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LA GAUCHE MARXISTE D'ITALIE ET LE MOUVEMENT COMMUNISTE INTERNATIONAL
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Content:

7) Les questions de tactique pour nous et pour les bolcheviks
8) Une ignoble légende: l'«opportunisme» léniniste
9) Le jeu infâme des Indépendants en Allemagne
Notes
Source


La gauche marxiste d'Italie et le mouvement communiste international

7) Les questions de tactique pour nous et pour les bolcheviks
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Il serait insuffisant d'établir entre les catégories précédentes et celle, très importante et délicate, de la tactique une distinction formelle disant que la théorie, le but final, les principes et le programme du parti sont, obligatoires pour tous les militants et toutes les sections de l'Internationale, tandis que les directives tactiques sont facultatives, chacun pouvant avoir un avis différent en la matière et proposer différentes solutions. Ce serait pêcher par simplisme et une telle erreur nous entraînerait à une fausse manière de poser la question de l'organisation, autre catégorie fondamentale du parti communiste.

La doctrine historique du marxisme (avec lequel le léninisme ne fait qu'un) s'opposant de façon fondamentale et vitale à l'opportunisme petit-bourgeois, qu'il soit anarchiste-immédiatiste ou révisionniste social-démocrate, l'organisation communiste est fondée sur la discipline et la centralisation. Ce sont elles qui permettent l'unité d'action sans laquelle l'unité de doctrine et de pensée perdrait tout sens pour nous, matérialistes. Le parti est l'organisme au sein duquel la liberté d'opinion et d'action n'a pas cours. Une telle liberté subjective et personnelle contredit notre but historique, c'est-à-dire n'existe pas dans la société communiste où le problème de la victoire sur la nécessité se pose historiquement pour la première fois, précisément parce qu'il n'y a plus pour sujet la personne, mais l'espèce. Par conséquent, la liberté tactique n'existe ni pour les militants par rapport à la section, ni pour les sections par rapport au parti, ni pour les partis par rapport à l'Internationale.

C'est pourquoi les solutions tactiques ne sont ni locales (il n'est même pas pensable qu'elles soient individuelles), ni même nationales; même au cas où elles ne seraient pas uniformes pour toute l'Internationale, elles devraient toujours émaner du centre mondial. Le contraire de cette position marxiste est l'autonomisme. Ce terme odieux sert à désigner le principe selon lequel chaque section décide de sa propre ligne d'action et la met en pratique, ce privilège s'étendant à d'autres groupes, comme par exemple les parlementaires, et aux partis membres de l'Internationale, digne pendant de la règle bourgeoise hypocrite qui interdit l'immixtion «dans les affaires intérieures» de chaque pays. «Les socialistes ne font pas de politique extérieure» disait l'Internationale ancien style, prenant pour devise une formule vide. L'Internationale authentiquement marxiste-léniniste de 1919 proclama au contraire: les communistes ne font pas de politique intérieure!

Ce qui distingue le domaine tactique des autres n'est donc pas que chacun peut y faire ce qu'il veut. Pour nous, matérialistes, c'est au contraire sur le terrain de l'action, précisément, que naît la possibilité d'une unité de mouvement, l'unité d'opinions ne venant qu'ensuite. La différence est donc tout autre. Une question est tactique quand il existe non pas une seule, mais plusieurs et au moins deux façons de la résoudre sans rompre avec la théorie, le but final, les principes et le programme du parti. Mais l'appréciation et le choix incombent au centre, c'est-à-dire à l'organe du parti dont la base territoriale est la plus large. Avant que la canaille opportuniste ne prenne sa revanche, cette base était le monde entier, et nous ne nous attarderons pas ici à discuter des ignobles structures actuelles, polyarchies, oligarchies et, pis que tout, sommets.

Cette thèse ne peut prendre la forme d'un code personnel disant que celui qui n'est pas d'accord avec la doctrine, les principes et le programme du parti en est exclu, mais que celui qui n'est pas d'accord avec sa tactique peut y rester. Cela reviendrait en effet à dire que le parti a bien une doctrine, des principes et un programme, mais qu'il n'a pas de tactique, et qu'il se la fabrique selon les circonstances, les individus et les groupes ne pouvant pas faire ce qu'ils veulent, mais devant par contre accepter et appliquer n'importe quelle tactique dès le moment où le centre l'a décidée. Cela reviendrait à dire que la tactique est secrète, chose aussi insensée que de prétendre qu'elle est libre. Certains s'écrieront peut-être que nous exposons ici la conception que la Gauche italienne a toujours eue de la tactique (exposée par exemple dans les «Thèses de Rome»), mais que, précisément, ce n'était pas celle de Lénine. La preuve que c'est faux, c'est qu'il a accepté la 21° condition proposée par elle: «Doivent être exclus du parti les membres qui repoussent par principe les conditions et les thèses de l'Internationale communiste».

Cette formulation montre bien que le caractère obligatoire (termes que l'on trouve souvent chez Lénine lui-même) des principes et du programme s'étend à toutes les thèses et jusqu'aux conditions d'admission de 1920. Or ces textes historiques contiennent, outre des énonciations théoriques, principielles et programmatiques, des solutions, indications et directives proprement tactiques. La constitution de la Troisième Internationale entre le désastreux 1914 et les années 1919-20 fut une opération éminemment pratique («concrète» dit plus volontiers l'opportunisme): il s'agissait de trancher dans la chair de la vieille Internationale déchue et de ses sections nationales pour en tirer la nouvelle formation révolutionnaire. Une opération historique aussi grandiose ne pouvait être laissée à des initiatives locales, ou pire, abandonnée aux caprices de partisans de l'«autonomie». Elle devait être dirigée selon des normes générales valables pour l'Europe et le monde, et les communistes leur devaient la même obéissance qu'à la doctrine du parti qui, énoncée dès 1847, constitue aujourd'hui encore notre «table de la loi», même si ces normes, liées au tournant historique de 1914-20, étaient transitoires.

C'est pourquoi Moscou, c'est-à-dire le prolétariat révolutionnaire mondial, ne se contenta pas de restaurer la théorie et les principes, mais dirigea aussi cette sélection qui se déroulait dans un grand nombre de pays et contre toutes sortes de traîtres opportunistes, dont elle provoquait les protestations venimeuses. De partout, des voix douteuses s'élevèrent qui, sous le prétexte spécieux d'aspects particuliers, de conditions originales propres à tel ou tel pays, réclamaient, comme toujours, que des exceptions soient faites, mais les questions furent tranchées sans hésitation, selon une méthode unique établie par le centre.

Nous reprendrons le sujet sous un autre aspect un peu plus loin, mais il est trop important pour que nous ne nous y arrêtions pas un instant ici. Les Statuts adoptés au IIe Congrès de l'I.C. confirment les positions de principe établissant en même temps les normes d'action et d'organisation. Les conditions d'admission concernent à la fois les principes, la tactique ainsi que l'organisation; certaines définissent l'activité à mener dans les syndicats, dans l'armée, dans les colonies, etc., et le travail illégal et clandestin. Les Thèses sur les tâches fondamentales de l'I.C. et sur Le rôle du Parti communiste dans la révolution prolétarienne complètent la formulation des points généraux de principe par un tableau de l'état de la lutte pour la dictature dans le monde entier, mais particulièrement en Europe, et par des normes précises pour l'action dans les principaux pays. Les Thèses sur les syndicats et les conseils d'usine semblent de nature purement «tactique», dans la mesure où elles concernent des secteurs particuliers de l'action du parti; en réalité elles sont en liaison tout à fait étroite avec les questions de doctrine et de principe. Elles font aux communistes une obligation de travailler partout où il y a des ouvriers organisés sur le terrain économique, et critiquent la vision immédiatiste et réformiste de ces tâches. Une thèse classique ajoutée par Lénine et que les ordinovistes n'ont jamais pu digérer (la thèse 5 du & II) affirme que les conseils d'usine ne peuvent en aucun cas remplacer les syndicats (et à plus forte raison le parti) et que notre tâche est de «soumettre, en fait, syndicats et conseils au parti communiste» (thèse 6, & II).

Les Thèses sur la question nationale et coloniale, qui suscitèrent un fécond débat de principe contre des éléments centristes, résolvent une grande question historique: le sujet est sans doute tactique, mais ces thèses montrent aussi que la tactique n'est pas autonome, mais repose sur les principes. Le débat sur la question du parlementarisme amena à cette conclusion que nous nous appuyons tous sur le principe du sabotage et de la destruction du parlement, magnifiquement développé dans les Thèses et dans leur préambule. Quant à savoir s'il fallait le détruire seulement de l'extérieur, ou également de l'intérieur, c'était là une question tactique. Seule l'histoire pouvait dire si la solution juste était l'abstentionnisme ou le «parlementarisme révolutionnaire», même si, dès cette époque, Boukharine ne réussit jamais à nous donner un seul exemple prouvant que le bilan de ce dernier n'était pas tout à fait négatif. Mais dans un cas comme dans l'autre, la solution adoptée reposait fermement sur des points de doctrine indiscutés et indiscutables. Tout comme les thèses sur la question nationale et coloniale, les Thèses sur la question agraire étaient des résolutions concernant directement l'action pratique, mais elles furent prises après un débat portant sur les principes et elles se fondent sur eux.

Il est donc bien clair que cet ensemble de normes qu'il fallait accepter pour pouvoir adhérer à l'I.C. embrasse tout l'éventail des questions autour desquelles tourne toute la vie du parti, son travail théorique, son activité pratique, et qu'il donne au parti de cette époque historique une ligne tactique qui doit être respectée en tous lieux et dans tous les pays. Ces décisions se sont immédiatement reflétées dans le processus de formation des partis communistes et par là même dans la lutte du prolétariat. Le bilan historique qu'on peut tirer aujourd'hui permet de dire si, dans les différents cas, la tactique choisie a été bonne ou mauvaise, mais il ne permet en aucun cas de nier que le parti révolutionnaire doit avoir une tactique unique et constante et qu'elle ne doit être ni secrète, ni considérée comme une chose secondaire.

