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TROTSKI ET LA GAUCHE COMMUNISTE ITALIENNE


Content:

Trotski et la gauche communiste italienne
La maladie des affinités
Trotski: lumières et ombres
Un faux grossier
Le prétendu léninisme de Gramsci
Populisme démocratique gramscien
La Gauche italienne, Trotski et les épigones
La question espagnole
La Gauche italienne dans l’émigration
De la Tour de Babel contemporaine aux lumières de 1917–20
Notes
Source


Trotski et la gauche communiste italienne

L’offensive contre ce qu’on appelle le «bordighisme», c’est-à-dire contre la revendication intégrale du marxisme comme corps de doctrine invariant, comme theorie scientifique de la, révolution prolétarienne née d’une vision globale, matérialiste et dialectique du monde, ne date pas d’aujourd’hui. Forte de l’expérience qu’elle a acquise dans un pays de démocratie capitaliste développé, la Gauche «italienne» défend depuis plus d’un demi-siècle le patrimoine théorique sans lequel ni le parti ni la classe prolétarienne ne peuvent vivre et dont elle est le seul courant a avoir une comréhension correcte. C’est ainsi qu’elle a constamment souligné qu’entre tactique et stratégie, Il existait un rapport dialectique qui devait être scientifiquement saisi, ce qui a évité de faire la moindre concession aux fétiches bourgeois combien usés de la Liberté et de la Démocratie. C’est précisément pour cette raison que les tendances de toutes nuances qui réduisent Marx et ses disciples à des icônes barbues inoffensives et qui se disputent la prééminence dans le développement de la doctrine marxiste s’acharnent unanimement contre la Gauche, qu’en fonction de leur personnalisme pernicieux, elles réduisent d’ailleurs à l’activité théorique et pratique d’un «grand personnage», Amadeo Bordiga, comme Il convient à des gens qui se placent sur le terrain contre-révolutionnaire de la «culture» et de l’éducation.

Cela explique également qu’après avoir observé à notre égard, pauvres «fossiles» que nous sommes, un silence dédaigneux et suffisant, tous nos adversaires soient passés à l’attaque ouverte, au dénigrement explicite, tout comme au temps de la chasse stalinienne aux sorcières «trotsko-bordighistes», lorsque le «communisme» officiel dénonçait l’internationalisme prolétarien comme une… «propagande de la Gestapo». Et ces adversaires ne sont plus tellement les vieux scélérats asservis aux bourreaux de Moscou qui ont assassiné les bolcheviks en les présentant comme «politiquement dépassés», quand ils ne les accusaient pas d’être directement payés par Hitler ou par le Mikado. C’est plutôt la soi-disant extrême-gauche extra-parlementaire (ce qui ne veut pas forcément dire anti-parlementaire) tout naturellement engendrée par les multiples courants petits-bourgeois immédiatistes, spontanéistes et libertaires dans lesquels s’est cristallisée la critique démocratique et individualiste de la social-démocratie, du stalinisme et des manifestations du capitaliste sénile qu’avec son anti-fascisme inévitable, elle a décorées des qualificatifs ronflants de «totalitarisme», «bureaucratisme», etc…

Ces mouvements petits-bourgeois font généralement partie des «amis de Moscou» et hésitent aujourd’hui encore entre l’apologie du stakhanovisme et celle du «socialisme sucrier» des Caraïbes. Ils regardent avec sympathie ou vont jusqu’à qualifier de «socialiste» l’accumulation primitive du capital dans les zones arriérées, comme par exemple la Chine. Ils font donc directement ou indirectement l’apologie du capitalisme, tout en refusant ou contestant ses ultimes conséquences inévitables. Loin d’être un hasard, cela découle de l’idéalisme et du velléitarisme typiques des classes moyennes auxquelles l’Histoire ne laisse aucun rôle autonome. Qu’elle soit prise dans l’acception populiste radicale et jacobinisante propre à la phase initiale d’accumulation du capital, ou au contraire dans son acception parlementaire et corporativo-fasciste, la Démocratie est une forme spécifique de l’inter-classisme et donc de l’anti-communisme. Or c’est bien elle que l’on trouve dans toutes les théories de ces «gauchistes» qui, bien que professant leur foi dans la classe ouvrière et le communisme, ne voient dans la classe qu’une entité sociologique et refusent donc de la considérer de façon dialectique et matérialiste dans sa fonction historique. Voilà pourquoi lesdits «gauchistes» acceptent en fait l’idée de l’unité populaire en même temps que la pluralité des intérêts immédiats et locaux au sein même du prolétariat. Ces deux positions typiquement contre-révolutionnaire renaissent continuellement au cours du développement de la société bourgeoise chaque fois que le parti révolutionnaire unitaire et international fait défaut, et ce dernier ne ressuscite qu’à condition d’exprimer le programme immuable de la révolution prolétarienne, mission historique de la classe ouvrière.

La maladie des affinités

Ce qui est en question ici, c’est l’ABC du communisme. Du «Manifeste» à «Que Faire?»; des grandes polémiques de Lénine et Trotski contre Kautsky aux «Thèses de Rome»[1], le marxisme, du fait de sa conception particulière du déterminisme dialectico-matérialiste, considère le problème du Parti comme le problème fondamental, comme le point d’appui de la praxis révolutionnaire (le fameux renversement de la praxis, généralement si mal compris). Le fait que des maîtres de la doctrine et de l’action révolutionnaires tels que Trotski et Rosa Luxembourg, par exemple, ainsi que des groupes militants de la valeur du Spartakusbund se soient éloignés de cette façon de poser le problème n’est certainement pas de nature à infirmer le marxisme aux yeux des communistes authentiques qui ne se laissent pas influencer par le prestige et le mérite de tel ou tel militant, de telle ou telle organisation parce qu’ils savent bien que la valeur des militants et des groupes se ramène à leur capacité de se faire les porte-parole du programme communiste. Or ce programme est issu de l’exaspération des contradictions capitalistes et non des élucubrations d’un quelconque cerveau, aussi génial fût-il, ni même d’un cénacle ou d’un groupe de combat aussi généreux qu’on voudra.

Malgré leurs prétendues audaces théoriques, les discussions d’aujourd’hui continuent à suivre les voies immuables du révisionnisme, dans ce sens qu’elles continuent à «remettre en question» précisément tout ce qui caractérise le marxisme comme doctrine révolutionnaire scientifique qui s’oppose tant à l’utopisme qu’au sociologisme bourgeois. Or en politique, ce qui caractérise le marxisme c’est la nécessité du Parti et de la Dictature, et l’opposition aux «immortels principes» de l’idéalisme bourgeois. Et en théorie, c’est le matérialisme dialectique, c’est-à-dire le déterminisme et la conception «catastrophiste» de l’histoire.

Qu’elles le veuillent ou non, ces tendances commencent maintenant à donner un nom à leur adversaire de toujours. Médiocres imitatrices d’un opportunisme aussi vieux que le mouvement ouvrier, elles se rendent compte d’un fait historiquement établi: à travers l’effroyable succession de défaites et de mystifications auxquelles le prolétariat a été et continue à être soumis, un petit noyau de militants a su tenir ferme, indifférent aux persécutions tant morales que physiques, et suivre son chemin, déjà tracé par le programme immuable de la révolution, en laissant dire les gens, même quand ils étaient d’illustres représentants du mouvement ouvrier comme Léon Trotski et Nicolas Boukharine Ce noyau de militants n’a pas, pour obtenir d’être reconnu ou réhabilité, à étaler ses mérites historiques devant les responsables et les profiteurs de la défaite prolétarienne, et encore moins devant les tribunaux «impartiaux» de soi-disant «spécialistes honnêtes»[2], qui ne sont jamais que des apologistes du capitalisme, de quelque couleur qu’il soit. L’œuvre des révolutionnaires se mesure avec une aune exactement opposée à celle qu’utilisent les fervents des «valeurs» reconnues et proclamées éternelles. Le futur révolutionnaire communiste de l’avenir reconnaîtra non seulement qu’Un Tel «avait raison», mais que des forces anonymes constituées par des militants attachés au programme communistes sont restées obstinément fidèles à l’orientation marxiste même au plus fort de la contre-révolution et pendant la période de la plus terrible stagnation de la lutte prolétarienne, résistant à toutes les suggestions qui auraient pu les inciter à suivre le courant, à tomber dans l’éclectisme, dans les manœuvres volontaristes ou encore dans un attentisme fataliste.

Si les capitulards d’hier et d’aujourd’hui nous approuvaient, s’ils trouvaient chez nous une plate-forme sur laquelle ils pourraient se placer, bref si leur manie des blocs les rapprochaient de nous qui avons toujours dénoncé, le cancer du frontisme, ce serait très mauvais signe, mais ce n’est heureusement pas le cas.

Dans toutes les situations contre-révolutionnaires comme celle d’aujourd’hui on a périodiquement vu refleurir la tentation des coalitions, et l’expérience passée n’est pas inutile puisqu’elle montre comment le mouvement communiste a toujours su réagir avec la plus extrême intransigeance contre ce genre de tentation dont il faut fermement se garder parce qu’elle pousserait le Parti à abdiquer sa mission et sa raison d’être.

La «valeur de l’isolement» est une vieille thèse de la Gauche italienne qui sut rester seule tout comme à leur époque Marx et Engels, conscients de représenter à eux seuls le parti historique du prolétariat, tout comme a la sienne Lénine dont le camarade Ioffé, contraint au suicide par les persécutions staliniennes, rappelait significativement dans sa lettre d’adieu
«l’inflexibilité, la décision de continuer si nécessaire tout seul l’œuvre commencée, et de ne pas dévier, certain que l’avenir reconnaîtrait la justesse de sa voie». Invité par cette même lettre à «ne pas craindre d’être abandonné par beaucoup et de ne pas être suivi aussi vite que nous voudrions»,
Trotski ne sut, hélas, pas comprendre toute la portée du message de Ioffé, au grand dam de la cause communiste. Et pourtant, Trotski n’avait-il pas lui-même enseigné qu’aussi paradoxal que cela puisse sembler aux orateurs opportunistes cherchant les effets faciles: dans leurs discours du dimanche, le trait distinctif de l’opportunisme est, dans un certain sens, l’impatience? Affligé de la manie du «concrétisme» et de l’obsession idéaliste et volontariste d’influer en toutes circonstances sur le réel, l’immédiatisme s’asservit totalement à la réalité massive du moment, même et surtout quand cette réalité va se dégradant sans pour autant devenir plus rationnelle parce qu’elle est minée par le travail souterrain, mais inévitable, de la vieille taupe de la révolution qui prépare l’explosion d’une réalité nouvelle.

