Le mouvement social en Chine (I)
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LE MOUVEMENT SOCIAL EN CHINE (I)
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Content:

Le mouvement social en Chine (I)
I. Théorie et principes
L'invariance du marxisme contre le «socialisme national»
Perspectives d'une révolution double
Sur la «nature» de la bourgeoisie coloniale
La théorie du «féodalisme» chinois
II. Révolution et contre-révolution: 1924-1927
L'alliance avec le Kuomintang: victoire du menchevisme
L'écrasement du prolétariat
Le mouvement paysan
Source


Le mouvement social en Chine (I)
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Dans les décennies qui ont suivi la révolution d'Octobre, le mouvement social en Chine a connu une ampleur et une acuité qu'expliquent seules l'aggravation des conflits inter impérialistes pour le partage du continent et l'active participation du prolétariat chinois aux luttes politiques. La période précédente, qui a son point culminant dans la révolte des Taïpings, avait vu la première vague de ce mouvement se briser contre la puissance expansionniste du capitalisme européen remis de ses crises de 1848 et de 1870. Mais ce mouvement, en Asie, était encore politiquement informe.

Au contraire, sous l'influence de la révolution russe, les luttes de classes prirent vite une forme politique. En 1918, Sun Yat-Sen fondait à Canton un gouvernement nationaliste bourgeois. Peu après se constituait le parti communiste de Chine. L'Asie entrait ainsi dans l'histoire moderne. Mais le ferait-elle par la petite porte de la démocratie bourgeoise, déjà condamnée dans le reste du monde, ou bien marquerait-elle la fin de son isolement par la victoire de la révolution prolétarienne?

La dégénérescence de la révolution d'Octobre a liquidé toutes les chances du prolétariat chinois de voir s'abréger ses souffrances et sa marche vers le pouvoir. Mais le stalinisme n'a pas aidé pour autant le mouvement nationaliste bourgeois, puisqu'il a fallu trente ans pour que soient tenues les promesses de Sun Yat-Sen: la démocratie populaire. Ce n'est d'ailleurs pas tout d'avoir inscrit en lettres d'or dans la constitution maoïste les principes politiques du Capital. La «question chinoise» demeure. Certes, il ne s'agit plus de savoir si le prolétariat chinois pourra l'emporter dans les luttes politiques et sociales de la révolution bourgeoise et sur l'arène mondiale des conflits de classes. Ce ne sont plus ses intérêts propres qui apparaissent aujourd'hui au premier plan dans la «question chinoise», mais ceux de l'État bourgeois cherchant à gagner sa place dans le concert des nations. Ainsi, Pékin montre bien sur quoi devait déboucher le mouvement de «démocratie populaire» non pas l'émancipation sociale des opprimés, mais l'émancipation nationale du capitalisme chinois.

Au moment où les exécuteurs testamentaires de Sun Yat-Sen ont dû rompre l'alliance que la bourgeoisie chinoise avait conclue avec Moscou en 1924, sacrifiant pour longtemps l'indépendance politique du parti du prolétariat, le rôle réactionnaire de 1'U.R.S.S. apparaît même à ses plus fidèles acolytes. Mais pour nous, la rupture sino-soviétique ne révèle pas seulement l'opposition d'un capitalisme déjà mûr à la rivalité d'un jeune concurrent, comme jadis celle de l'Angleterre bourgeoise à la France de la Révolution et de l'Empire. Par delà ce conflit d'intérêts entre l'État russe et I'État chinois, les communistes doivent retrouver les termes du grand débat sur le sort de la révolution prolétarienne en Asie que les actuels dirigeants chinois ont tout aussi bien sabotée que Staline. Ce Staline auquel ils font appel contre Khrouchtchev!

Aussi grande qu'ai été la responsabilité de l'U.R.S.S. dans la défaite du prolétariat chinois, dans son ralliement au programme et au pouvoir bourgeois, la polémique avec Khrouchtchev, le faux «extrémisme» de Pékin, n'ont pour but que de prolonger la confusion et la sujétion des prolétaires chinois en les invitant à taire bloc autour de «leur» gouvernement pour construire le «vrai socialisme». Or, s'il réussit jamais à redresser les torts causés par Moscou à la Chine, le «socialisme chinois» ne peut prétendre redresser ceux qui ont été faits au communisme révolutionnaire. Car l'histoire du mouvement prolétarien en Chine s'est soldée par l'échec des prolétaires à constituer un parti de classe qui pose et résolve de façon internationaliste les problèmes théoriques et tactiques de la révolution chinoise.

L'étude qui suit est consacrée au rappel de ces problèmes qui n'ont rien d'académique, mais représentent la chair et le sang des générations passées. En même temps que croîtront les antagonismes sociaux engendrés par l'accumulation capitaliste et les difficultés qu'elle rencontre en Chine du fait de l'impérialisme russo-américain, la prise de conscience par le prolétariat chinois des tares qui ont lié son sort à celui de la bourgeoisie nationale sera l'élément décisif d'une reprise de classe. Alors, à la Commune de Canton qui s'est dressée aux cris de «A bas le Kuomintang!» fera écho un mouvement plus puissant encore contre la «démocratie populaire» fondée par les héritiers politiques du Kuomintang.