Il est donc établi que: 1) pour Lénine comme pour nous une tactique qui ne serait pas liée aux principes est tout simplement inconcevable: tactique et principes «forment un tout» (comme le disait «Il Soviet» du 4-1-1920) en ce sens qu'ils sont inséparables; 2) établir les lignes maîtresses de la tactique est une tâche centrale du mouvement communiste (pour Lénine comme pour nous, il était par définition mondial et il ne pouvait en exister qu'un seul dans le monde entier) et non une tâche périphérique et locale. Si dans ce cadre (que les théoriciens actuels du polycentrisme trouveraient intolérablement étouffant), la tactique de Lénine a été d'une souplesse admirable, dans ce sens qu'il a toujours été attentif aux rapports de forces (véritable nœud de la question tactique), qu'il en a toujours donné une appréciation sûre et lucide, ce ne fut jamais au mépris ou même seulement au détriment des principes, et en antithèse avec eux.

Les divergences entre les bolcheviks et nous ne viennent donc pas de là. Nous pensions que rester l'œil fixé sur la boussole des principes tout en naviguant dans la rude mer des contingences, reconnaître par delà les tournants brusques, les tourbillons, par-delà l'«imprévisible» comme on dit trop souvent, le déroulement historique prévu, et les affronter avec les moyens décidés à l'avance était fort bien, mais que cela ne résolvait la question générale de la tactique ni dans l'immédiat, les partis communistes manquant de maturité ou étant de formation trop récente, ni à plus longue échéance, parce que cela revenait à s'en remettre à l'indiscutable capacité d'un chef ou d'un état-major formé à son école [qui ne seraient pas éternels]. Par malheur, les bolcheviks n'ont pas compris notre insistance sur ce point.

La question que pose la tactique est précisément d'harmoniser les actions locales et temporelles avec la stratégie générale, et tout en se servant de moyens variables, de ne jamais entrer en contradiction avec les objectifs finaux de la lutte. C'est certainement la question la plus ardue que le parti de la révolution communiste ait à résoudre, mais ce n'est pas en la laissant ouverte qu'on la rend plus facile, car cela revient à en abandonner la solution à des chefs de premier ou second plan, comme si on ne sait quel entraînement les avait à tout jamais immunisés contre les pires déviations.

L'usage de termes militaires comme stratégie et tactique ne doit pas induire en erreur: le parti n'est pas une armée dont on peut manœuvrer à volonté les soldats en les dotant de canons identiques à ceux de l'adversaire et en choisissant un terrain lui aussi plus ou moins semblable pour y développer la manœuvre tactique. Dans le domaine de la politique révolutionnaire, les armes employées ne sont pas neutres et on ne peut utiliser sans danger les mêmes que l'adversaire. Leur maniement influe en effet sur les militants qui en usent et le terrain choisi n'est pas non plus indifférent, puisqu'il s'agit de gagner la bataille. Ici, au contraire, l'«armée» doit opérer avec ses armes propres, sous peine de finir par changer de drapeau, même en cas de victoire. Elle doit choisir son terrain non seulement pour battre l'adversaire, peu importe comment (ce ne serait de toute façon qu'une partie de la victoire finale), mais pour le battre d'une certaine façon et surtout pour sortir du combat sans avoir rien abandonné de ses armes théoriques, programmatiques et organisationnelles et en ayant au contraire conquis une influence réelle sur d'autres facteurs de la lutte tels que les fractions hésitantes de la classe ouvrière et même d'autres classes ou demi-classes, les secteurs réputés «neutres», etc.

Nous ignorions si peu l'incidence de toutes ces variables que nous avons essayé de les systématiser organiquement dans les «Thèses de Rome» de 1922, en nous préoccupant surtout (ce qui prouve que nous n'avons jamais théorisé l'impatience ni l'offensive à tout prix) des situations où l'on prépare péniblement l'attaque, plutôt que de celles, relativement faciles, où on la déclenche. Depuis lors rien n'a jamais pu nous convaincre qu'une systématisation des problèmes tactiques n'était pas possible ou ne l'était qu'au détriment de la rapidité et de la souplesse dans la manœuvre. Tout nous a au contraire renforcés dans la conviction opposée, et dans l'idée qu'un parti qui, du fait de sa théorie, de ses buts, de ses principes spécifiques, est fermé par définition, ne peut ni ne doit être ouvert dans leur application pratique, parce qu'une telle «ouverture» le conduirait nécessairement à l'indifférence à l'égard de ses propres postulats et qu'alors aucune mesure d'organisation (comme par exemple la fameuse bolchevisation de l'I.C.) ne pourrait plus le protéger de la dégénérescence.

Nous allons donner un exemple «concret» du fait que nous n'avons jamais été partisans de ces «sauts dans le vide», de ces putschs que Lénine avait les meilleures raisons de craindre de la part de certains partis jeunes et inexpérimentés de l'Occident. En réponse à ceux qui, prenant prétexte de la retraite précipitée du K.P.D. après l'aventure de Kapp, louaient le Parti Socialiste italien de «ne pas céder à des impatiences qui risqueraient de conduire à des actions prématurées condamnées à échouer et par conséquent à consolider la conservation bourgeoise», nous écrivions: «Nous n'avons aucune hâte ni aucune impatience, car nous savons qu'aucune révolution n'a été ni ne sera jamais faite par la volonté d'individus ou de groupes, et que d'autre part quand le processus de désagrégation de l'ancien ordre de choses aura péri sous l'action dissolvante de ses propres forces internes, aucune «prudence» ne pourra plus empêcher la révolution». (13)

Nous étions (et sommes) si peu des fanatiques de la «tour d'ivoire» que nous souscrivions à l'affirmation du parti communiste allemand quand il disait que ce qui avait manqué en 1920, c'était la «condition indispensable» de la dictature prolétarienne, c'est-à-dire «un puissant parti communiste soutenu par la conscience révolutionnaire de la population laborieuse», sans toutefois approuver l'«opposition loyale» à un «gouvernement ouvrier» (voir plus loin). D'ailleurs pourquoi donc, un an plus tard, et sans attendre les ordres de Moscou, nous serions-nous battus précisément pour le front unique syndical en Italie? Nous étions si éloignés de mépriser stupidement les moyens d'action légaux que l'adversaire est parfois obligé de nous laisser, que tout en repoussant la participation aux élections et au parlement, nous demandions qu'on use néanmoins de tous les moyens et de toutes les formes de propagande permis et avant tout des réunions électorales pour expliquer les raisons de l'abstentionnisme et démontrer son efficacité politique. De même, nous étions si éloignés de l'amateurisme barricadier des maximalistes ou de certains parlementaires pseudo-communistes convertis sur le chemin de Damas-Moscou, que, appelés à diriger le P.C. d'Italie au cours de ses deux premières années de vie, nous avons été les seuls, en Occident, à organiser un appareil illégal à toute épreuve, comme en a témoigné, entre autres très rares éloges, la droite de Tasca et Graziadei, vestales de la «souplesse» de singe, en opposition à notre rigidité d'éléphant (14). Le problème pour nous était (et est encore) de fixer une limite - et un parti international doit savoir la tracer de façon nette - au-delà de laquelle la manœuvre, de moyen utile et indispensable, se change en moyen inutile et nuisible, l'horreur du putschisme devenant, comme dans le K.P.D. de 1920, légalisme pacifiste; le parlementarisme révolutionnaire se transformant, comme dans le P.C.F., en crétinisme parlementaire et la recherche légitime de l'influence sur les masses se dégradant en suivisme. Inversement, faute d'une telle limite, la juste conscience que le parti a de sa propre nature comme force d'attaque permanente contre la société bourgeoise se mue en un aventurisme stupide, en un refus de toute retraite stratégique ou tactique et même de tout temps d'arrêt, comme dans le K.P.D. de 1921 (15).

Bref, le problème est de fixer la limite au-delà de laquelle on expose le mouvement à la ruine. Bien entendu, dans la guerre et dans la guerre civile, on court nécessairement des risques, mais on ne les court pas comme dans les jeux de hasard: l'art de la guerre consiste précisément à savoir par avance jusqu'où il est permis de risquer. A la différence de l'armée, toutefois, le parti révolutionnaire ne doit pas seulement savoir où est la limite, mais dire clairement à tous ses membres où l'organisation l'a fixée.

Il est vrai que le IIe Congrès (et à plus forte raison les congrès ultérieurs, dans la mesure où la tactique de plus en plus fluctuante de l'I.C. le rendait nécessaire) donna à l'Exécutif les pleins pouvoirs pour intervenir en cas de déviation ou même seulement d'application insuffisante des conditions d'admission qui, même si nous les jugions trop lâches, étaient suffisamment rigides pour provoquer l'indignation d'une foule de socialistes. Mais le problème n'était pas résolu pour autant, car le centre dirigeant n'est pas plus à l'abri des déviations que la base, ou plutôt, il l'est uniquement à condition d'être lui-même lié par un ensemble de normes stables et impersonnelles, reconnues par tout le parti, et auxquelles, du haut en bas de la pyramide, tous ceux qui sont investis d'une fonction, toutes les autorités se conforment. C'est seulement alors qu'il ne peut plus y avoir diversité de mouvements entre sommet et base, parce qu'il n'y a plus de hasard ou d'imprévu ni pour l'un ni pour l'autre. Et c'est seulement alors aussi que disparaît tout danger d'arbitraire, pour reprendre aux éternels ennemis des «chefs» un terme qui leur est cher.

