf dans les cas dits plus haut.

Le débat fut plutôt embrouillé et confus ce qui montra la persistance de divergences théoriques que l’on croyait avoir surmontées. Pourtant les déviations dont nous avons pris connaissance plus haut et qui à la longue empêchèrent les organisations syndicalistes d’adhérer à l’I.C. ou d’y demeurer ne réapparurent que dans de brèves interventions. Par exemple, Gallacher et Bombacci (qui s’attira ainsi une énième semonce)(55 bis) nièrent qu’en tant que tels, les syndicats puissent jamais être révolutionnaires. Gallacher affirma même que le syndicat devait être aboli au même titre que l’État bourgeois[56], tandis que les délégués américains se refusaient en général à faire un quelconque travail, même illégal, dans les syndicats réactionnaires comme l’A.F.L., ou préconisaient une activité visant à les animer d’un « nouvel esprit » (qui sait comment ?) qui, finalement se révéla être l’esprit de la… scission à tout prix et en toutes circonstances. Quant aux délégués des I.W.W. et des shop-stewards[57] ils se montraient réticents à l’égard de l’Internationale syndicale rouge en voie de constitution à cause de leur conception non marxiste de la dictature du prolétariat, tandis que Serrati demandait qu’elle soit autonome par rapport à l’Internationale politique, toutes les deux devant néanmoins « marcher amicalement côte à côte ».

Les délicats problèmes tactiques de coordination des différentes formes du travail communiste dans les syndicats, traditionnels ou non, dans les conseils d’usine ou autres, furent en partie renvoyés à un examen ultérieur au sein de l’Internationale syndicale rouge, c’est-à-dire dans l’unique organisation qui dès le début aurait dû constituer le cadre naturel des organisations économiques acceptant les principes de la conquête révolutionnaire du pouvoir et de la dictature du prolétariat. Du fait de sa composition qui manquait d’homogénéité, le congrès ne put pas faire davantage : le débat qui s’y déroula, les perplexités et les hésitations persistantes, dans certains cas le renvoi des décisions finales, sont une preuve de la complexité des problèmes face auxquels dès sa naissance se trouva placée l’Internationale Communiste[58].

e) Conditions de constitution des soviets

Le document reproduit par nous ci-dessous dans l’appendice repousse la mode consistant à constituer artificiellement les conseils ouvriers, forme spécifique de la dictature du prolétariat (ou d’en projeter la constitution sur le papier) dans des situations non révolutionnaires et à leur prêter des vertus miraculeuses, en ignorant le parti dont influence dominante peut seule empêcher qu’ils dégénèrent en organes opportunistes et même contre-révolutionnaires, choses que les ouvriéristes, les conseillistes, les ordinovistes, etc., ne parvenaient pas à comprendre. Il fut approuvé sans discussion après un bref discours de Zinoviev.



Notes :
[prev.] [content] [end]

  1. IIe et IIIe séances, 23 et 24 juillet. Cf. « Protokoll des II. Weltkongress der Kommunistischen Internationale », Hamburg, 1921, Feltrinelli Reprint, pp. 57–136. Les thèses ont été reproduites plus haut. [⤒]

  2. 29 et 30 juillet. Cf. « Protokoll des II. Weltkongress der Kommunistischen Internationale », Hamburg, 1921, Feltrinelli Reprint, pp. 234–401. Le lecteur pourra trouver le texte complet des « Conditions d’admission des Partis dans l’Internationale communiste », pp. 39–41 des « Quatre premiers congrès mondiaux de l’I.C. – 1919–1923 », Réimpression Maspéro, 1971. [⤒]

  3. Voici les trois dernières « Conditions » :
    « 19.Tous les partis appartenant à l’Internationale communiste ou sollicitant leur adhésion sont tenus de convoquer le plus rapidement possible, mais au plus tard quatre mois après le IIe Congrès de l’Internationale communiste, un congrès extraordinaire afin d’examiner toutes ces conditions. Les organes centraux doivent veiller à ce que les décisions du IIe Congrès de l’Internationale soient portées à la connaissance de toutes les sections.
    20.Les partis qui veulent adhérer à l’Internationale communiste, mais n’ont pas encore modifié radicalement leur ancienne tactique, doivent veiller, avant leur admission dans l’Internationale, à ce que les deux tiers au moins de leur comité central et des organes centraux les plus importants soient composés de camarades qui déjà avant le IIe Congrès s’étaient publiquement et clairement prononcés pour l’adhésion à l’Internationale communiste. Des exceptions ne peuvent être admises qu’avec l’approbation du Comité exécutif de l’Internationale communiste. L’Exécutif se réserve le droit de faire des exceptions également pour les représentants de la tendance centriste mentionnés au point 7.
    21.Les adhérents au parti qui rejettent par principe les conditions et les thèses formulées par l’Internationale communiste doivent être exclus.
    Il en est de même des délégués au congrès extraordinaire. »
    [⤒]