I. Théorie et principes

L'invariance du marxisme contre le «socialisme national»
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Le marxisme s'est définitivement constitué en doctrine du prolétariat révolutionnaire dans les conditions historiques et sociales créées par l'essor du capitalisme industriel en Europe occidentale. Mais il ne fut ni allemand, ni anglais, ni français. La lutte qu'ont menée ses représentants contre Proudhon, Lassalle et, plus tard, les socialistes-révolutionnaires russes, fut un lutte contre les conceptions petites bourgeoises du «socialisme national». Dès le début, Marx et Engels ont su dégager des lois économiques du capital et des formes politiques de sa domination, les principes fondamentaux du parti de classe valables pour tous les temps et pour tous les pays. C'est pourquoi, depuis lors, la tâche des communistes n'est pas d' «adapter» le marxisme aux circonstances locales et provisoires de la lutte des classes, mais simplement de le porter au sein du prolétariat, d'en faire son arme, de réaliser la jonction du mouvement ouvrier et de sa théorie révolutionnaire.

Les falsificateurs staliniens ont présenté l'œuvre de Lénine comme une géniale «adaptation» du marxisme à la Russie arriérée et les Chinois ont affublé leur «socialisme» des mêmes attributs nationaux et populaires. Il est pourtant assez clair que la question nationale et coloniale n'impose au marxisme aucune espèce d'«enrichissement» et ne justifie aucune révision. C'est au cœur même de la révolution bourgeoise allemande que Marx a lancé le Manifeste des Communistes et défini les tâches du parti de classe. Quant à Lénine, sa grandeur est d'avoir pu mener jusqu'à la dictature du prolétariat la révolution antiféodale russe. Mais l'un et l'autre faisaient dépendre le succès définitif des prolétaires allemands ou russes du sort de la révolution mondiale, des luttes de classes dans les pays capitalistes plus avancés, et non d'un «enrichissement» du marxisme par la théorie de la «construction du socialisme dans un seul pays».

Parce que l'Octobre rouge a dégénéré, entraînant avec lui la faillite de la III° Internationale, la conjonction historique du mouvement national des peuples opprimés et du mouvement communiste international n'a pu se produire. La Chine en a été la première victime. Lorsque éclatait à Canton le «bloc des quatre classes», lorsque Tchang Kaï-Chek s'apprêtait a jouer le rôle de Kérensky, Moscou interdit au parti chinois de lancer le mot d'ordre d'Octobre: «Tout le pouvoir aux Soviets!». Moscou, du reste, avait déjà réglé le sort du P.C.C. en imposant son alliance avec le parti bourgeois du Kuomintang. Mais Staline fit mieux: il put couper tous les ponts entre la révolution chinoise et les luttes de classes en Europe. La grève générale anglaise coïncidait avec l'assaut des prolétaires chinois. Staline la sabota en créant avec les Trade-Unions corrompus le fameux «Comité anglo-russe» qui liquida le plus puissant mouvement des ouvriers britanniques de l'après-guerre. On peut le dire, l'acte de naissance du «socialisme chinois» a été signé à Moscou, par Staline, avec le sang de la contre-révolution.

Du même coup, le rapport entre le mouvement prolétarien des pays avancés et les mouvements nationaux des colonies se trouva renversé. On n'attendait plus, comme Lénine, le salut des révolution russe et chinoise des succès du mouvement communiste en Europe. La lumière viendrait de l'Est et les prolétaires d'Occident ne devraient espérer leur libération que de la «construction du socialisme» en U.R.S.S. ou de l'indépendance nationale des pays d'Afrique et d'Asie, ce qui affaiblirait les «monopoles» impérialistes et renforcerait la «démocratie». Ainsi, les révolutions nationales se faisaient passer abusivement pour «socialistes» et le prolétariat devait épouser les intérêts de la nation et de la démocratie. Dans les pays arriérés elle devait épouser les intérêts de la nation et de la démocratie. Dans les pays capitalistes avancés où l'ère des révolutions bourgeoises était close depuis 1870, le «socialisme national» invita le prolétariat à faire cause commune avec la petite bourgeoisie contre les «monopoles étrangers», contre le «fascisme» et pour la «rénovation de la démocratie». Dans les pays arriérés, il le poussa au bloc avec la bourgeoisie «patriote» pour accomplir la «révolution nationale» ou même (c'est le cas de la Chine), il imposa au prolétariat les tâches de la bourgeoisie défaillante, historiquement condamnée, et lui fit réaliser non pas son programme de classe, mais celui du Capital.

A l'époque de l'impérialisme il n'est pas d'État bourgeois arriéré qui ne mette sa boutique a l'enseigne du «socialisme». Mais ce «socialisme national» a une histoire internationale: celle de la contre-révolution. En Chine notamment, il représente l'idéologie qui l'a emporté sur les ruines du parti de classe.

Perspectives d'une révolution double
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La question fondamentale de tout le mouvement social en Russie avait été de savoir si ce pays arriéré devrait rattraper son retard sur l'Occident en empruntant aussi la voie bourgeoise de l'Europe, ou s'il lui serait possible d'éviter le capitalisme. Contre les libéraux occidentalistes qui rejetaient tout bond historique par-dessus la société bourgeoise, slavophiles et populistes croyaient en découvrir le secret dans le passé réactionnaire de la Russie. Pour eux, le communisme de village, le mir, présentait toutes les promesses d'un passage direct au communisme supérieur. Mais ils fermaient les yeux à la fois sur l'existence d'un puissant féodalisme russe et sur les premiers germes du développement capitaliste dans l'Empire des tsars.

A cette conception nationale et idéaliste du bond par-dessus la phase bourgeoise, le marxisme a opposé sa conception scientifique et internationaliste du développement combiné. Il mit d'abord l'accent sur la décomposition des communautés villageoises et montra que la lutte des paysans n'avait pas pour objet la défense de la propriété collective, mais le partage du sol, le droit à la propriété privée. Ces luttes de classes ne pouvaient donc déboucher que sur une révolution bourgeoise. Pourtant celle-ci se produirait dans des conditions historiques telles que la bourgeoisies non seulement russe mais mondiale, aurait déjà engendré son fossoyeur: le prolétariat. Ainsi, dans la révolution russe, il y avait des chances pour abréger les misères de l'accumulation capitaliste si le prolétariat russe réussissait à s'organiser en détachement d'avant-garde du prolétariat international et si son action donnait le signal à la révolution socialiste en Europe.