Fixer cette limite tactique, c'est codifier non pas tant ce qu'il faut faire, que ce qu'on ne peut pas faire sans porter un grave préjudice à l'unité et à l'homogénéité doctrinales, programmatiques et organisationnelles du parti, aussi grand que puisse être le chef que l'histoire lui aura donné (mais des Lénine, il y en a un une fois seulement tous les cent ans, dit un jour Zinoviev). Nous admettons sans difficulté qu'un seul homme, s'il le faut, détienne toute l'autorité. Mais cela ne change rien au fait que le centralisme n'est pas une condition suffisante de l'unité et de l'homogénéité du parti, s'il en est une condition nécessaire. Si elles font défaut, aucune «consultation démocratique» ne pourra jamais y remédier. Pour qu'elles existent, il faut que le centre et la base possèdent un critère unique d'orientation que le premier soit tenu d'appliquer et que la seconde n'a aucune raison de repousser, dès le moment où son acceptation fait partie des conditions d'admission.

C'est dans ce sens que nous avons toujours critiqué le «centralisme démocratique» et réclamé un «centralisme organique».

Veut-on une confirmation pratique? En 1920, nos doutes auraient pu à bon droit être passés sous silence devant la «garantie» que constituait l'état-major éprouvé et efficace des bolcheviks. Si nous les avons néanmoins exprimés à plusieurs reprises, au risque de passer pour des oiseaux de mauvais augure, c'est qu'en bons matérialistes et en bons dialecticiens, nous pensions plus à l'avenir qu'au présent, et que l'avenir pouvait aussi bien receler notre défaite que notre victoire, avec tous les risques d'écrasement et, pire encore, de débandade de l'état-major que cela comportait. Or si, comme nous l'avons dit, il est possible dans tous les domaines de surmonter l'inconvénient certain que constitue la défaite et la disparition d'un état-major, c'est à la condition que subsistent d'autres forces, plus grandes, plus décisives. C'est ce qui ne s'est malheureusement pas produit lors de la défaite de l'état-major bolchevik. En partie pour des raisons objectives, mais aussi à force d'appliquer des tactiques de plus en plus détachées des principes, le parti mondial a, en quelques années, perdu toute physionomie révolutionnaire. Dans sa dégringolade, il n'a même pas laissé la moindre amarre à laquelle au moins un petit groupe de militants vieux ou jeunes aurait pu s'accrocher pour remonter la pente: tel fut le prix d'une «élasticité» trop légèrement confondue avec la maudite «liberté tactique».

La discussion du problème tactique qu'avait réclamée la Gauche italienne était donc bien de nature éminemment pratique. Les résultats qu'elle avait redoutés se sont donc bel et bien produits. Les tactiques dont elle ne voulait pas ont été expérimentées l'une après l'autre, et non seulement la limite qu'elle voulait voir fixée, mais toute espèce de limite ont été abolies. La théorie elle-même a été abandonnée, le but final complètement altéré, le programme falsifié, les principes abjurés, ce qui prouve que la «liberté tactique» entraîne nécessairement la liberté tout court, cette liberté de «s'affranchir» de tout ce qui fait le parti révolutionnaire fustigée par Lénine dès les premières pages de Que Faire? Cela, nous ne l'avions que trop prévu. (16)

La conclusion, c'est précisément Lénine qui nous la fournira, lui qui parlait dans le No 4 de l'Iskra de «ce plan systématique d'action, éclairé par des principes fixes et rigoureusement appliqué, qui seul mérite le nom de tactique» (17). La tactique comme «plan systématique», éclairé par des «principes fixes» et appliqué avec rigueur, qu'est-ce donc sinon le contraire même de la tactique «élastique», de la «liberté de mouvement»? C'est bien ce que nous voulions démontrer.

8) Une ignoble légende: l'«opportunisme» léniniste
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C'est devenu aujourd'hui une mode de décréter avec une morgue professorale et satisfaite qu'en 1920, l'Internationale communiste était devenue la proie de l'opportunisme; de prétendre en trouver la preuve précisément dans ses déviations tactiques, reflet, dit-on, d'une déviation de principe, et donc de déplorer que la Gauche italienne ait attendu 1926 pour rompre avec elle. Parallèlement, il est de bon ton dans certains milieux de revaloriser les tribunistes, conseillistes, kaapédistes et autres «marxistes européens» ou «occidentaux» (légende du «Linkskommunismus» ou communisme de gauche) qui auraient eu le mérite de voir tout de suite ce que nous aurions trop tardé à reconnaître, et d'avoir agi en conséquence en sortant du Komintern dès 1921.

Il faut dire avec la plus grande énergie que nous n'avons rien à «réviser» dans notre attitude de l'époque, pour la simple raison que l'Internationale était effectivement la plus haute conquête dont le mouvement prolétarien communiste fût alors capable, l'unique prémisse d'acquisitions plus complètes à venir, et qu'elle le resta pendant quelques années encore. Cette prémisse était donnée par le fait qu'elle s'était fondée sur une restauration intégrale de la théorie, des principes et du programme communistes, et rien ne devait être négligé pour corriger ses insuffisances tactiques (qu'il aurait été anti-dialectique d'identifier dans l'immédiat avec des déviations de principe, sous le prétexte qu'elles en révélaient peut-être le début et pouvaient les engendrer à la longue), puisque la solide base théorique sur laquelle les bolcheviks se plaçaient rendait la chose possible.

Si les diverses «gauches» hollandaise, allemande ou autres avaient vraiment représenté un «marxisme européen», elles se seraient donc donné pour tâche d'opposer aux tactiques douteuses et aux méthodes d'organisation discutables de l'I.C. la digue de principes solidement enracinés dans la théorie, et d'apporter à la direction russe l'aide de propositions tactiques rigoureusement déduites des principes. En réalité, ces «gauches» qui ont rompu avec l'I.C. en 1921-22 traînaient derrière elles le fardeau d'idéologies non-marxistes et ce sont des critères de type anarchiste, anarcho-syndicaliste et ouvriériste qui leur ont fait condamner l'«opportunisme» du Comintern, alors que le marxisme condamne tout aussi justement les critères en question. Certes, dès 1920, la Gauche italienne a dénoncé elle aussi le danger «de droite», mais c'est une chose d'avertir d'un danger quelqu'un qu'on juge de taille à le surmonter, ou de jouer le rôle d'anticorps dans un organisme sain, et c'en est une toute autre que de crier au sauve-qui-peut et de prétendre que cet organisme est incurablement malade. Une organisation révolutionnaire risque toujours de rechuter dans le vieil opportunisme, mais tant qu'elle reste révolutionnaire, pour conjurer ce péril, on lutte en son sein et non pas au dehors, car de deux choses l'une: ou bien elle possède dans ses propres rangs les conditions du relèvement, ou bien, comme ces conditions n'existent nulle part ailleurs, tout un cycle d'expériences négatives est nécessaire pour que la marche en avant puisse reprendre, non d'ailleurs parce que des individus ou des groupes l'auront voulu, mais en vertu de déterminations objectives. Voilà pourquoi la Gauche italienne s'est opposée à toute impatience devant des décisions qu'elle jugeait pourtant insuffisantes ou regrettables; voilà pourquoi elle a préconisé un travail patient, tenace, infatigable pour amener le parti mondial de la révolution dans la voie juste. Elle était en effet bien persuadée d'une chose: ou bien les communistes de l'Occident super-capitaliste aideraient l'internationale à regarder le danger en face avec une confiance sereine dans sa propre force, ou bien rien ne pourrait empêcher le désastre tant redouté. Or le mouvement communiste d'Occident n'apporta aucune aide aux bolcheviks. Au contraire, il introduisit dans l'aire de la glorieuse révolution d'Octobre sa propre instabilité, sa propre immaturité, sa propre myopie, tout en la jugeant avec une morgue professorale. C'est que ce mouvement ou bien perpétuait la tradition de la IIe Internationale, présentant la même inertie historique qu'elle, ou bien donnait dans un faux extrémisme, tels ces groupes atteints de démocratisme aigu qui finirent tôt ou tard par se réfugier sous l'aile de la social-démocratie, après avoir joué les matamores du «marxisme européen» et rompu avec l'Internationale «dégénérée» de... 1920-21.

Le danger existait, mais il était tapi dans l'Europe pleinement bourgeoise et capitaliste, dans ses traditions démocratiques profondément enracinées, dans sa conversion précipitée à la mode du jour qui n'entamait en rien sa fidélité foncière à la vieille pratique, bref, dans son retard à emprunter la voie dans laquelle les bolcheviks s'étaient engagés les premiers, tout en sachant qu'ils se retrouveraient au dernier rang, dès que la révolution aurait gagné les pays avancés. S'il existait un opportunisme larvé dans l'I.C., nul n'était donc moins en droit de le reprocher aux bolcheviks que cet Occident incapable de régler ses propres affaires, de retourner à un marxisme digne de ce nom et de se présenter devant les magnifiques bolcheviks russes et leur prolétariat héroïque avec une physionomie nouvelle. Ce qu'il faut comprendre une fois pour toutes, c'est que dans son audace, le parti bolchevik avait tout misé sur le mouvement prolétarien et communiste d'Europe centrale et occidentale, et que ce dernier lui refusa l'aide qui était pour lui une question de vie ou de mort, puisque non seulement il ne réussit pas à faire la révolution, mais qu'il ne s'y prépara même pas; c'est aussi que le temps avait passé aussi vite en Russie qu'il coulait lentement à l'Ouest; et s'il était risqué de courir, comme le fit Moscou, derrière la gauche du Parti indépendant qui n'était qu'un fantôme; si le K.P.D., sur lequel Moscou s'appuyait, saigné à blanc dès sa constitution, puis oscillant entre les deux extrêmes du légalisme et de l'aventurisme échevelé, n'était guère plus orthodoxe ni donc plus solide, que pouvait-on attendre de plus et de mieux d'un K.A.P.D. foncièrement anti-marxiste?