Ce sont précisément les immédiatistes qui, prêtant main forte aux représentants les plus sérieux du culturalisme «de gauche» crient le plus fort dans la campagne «anti-bordighiste» menée par la Sainte-Alliance sordide qui ferait regretter les Stirner et les Proudhon et dans laquelle on voit se coaliser les staliniens et les «déstalinisateurs», de vieilles canailles du Komintern dégénéré comme le révérend Humbert-Droz et des intellectuels snobs de toute espèce, des aventuriers de l’intelligentsia philosophiante, des social-patriotes déclarés, des Trotskistes ayant mal tourné, adulateurs de Mao, de Che Guevara, Rudi Dutschke, Cohn Bendit et consorts.

Les Trotskistes sont devenus des agents tout particulièrement zélés de cette campagne, et avec leur éclectisme habituel, ils rassemblent tous les arguments imaginables pour une virulente offensive contre nous qui contraste avec le ton de «dialogue serein entre camarades» dont ils ont coutume d’user dans leurs tortueux travaux d’approche avec les héritiers de Staline, bourreau du bolchévisme et assassin de Trotski lui-même, avec les tenants de l’Internationale Deux et Demi du fétide Bauer ou même avec ceux qui brandissent le drapeau noir de la malheureuse Vendée de Cronstadt sur laquelle le Trotski que nous revendiquons n’hésita pourtant pas à abattre l’impitoyable épée révolutionnaire, comme les bolchevicks n’avaient pas hésité à faire briser par la. Tchéka les menées contre-révolutionnaires des «populistes» ou des «libertaires» alliés de l’impérialisme dans l’extermination des militants communistes.

Trotski: lumières et ombres

Ce n’est ni d’aujourd’hui ni d’hier que les Trotskistes ont rompu avec tout ce qui se rattache de près ou de loin à la tradition révolutionnaire, et ils ont réalisé avec le sang de Trotski le même trafic que la prêtraille avec le révolutionnaire galiléen d’il y a deux mille ans. Point n’est besoin d’études nouvelles pour établir que Trotski lui-même a, malheureusement, accueilli des éléments étrangers au marxisme dans les plate-formes de lutte successives et souvent contradictoires qu’il a établies contre le stalinisme après la précoce disparition de Lénine, tout comme lorsqu’avant l’Octobre rouge Il agissait sans Lénine et contre lui. C’est ainsi qu’il alla jusqu’à opposer de diverses manières la démocratie au totalitarisme, à adhérer au second conflit impérialiste sous le prétexte de défendre l’U.R.S.S. et de combattre le fascisme[3] et jusqu’à admettre que la démocratie puisse être nécessaire pour corriger et tempérer des excès politiques sur la base d’un socialisme économique, fut-il embryonnaire[4]. Quelque déplaisir que cela puisse causer, on ne peut donc se contenter de dire que les épigones de Trotski ont «trahi» leur maître, bien que ce soit vrai. Si l’on est un marxiste et non un chercheur sentimental de «héros» et de «modèles», il faut aussi reconnaître que dans la mesure où on peut parler de «Trotskisme», c’est-à-dire dans la mesure où existe une pensée de Trotski distincte du marxisme tel que l’ont élaboré les fondateurs du socialisme scientifique et tel que Lénine l’a restauré contre les sociaux-démocrates, un élément aberrant s’est glissé dans cette pensée qui, rigoureusement développé, devait conduire à des déviations sur des points fondamentaux. Et ce n’est pas un hasard si, au moins en partie, la façon fausse dont la IIIe Internationale a posé les questions tactiques a contribué à la formation de cet élément aberrant, façon imposée par l’influence importante que le social-démocratisme exerçait encore à peu d’exceptions près sur la gauche du mouvement ouvrier agissant dans l’aire décisive des pays capitalistes avancés.

Trotski lui-même a déploré la très mauvaise qualité des sections de sa IVe Internationale dans laquelle s’était regroupée toute une racaille de pseudo-intellectuels épouvantés par les divers totalitarismes. Mais ce fait lui-même jette une lumière révélatrice sur la nature des tactiques «intermédiaires», de la maladie des mots d’ordre «transitoires» et enfin du démocratisme qui avaient rendus possibles de tels phénomènes, à condition bien entendu d’en faire une analyse matérialiste et non pas une chronique mesquine. Pour défendre la tradition révolutionnaire du marxisme, le chef de l’Armée Rouge a conduit de magnifiques et terribles batailles aussi bien à sa table de polémiste dans son train blindé qu’à cheval, revolver au poing face aux tanks démocratiques qui visaient au cœur la Russie des Soviets. Si ses épigones avaient jamais été sincèrement dévoués à cette tradition, ils ne pourraient pas nourrir contre les «dogmatiques», les «talmudistes» que nous sommes la haine exaspérée et véritablement stalinienne jusque dans les formes qu’ils nous témoignent. De tels retournements de position peuvent bien se produire dans des cas individuels d’ailleurs peu fréquents, mais ils sont impossibles de la part d’un appareil international de cadres. Il faut donc que le vice soit profond, comme cela apparaît d’ailleurs dans le titre douteux de «Trotskistes» que Trotski lui-même repoussa continuellement de façon expresse, même lorsqu’il revendiquait la paternité du développement de théorie de la révolution permanente et affirmait, contre l’évidence historique, que Lénine s’était «converti» en avril 1917 à la vision qu’il avait exposée dans son pamphlet de 1905 «Bilan et Perspectives». Car qu’est-ce que le Trotskisme, si ce n’est le lien qui rattache le Trotski d’après Lénine à celui d’avant 1917 qui fut en majeure partie anti-Lénine[5], lien que Trotski tantôt nie tantôt revendique?

Un faux grossier

C’est dans cette perspective marxiste qu’il faut considérer un libelle comme «Trotski et le communisme italien» de l’Italien Silviero Corvisieri (Rome 1969) qui reprend l’argumentation des précédents essais d’un autre Italien, Livio Maitan, parmi lesquels «Actualité de Gramsci et politique communiste», dans l’intention de faire coïncider Trotskisme et gramscisme et qui n’hésite pas à assimiler la lutte de l’Opposition de Gauche contre le stalinisme en Russie à celle de Gramsci et des ex-ordinovistes contre la gauche marxiste et «italienne» ou «bordighiste». Même s’il se trouve des militants «français» au point de considérer que cette polémique ne les concerne pas, nous ne jugeons pas inutile de réfuter une thèse aussi mensongère et absurde puisqu’elle contribue à fausser la juste compréhension du passé du mouvement international du prolétariat dont le mouvement français n’est qu’une partie.

Pour le Trotskiste d’opérette Corvisieri, les «bordighistes» auraient, tout comme les staliniens, ignorés que le problème de fond était celui de la démocratie, tant comme régime intérieur du parti (centralisme démocratique) que comme moment de développement social intermédiaire entre capitalisme et socialisme.. Cette dernière conception part de l’idée que la démocratie est un élément commun au capitalisme et au socialisme, avec cette différence qu’elle est purement formelle dans le premier, tandis qu’elle est l’essence même du second: ici, le «programme de transition» et les réminiscences luxembourgistes rejoignent les mystifications du renégat Kautsky! A ces «historicistes absolus» admirateurs de Gramsci, il ne vient même pas à l’esprit d’… historiciser[6] la démocratie et par conséquent de considérer les conditions qui légitiment et imposent le recours du mécanisme démocratique à l’intérieur du parti ou les mots d’ordre démocratiques dans la lutte sociale, ce qui les conduirait à conclure que ces conditions résident dans l’immaturité de la société pour une révolution socialiste pure.

Dans cette conception, comme déjà dans certaines affirmations de Trotski. la «révolution permanente» perd la signification qu’elle avait chez Marx de révolution double – c’est-à-dire de révolution à la fois démocratique et socialiste, bourgeoise et prolétarienne – pour devenir synonyme de révolution en général, si bien que la révolution socialiste y apparaît absurdement comme une révolution également démocratique dans son élan initial même dans les conditions du capitalisme avancé des métropoles impérialistes. C’est cette extension grossière du schéma de la révolution russe à l’Occident que l’ouvriériste et concrétiste Gramsci proposait comme un modèle que la volonté hégémonique et démiurgique du Parti devait réaliser, non sans l’avoir auparavant présentée comme une preuve de l’inanité du «Capital» et de toute la doctrine marxiste. C’est ici le lieu de rappeler que ce sont justement ceux qui donnaient la Russie en. modèle et voulaient généraliser partout la transcroissance (expression de Lénine) de la révolution démocratique bourgeoise en révolution socialiste qui y avait été nécessaire[7] qui refusaient et refusent encore de reconnaître les caractéristiques universelles du pouvoir prolétarien énumérées par Lénine par exemple dans sa «Maladie infantile du communisme» et qui sont la terreur, la dictature du parti, l’exclusion absolue des blocs. Ces caractéristiques étaient déjà présentes dans la double révolution de Russie, mais il est évident qu’elles seraient réapparus à plus forte raison encore dans l’Occident capitaliste où la révolution doit être purement socialiste et où la dictature doit donc reposer non plus sur une alliance du prolétariat et de la paysannerie, mais sur le seul prolétariat. Dans son magnifique «Terrorisme et Communisme» que les «trotskologues» payés à tant la ligne ignorent presque systématiquement, Trotski lui-même a démontré que si un bloc entre bolcheviks et socialistes-révolutionnaires ou mencheviks de gauche avait été impossible en Russie même sur des objectifs partiels, il devait être non seulement impraticable, mais mortel en Occident, car si en Russie la révolution poursuivait des objectifs démocratiques dans le domaine économique, en Occident elle aurait pris un caractère exclusivement prolétarien et socialiste même dans ce domaine.