Devant un retard encore plus grand des campagnes chinoises et une concentration plus gigantesque du capital étranger dans les villes comme Shanghai, Hongkong et Canton, la même question se posait à la Chine. Réussirait-elle ce bond par-dessus les siècles et les modes de production qui la conduirait des formes encore primitives de la société de classes aux confins historiques de la société sans classe? La présence en Russie d'un pouvoir prolétarien renforçait ces chances en mettant à l'ordre du jour de la politique mondiale la lutte directe contre la domination du capital.

Comme dans la Russie pré révolutionnaire, il s'est trouvé en Chine un courant nationaliste idéalisant les structures communautaires d'un passé révolu dans lesquelles il voyait la solution de l'avenir. On en a un écho dans le bréviaire politique de Tchang Kaï-Chek «Destin de la Chine». Mais la crise sociale ne pouvait plus être résolue à la manière des vieux réformateurs, par un repartage des terres et un changement de dynastie.

Quant au «populisme» chinois illustré par Sun Yat-Sen, le fondateur du Kuomintang, il se distinguait du populisme russe par une moins grande hardiesse théorique puisqu'il n'envisageait pas aussi ingénument d'éviter le capitalisme, mais plaçait le «socialisme» au bout de la révolution nationale et démocratique. A la différence du populisme russe, il n'est pas non plus «allé au peuple», il se contenta d'y envoyer... le parti communiste. Même sous sa forme la plus organisée et déjà réactionnaire, le Kuomintang, il n'est jamais arrivé a pénétrer et à représenter vraiment la paysannerie chinoise. Voilà ce qu'un parti de classe du prolétariat aurait dû dénoncer au lieu d'apporter sa caution politique au. Kuomintang et d'enfermer le mouvement social dans les limites étroites de la «démocratie populaire».

Le critère appliqué par les bolcheviks à la Russie était donc également valable pour la Chine. Tenaillée par un prolétariat grandissant, la bourgeoisie «nationale» hésiterait à mener à terme sa révolution. Cela n'était pas une raison pour que le prolétariat abandonne son drapeau, bien au contraire! Comme en Russie, l'apparition des Soviets en Chine marquerait le caractère double de cette révolution en la rattachant au mouvement communiste du prolétariat international. Les communistes de Chine devaient donc se préparer à lancer dans la lutte des classes le mot d'ordre de la révolution permanente. Il était la seule ligne politique qu'imposait à la Chine la loi du développement combiné d'un mouvement national bourgeois coïncidant avec l'action des ouvriers organisés. La force de cette loi n'a d'ailleurs pas été démentie par l'échec du prolétariat. Car la classe qui devait avoir l'initiative historique l'a, en un sens, gardée: réalisant non pas sa propre révolution, mais les basses œuvres de la bourgeoisie défaillante. Tant il est vrai que le capital ne vit que des erreurs et des défaites des prolétaires!

Sur la «nature» de la bourgeoisie coloniale
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Le stalinisme a tout fait pour opposer à la conception dialectique du développement combiné une conception gradualiste excluant tout bond par-dessus «l'étape» bourgeoise. Il ne l'a pas fait par goût de la théorie, mais pour justifier en Chine une autre tactique que celle de l'Octobre russe: la tactique menchéviste de la «révolution par étapes». La «science» stalinienne s'est alors ingéniée à creuser un fossé infranchissable entre la Chine et la Russie.

Pour rendre plus acceptable la «construction du socialisme» en U.R.S.S., l'historiographie soviétique s'était déjà empressée de combler le retard historique de la Russie sur l'Europe en établissant un faux parallélisme dans leur développement capitaliste. Trotsky l'a dénoncé on son temps dans ses polémiques contre l'historien Pokrovski. Pour la Chine, on élabora une théorie qui prétendait l'opposer à la Russie tsariste par deux traits essentiels: le joug colonial et un féodalisme encore plus puissant et plus arriéré dans les campagnes. Selon cette théorie, la pression de l'impérialisme devait rendre la bourgeoisie anticoloniale chinoise plus révolutionnaire que la bourgeoisie antitsariste russe. Il s'ensuivait, bien sûr, que pendant toute une période cette bourgeoisie devrait avoir les mains libres et l'appui du prolétariat pour abattre la domination étrangère. Voici ce que répondait Trotsky dans sa brochure «La révolution chinoise et les thèses de Staline»:
«
Une politique qui ignorerait la puissante pression exercée par l'impérialisme sur la vie intérieure de la Chine serait radicalement fausse. Mais non moins fausse la politique qui partirait d'une idée abstraite de l'oppression nationale, sans connaître sa réfraction dans les classes (souligné par nous N.D.L.R.). [...] Le rôle énorme que joue le capital étranger dans la vie de ce pays est cause que des catégories très importantes de la bourgeoisie, de la bureaucratie et de la caste militaire ont lié leur destinée avec celle de l'impérialisme. Sans cela on ne pourrait comprendre le rôle colossal des militaristes dans la Chine moderne. Ce serait encore une profonde naïveté de croire qu'entre la bourgeoisie des compradores, c'est-à-dire des agents économiques et politiques du capital étranger en Chine, et la bourgeoisie «nationale» il y aurait un abîme. Au contraire, ces deux catégories sont incomparablement plus près l'une de l'autre que la bourgeoisie et les masses ouvrières et paysannes. La bourgeoisie a participé à la guerre nationale comme un frein intérieur en jetant continuellement un regard hostile aux ouvriers et aux paysans, toujours prête à un compromis avec l'impérialisme