Souvent, et surtout à l'égard de la Gauche communiste italienne, le jugement des bolcheviks, Lénine y compris, a été obscurci par leur légitime méfiance devant la résurgence de courants pré-, extra-, ou anti-marxistes dans toute l'Europe, et par le soupçon que le «gauchisme» dissimulât de vieilles déviations incompatibles avec une saine vision révolutionnaire. S'il y eut malentendu, du moins en ce qui concerne la Gauche italienne, ce n'est pas sur les hommes de la «citadelle assiégée» qu'il faut en faire retomber la faute; c'est sur les hommes de cette Europe qui aurait dû être le cœur de la révolution internationale et qui restait prisonnière d'un mélange de vieux droitisme et de faux gauchisme, sur tous ces personnages butés et impertinents dont la présence dans l'I.C. vicia tous les débats, faussa tous les jugements, figea les bolcheviks dans leur erreur d'appréciation, qu'ils étaient pourtant de taille à corriger, et exaspéra leur sensation d'isolement sans espoir, alors qu'ils luttaient de toutes leurs forces pour en sortir.

Les historiens qui se veulent objectifs ne comprendront sans doute jamais la complexité de cette situation, due au retard politique effroyable du mouvement ouvrier européen, qui rendit aussi impossible aux bolcheviks de voir clair qu'à nous de leur ouvrir les yeux. Si en Occident, où les conditions matérielles du passage au socialisme existaient, la révolution marquait le pas, ce n'était tout de même pas la faute des bolcheviks, qui ne l'ont tout de même pas trahie avant qu'elle n'éclate! Voilà ce qu'il faut répliquer aux doctes professeurs d'aujourd'hui, et que Rosa Luxembourg disait déjà à la fin d'une trop célèbre brochure sur «la Révolution russe» dans sa défense vibrante des seuls chez qui se soient trouvés «tout l'honneur révolutionnaire et la capacité d'action qui ont manqué à la démocratie socialiste en Occident», des seuls qui aient osé «conquérir le pouvoir et poser dans la pratique le problème de la réalisation du socialisme».

La question doit être posée sur un autre plan. Lénine et les bolcheviks avaient alors un vaste dessein qui était de se servir de forces retardataires sur la scène mondiale de la lutte de classe comme ils avaient réussi à le faire en Russie. Ils ne comptaient pas pour cela sur la basse cuisine diplomatique qui triomphera pendant les «années de misère» du Comintern. Ils comptaient que les terribles sursauts de l'immédiat après-guerre se termineraient par une offensive des masses ouvrières, croyant l'explosion finale plus proche qu'elle n'était en réalité. Ils espéraient que la conjonction du généreux élan prolétarien et de la rigueur théorique, de la clarté programmatique, de la solidité organisationnelle du centre de l'Internationale communiste aurait raison de tous les obstacles. Les masses restèrent effectivement sur la brèche pendant plusieurs années, mais dans leur perspective, les bolcheviks avaient sous-estimé la capacité de résistance de la démocratie et son attrait sur ces masses. La Gauche italienne ne cacha pas ses réserves, car elle savait qu'en un siècle, la démocratie s'était non seulement aguerrie, mais qu'elle avait appris à manœuvrer, à corrompre, à s'adapter à la pression ennemie pour attirer à elle et paralyser au moins une couche de la classe opprimée, et en tout cas, le plus clair de son état-major politique. Pourtant, jamais il ne vint à l'esprit de la Gauche l'idée de qualifier cette perspective d' «opportuniste», de faire à si bon marché un procès aux bolcheviks. Leur dessein pouvait réussir: théoriquement, rien de l'interdisait. Seulement, il ne laissait aucune autre possibilité que le succès immédiat: il suffisait qu'une des deux variables sur lesquelles il tablait soit éliminée, c'est-à-dire que l'offensive prolétarienne escomptée n'ait pas lieu, pour qu'il échoue. Mais alors, le communisme ne perdait pas seulement la partie dans l'immédiat: c'est son avenir même qui se trouvait compromis.

La Gauche italienne appréciait plus exactement les rapports de forces; aussi sa voie était-elle longue et dépourvue de promesses enivrantes, d'espoirs à brève échéance; en revanche, elle était plus sûre, parce que c'était la voie classique du parti marxiste (et tout spécialement des bolcheviks), condition subjective de la lutte finale. Cet ennemi implanté dans la classe ouvrière elle-même, nous savions bien que nous ne pouvions pas le vaincre par la ruse ou par de petites attaques de flanc, mais uniquement par une grande offensive frontale, et que faute de le vaincre, nous nous retrouverions écrasés sous son talon de fer. Comme le prouvent les textes cités en appendice, c'est dans cette conviction que nous avons étudié la situation de l'Europe et ses perspectives, ainsi que les meilleurs moyens de les affronter, et c'est là-dessus que les bolcheviks et nous avons été en désaccord. Mais il s'agissait d'une divergence entre camarades engagés dans la même lutte, et tant qu'elle est restée limitée à des questions tactiques et, par surcroît, secondaires, nous n'avons jamais refusé la discipline ni rompu avec l'organisation. Nous y reviendrons longuement, car il faut bien connaître la situation ambiguë dans laquelle se trouvait alors le mouvement ouvrier international pour comprendre aussi bien la grandeur du Second Congrès, qui fut le véritable congrès constitutif de l'Internationale communiste, que ses incertitudes et ses contradictions.

9) Le jeu infâme des Indépendants en Allemagne
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Dès la reprise de ses publications en janvier (18), l'attention de «Il Soviet» se fixe beaucoup plus sur la scène européenne des luttes de classe et du mouvement communiste naissant que sur l'Italie elle-même.

Il porte un jugement tout à fait négatif sur les développements au sein ou en marge de la S.F.I.O. en France, et fait des réserves sur l'invitation adressée par la IIIe Internationale à des groupes tels que les I.W.W. américains et les Shop Stewards anglais pour qu'ils entrent dans ses rangs. La Fraction communiste abstentionniste n'ignorait pas le potentiel révolutionnaire de ces organisations ouvrières, qui s'étaient magnifiquement battues avant et pendant la guerre contre l'opportunisme et le chauvinisme de l'A.F.L. aux États-Unis ou des Trade-Unions en Angleterre; mais c'était pour elle un principe que seuls pouvaient adhérer à l'Internationale des partis politiques constitués sur une base marxiste, et non des organisations économiques uniquement caractérisées par leur composition prolétarienne ou par un élan de classe sincère, mais confus (19).

Certes, nous nous intéressions aux développements de la situation dans les aires latine et anglo-saxonne et dans le reste du monde, comme en témoigne la rubrique internationale publiée dans chaque numéro de «Il Soviet», mais le véritable nœud de la situation se trouvait néanmoins à nos yeux en Allemagne et, plus généralement, en Europe centrale, non tellement à cause de sa contiguïté avec la Russie révolutionnaire que des tumultueux événements politiques et sociaux qu'elle avait connus à la fin de la guerre et qui faisaient d'elle l'épicentre de la crise mondiale du capitalisme et donc aussi de l'offensive prolétarienne attendue.

Dans cette aire d'Europe centrale, 1919 avait été une année de luttes ardentes qui s'étaient terminées de façon tragique sans que l'ardeur magnifique de la classe ouvrière fléchisse pour autant. Le gourdin social-démocrate s'était férocement abattu sur ces combattants indomptables non seulement à Berlin et Munich, mais à Hambourg et à Brême, dans la Ruhr et en Saxe, à Vienne et à Budapest. Dans toute l'Europe, les noms de Noske et de Scheidemann étaient lancés comme des injures à la tête de la social-démocratie allemande auprès de laquelle l'état-major de Guillaume II et les magnats de la grande industrie avaient cherché et trouvé refuge, parce qu'elle était la seule force capable de freiner d'abord, puis d'écraser les ouvriers en grève et en rébellion.

Si la bourgeoisie allemande réussit à doubler facilement le «cap des tempêtes» pendant les derniers mois de 1918 et les premiers de 1919, ce ne fut pas grâce à sa propre capacité de contre-offensive, mais uniquement à la complicité de ce parti. Telle était la fonction historique de ce détachement de «lieutenants de la bourgeoisie» dans les rangs mêmes du prolétariat qu'est l'opportunisme, fort du soutien d'une aristocratie ouvrière qu'il exprimait politiquement et idéologiquement et dont il était l'organisation.

Le pire est pourtant que l'œuvre meurtrière de la social-démocratie s'est alors abritée (et cela se reproduira plus tard) derrière l'action sournoise et donc plus catastrophique encore de ce «centrisme» tant de fois dénoncé par Lénine pendant la guerre, et représenté par le parti de Kautsky et de Hilferding, de Hasse et de Dittmann, l'U.S.P.D. (Unabhängige Sozialdemokratische Partei Deutschlands), ou comme on disait couramment alors, les Indépendants.

Aussi cyniques que les bourreaux social-démocrates, les professeurs «indépendants» pontifiant sur les rives de la Spree ou du Danube, se distinguaient d'eux uniquement par le fait qu'ils cachaient ce cynisme derrière une phraséologie de classe ou même «révolutionnaire» visant à attirer les prolétaires qui s'étaient détournés avec indignation et horreur des «majoritaires», dans le seul but de les enfermer dans le filet de leur propre légalisme réformiste.