Indubitablement, si l’Internationale communiste a suivi une ligne politique de nature à aggraver les difficultés déjà, terribles que rencontrait la révolution mondiale, c’est pour un ensemble de causes objectives. La première réside dans son origine même, c’est-à-dire dans le fait qu’elle inclut des «ailes» entières de la Seconde Internationale infectée de la pire forme d’opportunisme qui, selon Lénine, était le centrisme maximaliste. C’est ensuite la déformation des rapports entre les différentes sections qui en résulta et qui consiste en ce que ce fut justement la section russe qui se trouva à la tête de la IIIe Internationale alors que, selon Lénine encore, la révolution russe serait apparue comme une révolution «arriérée» si le prolétariat avait pris le pouvoir en Occident. Or en Russie les forces de l’accumulation primitive devaient nécessairement monter avec la puissance d’une marée sans que le parti bolchevique puisse les contrôler, soit parce qu’il avait été terriblement éprouvé par la guerre civile, soit parce qu’il n’était pas soutenu, mais au contraire poussé à des déviations par les sections étrangères qui dès l’origine étaient pour la plupart politiquement corrompues, et de toutes façons paralysé par la stagnation du mouvement prolétarien mondial. C’est en raison de toutes ces circonstances que l’Internationale se trouva dominée par un parti qui s’appuyait non pas sur une seule, mais désormais sur deux classes, le prolétariat et la paysannerie petite-bourgeoise, et qu’elle élabora donc une ligne politique reflétant les contradictions mortelles de cette dernière. Une fois la contre-révolution consommée en Russie, cela la conduira à devenir un frein à la révolution mondiale et un moyen de sabotage contre elle (qu’on songe à la Chine de 1927!), et c’est précisément cette contre-révolution qui sera en dernière analyse responsable de cette fatale évolution et qui en bénéficiera. Du fait de leur isolement, les bolchevicks ne purent pas résister à la pression matérielle de la situation russe, c’est-à-dire contrôler dans l’intérêt du prolétariat l’accumulation capitaliste qui ne pouvait manquer de se produire dans leur pays; mais avant même d’être conduite à sa perte par la contre-révolution intérieure, l’Internationale dirigée par le P.C.U.S. donna les premiers signes de fléchissement qui ont consisté dans la politique du front unique et dans une attitude pleine d’espoir à l’égard de la social-démocratie et de la démocratie en général.

L’investiture donnée par Moscou au groupe ordinoviste dirigé par Gramsci et Togliatti alors que la majorité du Parti communiste d’Italie suivait encore la Gauche dirigée par Bordiga, l’épisode grotesque de la récupération de quelques «terzini»[8] au prix de contorstions dues au fait que le parti n’était pas comme en France un agrégat de fractions social-démocrates et syndicalistes-révolutionnaires, mais avait une saine origine marxiste – tous ces faits témoignent de la responsabilité de la direction dans la dégénérescence de l’I.C. qu’il serait mesquin et contraire à la vérité historique de faire retomber sur les épaules du seul Zinoviev. En effet comme représentant de premier plan de l’I.C. et du Parti bolchevique Trotski en personne prit une part importante et bien connue dans l’élaboration et la diffusion de la tactique du front unique et dans la formulation des «mots d’ordre démocratiques» et des «objectifs intermédiaires» qui constituèrent par la suite la substance de son fameux «programme de transition». La logique de ce programme s’appuie sur une erreur fondamentale de théorie et de méthode et elle correspond en substance à une déviation idéaliste estimant que c’est la connaissance, l’intuition ou, pis, la persuasion qui mobilisent les masses, et non des nécessités objectives inconscientes, les seules en réalité à pouvoir assurer la rencontre du mouvement réel avec l’élément subjectif, c’est-à-dire avec le parti détenteur du programme communiste et la domination du second au sein du premier qui prend ainsi la physionomie et le sens en accord avec la tâche historique à remplir. Cette conception est indubitablement une synthèse des manœuvres tactiques que l’Internationale Communiste a d’abord acceptées, puis préconisées, pendant toute l’époque des quatre premiers Congrès (1919–1923), mais surtout lors du troisième et du quatrième (1921–1922) que Trotski revendiqua intégralement, et cette synthèse s’est. accompagnée de la réaffirmation de quelques thèses démocratiques à l’usage interne du parti prolétarien. Et si à la différence de la Gauche «italienne», Trotski revendiqua toujours la totalité des thèses des troisième et quatrième Congrès, c’est que celles-ci se rattachaient à la lutte récente qu’il avait conduite contre Staline, malheureusement sur le même terrain que lui (démocratie dans le parti, consultation de la base, etc…) ou encore, non pas avec l’action théorique et pratique consignée dans des textes admirables comme «Terrorisme et Communisme», «Les Enseignements de la Commune de Paris» et quelques écrits militaires comme ceux sur «L’Armée permanente et la Milice» etc…, mais avec les vieilles positions d’avant Octobre qu’il avait lui-même répudiées.

Le fait d’avoir proposé le front unique a eu sa conséquence logique dans l’appréciation que Trotski donna de la politique qu’on dirait aujourd’hui «gauchiste» de la «troisième période» de l’I. C.[9] et des événements espagnols de 1934–39, mais elle devait énormément affaiblir sa lutte contre la prétendue «bolchévisation» qui appliqua contre l’Opposition russe les mêmes critères tactiques que ceux qu’il avait défendus contre la Gauche «italienne». La chose est particulièrement évidente pour des marxistes (et non, cela va de soi, pour des Corvisieri et Cie) à propos de l’Italie où l’éviction de la direction de gauche que Trotski avait facilitée et même désirée toujours au nom du «front unique» eut lieu bien avant la fausse «bolchévisation» qui le frappa lui-même en Russie et préluda à la chasse aux sorcières qui suivit l’inféodation de l’Internationale au stalinisme, comme Trotski le constatera trop tard dans son exil de Constantinople où, le 27 mars 1929, il écrira:
«Après la mort de Lénine, presque tous les participants aux quatre premiers Congrès, et en tous cas, tous les participants influents furent exclus de l’Internationale communiste… Cette lutte rageuse contre la direction communiste était nécessaire aux staliniens pour réaliser une politique anti-léniniste» («Écrits 1928–40», Paris, 1955, volume I, p. 58).

Pour apporter de l’eau a son moulin, Corvisieri exagère donc évidemment lorsqu’à propos de l’Exécutif élargi de juin 1922 il parle du pilonnage auquel Gramsci
«fut soumis à Moscou sur l’initiative de divers dirigeants et en particulier de Trotski, afin qu’il retouche les thèmes favoris de l’ordinovisme à la lumière de l’expérience léninienne» (texte cité, p 19).
Il tombe dans un ridicule encore plus grand lorsqu’il écrit avec un aplomb incomparable qu’il est
«juste d’attribuer à l’originalité et à la force de la pensée gramscienne la source la plus riche de l’argumentation anti-bordighiste» (nous y reviendrons), mais il n’a pas tort d’affirmer (p. 22 du même texte) que, «s’il est juste de considérer que Gramsci serait entré dans tous les cas en conflit avec Bordiga, il est cependant juste de rendre à César ce qui est à César, c’est-à-dire ce qui appartient à l’Internationale et à Trotski».
C’est bien ce que nous disons, précisément!

Le prétendu léninisme de Gramsci

Sous la pression du centrisme logé dès le début dans ses partis-membres (à commencer par le Parti allemand, dont l’importance est décisive) et qu’aggrave la stagnation du mouvement révolutionnaire européen, l’internationale s’engagea sur une pente dont on vit bientôt qu’elle devait fatalement la conduire à l’abandon total des buts révolutionnaires en écartant la direction de gauche qui avait fondé le Parti communiste d’Italie pour la remplacer par le groupe de l’Ordine nuovo de Gramsci et Togliatti. Ce groupe présentait en effet une physionomie nettement centriste (au sens social-démocrate) et il était lié aux débris du maximalisme lâche et bavard de Serrati. En dépit de la sotte légende sur le «léninisme» des ordinovistes, ce groupe tirait en outre son origine d’une expérience intellectuelle tout à fait étrangère au programme marxiste de la dictature du prolétariat et à la conception marxiste du parti, qu’il remplaçait tous deux par un gradualisme éducationniste et spontanéiste et par une version modernisée du mutualisme proudhonien. La preuve décisive de cette orientation contre-révolutionnaire de l’Internationale fut donnée par la manière dont cette direction italienne, comme toutes les directions nouvellement installées par Moscou à la tête des divers partis, se rangea sous le drapeau du stalinisme, accord qui ne fut suivi que beaucoup plus tard de certains désaccords individuels qui n’avaient d’ailleurs aucun caractère prolétarien, mais étaient au contraire de nature démocratique et social-démocratique.

Il est certain que les dirigeants de l’Internationale pré-stalinienne – Trotski y compris – ont eux-mêmes creusé la fosse dans laquelle le Parti bolchevique et ses meilleurs militants devaient finalement être précipités, non pas par le fulgurant Bonaparte que certains redoutaient et croyaient reconnaître dans le fondateur de l’Armée Rouge, mais par un second «Napoléon le Petit», Staline, le terne organisateur géorgien.

Les événements ont donc démenti la conviction de Trotski qui croyait grâce au filtre des «conditions d’admission», que l’Internationale communiste avait déjà «bolchevisé» pour de bon ses partis-membres en en éliminant tous les éléments opportunistes. Par malheur, la trame du filtre était beaucoup trop grossière, et l’Internationale, qui aurait dû être un Parti communiste mondial unique, ne fut guère qu’une fédération de partis passablement disparates. En réalité, ses dirigeants, et Trotski lui-même, ont toléré et même favorisé plus ou moins consciemment les courants opportunistes dans l’espoir illusoire qu’ils s’adapteraient «automatiquement» à une situation révolutionnaire sous la pression des événements et grâce à la spontanéité des masses. Or une fois parvenus à la direction des Partis communistes occidentaux, ces courants acceptèrent en bloc le nouveau cours contre-révolutionnaire imprimé par Moscou à l’Internationale et ils en assurèrent l’universalisation qui, sans eux, n’aurait pas été possible, continuant l’œuvre de diversion et de perversion des énergies prolétariennes accomplies antérieurement à la perfection par la droite social-démocrate et par le centrisme maximaliste (en Allemagne, les «Indépendants»).