Parce que la révolution chinoise de 1924-1927 a coïncidé avec les dernières flambées révolutionnaires du prolétariat occidental, à une époque où le fascisme et les fronts populaires n'avaient pas encore cristallisé les blocs de la deuxième guerre mondiale, la «question chinoise» a servi de tremplin au réformisme dans les mouvements nationaux et coloniaux. Mais la position défendue alors par Trotsky s'est vérifiée dans tous les autres cas. Loin d'être plus «révolutionnaires», les bourgeoisies nationales sont toujours plus lâches et plus opportunistes à l'époque de l'impérialisme. Les leçons de l'Octobre russe étaient aussi valables pour les pays coloniaux d'Afrique et d'Asie. Comme le montra Trotsky, en tirant du joug colonial le caractère révolutionnaire de la bourgeoisie chinoise, on renouvelait l'erreur (et la tactique) des menchéviks qui faisaient découler de 1'exploitation féodale une prétendue «nature» révolutionnaire de la bourgeoisie russe. S'il était permis d'élever les révolutions anticoloniales au niveau des révolutions nationales bourgeoises, il n'était pas possible pour le marxisme de les placer au-dessus des révolutions bourgeoises classiques. Bien au contraire, plus qu'une révolution bourgeoise classique, une révolution anticoloniale met en cause les intérêts du capitalisme mondial et pousse donc forcément à l'avant-scène les vrais protagonistes de la lutte des classes à l'époque impérialiste: bourgeoisie et prolétariat.

La théorie du «féodalisme» chinois
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La théorie stalinienne du «féodalisme chinois» n'était guère plus heureuse que celle sur la «nature révolutionnaire» de la bourgeoisie anti-coloniale. Elle avait également pour but d'embellir le rôle de la bourgeoisie «nationale» en la présentant comme l'émancipatrice du serf. Or, moins encore qu'en Russie, la bourgeoisie chinoise avait intérêt à prendre la tête de la révolution agraire et moins encore qu'en Russie elle avait une «mission antiféodale» à accomplir.

En effet, le retard de la Chine, comme celui de la Russie, était dû entre autres causes à l'incapacité de sa bourgeoisie à se constituer en classe dominante, autonome. Elle ne s'était pas développée, comme la bourgeoisie européenne, en opposition aux autres classes de la vieille société, mais en simple appendice de celle-ci. Car elle s'était tout naturellement greffée à la caste des mandarins à travers le commerce du sol qui était resté libre pendant près de deux millénaires. A la différence du serf, le paysan chinois a toujours pu vendre, acheter ou louer sa terre. Les propriétaires fonciers n'étaient pas une classe privilégiée par rapport au «tiers état», comme dans l'Europe féodale, mais ils étaient toujours étroitement liés à la classe des marchands et des usuriers. Il n'existait donc pas de propriété féodale, de même qu'il n'existait pas de servage proprement féodal. Les servitudes du paysan chinois ne venaient pas de l'attachement à la glèbe d'une main-d'œuvre dont le seigneur pouvait librement disposer. Il s'agissait presque toujours d'une dette contractée pour l'affermage d'un lopin de terre rare et précieux. La diffusion d'une rente en nature ou en travail n'avait rien à voir avec une rente féodale; elle était une conséquence extrême de la dégénérescence du mode asiatique de production et d'un développement exclusivement usuraire de la rente capitaliste. C'est pourquoi une révolution agraire menée par la bourgeoisie contre les «féodaux» était une chose impossible en Chine. Point de «tiers état» libérant le paysan de la glèbe, car, ce faisant, la bourgeoisie irait contre son propre intérêt de classe qui dispose du capital marchand et usuraire. Ainsi vole en éclats la théorie du «féodalisme chinois».

En fait, Marx distinguait du féodalisme et de l'esclavage antique un «mode asiatique de production» dont la Chine était resté le seul exemple historique vivant après la décadence de l'Égypte ancienne et de la Mésopotamie. Certes, ce mode de production avait dégénéré, mais il n'était pas possible d'en faire abstraction pour comprendre le caractère particulier, «l'originalité» de la révolution chinoise. Le retard de la Russie face à l'Europe s'expliquait déjà partiellement par quelques traits «asiatiques». C'était notamment l'union de l'agriculture et de l'artisanat domestique qui empêchait le développement des villes et de la bourgeoisie. Mais, à l'aube des révolutions bourgeoises en Europe occidentale, la Russie remédia à cet inconvénient par l'instauration tardive du servage, par un féodalisme d'État répondant aux besoins du commerce, du prestige et de la guerre devant l'Occident. Tel fut le fil conducteur de la politique tsariste, d'Ivan le Terrible à Catherine II.

En Chine, la prédominance du mode asiatique de production s'expliquait par la nécessité d'une régulation sociale des eaux des grands fleuves pour rendre possible une agriculture. C'est là que l'Empereur «Fils du Ciel» puisa le principe de son despotisme tenace, c'est là que les paysans libres, unis par les travaux communs d'irrigation, trouvèrent le moyen de résister victorieusement à la féodalité. Pour les mêmes raisons, l'esclavage n'avait connu en Chine qu'une forme domestique et ne s'était pas institué en mode de production spécifique, comme dans l'Antiquité grecque ou romaine. Aucun bouleversement de l'histoire n'avait réussi a «féodaliser» la Chine, ni les invasions mongoles, ni la dynastie mandchoue, ni enfin l'appui donné par l'impérialisme mondial aux «seigneurs de la guerre» pour mieux réaliser sa politique de partage du pays en sphères d'influence.