On sait aujourd'hui que toute l'histoire de l'U.S.P.D. a été déterminée par sa crainte d'un déplacement des masses ouvrières vers la gauche révolutionnaire et par son désir de le prévenir pour l'empêcher ou au moins le retarder. Les lettres de Kautsky à F. Adler révèlent clairement comment le grand ponte manœuvra pour faire pièce à la popularité croissante de ces «garnements de Karl et de Rosa» qui avaient pris parti contre l'«union sacrée» dans sa version allemande. En juin 1915, en effet, au lendemain des premières manifestations pour la paix, un groupe de députés sociaux-démocrates protesta, avec, bien entendu, tous les égards d'usage, contre la politique de «paix sociale» avec l'assentiment de la direction du parti, trop heureuse d'offrir cet exutoire à la mauvaise humeur qui couvait dans ses rangs. Pour écarter le danger d'une radicalisation de la «base», Kautsky aurait voulu que, dès août 1914, les députés socialistes demandent, en votant les crédits de guerre, que ceux-ci servent uniquement à des opérations de défense contre... le barbare agresseur, afin de garantir les chances d'une «paix juste». En avril 1916, après la Conférence nationale de la Gauche organisée par les spartakistes (janvier 1916) et après la Conférence internationale de Kienthal (avril 1916) qui avait suivi celle de Zimmerwald (septembre 1915), les députés «rebelles» organisèrent au Reichstag un «collectif de travail» social-démocrate (Sozialdemokratische Arbeitsgemeinschaft) réclamant la cessation des hostilités puisque la... sécurité nationale était désormais assurée. En avril 1917, alors que R. Luxembourg était en prison depuis deux ans et K. Liebknecht depuis un an, alors qu'en Russie la première révolution avait déjà éclaté, l'aile «gauche» de la social-démocratie se constitua en parti autonome, l'U.S.P.D. précisément, au congrès de Gotha.

Son programme comportait la «paix entre les peuples, sans annexions directes ou déguisées», la limitation des armements et l'institution de juridictions d'arbitrage obligatoire. Il se terminait par un slogan vraiment professoral: «Le pain et le savoir pour tous! La paix et la liberté pour tous les peuples!» Le lendemain de l'abdication du Kaiser, alors que toute l'Allemagne était déjà en ébullition, Scheidemann crut voir devant lui le spectre horrible de la révolution bolchevique du balcon des Hohenzollern où il était monté pour haranguer l'immense foule rassemblée (c'est lui-même qui le raconte) et, sous le coup d'une brusque inspiration, il proclama la République, que ses camarades n'avaient nullement voulue. Le même jour, c'est-à-dire deux semaines après avoir offert à Liebknecht de participer à la direction du parti, puis essayé de l'attirer dans une combinaison ministérielle, l'U.S.P.D. forma avec le S.P.D. (majoritaires) qu'il prétendait haïr, un gouvernement paritaire, appelé «Conseil des Commissaires du Peuple» et soi-disant élu par les conseils (Räte) de députés des ouvriers et des soldats qui s'étaient constitués partout selon l'exemple russe.

Bras dessus bras dessous, les deux partis complices assurent le passage indolore du régime de Guillaume à celui d'Ebert qui dura pendant cinq ans. Ils veillent à ce que le retour, puis la démobilisation des soldats se fassent pacifiquement, font tout pour éteindre les ardeurs «inconsidérées» des masses prolétariennes, soutiennent à bout de bras l'appareil bureaucratique et militaire en place, quitte à opérer quelques changements au sommet, et en décembre 1918, ils poussent le congrès de décembre des Conseils d'ouvriers et de soldats (Räte) à décider l'organisation à bref délai d'élections à l'Assemblée nationale et le puissant Exécutif ouvrier de Berlin à se subordonner lui-même au «Conseil des Commissaires du Peuple» et à son cortège de généraux et de fonctionnaires de l'époque impériale. (20)

Mais le 29 décembre, l'U.S.P.D. prend prétexte du massacre de Noël (21) qui n'était pourtant pas pire que ceux dont il avait été antérieurement complice avec le S.P.D. pour retourner à l'opposition: comme par hasard, c'était la veille même de la fondation du parti communiste et des tragiques événements berlinois de janvier 1919.

L'U.S.P.D. retournera-t-il au gouvernement? Évidemment non, car sa fonction consiste à empêcher la radicalisation politique des masses poussées à la lutte par des conditions de vie insupportables (22). La social-démocratie majoritaire étant discréditée, l'U.S.P.D. doit de toute urgence préparer une «alternative» (terme cher aux super-opportunistes d'aujourd'hui) qui ne soit pas le spartakisme. Voilà pourquoi l'U.S.P.D. se met à «jouer» à la révolution à Berlin, en janvier et en mars, et à Munich en avril, lui qui s'était fait le paladin de l'intégration des conseils («Räte») dans la constitution de Weimar, et donc de leur castration, lui qui fournit des «économistes» et des «experts» comme Hilferding et Karl Korsch pour dresser ces plans de «socialisation» des mines et de l'industrie lourde avec lesquels on amusera les ouvriers pendant plus d'un an; lui enfin dont les «théoriciens» pontifiants, Kautsky en tête, ont dénigré la dictature bolchevique et condamné la terreur rouge!

Déclenchant des soulèvements pour les trahir aussitôt, que veut donc l'U.S.P.D., si ce n'est compromettre les généreux et trop naïfs Spartakistes? Pour cela, il s'appuie sur les groupes armés des délégués révolutionnaires (Revolutionäre Obleute) comme en 1918, année cruciale, descendant de la chaire professorale et se mêlant aux ouvriers pour mieux en désamorcer les poussées subversives. Son programme de «réformes de structure» est à peine plus radical que celui des majoritaires, mais il l'enveloppe cyniquement dans un tissu de proclamations qui peuvent tromper les ouvriers par leur ressemblance extérieure avec celles de l'Octobre russe.

Il procède avec une habileté incontestable: lorsque la tension sociale est au plus haut point, il lance le mouvement, puis se place immédiatement sur la touche; dans les moments de reflux, au contraire, il mobilise de grands pontes du «marxisme» pour fabriquer des thèses et des programmes susceptibles de concurrencer ceux du K.P.D. ou de l'I.C. A la différence du maximalisme italien qui maintint son emprise sur les masses grâce, essentiellement, à une rhétorique creuse et à des déclarations programmatiques éclectiques qui ne pouvaient que freiner la sélection d'une avant-garde révolutionnaire, le centrisme «indépendant» se livra à de savantes acrobaties doctrinales beaucoup plus efficaces, sans cesser d'être gradualiste, parlementariste et démocratique dans son action pratique. Et tandis que le spartakisme subissait les pires persécutions, il bénéficia d'une relative impunité, et put ainsi renforcer son contrôle sur les syndicats et par-dessus le marché son prestige parmi les électeurs. C'est ainsi qu'ayant obtenu 2.186.305 voix aux élection pour la Constituante en février 1919, contre 11.112.450 au S.P.D., il en récoltera 4.894.317 en juin 1920, contre 5.614.452 au S.P.D., le nombre de ses adhérents passant en même temps, de 100.000 environ à plus de 300.000.

Au Congrès extraordinaire des 2-6 mars 1919 à Berlin, l'U.S.P.D. avait fait une «déclaration programmatique» dans laquelle il prenait acte du fait que «en novembre 1918, les ouvriers et soldats révolutionnaires d'Allemagne ont conquis le pouvoir d'État (!!), mais n'ont pas consolidé leurs positions ni vaincu la domination de classe du capitalisme» et que «la lutte d'émancipation (du prolétariat) ne pouvant être menée que par le prolétariat lui-même et pas seulement (!!) par les organisations existantes, il fallait aussi (!!) une nouvelle organisation prolétarienne de combat»; cette organisation était «le système des Conseils», qui «rassemble les masses ouvrières dans les entreprises en vue d'une action révolutionnaire, assure au prolétariat le droit à l'autogouvernement (!!) dans les usines, dans les communes et dans l'État, et réalise la transformation du système économique capitaliste en système socialiste». Porte-drapeau prétendu du prolétariat révolutionnaire dans sa lutte d'émancipation, «l'U.S.P.D. se place sur le terrain du système des Conseils, les soutient dans leur lutte pour le pouvoir économique et politique, aspire à la dictature du prolétariat, représentant la grande majorité du peuple, comme à la condition nécessaire pour réaliser le socialisme qui seul conduira à la fin de toute domination de classe, à la suppression de toute dictature, à la véritable démocratie.» Et «pour atteindre ce but (l'U.S.P.D.) se sert de tous les moyens de combat politiques et économiques, y compris les parlements; il rejette les actes de violence désordonnés et inconsidérés; son but n'est pas l'élimination des personnes, mais la suppression du système capitaliste». Après quoi, la motion énumère tous les points d'un programme minimum de réformes, dont la toute première (et la seule réaliste) est «l'insertion du système des conseils dans la constitution allemande et la participation déterminante des conseils à la législation, à l'administration de l'État et des municipalités, et au fonctionnement des entreprises» qui signait leur condamnation à mort en tant qu' «organes révolutionnaires». Quant aux autres points, ce n'était qu'une litanie de propositions en partie démagogiques, en partie radicales (du moins apparemment) et absolument compatibles pour la plupart avec un statu-quo à peine rafraîchi par les Kautsky-Hilferding.