Pour revenir à nos moutons, il est nécessaire de faire la différence qui s’impose entre un Trotski et un Gramsci, et également entre des Zinoviev, Kamenev, Boukharine et un Gramsci. Gramsci en effet est un représentant de l’opportunisme petit-bourgeois qui se trouve résumer dans sa pensée toutes les déviations possibles et imaginables, de Proudhon à Bakounine et de Lassalle à Bernstein: gradualisme, éducationnisme, propension aux blocs nationaux-populaires, ouvriérisme spontanéiste et libertaire, socialisme d’entreprise et corporatiste. Par contre, les militants russes plus haut cités sont les représentants d’un parti marxiste auxquels leurs fatales erreurs n’enlèvent rien de leur valeur et de leur grandeur historique, pas plus que les concessions et les capitulations auxquelles ils furent amenés n’empêchent qu’ils étaient des révolutionnaires que les staliniens, héritiers des bourreaux social-impérialistes d’Allemagne et d’ailleurs, durent supprimer physiquement, mais ne purent amener à renier la Révolution.

Le léninisme de Gramsci n’a jamais été qu’une invention stalinienne, et toute l’histoire réelle s’inscrit en faux contre la prétention des Maitan, Corvisieri et consorts de ressusciter cette légende morte. Pourtant, leurs tentatives grotesques ne s’arrêtent pas là, et dans leurs buts ils n’hésitent pas à atténuer les termes dans lesquels Gramsci attaqua la conception internationaliste de la révolution défendue par Trotski désormais vaincu, attaque dans laquelle il fit preuve d’une prodigieuse quoique savante ignorance et aussi d’une bonne dose de mauvaise foi[10].

Il est vrai par contre que, dans ses terribles glissades anti-fascistes, à propos notamment de la troisième période, Trotski en est venu à, partager certaines conceptions gramsciennes. sans pourtant aller jusqu’à l’apologie de ce «bloc historique national-populaire», sur lequel même le gauchiste le plus mou pourrait aujourd’hui ironiser[11].

Le fait que cela ait pu se produire prouve seulement ce que nous avons toujours dit: parti comme Rosa Luxembourg de prémisses erronées, Trotski.a su les corriger et, dans le feu de la guerre des classes, défendre non seulement pratiquement mais théoriquement l’orthodoxie marxiste avec une force exceptionnelle, ce qui n’a d’ailleurs pas empêché chez lui des retours de flamme en contradiction évidente avec ses affirmations précédentes. Ce n’est pas du tout le cas de Gramsci. Comme disait Lénine,
«on peut comprendre que les aigles descendent au niveau des poules, mais les poules ne peuvent jamais atteindre les hauteurs où planent les aigles» (L’aigle étant ici Léon Trotski).

Cela dit, négligeant la simple chronique si chère aux «historiographes», on peut tirer au clair l’attitude prise par Trotski dans son affrontement avec la Gauche italienne, et en particulier le soutien qu’il accorda au groupe des «Trois» (TressoLeonettiRavazzoli) qui constitua la soi-disant «Nouvelle Opposition italienne» (NOI) et qui, avant de se désagréger, fit partie de l’Opposition internationale Trotskiste, qui présentait déjà les caractéristiques d’hétérogénéité et d’éclectisme que l’on retrouvera plus tard dans la Ive Internationale.

De ces trois, deux finirent dans la fange social-démocrate et stalinienne, tandis que le troisième (en l’occurence Leonetti) est récemment entré dans les rangs des historiographes sur commande. Cela n’empêche pas Corvisieri d’essayer d’établir une continuité entre Trotski et Gramsci par l’intermédiaire de ce groupe dans son essai sur «Trotski et le communisme italien», et il manque à ce point du plus élémentaire sens du ridicule que, dans ce but, il décerne sans vergogne un certificat d’anti-stalinisme à la bolchévisation! Toutes ces déformations de l’histoire réelle pour conclure que les positions de Trotski étant différentes de celles de la Gauche Italienne sur la question du front unique (belle découverte!), elles coïncident nécessairement avec celles de… Gramsci: qu’on admire cette logique! C’est ainsi que l’analyse du Trotskiste de service vient coïncider avec celles des charlatans du cirque national-stalinien selon lesquelles le «léninisme» aurait été introduit dans le Parti Communiste d’Italie par le courant gramscien alors qu’au moment de la scission des communistes d’avec les sociaux-démocrates à Livourne (janvier 1921), le courant de l’Ordine nuovo venait tout juste de se débarrasser de son interventisme, de son hostilité à la forme Parti et de ses sympathies pour le maximaliste centriste, ennemi de la scission avec la droite social-démocrate!

Populisme démocratique gramscien

Pour défendre sa thèse, notre historiographe fait flèche de tout bois et il n’hésite pas à paraphraser des expressions désavouées par la suite par leur auteur lui-même empruntées à «Nos tâches politiques» (Genève 1904) de Trotski pour apparenter le «bordighisme» au stalinisme en les présentant tous deux comme des courants inspirés par «le substitutionnisme», c’est-à-dire par la manie de substituer le Parti à la classe. Certes Lénine, et davantage encore Trotski, ont affirmé des choses discutables sur la «conquête de la majorité»; mais dans toutes leurs œuvres, (dans le «Que Faire?» de Lénine et, pour Trotski, dans les œuvres postérieures à 1917), on trouve cette idée (déjà claire dans le «Manifeste» de 1848) que c’est le Parti qui confère à la classe son existence authentique et en fait une force agissante de l’histoire, «un être en soi et pour soi». Il est vrai que Trotski a été partisan du front unique et que cela constituait une très grave erreur tactique (dont Lénine avait annoncé lui-même par avance les funestes conséquences pour la Hongrie) dont on pouvait déjà, mesurer les effets désastreux en Europe centrale à la veille du IIIe Congrès de l’I.C., mais cette tactique était encore bien loin de signifier une révision de la conception marxiste du Parti combattue par les spontanéistes, les communistes de conseil (PannekoekGorterKorsch – les I.W.W des U.S.A. et leurs semblables) et les ordinovistes. Elle sera de même foulée aux pieds plus tard par le stalinisme qui n’a pas été autre chose que l’épuisement et par conséquent la destruction du Parti par sa subordination aux exigences de l’État et de l’accumulation nationale de l’UR.S.S., dont la direction et le contrôle auraient en réalité dû être assurés par le Parti. C’est grâce à cette subordination que le Parti fut progressivement vidé de son contenu, c’est-à-dire de son programme, bien avant même d’être supprimé formellement comme cela se produisit quand Staline procéda à la dissolution du Komintern en hommage aux démocraties impérialistes avec lesquelles l’U.R.S.S. était désormais alliée.[12]

Avec un manque de principes digne d’un historiographe, Corvisieri n’hésite pas à se réclamer du «désaccord de Trotski avec Lénine lui-même avant 1917» pour avaliser quelques phrases banales et générales de Gramsci sur le caractère imprévisible du processus révolutionnaire (ce qui revient à envoyer au diable la doctrine marxiste, comme, dans son anti-marxisme viscéral, Gramsci le souhaitait d’ailleurs lui qui voyait dans l’Octobre russe «la révolution contre ‹Le Capital› de Karl Marx») et sur le suivisme à l’égard des masses théorisé comme règle d’un parti exerçant une hégémonie fondée sur le consensus de ces mêmes masses. «Le mouvement spontané des masses révolutionnaires», voilà le fantôme devant lequel s’inclinait Gramsci qui ne démontrait pas (lui, le philologue!) comment les masses peuvent être définies en soi comme «révolutionnaires» sans le Parti, c’est-à-dire sans le programme, qui d’autre part, se réduit pour Gramsci à la «conception officielle». Ce que Gramsci raille, c’est bel et bien la théorie marxienne de la rencontre entre le mouvement revendicatif de la classe et la conscience incarnée dans le Parti, dans une situation de crise révolutionnaire, mais toute son ironie ne suffit pas à expliquer comment la convergence dialectique entre la classe ouvrière et le programme communiste serait objectivement possible autrement. Cela n’est pas mal de la part d’un concrétiste, et cela démontre combien peu il avait analysé le «modèle» d’Octobre qu’il prétendait avoir en permanence sous les yeux. mais dont il ne retenait en réalité que les aspects populaires et antiféodaux et tout au plus l’aspect jacobin de la période d’«économie de guerre» du communisme de guerre, ignorant au contraire tout ce qui, dans ce formidable «assaut au ciel» était effectivement international et social-prolétarien.

Dans ces conditions, on comprendra que Corvisieri tire avantage de la lettre de Gramsci du 9 novembre 1924 dans laquelle se trouvent les perles suivantes, qui sont des échos de la polémique de Trotski contre la troïka ZinovievKamenevStaline:
«dans toute l’histoire du mouvement révolutionnaire russe, Trotski fut politiquement plus à gauche que les bolcheviks» et «en novembre 1917, Lénine et la majorité du Parti se sont alignés sur les conceptions de Trotski».
En réalité, ce sont ceux des bolcheviks[13] qui, avant avril 1917, avaient oublié que malgré son caractère bourgeois, la révolution russe réclamait l’action autonome du prolétariat tendant à instaurer sa dictature en s’appuyant sur les paysans dans la perspective de la révolution permanente (Lénine: «Lettre de Loin») qui trouvèrent commode d’accuser Lénine de «Trotskisme» à son retour en Russie, alors qu’il ne faisait que reprendre les raisons de la scission de 1903, donc les thèses de 1905 relatives à la transcroissance de la révolution bourgeoise en révolution prolétarienne (Lénine: «Deux tactiques»).

En réalité, Gramsci se plaçait du point de vue d’une majorité nationale (on sait comment elles se conquièrent…) alors que, d’accord avec l’Opposition naissante en U.R.S.S. la Gauche Italienne se plaçait du point de vue d’une minorité internationale: il ne pouvait faire une meilleure démonstration de «voie nationale au socialisme» et. de démocratisme du nombre, d’autant plus que cette claironnante «majorité nationale» n’était pas autre chose, que le reflet administratif… de la majorité conquise dans l’Internationale par la contre-révolution stalinienne! Aussi Corvisieri ne trouve-t-il pas de meilleur argument pour dissimuler les infamies anti-Trotskistes de Gramsci que de prétendre qu’elles étaient en réalité dirigée contre la Gauche de Bordiga, ce qui prouve bien que l’anti-bordighisme est la préoccupation dominante de tous ces anti-staliniens d’opérette, et que pour eux «la fin justifie les moyens». Pour combattre Bordiga donc, le «grand esprit» tant vanté par la culture bourgeoise italienne, Antonio Gramsci, n’a pas hésité à dire les âneries les plus énormes, attribuant par exemple à Trotski la théorie du «socialisme dans un seul pays»[14]. Il est vrai qu’il fera ensuite amende honorable dans ses «Quaderni», et, alors qu’en 1925, en confondant Trotski avec Staline (pure inadvertance?), il semblait s’élever contre le renvoi de la révolution aux calandes grecques, il fera cette fois sienne la théorie du socialisme national dans la perspective ultra-turatienne d’une «guerre de positions» comportant la conquête graduelle des organes du pouvoir bourgeois et de l’économie sous la domination du capitalisme: ultimes fruits de l’ordinovisme que «Il Soviet» de Bordiga avait prévus dès les premières notes qu’il avait consacrées à ce courant!