Mais une telle conception du développement historique qui offrait la perspective saisissante d'un bond de deux millénaires par-dessus les formes les plus barbares des sociétés de classes, aurait rejeté la bourgeoisie chinoise, l'allié du «bloc des quatre classes» comme un élément de parasitisme et de réaction. Or, c'est ce bond révolutionnaire de la Chine et avec elle du prolétariat mondial que Staline entendait rejeter. Pour cela il inventa une conception gradualiste du développement historique qui établissait en Chine cette succession: esclavagisme, féodalisme, capitalisme. Après cette ultime «étape», on parlerait de révolution prolétarienne!

II. Révolution et contre-révolution: 1924-1927

L'alliance avec le Kuomintang: victoire du menchevisme
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Les théories sur le caractère «antiféodal» de la révolution chinoise et sur la «nature révolutionnaire» de la bourgeoise coloniale n'avaient qu'un but: rallier le parti du prolétariat aux objectifs nationaux du Kuomintang. Ce fut chose faite en 1924. Au Premier Congrès du Kuomintang réunifié, le parti communiste chinois apporta son adhésion au parti de Sun Yat-Sen.

Aucune des justifications qui furent données à cette alliance ne résiste à une sérieuse critique marxiste. Ni l'argument de la faiblesse numérique du P.C.: en aucun cas, et surtout dans sa phase embryonnaires le parti ne doit altérer sa physionomie de classe et compromettre son indépendance. Ni l'argument selon lequel le Kuomintang n'était pas un parti bourgeois mais représentait seulement un «bloc de quatre classes», voire un parlement révolutionnaire dans lequel le parti du prolétariat avait le devoir d'entrer pour y accomplir sa tâche pendant la révolution bourgeoise. En effet, si le Kuomintang avait vraiment représenté un tel parlement et non un parti politique, pourquoi aurait-il imposé aux communistes l'adhésion individuelle qui leur interdisait de se comporter en parti défendant ses propres objectifs et ses propres méthodes au sein de cette prétendue assemblée? Dernier argument qui, lui, reconnaissait au Kuomintang le caractère d'un parti bourgeois: on déclara que l'alliance relevait de la tactique des accords partiels et temporaires avec d'autres partis révolutionnaires que Marx et Lénine n'excluaient pas dans la révolution nationale bourgeoise. Cet argument «du front anti-impérialiste» l'emporta, mais Trotsky eut le mérite de montrer que ces accords n'avaient rien à voir avec la tactique. Il les dénonça comme une alliance de principe, comme le ralliement du P.C.C. au programme de la bourgeoisie.

Pour s'en rendre compte, il suffit de se reporter au communiqué signé par Joffé et Sun-Yat-Sen, le 26 janvier 1923, à la suite des pourparlers préliminaires entre Russes et Chinois:
«
Le Dr Sun-Yat-Sen estime que ni l'organisation communiste, ni même le système des soviets ne peuvent être actuellement introduits en Chine, parce que les conditions nécessaires au succès de l'établissement du communisme ou du soviétisme n'y existent pas. Cette opinion est entièrement partagée par M. Joffé qui est d'avis que le problème le plus important et le plus pressant de la Chine est d'achever son indépendance nationale...»

Ainsi, le révolutionnaire bourgeois Sun Yat-Sen déniait comme les mencheviks russes la possibilité d'une révolution prolétarienne en Chine. Quant au représentant de la république des Soviets, il «partageait» son opinion. La diplomatie russe avait semé le menchévisme en Chine. Que pensaient en effet les mencheviks? Que la Russie n'était pas mûre pour le socialisme, ce qui était vrai sur le plan économique, mais faux quand on en tirait la conclusion politique que dans la révolution bourgeoise le prolétariat organisé ne devrait jouer qu'un rôle d'appoint en revendiquant tout au plus certaines réformes sociales tendant à «mener jusqu'au bout» le mouvement antiféodal. Un parti de classe ne peut se bâtir sur ces principes. Pourtant, comme on sait, la position menchéviste se manifesta dans le Parti bolchevik lui-même entre février et avril 1917. Staline était alors de ceux qui préconisaient la convocation de l'Assemblée Constituante pour mettre un terme «démocratique» à la dualité des pouvoirs bourgeois et prolétarien. Il fallut toute l'énergie lucide de Lénine pour substituer au mot d'ordre du menchévisme celui du parti de classe: «Tout le pouvoir aux Soviets!». Mais cela ne fut possible que parce que les bolcheviks avaient derrière eux une longue tradition de lutte contre le menchévisme, parce qu'ils avaient su se différencier de tous les partis bourgeois et petits bourgeois dans la préparation révolutionnaire. En Chine, cette offensive de classe fut immédiatement réprimée parce que, depuis longtemps, le parti communiste avait pieds et poings liés avec le Kuomintang.

Le point de vue du Kuomintang sur le déroulement de la révolution chinoise se résume dans les «Trois principes du peuple» formulés par Sun Yat-Sen: nationalisme, démocratie et socialisme. Le principe du «nationalisme» concernait la lutte pour l'indépendance nationale et l'unification du pays. Par «démocratie» Sun Yat-Sen entendait l'instauration d'un régime parlementaire bourgeois. Beaucoup plus vague était la notion de «socialisme» qui recouvrait simplement quelques réformes sociales.

Le Kuomintang considérait la réalisation de chacun de ces principes comme une «étape» indispensable avant de pousser plus avant la révolution chinoise. D'abord, l'unité nationale; puis l'Assemblée Constituante; enfin, les réformes sociales. Cette tactique de la bourgeoisie visait à lui laisser l'entière initiative et la direction du mouvement révolutionnaire. Elle était pourtant incapable de donner le moindre résultat: l'indépendance nationale ne pouvait être réalisée que par l'insurrection paysanne et la révolution agraire ne pouvait être vraiment radicale que sous l'impulsion du prolétariat.