Toutefois, c'est au congrès extraordinaire qui suivit et se tint du 30 novembre au 6 décembre 1919 à Leipzig que le comble de la mystification fut atteint. Le congrès approuva en effet un «programme d'action» développant les points cités ci-dessus qui se terminait par la déclaration suivante:

«La dictature du prolétariat est un moyen révolutionnaire pour l'abolition de toutes les classes et la suppression de toute domination de classe, pour la conquête de la démocratie socialiste (??). Une fois la société socialiste consolidée, la dictature du prolétariat cesse, et la démocratie socialiste (encore!) atteint son plein développement. L'organisation de la société socialiste se fait sur la base du système des Conseils qui, dans sa signification la plus profonde (voir plus loin), atteint aussi son plus haut degré de perfection. La signification la plus profonde du système des Conseils est qu'il fait des travailleurs, qui sont les détenteurs de l'économie, les créateurs de la richesse sociale, les promoteurs de la culture» (au sens allemand de Kultur: il eût été étonnant que l'USPD oublie de sacrifier à cette divinité bismarkienne), «également les détenteurs responsables de toutes les institutions juridiques (??) et de tous les pouvoirs politiques. Pour atteindre ce but, l'U.S.P.D. se sert systématiquement de tous les moyens de lutte politique, parlementaire et économique, en liaison étroite avec les syndicats révolutionnaires (??) et avec l'organisation prolétarienne des Conseils» (il s'agit comme on voit d'une nouvelle Trinité, mais qui est le Père, qui le Fils et qui le Saint-Esprit?). Le moyen de lutte essentiel et décisif est l'action de masse (sans autre précision). L'U.S.P.D. repousse l'action violente des personnes et des groupes isolés. Son but n'est pas la destruction des moyens de production «(l'allusion aux personnes, sans doute peu appréciée par la «base» est remplacée par une allusion... aux machines), mais la suppression du système capitaliste».

En outre, le parti est convaincu que «grâce au regroupement des masses prolétariennes auquel il vise, la victoire complète et durable du prolétariat sera obtenue plus rapidement et sûrement: c'est pourquoi l'U.S.P.D. se fixe aussi comme tâche la création d'une Internationale révolutionnaire efficace des ouvriers de tous les pays». Si les Indépendants désavouent la IIe Internationale (puisqu'ils repoussent «toute politique se proposant uniquement (!!!) des réformes dans le cadre de l'État de classe capitaliste») et s'ils sont d'accord avec la IIIe Internationale pour ce qui est de «la réalisation du socialisme au moyen de la dictature du prolétariat sur la base du système des Conseils» (insérés dans la Constitution!), ils estiment que cette Internationale n'est encore qu'un fantôme et qu'elle ne prendra corps que le jour où l'U.S.P.D. en fera partie, après avoir obtenu les garanties d'usage.

La motion finalement approuvée «donne mandat à la direction d'entamer sans tarder des pourparlers avec la IIIe Internationale et avec les partis social-révolutionnaires sur la base du programme du parti, afin que... la IIIe Internationale puisse devenir une Internationale prolétarienne compacte et capable d'action (aktionsfuhig) qui soit, dans la lutte pour l'émancipation de la classe ouvrière du joug du capital international, une arme décisive pour la révolution mondiale» (23). Comme on voit, l'U.S.P.D. prétendait non seulement traiter d'égal à égal avec l'Internationale et les «partis social-révolutionnaires», mais encore les contraindre à accepter son propre programme comme base de négociation. En outre, Messieurs les professeurs de l'austro et du germanomarxisme estimaient manifestement qu'en dehors d'eux, il n'y avait que des larves «incapables d'action»...

Comme d'habitude, ces délibérations ne furent connues qu'avec retard en Italie où, malgré l'hypocrisie de leurs formules tarabiscotées, elles provoquèrent l'enthousiasme sans restrictions de l'«Avanti». Cela confirmait en plein la deuxième lettre de la Fraction communiste abstentionniste à l'Internationale affirmant que le maximalisme italien était issu du même tronc que le centrisme allemand (24). A la différence de l'«Avanti», «Il Soviet» publia un commentaire féroce (25) des débats et décisions centristes dans un article intitulé «Le nouveau programme des Indépendants»: «Le Congrès de Leipzig du Parti Socialiste Indépendant d'Allemagne a approuvé en décembre dernier un nouveau programme dont nous reproduisons les parties essentielles (...)»

De toute évidence, le souci dominant chez ceux qui ont rédigé ce document a été de se rapprocher des formulations du programme communiste, tout en se cantonnant prudemment dans les affirmations générales.

«C'est ainsi que le programme va jusqu'à affirmer que le prolétariat doit conquérir le pouvoir politique, c'est-à-dire abolir la domination de l'Etat capitaliste, pour la remplacer par l'organisation du pouvoir prolétarien sur la base du système soviétique. Mais il n'ose pas dire que ce pouvoir est précisément la dictature du prolétariat. Celle-ci serait non pas la fin, mais seulement le «moyen révolutionnaire» pour éliminer toutes les classes et arriver à la démocratie socialiste.»

Cette formule est on ne peut plus ambiguë. En premier lieu, on ne dit pas de façon explicite que le pouvoir prolétarien, le système des Conseils ou la dictature du prolétariat, comme on voudra, sont fondés sur la suppression de tout droit politique pour les membres de la classe bourgeoise.

On préfère sauter par-dessus cette définition qui exprime tout le contenu historique de la révolution prolétarienne, et passer en hâte au but final. c'est-à-dire à l'élimination des classes, avec laquelle tout le monde est d'accord, du social-démocrate à l'anarchiste.

Selon la formidable dialectique marxiste, que les élèves de Kautsky ont troquée contre la plus déplorable indécision théorique, cette finalité ultime n'exclut pas que, dans la phase historique actuelle, le prolétariat révolutionnaire ait réellement pour but de former un État de classe qui, au mépris de tout préjugé démocratique, mettra les membres de la classe capitaliste dans une situation d'infériorité politique pendant la longue période historique qu'exigera son élimination.

Mais les Indépendants préfèrent fermer les yeux sur de telles horreurs et passer tout de suite par la pensée à la société socialiste telle qu'elle sera après l'abolition des classes, pour dire que la démocratie socialiste y sera réalisée. Ils auraient mieux fait de dire qu'alors, c'est le pouvoir politique et l'État comme organe de domination, d'une classe sur une autre qui auront disparu.

Au contraire, le programme affirme que c'est précisément dans la société socialiste (entendez par là après la fin de la pénible période de la dictature) que le système soviétiste connaîtra son plein épanouissement et que les travailleurs seront les dépositaires de l'autorité politique. A ce moment-là, au contraire, il n'y aura pas besoin d'autorité politique et le système soviétique aura peut-être des formes très différentes de celles que nous lui connaissons.

Ce que les communistes proclament et que les Indépendants s'efforcent hypocritement de taire sans en avoir l'air, c'est que c'est justement pendant la période de transition, c'est-à-dire quand il y a encore des bourgeois, que les conseils de travailleurs doivent avoir toute l'autorité politique, puisque les bourgeois doivent en être entièrement privés.

Nous prions les camarades de considérer que cette partie du programme a été habilement rédigée de façon à se prêter à deux interprétations et à essayer de satisfaire aussi bien ceux qui s'en tiennent aux canons social-démocratiques que ceux qui tendent vers le communisme.

La partie finale, où il est question des moyens tactiques, est encore plus vague. La fameuse idée de l'adoption de tous les moyens rappelle étrangement notre intégralisme italien, dont l'héritier est aujourd'hui le maximalisme électoraliste.

On parle d'actions de masse, mais on exclut l'action violente de groupes ou d'individus, sans dire que l'on préconise la méthode de l'action violente du prolétariat, disciplinée et dirigée par le parti de classe.

Enfin, on vient nous chanter la stupide chanson de l'unité prolétarienne, ce qui permet de mesurer toute la distance qui sépare les socialistes indépendants d'Allemagne des méthodes de la IIIe Internationale, qui ont pour pivot la séparation intransigeante des communistes et de tout autre mouvement n'obéissant pas aux mêmes directives programmatiques rigoureuses.»

Le jugement du Comité Exécutif de la IIIe Internationale n'avait pas été moins sévère dans la lettre envoyée le 5 février 1920 au Comité central du K.P.D. et au présidium de l'U.S.P.D. (26) et qui est restée longtemps inconnue, même en Allemagne. Cette lettre reprend le «Projet de réponse du P.C.R. à la lettre de I'U.S.P.D.» rédigé par Lénine (27), démasquant les réticences dont les Indépendants entouraient leur adhésion au principe de la dictature prolétarienne incarnée dans le «pouvoir des Soviets» et qui les assimilait aux «reconstructeurs» du type Longuet en France. Il est vain et contre-révolutionnaire, dit ce texte, de cacher que «le système des Soviets, c'est la destruction du mensonge bourgeois qui appelle «liberté de la presse» la liberté de soudoyer la presse, la liberté pour les riches, pour les capitalistes, d'acheter les journaux, la liberté pour les capitalistes (...) de truquer ainsi «l'opinion publique»», la même chose valant pour la liberté de réunion, pour «l'armement du peuple, la liberté de conscience (...) et pour toutes les autres libertés bourgeoises». Il est vain et contre-révolutionnaire de cacher que «la dictature du prolétariat, c'est le renversement de la bourgeoisie par une classe, le prolétariat, et précisément par son avant-garde» (et «exiger de cette avant-garde la conquête préalable de la majorité du peuple au moyen d'élections sous le régime de l'esclavage salarié (...) exiger ou supposer possible cette conquête, c'est en réalité abandonner complètement le point de vue de la dictature du prolétariat pour adopter en fait celui de la dictature bourgeoise»). Il est vain et contre-révolutionnaire de cacher que «la dictature du prolétariat implique la nécessité de réprimer par la force la résistance des exploiteurs et la volonté, la capacité et la décision de le faire» («répudier (...) la violence, la terreur, c'est répandre les illusions réactionnaires de la petite-bourgeoisie sur la paix sociale»). Il est vain et contre-révolutionnaire de cacher que «ceci vaut également pour la guerre civile, (car), après la guerre impérialiste, face aux généraux et aux officiers réactionnaires qui usent de la terreur contre le prolétariat, face au fait que de nouvelles guerres impérialistes sont préparées dès à présent par la politique actuelle de tous les États bourgeois - et que non seulement ces guerres sont préparées en toute connaissance de cause, mais qu'elles découlent aussi, avec une logique objective et inéluctable, de toute la politique de ces États - bref, dans une telle situation, déplorer la guerre civile contre les exploiteurs, la condamner, la redouter, c'est en réalité se faire réactionnaire» (et «l'attitude doucereuse, petite-bourgeoise et sentimentale des Indépendants allemands et des longuettistes français dans la question de la guerre civile a précisément ce caractère réactionnaire»). Enfin, il est vain et contre-révolutionnaire de cacher que «la dictature du prolétariat et le pouvoir soviétique, c'est la claire conscience de la nécessité de briser, de démolir de fond en comble l'appareil de l'État bourgeois (fût-il démocratique et républicain)». Il faut au contraire expliquer dès maintenant aux ouvriers et aux paysans que «toute révolution (à la différence des réformes) signifie elle-même une crise, et une crise très grave, à la fois politique et économique»; et que l'on doit «affronter courageusement cette crise et trouver dans les mesures révolutionnaires» (on remarquera la puissance de cette affirmation), «la source des forces nécessaires pour la surmonter», sans craindre de faire «les plus durs sacrifices». Sans cela, entre autres, «la reconnaissance de la dictature du prolétariat reste purement verbale».