  4. Dans ce qui suit, les réponses à Cachin sont toujours de Rakovsky. [⤒]

  5. On notera d’autre part les « exceptions » qui limitent les pouvoirs d’intervention discrétionnaires de l’Exécutif, et qui permettront, hélas, d’admettre hâtivement des groupes entiers de « convertis ». [⤒]

  6. Ils connaissaient bien tous deux les traditions et les habitudes du P.S.F. dont la « base » était alors en grande partie sur le chemin de Damas. [⤒]

  7. Bombacci et Polano avaient donné leur adhésion totale aux thèses. Ce dernier avait fait remarquer cependant qu’il était difficile
    « d’épurer le P.S.I., alors que par ailleurs on accepte des groupes opportunistes provenant de l’U.S.P.D. et du P.S.F. ».
    Quant au premier – volubile comme toujours – il avait ajouté qu’il fallait démembrer tout le parti, et ne pas s’en tenir aux Turati et aux Treves ! [⤒]

  8. Il est publié ci-dessous en appendice. [⤒]

  9. Cf. >« Manifestes, Thèses et Résolutions des Quatre Premiers Congrès de l’I.C. » (fac-similé Maspero, 1971), pp. 66–69. [⤒]

  10. Le lecteur est prié de se reporter aux « Quatre Premiers Congrès », p. 67. [⤒]

  11. Elle eut lieu pendant les séances du matin et de l’après-midi du 2 août 1920. (« Protokoll des II. Weltkongress der Kommunistischen Internationale », Hamburg, 1921, Feltrinelli Reprint, pp. 404–442). [⤒]

  12. Ce discours a été intégralement reproduit dans notre texte italien « O preparazione rivoluzionaria o preparazione elettorale », pp. 36–41. [⤒]

  13. Ce rapport est reproduit dans notre brochure « La Question parlementaire dans l’I.C. » [⤒]

  14. Pour la jeunesse socialiste italienne, Polano avait déjà donné son adhésion aux Thèses « participationnistes », tout en déclarant qu’il interprétait ainsi la pensée d’une partie de ses camarades et non de la majorité; Serrati en avait fait autant en y reconnaissant les thèses soutenues par la majorité du Congrès de Bologne, sans perdre l’occasion de faire pour la énième fois l’apologie du groupe parlementaire socialiste qui, selon lui, appliquait loyalement la tactique du « parlementarisme révolutionnaire ».
    De son côté, Goldenberg proposa un amendement sur la nécessité de boycotter les institutions parlementaires en période révolutionnaire. Celui-ci faisait double emploi avec la proposition déjà explicitement contenue dans les Thèses de Lénine-Boukharine. [⤒]

  15. Pris en lui-même, le terme est impropre : le syndicat ne doit pas tellement « devenir révolutionnaire » qu’être « transformé en arme de lutte par le parti politique de classe pour la révolution ». [⤒]

  16. cf. l’appendice ci-dessous. [⤒]

  17. Les thèses proclament à juste raison que ce qui est révolutionnaire n’est pas le contrôle en lui-même, mais la lutte pour le conquérir sous la direction du parti. Par contre, il y manque une critique des idéologies conseillistes qui faisaient une « conquête révolutionnaire » du contrôle de la production en régime bourgeois, ainsi qu’une claire analyse de la perspective (qui s’était déjà vérifiée en Allemagne et qui allait se vérifier en Italie sous les auspices de Giolitti) que la bourgeoisie accepte une forme de « contrôle syndical » sur l’industrie dans les intérêts de la conservation sociale et comme manœuvre de diversion réformiste (cf. dans l’appendice « Le contrôle syndical »). Les thèses tenaient donc pour acquis que la lutte pour le contrôle ouvrier ne pouvait pas ne pas se transformer en lutte pour le pouvoir. [⤒]
    (55 bis) Mais, n’aurait-il pas mieux valu en tirer dès cette époque un jugement définitif sur la confusion du maximalisme et de son langage… unitaire ? [⤒]

  18. Cf. « Protokoll des II. Weltkongress der Kommunistischen Internationale », Hamburg, 1921, Feltrinelli Reprint, p. 629. [⤒]

  19. Ceux-ci protestèrent en outre parce que dans la déclaration constitutive du Conseil international provisoire des Syndicats rouges, on condamnait toute éventuelle scission syndicale : les deux documents (cette déclaration et les thèses) ne concordaient en réalité pas complètement. On constata également, au cours du débat au Congrès, une différence de ton dans les discours de Radek et de Losovski. C’était une preuve supplémentaire que la question n’avait pas été approfondie dans tous ses aspects complexes. [⤒]

  20. Les thèses servent entre autres à démentir la légende actuellement répandue, selon laquelle elles auraient prêché « une obéissance de cadavre » aux directions syndicales opportunistes, et exclu toute scission, même imposée par le souci de réaliser l’organisation la plus étendue et la plus unitaire possible de tous les salariés, c’est-à-dire par le motif qui, en ligne générale, conduisait précisément à condamner la « scission » dans le domaine syndical. [⤒]


Source : « Programme Communiste », numéro 59 et 60, juin 1973 et septembre 1973

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