Au lieu d'affirmer dans la pratique le rôle dirigeant du prolétariat dans la révolution chinoise, Staline se contenta de reprendre les thèses menchévistes de Sun Yat-Sen sur la «révolution par étapes» qui devinrent doctrine officielle de l'Internationale. A «l'étape anti-impérialiste», il ne fallait pas «effrayer» la bourgeoisie nationale par d'excessives revendications agraires. A l'étape de la révolution «agraire», il ne faudrait pas aller au-delà des aspirations forcément bourgeoises de la paysannerie. Quant à «l'étape socialiste», même après la conquête du pouvoir par Mao Tsé Toung, Moscou s'est refusé à en reconnaître l'avènement. Staline rappelait volontiers que la révolution chinoise avait surtout un caractère «antiféodal» et ne saurait donc avoir les prétentions de la Sainte Russie à «construire le socialisme». Ce que l'U.R.S.S. refusais par là à la Chine, on le voit mieux aujourd'hui, ce n'était pas le socialisme dont l'avenir fut à jamais compromis par l'alliance avec le Kuomintang, mais tout simplement un puissant développement capitaliste.

L'alliance avec le Kuomintang, du reste, n'a pas été fatale au seul prolétariat, elle a même constitué un frein au mouvement d'indépendance nationale. Lorsque la répression de Tchang deviendra trop évidente, en 1926, le P.C.C. lancera le mot d'ordre d'alliance avec la seule «gauche» du Kuomintang pour lutter contre la «droite». Et il enverra des ministres «communistes» dans le gouvernement de gauche de Ouhan en novembre 1926. Cette alliance dura le temps de compromettre définitivement le P.C.C. dans la répression du mouvement paysan. Aussi fut-elle dénoncée par Mao Tsé-toung lors de la création des premières «républiques soviétiques» dans la Chine du Sud. Pourtant, dès le début de la guerre antijaponaises Mao renoua avec un «front uni antiimpérialiste» d abord hostile à Tchang, mais qui bientôt l'accueillit dans ses rangs. En 1940, la rupture était imminente lorsque la guerre «antifasciste» rapprocha encore les deux partis. Nouvelle alliance on 1945, imposée par Staline, et dont Mao ne put se tirer qu'en s'emparant du pouvoir.

On le voit, cette alliance P.C.C.-Kuomintang fut un puissant obstacle au mouvement national. Mais chaque fois que le P.C.C. la rompit ce ne fut pas pour se placer sur un terrain de classe abandonné dès 1924, mais pour mieux réaliser la politique du Kuomintang. Le Parti communiste chinois était devenu le «véritable» Kuomintang, le champion interclassiste des intérêts du capitalisme chinois. A la fin des années 20, il rompit avec le parti de Tchang pour conquérir la paysannerie aux objectifs nationaux bourgeois, ce que Tchang n'avait pu faire. A la fin des années 40, ce fut pour liquider le passif de la guerre impérialiste et réaliser l'unité du pays.

L'écrasement du prolétariat
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Une simple chronologie du mouvement ouvrier chinois ferait apparaître sa rapide croissance et une brusque répression dans les dix années qui suivirent la première guerre mondiale. Ce fut bien peu de temps pour qu'une avant-garde communiste puisse se forger, si on le compare aux décennies pré révolutionnaires pendant lesquelles le parti bolchevik s'est aguerri. Mais l'on pouvait espérer qu'avec une bonne direction de l'Internationale, sans parler des conditions objectives de la lutte des classes, le parti chinois aurait réussi lui-même à brûler les étapes et à être au rendez-vous de la révolution. Or, c'est le contraire qui s'est produit: le parti a été dépassé par le mouvement des masses et les mesures de l'internationale l'ont rendu incapable d'accomplir sa tâche au moment voulu. Aussi, le prolétariat chinois a-t-il dû tirer de ses propres défaites tous les enseignements de la révolution et jusqu'à sa ligne politique. Il l'a fait héroïquement et d'une manière irréversible, si bien que par delà son silence actuel il retrouvera dans cette expérience passée l'essentiel de ses traditions de classe.

Totalement absent dans la révolution de 1911, le prolétariat chinois ne participa que sous la forme d'une grève de coolies au Mouvement du 4 mai 1919 par lequel la bourgeoisie «nationale» entendait manifester son mécontentement à l'égard des accords de Versailles qui remettaient aux impérialistes vainqueurs les biens de l'Allemagne en Chine. En juillet 1921, eut lieu le congrès de fondation du parti communiste. On y prononça d'abord l'exclusion des anarchistes et de certains représentants bourgeois que l'on verra plus tard à la tête du Kuomintang. L'accent était mis sur les luttes économiques et sur la création de syndicats ouvriers. Dès lors, le parti prend la direction d'un certain nombre de grèves où il revendique le droit d'organisation. Les deux plus puissantes sont celle des marins de Hongkong en janvier 1922 et celle des cheminots de la ligne Pékin-Hankéou en février 1923. Cette dernière grève se termina par une répression sanglante qui marqua un arrêt dans I'essor du mouvement ouvrier. Mais dès ces premiers pas de graves divergences apparurent entre le P.C.C. et le Kuomintang sur la question syndicale.
«
Les éléments prolétariens et semi-prolétariens» déclarait Safarov au Premier Congrès des Travailleurs de l'Extrême-Orient en janvier 1922 «doivent s'organiser d'une façon indépendante dans leurs syndicats de classe. Les syndicats que l'on forme actuellement comme guildes et organisations corporatives directement liées au Kuomintang ne peuvent être reconnus par nous comme des syndicats de classe...». Au lieu de résoudre ces problèmes, l'alliance avec le Kuomintang les compliquera.