La Gauche italienne, Trotski et les épigones

Prenant le problème de front, Amadeo Bordiga écrivait le 8 février 1925 à «l’Unita» dans une lettre qui ne sera publiée que le 8 juillet:
«En admettant qu’il existe un nouveau Trotskisme – ce qui n’est pas le cas – il n’est aucunement lié à l’ancien (c’est-à-dire à la critique du jeune Trotski contre Lénine avant 1917, NDR). Le nouveau, dans tous les cas, serait à gauche, alors que l’ancien était à droite. Entre les deux se place une période de magnifique activité communiste de Trotski que tous les autres collaborateurs de Lénine ont, reconnue comme rigoureusement bolchevique. Où donc la polémique de Lénine contre les opportunistes social-démocrates se trouve-t-elle mieux soutenue en effet que dans les écrits de Trotski, et en particulier dans ‹Terrorisme et Communisme›?».
Transfuge de la Gauche, Terracini objectera le 29 juillet dans son article «Les tendances de l’Internationale, Trotski et l’extrême-gauche italienne» que sur le front unique et sur le gouvernement ouvrier et paysan, Trotski et la Gauche Italienne ne concordaient pas, contrepoint à l’élimination de l’adversaire le plus proche (Bordiga) pour ensuite retourner son arme contre le plus lointain (Trotski). Le débat (si on peut dire…) se poursuit avec des articles du même style et par un discours de Scoccimaro à l’Exécutif élargi de 1925, discours dont le vide désespérant démontre, entre autres choses, comment, dévorés de l’envie d’avoir leur part de la manne moscoutaire, les divers «théoriciens» du Parti communiste d’Italie s’assénaient mutuellement des coups, si bien que tandis que Gramsci accusait la Gauche italienne de «substitutionnisme»[15], Scoccimaro la traitait au contraire de «spontanéiste», ce qui serait amusant. si cela ne témoignait de la complète absence de sérieux dans laquelle nos adversaires étaient désormais tombés!

Tout cela n’empêche pas notre Trotskiste contemporain Corvisieri de conclure après une page et demie consacrée aux «Quaderni» de Gramsci qui sont une «somme» de national-populisme et de nostalgie pour le… courant modéré du Risorgimento:
«Ce qui ressort, c’est que la pensée de Gramsci aboutit aux mêmes conclusions politiques que Trotski. tout en suivant une voie autonome nourrie par l’expérience conseilliste d’une part et par celle de la lutte contre la gauche bordighienne de l’autre» (p. 49).
En fait, cette splendide «voie autonome» a été «nourrie» (?) par l’ouvriérisme anti-parti de Gramsci et par ce chef-d’œuvre théorique que fut la polémique dont nous avons parlé ci-dessus, conduite sous la pression administrative… et financière de Moscou et destinée à couvrir de magnifiques manœuvres gramsciennes comme l’appui donné par la nouvelle direction du Parti communiste à l’opposition parlementaire de l’Aventin au fascisme ou encore la main tendue à la «gauche populaire»! Et c’est bien en vain que Corvisieri tente de tracer une délimitation entre Gramsci et Staline en prétendant[16] que
«le véritable centralisme démocratique avait été appliqué par Gramsci dans le P.C.I. en opposition à la bolchévisation du parti telle que l’entendait Staline»,
comme si des intentions subjectives pouvaient estomper le phénomène tragiquement réel de la destruction de l’Internationale qui fut décoré par Staline du nom trompeur de «bolchévisation», destruction que Trotski reconnut – tardivement, il est vrai –, mais en aucune façon Gramsci!

La seconde partie du chef-d’œuvre de Corvisieri a trait aux rapports entre la Gauche Italienne émigrée («groupe Prometeo») et Trotski, rapports dans lesquels la «Nouvelle Opposition» des «Trois» plus haut citée ne s’immisça que pour y jeter la confusion, et en dernière analyse au détriment de Trotski lui-même.

Notons au passage qui, pour y minimiser la portée anti-Trotskiste des «Quaderni» de Gramsci, Corvisieri se livre à des hypothèses dignes de roman policier sur son attribution consciente des positions de Staline à Trotski et ses falsifications, alors que ce sont les solutions politiques qu’il développe dans cet ouvrage à partir des prémisses ordinovistes qui jurent avec les thèses bolcheviques défendues par Trotski en dépit de toutes ses déviations. Même si, par absurde, Gramsci n’avait pas voulu attaquer Trotski, son gradualisme éducationniste et national-populaire resterait inconciliable avec le souffle révolutionnaire qui ne disparaît jamais complètement de l’œuvre théorique et pratique du théoricien de la résolution permanente Entre un héros de la gauche bourgeoise et un martyr de la révolution prolétarienne, il y a malgré tout une belle différence, que Corvisieri est bien impuissant à abolir avec son affirmation non démontrée:
«En 1930, tout comme auparavant dans la lutte contre le primitivisme et le sectarisme bordighistes, ce qui unissait Trotski et Gramsci (et la Nouvelle Opposition qui reliait ces deux grandes personnalités) étaient les principes du marxisme-léninisme».
Des formules de ce genre sont beaucoup moins vraisemblables que celles, archi-connues, sur la continuité Gramsci-Togliatti. Comme de coutume, les historiographes perdent de vue les lignes de démarcation fondamentales, ce qui est naturel, puisqu’ils ne connaissent le marxisme qu’à travers les déformations que lui fait subir la «culture» courante, si bien qu’on ne peut même pas leur reprocher d’être des renégats comme par exemple Kautsky qui, avant sa trahison, ne fut pas, lui, un marxiste pour rire!

Après avoir absurdement identifié Gramsci et Trotski, notre historiographe établit un dualisme parfaitement ridicule entre Gramsci et Tasca. Or dès 1912–1913, Tasca fut un précurseur de l’éducationnisme ordinoviste, et le fait qu’en 1926, Gramsci parle encore du socialisme comme objectif final (comme «programme maximum», selon la terminologie social-démocrate), incluant le fascisme parmi les vieilleries particulières à l’Italie qui auraient selon lui rendu nécessaires des «phases intermédiaires», démocratiques, etc, n’enlève rien à sa responsabilité dans, la théorie de la révolution populaire qui, à y regarder de près, a constitué le fond de la tactique dite de la «troisième période». Par ailleurs, toute la théorisation que Gramsci a donnée du bloc historique atteste qu’il n’a fait, comme Staline le souhaitera plus tard, que
«ramasser les drapeaux de la liberté démocratique traînés dans la boue par la bourgeoisie»[17].
Il est vrai que pour notre historiographe, ce ne sont là que visions de «certains hypocondres néo-bordighiens» on voit que les néo-gramsciens atteints de trotskomanie vivent en pleine hallucination!

De toutes façons, il est clair que pour Corvisieri, la question décisive est celle des «objectifs démocratiques et transitoires». Indubitablement, il a raison quand il dit qu’ils sont communs à Gramsci et à Trotski qui, dans l’Internationale, cria avec Zinoviev le mot d’ordre de «Liberté» mais il a absolument tort dans son appréciation globale, et plus encore quand il rapproche «bordighistes» et staliniens dans le refus de la démocratie! En réalité, tout en reprenant le thème de la révolution populaire, les staliniens se refusaient à admettre qu’en cas de guerre, le prolétariat puisse être une nouvelle fois asservi (ce qui ne s’est malheureusement que trop vérifié!) aux illusions démocratiques, attitude évidemment plus que contradictoire. C’est précisément parce que la Gauche italienne en exil voyait bien ce danger, surtout en cas de conflit mondial entre les «démocraties» et le «totalitarisme», qu’elle insistait sur la nécessité pressante de détruire tous les ponts susceptibles de reconduire le prolétariat et sa direction à la remorque de la bourgeoisie démocratique, justement. Pour les staliniens de la «troisième période», cela ne pouvait tout simplement pas se produire (et c’est pourtant ce qui s’est vérifié avec la seconde guerre mondiale), quant à Trotski lui-même, il s’imaginait que les résultats «démocratiques» (c’est-à-dire bourgeois!) de la défaite du mouvement prolétarien pouvaient faire l’objet des «revendications immédiates» de la classe ouvrière et des mots d’ordre d’agitation du Parti de classe. Plus encore, il confondait les aires géo-historiques de la révolution double et de la révolution socialiste pure, ce qui était déjà impliqué dans sa définition de la transformation socialiste comme réalisation jusqu’au bout des tâches démocratiques[18] et dans sa vieille opposition aux «Deux Tactiques» de Lénine.

Il ne s’agissait donc pas ici seulement de l’erreur banale consistant à prôner l’«élasticité tactique», à considérer comme illimitée la gamme des manœuvres tactiques possibles, telle qu’elle s’est manifestée dans des mots d’ordre inconsistants comme le «gouvernement ouvrier et paysan»; il s’agissait bel et bien de l’introduction d’objectifs propres à la première phase de la révolution double (soumise, comme en Russie, au processus de «transcroissance» de la révolution permanente) dans une aire historique de capitalisme avancé où la révolution ne peut être dès l’origine que purement socialiste. on voit bien dans ce cas comment une conception en somme métahistorique de la révolution permanente a conduit Trotski à abandonner la distinction des aires historiques faite par Marx, qui considérait que l’époque de la révolution double en Europe s’était achevée en 1871.