C'était exactement ce que la Gauche italienne proclamait, mais le ton de sa critique (28) est plus dur. Il est vrai que Lénine écrit:

«La seule attitude juste est de ne pas s'unir aux Indépendants et aux longuettistes dans une même Internationale, et d'attendre que les masses révolutionnaires des ouvriers français et allemands aient corrigé les faiblesse, les erreurs, les préjugés, l'esprit d'inconséquence de partis tels que ceux des Indépendants et des longuettistes»,

mais il ajoute:

«Le Parti communiste russe ne se refuse cependant pas à conférer avec tous les partis désireux de s'entretenir avec lui et de connaître son opinion.»

De son côté, l'Exécutif de l'I.C. exige bien l'expulsion de la droite de l'U.S.P.D. comme condition préalable à des rencontres éventuelles, mais il renchérit encore sur Lénine en remplaçant le terme «conférer» par «entrer en pourparlers avec les partis qui se déclarent prêts à rompre définitivement avec la IIe Internationale» et leur demande d'envoyer pour cela des représentants à Moscou.

Il résulte de ces faits que, même si les bolcheviks ont toujours fait une dure critique du centrisme, l'objectif de Moscou était de favoriser une rupture au sein de l'U.S.P.D. entre la direction et la base, la droite et la gauche. En dépit des meilleures intentions, c'était là inaugurer une méthode aussi improductive que le fameux travail des Danaïdes, même si on en attendait des effets rapides. Chose pire encore, cette méthode risquait de dissimuler entièrement aux yeux des ouvriers, la frontière infranchissable séparant le communisme du centrisme. Or selon la Gauche italienne (et selon toute la pratique des bolcheviks) cette frontière ne devait en aucune façon être estompée, car c'est l'histoire elle-même qui l'avait tracée avec le sang de milliers de prolétaires.

Tout d'abord, Moscou surestimait la force de la «gauche» indépendante que pour notre part nous jugions squelettique et, de toutes façons, équivoque (29). Mais même en dehors de cette fausse appréciation du rapport des forces, Moscou faisait preuve de naïveté en croyant pouvoir se rapprocher des grandes masses par l'intermédiaire d'un tel parti, et de faiblesse en «traitant» avec sa direction sur pied d'égalité. La manœuvre finit d'ailleurs en queue de poisson, les gros bonnets de l'U.S.P.D. ne répondant même pas à la lettre à cause de leurs absorbantes occupations électorales, et ne la publiant pas davantage sous prétexte que le papier était rationné. Les élections avant tout!

Même à supposer que cette lettre ait été publiée et que cela ait pu favoriser une clarification parmi les Indépendants, l'avantage eût été négligeable face à la grave désorientation que l'initiative n'aurait pas manqué de provoquer dans l'avant-garde communiste qu'une cruelle expérience avait habituée à voir dans le parti de Kautsky et Hilferding l'ennemi déclaré de la révolution et de la dictature prolétarienne, et qui considérait comme tout simplement inimaginable de le sonder sur ses intentions et de lui faire des avances.

En se déclarant «conscient de la complexité des situations et des particularités spécifiques du développement de la révolution dans les différents pays», l'Exécutif de l'I.C. ouvrait la porte à des atténuations, concessions et exceptions au programme unique du parti mondial qui, en phase de reflux de la lutte de classe, devaient rendre plus difficile la lutte contre «l'engouement pour les Soviets» que l'I.C. avait pourtant déclarée urgente et indispensable, donnant libre accès dans ce parti aux pires opportunistes.

Enfin, en passant par-dessus la tête du parti communiste local, on admettait pratiquement l'existence d'organisations parallèles au lieu de n'en reconnaître publiquement qu'une seule et d'inviter les militants réellement convertis au communisme révolutionnaire à y adhérer individuellement, selon la démarche normale. Ainsi on discréditait objectivement le K.P.D. au bénéfice d'un «allié» plus que douteux. Cette méthode faisait obstacle à la préparation révolutionnaire des militants parce qu'elle les désorientait politiquement et les désorganisait pratiquement: l'indignation des délégués au IIe Congrès quand ils se trouvèrent en présence des Crispien, Dittmann, Cachin et Frossard n'avait rien de rhétorique ni de moralisant: elle constituait une réaction de classe saine et légitime.

La lettre et l'invitation à envoyer une délégation en Russie (30), exprimaient certainement les inquiétudes de l'Exécutif de l'I.C. sur la possibilité de faire entendre sa voix par l'intermédiaire d'un parti réduit à une quasi-illégalité comme le K.P.D., son truchement naturel; il croyait pouvoir tourner la difficulté en jetant cette «bombe» au sein de l'U.S.P.D., empruntant ainsi «le chemin le plus court», sans se demander si cela n'entraverait pas le processus déjà difficile de formation du parti révolutionnaire mondial du prolétariat au lieu de l'accélérer: c'est précisément la méthode que nous avons toujours combattue, non par scrupule moral, mais pour des raisons de continuité et d'efficacité.

Fait notable, bien qu'ignorant cet échange épistolaire, «Il Soviet» lança dès février 1920, de concert avec l'organe communiste de la Suisse romande «Le Phare» (31), un cri d'alarme à propos de «l'entrée dans l'Internationale communiste de partis et de fractions socialistes centristes qui ont jusqu'à présent oscillé de façon déplorable entre la Deuxième et la Troisième Internationales», et pour demander qu'on fasse preuve à leur égard de la plus grande intransigeance et du plus extrême sectarisme (le terme ne nous a jamais effrayés). L'épuration ou plus exactement la scission des sections nationales était pour nous la première condition d'adhésion au Comintern et nous disions que «mieux que les tractations avec les centristes», c'étaient «les principes de Moscou» qui permettraient d'atteindre ce but. De son côté, «Le Phare» concluait: «La IIIe Internationale n'a d'ailleurs pas besoin des Indépendants allemands pour attirer à elle la masse ouvrière. L'évolution économique et la situation historique s'en chargeront elles-mêmes» (nous aurions ajouté: la fermeté dans l'organisation et la rigueur des positions programmatiques de l'Internationale).

Ainsi donc, Moscou a cru pouvoir se frayer une voie plus brève vers la victoire à la faveur des circonstances et au prix d'efforts désespérés pour encadrer des récalcitrants (32): l'histoire prouvera qu'une telle voie n'existe pas. Quand on croit l'avoir trouvée, on s'aperçoit qu'elle conduit dans une direction opposée à celle qu'on prévoyait, mais il est déjà trop tard. Après la victoire de la contre-révolution, nous avons la tâche amère de répéter que la preuve est faite.