Le Mouvement du 30 mai 1925 donne le signal d'une nouvelle vague de luttes sociales. Ce fut d'abord une grève des ouvriers du textile de Tsingtao contre leurs patrons anglais et japonais. Après une fusillade à Shanghai, le mouvement se transforma en grève générale des ouvriers, des étudiants et de la bourgeoisie qui se mît à boycotter les marchandises étrangères. La grève dura de juin a novembre 1925, ruinant le commerce britannique au moment même où les mineurs anglais entraient en lutte dans la métropole. C'est alors que les premières frictions entre la bourgeoisie «anti-impérialiste» et le prolétariat chinois se firent jour. La bourgeoisie déserta bientôt le comité de grève quelle avait soutenu. Le Kuomintang fut effrayé par l'afflux à Canton des prolétaires de Hongkong qui abandonnèrent le port anglais et exercèrent une pression révolutionnaire sur les ouvriers moins avancés de Canton. A la fin de 1925 une tendance se dessinait à l'intérieur du Kuomintang contre la collaboration avec le P.C.C.

Le 20 Mars 1926, Chang Kaï-chek faisait arrêter les communistes de l'École Militaire de Whampoa et des dirigeants de «gauche» du Kuomintang. Staline fit le silence le plus complet sur ce coup de main et l'alliance fut préservée moyennant l'appui du P.C.C. pour la campagne contre les militaristes du Nord et un frein sérieux aux revendications économiques dans les territoires «libérés». Bientôt, le principe de l'arbitrage gouvernemental fut établi et les grèves interdites dans le secteur public. Une résolution prise par le C.E. du P.C.C., le 13 décembre 1926, décrit fort bien la situation découlant du maintien de l'alliance à tout prix:
«
Le plus grand danger consiste en ceci: que le mouvement des masses progresse vers la gauche, tandis que les autorités politiques et militaires, en voyant la croissance rapide du mouvement des masses, sont prises de peur et commencent à pencher à droite.
Si des tendances extrêmes continuent à se développer dans l'avenir, l'abîme entre les masses et le gouvernement se creusera de plus en plus largement, le front rouge uni finira par être détruit, et l'ensemble du mouvement national apparaîtra comme étant en danger.
[...] Dans la pratique de la lutte des ouvriers et des paysans, nous devons éviter les fusions (revendications trop grandes des artisans et des ouvriers, participation des piquets ouvriers dans les affaires administratives, prise par les paysans de la propriété de la terre, etc.). Et ceci afin de nous guérir de la maladie infantile de gauche
».

Au printemps 1926 débute la campagne des armées nationalistes contre les «seigneurs de la guerre». En novembre, le gouvernement quitte Canton pour Ouhan, une des trois villes formant l'agglomération de Hankéou. Le gouvernement de Ouhan donne trois portefeuilles ministériels au P.C.C. et entre autres ceux de l'Agriculture et du Travail. Pendant ce temps Chang Kaï-chek marche sur Shanghai dont la conquête sera décisive pour le sort de la révolution.

Le 21 mars 1927, éclate à Shanghai une insurrection armée du prolétariat qui devance l'entrée des troupes nationalistes. La ville est au mains des ouvriers. Mais le P.C.C. refusera de poursuivre la lutte et fera remettre les armes de ses sections aux hommes de Tchang Kai-chek qui fêtera son entrée dans la ville par l'exécution de milliers de prolétaires, le 12 avril 1927.

Le Kuomintang de «gauche» suit le même cours. En mai, la garnison de Tchangcha attaque les communistes et exécute leurs leaders. En juin, ce sont des raids armés contre les Bourses du Travail. Le 15 juillet, le conseil politique du Kuomintang exclut tous les communistes du parti; dans les jours qui suivent on arrête et exécute nombre d'entre eux.

Vient enfin la commune de Canton qui dura du 10 au 14 décembre. Née sur l'instigation de l'Internationale, mais aussi du désespoir et de la colère des ouvriers chinois, elle lança les vrais mots d'ordre de la révolution en mettant hors la loi toutes les tendances du Kuomintang. Pourtant c était déjà le reflux et la situation objective ne laissait plus d'autre issue que la défaite finale. Les rangs du prolétariat étaient complètement décimés.

Le mouvement paysan
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Le mouvement agraire des années 1925-1928 connut le même sort que le mouvement ouvrier, avec cette différence que la défaite de la paysannerie chinoise ne fut pas aussi radicale que celle du prolétariat. Le caractère chronique de la crise agraire laissait prévoir à court terme une nouvelle vague révolutionnaire. Pourtant, le prolétariat battu, cela signifiait que la paysannerie basculerait toute entière du côté de la bourgeoisie.

Dès la formation à Canton du second gouvernement Sun Yat-Sen, en avril 1921, des divergences surgirent entre le Kuomintang et le parti communiste sur la question agraire. Le parti nationaliste entendait renvoyer à plus tard la nationalisation des terres et en vint à une simple limitation du taux de fermage. Par là il restait fidèle à son programme: le «socialisme» après l'unification du pays, après «l'étape démocratique». Avec les débuts de la Campagne du Nord la situation s'aggrava du fait des impôts extraordinaires prélevés pour l'équipement de l'armée, du fait aussi d'une lutte ouverte opposant milices contre-révolutionnaires (les Mintouans) et paysans pauvres. Au cours de cette lutte se formèrent des «unions paysannes» dont les premières apparurent dans le Kouangtoung vers 1924. Ayant pour but de combattre les Mintouans et de réaliser les réformes promises par le gouvernement nationaliste, elles formulèrent des revendications qui, tout en étant modestes, dépassaient le cadre des mesures gouvernementales. Les «unions» demandaient une baisse des fermages, l'abolition des impôts extraordinaires avec introduction d'un impôt progressif sur le revenu, l'auto-gouvernement rural, la liberté d'organisation et l'armement des paysans.