La question espagnole

A ce sujet, on ne peut pas dire que Trotski n’ait pas su prendre de temps à autre des positions justes, mais il ne commencera à rectifier le tir qu’une fois la «troisième période» terminée, à l’époque des «fronts populaires». On peut le constater dans la malheureuse question espagnole sur laquelle les démo-staliniens sont particulièrement intéressés à répandre encore aujourd’hui des larmes de crocodile afin d’en dissimuler la portée réelle. En fait, il s’agit d’une révolution prolétarienne avortée et acéphale dont, tout d’abord, le cours a été détourné vers le lit de la conservation bourgeoise, puis qui a été écrasée physiquement grâce à une réorganisation politico-économique favorisée par l’impérialisme mondial et dont l’actuel Caudillo est bien le dernier à avoir le «mérite» en dépit de ses rodomontades «anti-bolcheviques», car ce sont en réalité les staliniens et leurs amis, ministres anarchistes compris, qui ont mené la vraie «croisade anti-bolchevique», de même que c’est au Saint-Office démo-stalinien que les mercenaires de la GPU ont préparé l’assassinat qui sera perpétré en 1940 à Coyoacan contre Trotski.

Il faut noter que dans sa polémique avec «Prometeo», organe de la Gauche italienne dans l’émigration, Trotski a d’abord défendu des positions qu’il condamnera lui-même quand elles seront défendues par des courants centristes au cours de la guerre civile d’Espagne. Dans «La Révolution espagnole et les tâches communistes», Trotski écrit en effet:
«Le mot d’ordre de République est bien entendu aussi un mot d’ordre du prolétariat, Mais pour lui, il ne s’agit pas simplement du remplacement d’un roi par un président, mais d’une radicale épuration de toute la société des immondices du féodalisme… Plus la lutte de l’avant-garde prolétarienne pour les mots d’ordre démocratiques sera audacieuse, résolue et impitoyable, et plus vite elle conquerra les masses et sapera les assises des bourgeois républicains et des socialistes réformistes, plus sûrement leurs meilleurs éléments se rangeront à notre côté, et plus vite la république démocratique s’identifiera dans la conscience des masses avec la république ouvrière» (Prinkipo, janvier 1931).

S’alignant sur cette position[19], la Nouvelle Opposition Italienne écrivait le 15 août 1931, à propos des objectifs démocratiques:
«… C’est par cette voie que les travailleurs espagnols arriveront à leur République des Soviets; c’est par cette voie que les travailleurs italiens arriveront, après avoir détruit le fascisme, à l’instauration de leur pouvoir prolétarien. La stratégie et la tactique bolchevico-léninistes qui sont indiqués aujourd’hui dans tous les écrits du camarade Trotski sont la seule stratégie et la seule tactique qui, fondées sur l’expérience d’Octobre 1917, ouvrent la voie à la victoire du prolétariat. La présomption d’opposer à cette ligne stratégique et tactique une autre ligne – celle de «Prometeo»[20]ne peut conduire que dans les bas-fonds du sectarisme, lequel, en définitive, n’est qu’un autre masque de l’opportunisme».

Dans leur propre «présomption», les gens de la N.O.I. ne craignaient pas d’écrire, comme le rapporte Corvisieri, que
«même les bordighistes sont convaincus de la théorie du social-fascisme et ne distinguent pas entre Kornilov et Kerenski».
Or, en décembre 1937, Trotski lui-même écrivait:
«Le fascisme, c’est la réaction non pas féodale, mais bourgeoise; que contre cette réaction bourgeoise, on ne puisse lutter avec succès que par la force et les méthodes de la révolution prolétarienne, c’est là une notion que le menchévisme, lui même rameau de la pensée bourgeoise, ne veut ni ne peut faire sienne… Dans la lutte contre la révolution socialiste, le démocrate Kerenski avait d’abord cherché un appui dans la dictature militaire de Kornilov, puis il avait tenté de rentrer à Pétrograd dans les fourgons du général monarchiste Krasnov; d’autre part, les bolcheviks, pour mener la révolution démocratique jusqu’au bout, se trouvèrent contraints de renverser le gouvernement des charlatans et des bavards démocratiques. Par cela même, ils ont mis fin en passant à toutes les tentatives de dictature militaire ou fasciste.
La révolution espagnole démontre une nouvelle fois qu’il est impossible de défendre la démocratie contre les masses révolutionnaires autrement que par les méthodes de la réaction fasciste»
.

Les gens de la N.O.I. auraient donc pu s’écrier que Trotski ne distinguait pas, lui non plus, «entre Kornilov et Kerenski»! Ajoutons (car là l’explication de Trotski est déficiente) que, comme la Gauche italienne l’a pour sa part souvent démontré, on ne peut comparer le fascisme, forme très moderne d’organisation étatique de l’époque impérialiste, avec les velléités de restauration de l’ancien régime russe par l’intermédiaire du général des Cent Noirs! En Espagne, même si la bourgeoisie industrielle était faible et si le poids local des propriétaires terriens était grand, la réaction n’en fut pas moins celle du capitalisme mondial, avec la présence très active du très moderne impérialisme allemand!

Les contradictions de Trotski sont manifestes, spécialement lorsqu’en 1937 il examine la politique du P.O.U.M.[21] et du Bureau de Londres en général. Il reproche en effet à cette organisation son asservissement à la cause de la démocratie bourgeoise, visible dans son engagement à «défendre la République» dans les rangs de l’armée républicaine. Il s’agissait alors d’une situation du type de celle qui avait été prévue, au point 31 des «Thèses de Rome»[22]. Par conséquent l’ironie dont fait preuve Trotski dans le passage suivant vient mal à propos et frise le ridicule quand il écrit:
«Chercher à donner une réponse aux questions qui surgissent dans la situation de 1930 en se reportant à la plate-forme de 1925 signifie vouloir conserver une politique indéterminée et évasive».

Ce que Trotski et l’Internationale n’ont jamais compris, c’est qu’une tactique qu’on déterminait au jour le jour en fonction «des changements de situation» au lieu de la définir à l’avance, en fonction d’un nombre déterminé et nécessairement limité de situation historiques possibles, ne pouvait avoir aucune valeur scientifique et que cette indétermination ne pouvait qu’ouvrir la porte à toutes les improvisations et donc à des surprises désorientantes affaiblissant nécessairement le Parti: et cela, seule la Gauche italienne l’a montré.

Face à l’Italie, l’attitude de Trotski fut pourtant la même que, face à l’Espagne, alors que même en laissant de côté, toutes les considérations qui s’imposent sur la façon dont les bolchéviks utilisèrent le mot d’ordre de la Constituante, rien ne peut effacer le fait qu’une éventuelle révolution en Espagne et en Italie n’aurait pas eu du tout les mêmes tâches que la révolution d’Octobre 1917 en Russie, surtout la révolution en Italie qui aurait trouvé face à elle un capitalisme concentré et développé, une vieille tradition de démocratie parlementaire et enfin une bourgeoisie capable de changer les formes extérieures de sa domination, alors qu’en Russie, elle s’était montrée incapable même seulement de remplir le vide laissé par l’effondrement de l’autocratie semi-féodale.

La Gauche italienne dans l’émigration

A la différence de Trotski, les représentants émigrés de la Gauche italienne ne posaient pas le problème de la nature de l’État russe sur la base exclusive du schéma de la «disparition de la propriété privée des moyens de production». Ils affirmaient en effet en juin 1929:
«Nous avons toujours considéré la question de la nature de cet État d’un point de vue dialectique. Par conséquent si nous avons reconnu la nature prolétarienne de cet État du point de vue des répercussions qu’il avait sur la, lutte de classe et sur l’économie mondiale, nous avons aussi souligné que ses destinées et son influence sur la révolution mondiale dépendaient uniquement du fait que la politique pratiquée par le Parti russe et celle de l’Internationale étaient orientées vers les mêmes idées que celles qui l’emportèrent lors de la fondation de l’Internationale et qui sont considérées aujourd’hui comme un crime contre le Parti.»

La Gauche italienne considérait donc qu’en reniant les principes théoriques et pratiques du Communisme, l’État soviétique changeait de nature (nature essentiellement politique, comme elle eut l’occasion de le montrer[23]), c’est-à-dire qu’il perdait purement et simplement sa nature prolétarienne. Le second conflit impérialiste soumit ces deux positions à l’épreuve du feu. «Prometeo», déclarait le 12 avril 1936:
«Il est nécessaire que Trotski dise clairement s’il entend capituler et inviter les ouvriers à capituler eux aussi devant le centrisme russe[24] au cas où éclaterait une guerre impérialiste à laquelle l’U.R.S.S. participerait… De semblables déclarations, même lorsqu’elles sont accompagnées par des dénonciations solennelles des crimes et des erreurs de la bureaucratie centriste, représentent une trahison ouverte au prolétariat russe et mondial à une époque où la guerre impérialiste est à l’ordre du jour.»

On sait aujourd’hui qu’au moins dans ses textes tardifs, Trotski n’a pas pris seulement une position de défense de l’U.R.S.S,, mais qu’il a eu une attitude d’interventionniste démocratique[25]. Son dernier article, par exemple, contient une ébauche particulièrement significative de révision du défaitisme révolutionnaire, avec des justifications théoriques du type «créatif» comme la suivante:
«l’actuel conflit, comme nous l’avons déjà dit souvent. n’est que la continuation de la dernière guerre. Cependant, continuer ne signifie pas répéter, mais développer, approfondir, aiguiser».
Une enquête ayant révélé que 70 % des travailleurs américains étaient favorables à la conscription, Trotski écrit le 4 août 1940:
«Nous nous rangeons du même côté que les 70 % de travailleurs. Nous disons: vous, travailleurs, vous voulez défendre la démocratie. Nous, nous voulons aller plus loin. Toutefois, nous sommes prêts à défendre la démocratie avec vous, à condition cependant que ce soit une véritable défense, et non une trahison à la manière de Pétain» (Cf. Isaac Deutscher «Le prophète en exil»).