Notes:
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  1. «Il Soviet» du 16-5-1920, en réponse au «Corriere Biellese». Voir aussi les «Thèses de la Fraction communiste abstentionniste». [back]
  2. «Schéma de thèses de la «minorité» du C.C. du PC. d'Italie» en vue de la Conférence nationale de Côme, dans «Lo Stato operaio», II, no 6, 15-5-1924, point 30. C'est sous les traits d'un singe et d'un éléphant que Boukharine avait coutume de représenter, dans les croquis qu'il faisait aux séances de l'Exécutif de l'Internationale, d'une part la position de Graziadei qui, en ce sens du moins, était considérée comme la plus «bolchevique», et d'autre part celle de Bordiga et de la Gauche «italienne». [back]
  3. Nous disons bien du K.P.D. Après la démission de Lévi de la direction de ce parti en février 1921 (il sera exclu du parti lui-même en avril de la même année) le cours «légaliste» de la section allemande de l'I.C. a fait place à un cours «aventuriste». Bela Kun (peut-être envoyé en Allemagne par l'Exécutif) insiste sur le fait qu'il est nécessaire que «les dirigeants allemands comprennent enfin que leur parti est en mesure de modifier le rapport des forces par une intervention active et qu'il est par conséquent de son devoir de peser sur la lutte des classes» (P. Broué, «Révolution en Allemagne», ch. 25, l'Action de Mars, p. 477). Brandler lui-même estime «qu'il y a 90 % de chances pour qu'on en arrive à des conflits armés (entre les bourgeoisies allemande et polonaise)» et que seule «la révolution peut faire tourner les choses autrement». Paul Frölich renchérit: «Nous devons par notre activité, tout faire pour que se produise une rupture (entre l'Entente et l'Allemagne) au besoin par une provocation (...) Ce que la Centrale propose maintenant, c'est la rupture complète avec le passé» (...) «jusqu'à maintenant, nous avions attendu et maintenant nous prenons l'initiative, nous forçons la révolution (souligné par nous)» (ibidem, p. 479 et 480). A Mansfeld, un dirigeant du K.P.D. se rallie à l'action du kaapédiste Max Hoelz. Entre les «deux» partis «communistes» (le K.A.A.P.D. a été admis dans l'I.C. comme parti «sympathisant» en novembre 1920), un accord a été conclu à Berlin sous l'égide de Bela Kun. Le K.P.D. tente d'organiser la grève générale à Hambourg, en Saxe prussienne, dans la Ruhr et participe aux actions armées de l'Allemagne centrale. Mais le gros de la classe ouvrière allemande n'a pas suivi, et le K.P.D. lui-même a été très déchiré (ibidem). Tout cela prouve en tout cas, outre la nécessitée de ne pas abandonner la tactique à des improvisations du moment, la stupidité de la légende «gauchiste» qui veut que la section allemande de l'I.C. ait été un parti purement légaliste, gradualiste et opportuniste et que tous les «vrais révolutionnaires»(?) aient été contraints par... Moscou à se réfugier dans le K.A.P.D. [back]
  4. N'est-il pas significatif que les pécheurs repentis qui avaient adhéré au parti communiste d'Italie à Livourne sans avoir encore assimilé ni la théorie, ni les principes, ni les buts, ni le programme de l'Internationale, dont ils subissaient la fascination quand elle était encore dans toute sa gloire, aient acquis une «stature internationale», comme on l'a dit de Gramsci et Togliatti, au fur et à mesure que le Komintern perdait la sienne? C'est normal puisque c'est Moscou qui les avait poussés sur le devant de la scène et qu'ils ne pouvaient que se reconnaître eux-mêmes dans les directives d'un empirisme sans bornes qu'elle leur donnait. [back]
  5. Cf. Que Faire, ch. II, c. [back]
  6. La publication du «Il Soviet» avait été suspendue le 20 octobre 1919, immédiatement après le congrès de Bologne pour permettre à la Fraction de se réorganiser. Du fait de difficultés financières imprévues, elle ne reprit que le 4 janvier 1920 (3° année, N° 1), puis se poursuivit régulièrement. [back]
  7. Dans «Les tendances au sein de la IIIe Internationale», «Il Soviet» du 23 mai 1920 écrira: «Il est évident que l'Internationale est un organe politique et ne peut comprendre que des partis politiques. Les organisations économiques pourront former l'internationale syndicale, déjà en voie de constitution, qui adhère et est subordonnée à l'Internationale politique». [back]
  8. Le communiqué diffusé le 10 novembre 1918 par les représentants des SPD. et de l'U.S.P.D. déclarait: «Le gouvernement est formé exclusivement de sociaux-démocrates qui ont tous les mêmes droits en tant que délégués du peuple (...) Le pouvoir politique réside dans les conseils des ouvriers et des soldats», dont le gouvernement n'était donc qu'un simple délégué. Mais grâce aux artisans de la «non-révolution» allemande, le congrès effectue une volte-face complète en votant le 18 décembre une motion qui proclame au contraire: «Le Congrès général des conseils des ouvriers et des soldats d'Allemagne, qui représente le pouvoir tout entier (!!!), transmet le pouvoir législatif et exécutif (donc tout le pouvoir) au Conseil des Commissaires du Peuple, tant que l'Assemblée constituante n'en aura pas décidé autrement». Il ne reste au Conseil central qu'un pouvoir de... «surveillance parlementaire» sur le gouvernement. [back]
  9. Il s'agit du célèbre conflit entre le gouvernement et la division de marine populaire (Volksmarinedivison) qui est cantonnée au château et au Marstall (écuries royales) et à laquelle les autorités refusent de verser la solde tant qu'elle n'aura pas réduit ses effectifs de 3000 à 600. Ayant évacué le château le 23 décembre, les marins se rendent à la chancellerie pour réclamer leur solde, et ne trouvant pas Ebert, «ferment les portes, bloquent le central téléphonique et marchent sur la Kommandantur»; «les forces de l'ordre» interviennent, et il y a trois morts et de nombreux blessés. La chancellerie est reprise, mais les marins se replient sur le Marstall avec des otages. Sous prétexte de délivrer ceux-ci, le Marstall est encerclé et bombardé pendant deux heures le 24 décembre au matin. «Le bruit de la canonnade a alerté les ouvriers berlinois qui se rassemblent dans les quartiers et marchent vers le centre»... «en un clin d'œil le barrage est rompu et la foule se précipite en hurlant dans le dos des cavaliers de la Garde postés devant le Marstall» (citations de «Révolution en Allemagne» de P. Broué, Ed. de Minuit). Les officiers et le gouvernement sont contraints de céder. [back]
  10. La division de marine, par exemple, s'était «jointe au défilé des spartakistes et de la Ligue des soldats rouges le 21 décembre» et c'est cette radicalisation qui détermina le gouvernement à la dissoudre. [back]
  11. La question de l'adhésion à Moscou avait fait l'objet d'un débat animé. Hilferding avait estimé que ni la tentative de Bruxelles, discréditée par l'adhésion des réformistes à la guerre impérialiste, ni celle de Moscou n'étaient des solutions satisfaisantes du problème de la reconstruction de l'Internationale, parce que l'I.C. avait «un caractère communiste, sectaire et n'avait aucune chance de regrouper les grandes masses populaires de l'Occident industriel, décisives pour la lutte socialiste». Il avait donc laissé la porte ouverte à des pourparlers avec les... deux Internationales, mises sur le même plan.
    Au nom de la gauche indépendante, Stöcker avait proposé une adhésion à Moscou, accompagnée d'un engagement à obtenir que «les partis social-révolutionnaires» (sans autre précision!) «de tous les pays» y adhèrent. Ledebour avait mis un peu d'eau dans le vinaigre d'Hilferding, en proposant les habituels pourparlers «avec toute organisation social-révolutionnaire quelle qu'elle soit, pourvu qu'elle se déclare pour l'organisation des conseils et la dictature du prolétariat». C'est une motion de compromis qui fut adoptée et nous en avons cité quelques passages. Pour montrer le sérieux de la «gauche» indépendante, il suffira de noter qu'au IIe Congrès de Moscou, Stöcker défendra «la pratique entièrement révolutionnaire de son parti», exaltera «le développement théorique» réalisé par lui depuis 1918 et promettra un rapprochement avec le K.P.D., maintenant que celui-ci s'est placé clairement sur des positions marxistes (!!)». Le même Stöcker sera en outre de ceux qui déclareront qu' «ils peuvent très bien imaginer des situations où les mesures terroristes seront inévitables», mais qu'ils ne peuvent faire de la terreur une norme de la pratique «révolutionnaire»!
    [back]
  12. Cf. 13 - «Premières tentatives de contacts internationaux». [back]
  13. Dans le même numéro, la rédaction avait ajouté à un article très critique de F. Misiano sur l'U.S.P.D. la note suivante: «Le seul point sur lequel nous soyons en désaccord avec l'auteur de cet article est la grande différence qu'il y aurait, selon lui, entre les Indépendants et les maximalistes électoralistes-unitaires italiens». [back]
  14. Elle est reproduite dans «Die kommunistische Internationale», No 9, p. 152 et suivantes. [back]
  15. Lénine, œuvres, tome 30, pp. 348-355. [back]
  16. Cf. aussi les deux articles: «La pensée du Parti indépendant allemand» et la première partie de «La situation en Allemagne et le mouvement communiste» parus dans «Il Soviet» respectivement le 25 avril et le 11 juin 1920. La géniale proposition de permettre à Kautsky et à d'autres dirigeants Indépendants de rejoindre les majoritaires au gouvernement après le putsch de Kapp, mais en les obligeant auparavant à quitter le parti, y est clouée au pilori comme elle le mérite. [back]
  17. Ce jugement fut amplement confirmé lorsqu'un an seulement après l'entrée de cette «gauche» dans le K.P.D. en décembre 1920, ses principaux dirigeants quittèrent leur nouveau parti et beaucoup plus tard, quand les comparses qui y étaient restés, les Thälmann et Cie, servirent d'hommes de main au stalinisme pour liquider le mouvement communiste international. C'est à ce titre que, quand ils auront été à leur tour frappés par le nazisme, Moscou les placera dans le panthéon des saints martyrs de la contre-révolution. [back]
  18. Cette invitation sera répétée les 27 mai, 2 juin et 15 juillet 1920, mais adressée cette fois uniquement aux membres de l'U.S.P.D., et enfin «courtoisement» acceptée (Cf. «Die kommunistische Internationale», No 12, pp. 324-26). [back]
  19. Dirigé par Humbert-Droz qui, lui aussi (mais peu importe ici), se montrera bien vite incapable de finir dans la peau d'un marxiste. [back]
  20. Que les bolcheviks aient considéré avec un optimisme excessif, quoique compréhensible pour les raisons indiquées ci-dessus, les délibérations du Congrès de Leipzig ressort clairement (entre autres) du discours de Lénine «En l'honneur de l'anniversaire de la IIIe Internationale» (Œuvre, tome 30, p. 429) disant que «même les chefs» de l'U.S.P.D. et de la S.F.I.O. «se voient contraints de reconnaître la dictature du prolétariat et le pouvoir des Soviets», «parce que les masses ouvrières, qui manifestent leur présence, les y obligent». Loin d'être «le dernier coup décisif porté à la IIe Internationale», cette reconnaissance était en réalité l'ultime moyen de la sauver, ne fût-ce que sous la forme de l'Internationale Deux et demie. [back]

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Source: «Programme Communiste», numéro 58, avril 1973

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