Le Kuomintang ne pouvait satisfaire ces revendications. Le P.C.C. se contenta de les freiner. A la date du 20 mars 1926 qui vit la fin du pouvoir de «l'aile gauche» à Canton (9 membres du P.C.C. se trouvaient dans le Comité Central du Kuomintang), le pouvoir nationaliste n'avait pris que trois mesures en faveur de la paysannerie: 1) décret sur la liquidation du banditisme; 2) création d'organisations paysannes; 3) défense contre les Mintouans. Rien sur la réforme agraire. Le P.C.C. opposait à la demande d'armement des paysans celui du désarmement des Mintouans. Lorsque les «unions paysannes» deviendront assez fortes et prendront en main le partage des terres, le P.C.C. essaiera simplement de les coiffer pour en faire des organes gouvernementaux au lieu de lutter en leur sein pour en faire de véritables Soviets. En avril 1927, Staline préconisa bien l'armement des paysans et le déclenchement de la «révolution agraire», mais il refusait toujours le mot d'ordre des Soviets.

Le résultat de cette politique fut que le mouvement paysan, au lieu de grandir et de passer à une forme supérieure d'organisation, retomba au niveau traditionnel des sociétés secrètes à caractère politico-religieux provoquant des insurrections armées contre les usuriers et les propriétaires comme celles du Chantoung et du Kiangsou au printemps 1929, du Honan et du Sétchouan à la fin de la même année. Dans bien des régions la «révolution agraire» s'en tint à cette forme embryonnaire. Devant l'internationale, le «ministre» communiste du gouvernement de Ouhan fera cet aveu:
«
Nous avons pratiquement sacrifié les intérêts des ouvriers et des paysans... Le gouvernement n'a pas accepté les revendications paysannes que nous lui présentions au nom des diverses organisations publiques. Dans les conflits éclatant entre gros propriétaires et paysans pauvres, le gouvernement a toujours pris le parti des premiers» (Cité par Trotsky dans «La révolution chinoise et les thèses de Staline»).

Pour condamner cette politique une Conférence extraordinaire du P.C.C. s'est tenue à Hankéou en août 1927; une nouvelle ligne, que Mao Tsé-toung jugera plus tard comme «gauchiste», fut alors adoptée: elle préconisait la confiscation et même la nationalisation du sol. En novembre 1927, Mao fut même limogé pour opportunisme lors de «l'insurrection à la moisson d'automne». Ce n'est qu'au VI Congrès du parti, tenu à Moscou en septembre 1928, que Mao put définitivement l'emporter en définissant une tactique modérée dans la confiscation des terres. Elle limitait le partage aux propriétaires fonciers et précisait: «L'aggravation de la lutte contre le koulak est une erreur au stade actuel, car elle efface la contradiction fondamentale entre la paysannerie et la classe des propriétaires fonciers». C'est cette ligne qui inspirera la loi agraire de novembre 1931.

L'historiographie officielle présente Mao Tsé-toung comme l'homme qui a su redresser le parti et donner une juste appréciation du mouvement paysan. Pour ce qui est de la question agraire, nous pouvons voir que la nouvelle tactique n'avait rien qui puisse modifier radicalement la situation en pleine phase, d'ailleurs, de repli révolutionnaire. Quant au parti lui-même, Mao en a été plutôt le fossoyeur que le sauveur... Selon son école, l'opportunisme du P.C.C. dans la révolution de 1927 n'était imputable ni à l'orientation de l'Internationale, ni à la théorie menchéviste de la révolution «par étapes». On reprocha seulement aux dirigeants détrônés d'avoir «sous-estimé» le mouvement des masses et en particulier celui de la paysannerie. L'Internationale moscovite renouvela à l'encontre du parti chinois les mêmes condamnations sommaires qu'elle avait prononcées en 1923 contre le parti allemand. Et comme en 1923, elle lança une de ses sections dans l'obscure aventure dont Mao Tsé-toung sortit vainqueur: la «révolution agraire» et la création de «bases révolutionnaires» qui prendront bientôt le nom pompeux de «républiques soviétiques».

Pourtant, aux yeux du marxisme, la politique du P.C.C. dans la question agraire a eu un certain nombre de conséquences durables qu'aucun «redressement» et qu'aucune reprise n'ont pu entraver. D'abord, au cœur même de la révolution chinoise, le menchévisme a rendu impossible la liaison du mouvement paysan avec la cause du prolétariat, en refusant le mot d'ordre des Soviets et l'armement des paysans. Par son adhésion à la politique bourgeoise de réduction des fermages et de distribution des terres, le P.C.C. s'est prononcé pour des mesures purement réformistes, désamorçant pour un temps la charge explosive accumulée dans les campagnes. Ainsi, se dessinait le caractère petit-bourgeois de la prochaine poussée agraire dont la direction bourgeoise était désormais assurée. Enfin, dans la confusion idéologique qui accompagna la défaite du prolétariat, le P.C.C. se préparait à renaître, à la première reprise, non plus comme parti de classe du prolétariat, mais comme le parti petit-bourgeois de la «révolution agraire», en somme un équivalent chinois du parti socialiste-révolutionnaire russe.

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Source: «Programme Communiste», N° 27, Avril-Juin 1964

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