Il est très dur pour nous de prendre acte de ces déclarations capitulardes qui sont indiscutablement issues de la tactique du front unique poussée à ses conséquences les plus extrêmes. Pourtant, à regarder les choses sans préjugés formalistes, on s’aperçoit que ces positions étaient contenues en puissance dans l’appréciation portée par Trotski sur la social-démocratie et le fascisme, qui, définissant la première (c’est-à-dire la garde contre-révolutionnaire de Noske et Scheidemann) comme une simple «droite» du mouvement ouvrier, devait le conduire plus tard à préconiser l’entrisme dans les partis de la Seconde Internationale. Il s’agit là de concessions fatales à l’ennemi de classe en regard desquelles le martyre de Trotski, quelle que soit sa valeur symbolique encore aujourd’hui, prend une signification toute relative. Cet épisode est à mettre en parallèle avec les procès de Moscou, grâce auxquels Staline élimina les bolcheviks qui s’étaient pourtant rendus coupables – Boukharine en tête – d’énormes déviations par rapport à la juste ligne de Marx et de Lénine. Le fait que Trotski, Boukharine et Zinoviev soient restés trop attachés à la tradition bolchévique pour accepter en totalité le cours contre-révolutionnaire n’enlève rien à leurs concessions et à leurs reculades. Quant à leurs épigones, procédant à une impressionnante «sélection à l’envers», ils n’ont gardé de leur politique que les pires déviations, dont les polémiques actuelles sont le développement achevé.

Pour notre historiographe, ces graves faits n’existent tout simplement pas. Reprenant le jugement d’un Trotskiste selon lequel avec les positions prises par eux dans la crise espagnole «les bordighistes s’étaient relégués dans le monde de la lune et de la nullité révolutionnaire», Corvisieri les accuse en outre d’avoir «manqué l’autobus»,
«même dans la Résistance, quand se présenta une grande occasion pour la création d’un parti révolutionnaire, d’un parti qui aurait su s’insérer activement dans la lutte, mettant en avant les exigences immédiates des travailleurs et les reliant à une stratégie de révolution permanente».
La malheureuse «révolution permanente» est comprise ici à la manière de Parvus plus qu’à celle de Trotski, dans le cadre de l’intervention dans la guerre impérialiste aux côtés du super-colosse capitaliste des U. S. A., celui-là même contre lequel on agite l’épouvantail de la «prolifération des Viêt-Nam» à la façon de Che Guevara, mais commodément installés dans l’observatoire de la critique. Cela n’empêche pas Corvisieri de conclure que
«le marxisme vulgaire, le stérile doctrinarisme que Trotski avait reproché à ‹Prometeo› ont amené les bordighistes à manquer le dernier train de l’Histoire et à disparaître parmi les curiosités archéologiques du mouvement ouvrier»,
phrase calquée sur celles des sociaux-patriotes quand ils attaquaient les «dogmatiques» qui se refusaient à la «participation active» du prolétariat dans le conflit éminemment «révolutionnaire» de… 1914–18!

Comment s’étonner après cela de trouver chez Corvisieri une perle comme le jugement suivant:
«De nombreuses années devront encore s’écouler avant que des révolutionnaires aussi prestigieux que Fidel Castro et Mao Tsé-Toung désacralisent ouvertement le mythe du parti en le ramenant au rôle d’instrument de la révolution»!
C’est là que l’on voit l’école gramscienne porter ses ultimes fruits: la «contestation» petite-bourgeoise anarchisante, fascinée par le populisme nationaliste. s’installe triomphalement sur les sommets du «développement créatif»!

De la Tour de Babel contemporaine aux lumières de 1917–20

Devant ces funérailles hâtives de l’A.B.C. du marxisme, tout commentaire devient superflu. Pour montrer à quelle conclusion burlesque on aboutit nécessairement en partant de pareilles prémisses. nous nous contenterons de noter que l’illustre Corvisieri a récemment déserté l’organisation Trotskiste majoritaire et est passé, avec d’autres benêts de la IVe Internationale, au mouvement ouvriériste maoïste «Avanguardia operaia» qui, racontant l’Histoire comme un roman policier, estime que le socialisme russe est devenu un capitalisme le jour où une «clique» scélérate a assassiné ce pauvre Beria!

«Avanguardia operaia» a beau glorifier la «nouvelle patrie du socialisme des quatre classes», elle nie que l’U.R.S.S. soit un «État ouvrier dégénéré», et il n’en faut pas plus pour que les Trotskistes officiels crient au… bordighisme polémiquant contre le distingué Corvisieri, «Bandiera rossa» l’accuse en fait
«d’avoir ingurgité une mixture mao-bordighiste originale, après avoir publié un essai contenant une appréciation correcte des positions de Trotski et une critique serrée de celles de Bordiga».
En dehors du rapprochement ridicule entre la Gauche communiste italienne et le maoïsme, sous-espèce de national-populisme stalinien, il est difficile de dire qui, parmi les modernes épigones de Trotski, s’est le mieux distingué en fait d’ingurgitation de «mixtures». Ils ont fait pire que de «manquer un train»: ils ont définitivement perdu la boussole marxiste, ou plutôt, ils l’ont jetée parmi les «curiosités archéologiques». remâchant des restes de socialisme libertaire et de gradualisme pré-marxiste, comme l’ont toujours fait les opportunistes quels qu’ils soient, au service de la conservation sociale. Un cadavre qui se porte bien, c’est malheureusement celui de la démocratie bourgeoise qu’avec son machiavélisme futile. le Komintern crut pouvoir «phagocyter» et qui asphyxia au contraire de ses exhalaisons empoisonnées le mouvement communiste mondial.

La résurrection de l’Internationale ne sera possible que si toute pollution de ce genre est bannie, ce qui suppose l’établissement d’une tactique commune, sans laquelle il n’y a pas de Parti communiste mondial: or ce sont précisément ces bordighistes qu’on traite de «curiosités archéologiques» qui ont exigé avec énergie cette communauté, cette unité de tactique et qui seuls ont su prévoir (non grâce au mérite, de chefs ou à la sagesse de penseurs, mais en raison d’une douloureuse expérience de lutte dans l’aire du capitalisme industriel démocratique et fasciste, c’est-à-dire dans l’aire cruciale de la guerre de classe entre bourgeoisie et prolétariat) l’aboutissement contre-révolutionnaire des déviations pratiques et théoriques qui à l’époque apparaissaient encore comme secondaires.

C’est seulement à condition que l’Internationale réapparaisse que le sacrifice de Trotski et des innombrables camarades illustres ou anonymes que la contre-révolution a brisés n’aura pas été vain et que l’expérience de leurs erreurs portera ses fruits.
«Plus que d’aucune autre chose, écrivait le camarade Trotski le 18 décembre 1919, nous avons besoin de clarté et de vérité. Tout ouvrier doit savoir exactement qui est l’ami et l’ennemi, qui est le camarade d’armes fidèle et qui le vil traître. Liebknecht et Rosa Luxembourg sont des nôtres, Longuet et Vandervelde doivent être jetés sans pitié avec la bourgeoisie sur le même tas d’immondices dont ils cherchent vainement à sortir par la voie socialiste. Notre temps exige des idées claires et des paroles franches, préludes à des gestes francs et des actes clairs. Loin de nous les scénario usés du parlementarisme, leurs clairs-obscurs, leurs illusions d’optique. Le prolétariat a besoin d’une voie tracée, d’une idée précise en tête, d’une ferme volonté dans le cœur, d’un bon fusil à la main».

Le jour de l’affrontement entre révolution et contre-révolution n’est pas proche, mais il nous est facile de prévoir de quel côté de la barricade se trouveront les actuels trotsko-gramsciens, le jour où il se produira, tout comme un diagnostic marxiste élémentaire nous a permis de dire hier de quel côté se trouvaient les sociaux-démocrates, puis les staliniens: il suffit d’ouvrir les oreilles pour les entendre proclamer eux-mêmes dès maintenant et sans hésitations qu’ils sont de l’autre côté de la barricade révolutionnaire!

Notes:
[prev.] [content] [end]

  1. Il s’agit des «Thèses sur la tactique» adoptée par le P. C. d’Italie à son 2° Congrès national (1922). [⤒]

  2. Comme par exemple celui qui fut organisé par Léon Trotski aux États-Unis pour démontrer l’inanité des accusations portées contre les prévenus des procès de Moscou et de leurs propres aveux. Par la suite, après le XXe Congrès, les «Trotskistes» n’ont pas craint de réclamer pour leurs morts le «bénéfice» de la réhabilitation proposée par Khrouchtchev aux «victimes innocentes» de Staline… c’est-à-dire aux staliniens! [⤒]

  3. L’éclectique Daniel Guérin a eu le front de s’en féliciter! [⤒]

  4. Cf. «La révolution trahie», où Trotski fait dériver le «bureaucratisme» du socialisme inférieur dans lequel le critère bourgeois de distribution «à chacun selon son travail» reste en vigueur! [⤒]

  5. Il est superflu d’ajouter que cela ne justifie pas, même partiellement, les accusations portées contre Trotski par la fraction stalinienne, expression de la contre-révolution montante. En effet, le «Léninisme» inventé par cette faction avec le concours théorique – c’est malheureux à dire – de militants comme Zinoviev et Boukharine représentait, sous l’absurde prétexte de développement créateur la position exactement et diamétralement opposée à la restauration du marxisme effectuée par Lénine contre l’«enrichissement» et le «perfectionnement» révisionniste, qu’il fut de droite, de gauche ou du centre. [⤒]

  6. C’est-à-dire de comprendre la démocratie pour ce qu’elle est, à savoir une forme politique transitoire, liée à la propriété privée et, à l’époque contemporaine, au capitalisme. [⤒]

  7. Lénine parlait de «transcroissance» dans le domaine politique et nullement économique: c’est ce qu’ont oublié tous ceux qui ont parlé de «construction du socialisme dans un seul pays». [⤒]

  8. Tel était le nom donné en Italie aux réformistes partisans de l’adhésion à la Troisième Internationale, non par conviction politique, mais pour des raisons… d’opportunité, le prestige du bolchévisme étant alors grand dans les masses prolétariennes. [⤒]

  9. Voici ce que Trotski dit de la «troisième période» dans «Et maintenant?», sa lettre d’Alma-Ata au VIe Congrès de l’I.C. datée du 12 juillet 1928:
    «La seconde moitié de 1923 fut une période d’attente tendue de la révolution en Allemagne. La situation fut jugée trop tard et avec hésitation… le changement de tactique fut entrepris au dernier moment, le tout se termina par une capitulation effrayante de la direction du Parti Communiste allemand cédant sans combat des positions cardinales à l’ennemi… Mais la claire compréhension de ce qui s’était passé et de ce qui était imminent fut… condamnée comme ‹esprit de liquidateurs›. Le Ve Congrès (N.d.R: il s’agit du Congrès de l’Internationale qui eut lieu en 1924) d’une façon démonstrative s’oriente vers l’insurrection en présence du reflux politique (N.d.R. mots soulignés par nous car ils sont la meilleure caractérisation de la «troisième période»); il dérouta ainsi d’un coup tous les Partis communistes et sema parmi eux la confusion. 1924, l’année du revirement brusque et net vers la stabilisation devint l’année des aventures en Bulgarie, en Estonie, du cours ultra-gauche en général qui se heurtait de plus en plus à la marche des événement. C’est à partir de ce temps que l’on commence à chercher des forces révolutionnaires toutes faites, en dehors du prolétariat, d’où l’idéalisation de partis pseudo-paysans, le flirt avec Raditch et La Folette, l’exagération du rôle de l’Internationale paysanne au détriment de l’Internationale Syndicale Rouge, les faux jugements sur la direction des Trades-Unions, les amitiés par dessus les classes avec le Kuomintang etc… Toutes ces béquilles sur lesquelles le cours ultra-gauche tenta en aventurier de s’appuyer devinrent par la suite les fondements principaux du cours nettement de droite qui se substitua au premier quand les ultra gauchistes ne se retrouvèrent plus dans la situation – en face de laquelle ils étaient – et se brisèrent contre le processus de stabilisation (N.d.R. il s’agit d’une stabilisation de la situation économique du capitalisme permise par les échecs retentissants de l’Internationale déboussolée par ses volte-face tactiques) de 1924–25.» [⤒]

  10. Notons que, dans la foulée de l’idéaliste et hégélien Croce, Gramsci défendait également des idées que Staline illustrera plus tard dons son écrit de 1952 sur la linguistique tandis que Boukharine, lui aussi vaincu, défendait contre lui le matérialisme historique et dialectique. [⤒]

  11. C’est le cas de l’Italien Alberto Asor Rosa, membre du P.S.I.U.P., dans «Écrivains et Peuples». [⤒]

  12. Cette dissolution du Komintern fut d’ailleurs saluée par le «Chicago Tribune» du 16 mai 1943 comme
    «un triomphe diplomatique de portée beaucoup plus grande que les victoires de Stalingrad et de Cap Sen».
    Le même journal expliquait:
    «Le monde respire, la vieille folie de Trotski est abandonnée! Le rêve de Marx est fini. Staline a tué les derviches de la foi marxiste, il a livré au bourreau les bolchéviks qui voulaient régner sur le monde, qui voulaient la révolution universelle.» [⤒]

  13. Ceux que Lénine a combattu à partir d’avril 1917 sous le nom de «vieux bolchéviks». [⤒]

  14. On peut s’en assurer en lisant le compte rendu. de son intervention au Comité central du P. C. d’Italie le 6 février 1925. [⤒]

  15. C’est-à-dire de défendre une doctrine dans laquelle la classe était «remplacée» par le Parti. [⤒]

  16. Dans un écrit d’avril 1968, intitulé «Bandiera rossa dans la résistance romaine». [⤒]

  17. Cette phrase de Staline semble copiée sur celle que Mussolini a prononcée. à Dalmine le 20 mars 1919:
    «Le drapeau national n’est pas un chiffon, même si d’aventure la bourgeoisie parvenait à le traîner dans la boue». [⤒]

  18. En réalité, la réalisation «jusqu’au bout» des tâches démocratiques qui s’est produite dans les premiers mois de la révolution d’Octobre 1917, ne suffisait pas à créer ipso facto les conditions d’une transformation socialiste de la Russie, comme Trotski lui-même dut bien le reconnaître dans sa lutte contre Staline, sans se résigner toutefois à considérer l’U.R.S.S., d’après 1927 comme du capitalisme pur et simple. [⤒]

  19. Nous ne dirons rien des opinions de différents membres de la. N.O.I. en désaccord avec les positions de Trotski, tel que Ravazolli qui donnait une définition stalinienne du fascisme, ou Bavassano qui n’était pas pour les mots d 'ordre démocratiques. [⤒]

  20. «Prometeo» rejetait l’assimilation de l’Espagne et surtout de l’Italie à la Russie d’avant 1917 et du même coup «la stratégie et la tactique» des mots d’ordre démocratiques. [⤒]

  21. C’est-à-dire Parti Ouvrier d’Unification Marxiste, organisation centriste résultant d’une fusion entre le Bloc Ouvrier et Paysan de Joaquim Maurin et de Trotskistes dont le plus fameux est Andrés Nin, assassiné par la GPU au cours de la guerre civile. [⤒]

  22. Le point 31 des «Thèses sur la tactique» adoptées par le Parti Communiste d’Italie à son Second Congrès tenu à Rome en 1922 disait ce qui suit:
    «Dans la phase plus haut définie comme celle du pouvoir démocratique bourgeois, les forces politiques sont généralement divisées en deux courants ou «blocs» se disputant la direction de l’État. Les partis sociaux-démocrates, coalitionnistes par principe, adhèrent plus ou moins ouvertement au bloc de gauche. Le Parti Communiste n’est pas indifférent aux développements de cette lutte, que ce soit parce qu’elle soulève des points et des revendications qui intéressent les masses prolétariennes et concentrent leur attention ou parce que sa conclusion par une victoire de la gauche peut réellement aplanir la voie à la révolution prolétarienne. Quant au problème de l’opportunité tactique d’une coalition avec les éléments politiques de gauche, il faut l’examiner sans apriorisme faussement doctrinal ou sottement sentimental et puritain. On doit partir du fait que le Parti Communiste ne dispose d’une initiative de mouvement qu’autant qu’il est capable de poursuivre avec continuité le travail d’organisation et de préparation d’où lui vient l’influence qui lui permet d’appeler les masses à l’action. Il ne peut donc se proposer une tactique répondant à un critère occasionnel et momentané, quitte à prévoir une brusque volte-face au moment où elle apparaîtrait dépassée, et un changement de front qui transformerait en ennemis les alliés de la veille. Si le Parti ne veut pas compromettre sa liaison avec les masses et la possibilité de la renforcer au moment où cela sera le plus nécessaire, toutes ses déclarations et attitudes publiques devront traduire sa continuité de méthode et d’intentions, c’est-à-dire être en parfaite harmonie avec la propagande pour la lutte finale et la préparation à celle-ci.» [⤒]

  23. Il est clair que si on avait exigé de l’État soviétique qu’il ait réalisé le socialisme, fût-il seulement du stade inférieur, pour lui reconnaître une nature prolétarienne, jamais cette nature n’aurait pu lui être reconnue, même dons les années héroïques de la guerre civile et du défit ouvert au capitalisme mondial, puisque de l’aveu même de Lénine il ne s’agissait pas en Russie de passer au socialisme, mais beaucoup plus modestement, de l’économie petite-bourgeoise et capitaliste privée (nepmen) au capitalisme d’État Or si en politique il est possible de «faire des choix» (et donc de choisir la voie révolutionnaire plutôt qu’aucune autre, quitte à mourir debout), en économie le «choix» est matériellement déterminé par le développement des forces de production, et donc tout autre que «libre», contrairement à ce qu’imaginent les gens qui confondent socialisme et… gestion ouvrière des entreprises héritée de l’ère bourgeoise. Dans ces conditions, à moins de tomber dans un ultimatisme de type «conseillisme hollandais», («ou tu fais le socialisme ou je ne te considère pas comme un État prolétarien»), force était bien d’admettre que le critère pour juger de la nature de l’État russe était un critère politique: faisant ce qu’il pouvait dans le domaine économique, l’État russe était-il ou non une force auxiliaire de la révolution internationale par sa politique intérieure et mondiale? Telle était la seule question, contrairement à ce que Trotski, furieusement accroché à son critère formel de la nationalisation de la grande industrie, n’est jamais arrivé à comprendre, en dépit d’intuitions exactes et de déclarations fulgurantes. [⤒]

  24. C’est-à-dire devant la fraction au pouvoir en U.R.S.S. qui, formellement, se situait entre la gauche de l’Opposition Trotskiste et la droite boukharinienne, toutes deux battues et écrasées. [⤒]

  25. Les textes rassemblés et préfacés par D. Guérin aux Éditions «La Taupe» sous le titre Léon Trotski, «Sur la seconde guerre mondiale», ne laissent aucun doute à ce sujet. Guérin qui vit de publications ayant trait au mouvement ouvrier, mais qui n’est qu’une canaille éclectique, ose y écrire sans en tirer la moindre conclusion politique, c’est-à-dire la moindre condamnation de principe:
    «… Il y avait deux hommes en Trotski: d’une part un internationaliste révolutionnaire porte-parole d’une IVe Internationale; d’autre part un militant et un gouvernant demeuré foncièrement fidèle à la Révolution qu’il avait lui-même dirigée et à la puissance militaire qu’il avait créée. Il est naturel que le premier Trotski ait eu tendance à considérer la deuxième guerre impérialiste mondiale avec une optique analogue à celle du Lénine de «Contre le courant», c’est-à-dire du point de vue strictement défaitiste révolutionnaire, souhaitant la défaite de tous les pays impérialistes aux prises. Mais l’autre, le Trotski soviétique, est essentiellement préoccupé, répétons-le, par le souci d’une défense inconditionnelle de l’U.R.S.S., position dont il ne démordra jamais… Ce second Trotski se laissera même entraîner à des prises de position qui, dans une certaine mesure, semblent contredire celles du premier Trotski, l’internationaliste».
    En fait, les contradictions de Trotski face à la seconde guerre impérialiste sont bien réelles et elles attestent jusqu’à quel point la pensée d’un individu, aussi grand soit-il, est capable de faillir sous les terribles pressions de l’Histoire. Cela ne fait que confirmer une position de principe de la Gauche: le Parti historique du prolétariat ne compte que sur la fidélité collective à un programme invariant, et en aucun cas sur l’exemple de «grands hommes», pour préserver la continuité de positions dont il a besoin pour traverser victorieusement les époques de contre-révolution, capables de faire sombrer jusqu’aux Militants les plus prestigieux! C’est ainsi que jamais la Gauche italienne n’a, pour sa part, toléré la moindre «correction» au principe vital du défaitisme révolutionnaire qui, établi par Lénine face à la première guerre impérialiste mondiale, reste valable pour toute l’époque historique de l’impérialisme. [⤒]


Source: «Programme Communiste», numero 51 – 52, avril – septembre 1971

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