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LES PROLÉTAIRES NOIRS À L'AVANT-GARDE
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Les prolétaires noirs à l'avant-garde
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Les prolétaires noirs à l'avant-garde
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Les événements de l'Afrique du Sud dépassent le cadre d'un heurt localisé et vont bien au-delà des limites d'un conflit entre racistes enragés et «peuples de couleur» exaspérés.

Les sacristains des Nations Unies, qui feignent une vertueuse indignation et invoquent, en faveur des noirs, le respect des droits civiques et de la «dignité de la personne», essayent de réduire cette bataille aux dimensions d'une lutte entre principes moraux. Représentants du capitalisme le plus évolué, ils le proposent comme modèle au capitalisme «mesquin et arriéré». Aucun des orateurs de la tribune new-yorkaise ne s'est indigné - il ne pouvait le faire - du traitement infligé au noir en tant qu'ouvrier; leur indignation ne s'est manifestée qu'en faveur de «l'homme», car «l'homme», dans la société bourgeoise - Marx l'a démontré il y a un siècle - doit être libre (liberté, égalité, propriété et Bentham!) pour être mieux roulé.

La vérité au sujet du conflit sud-africain est proprement celle-ci: les protagonistes en sont non pas une multitude de «primitifs» errant avec arcs et flèches dans les déserts et les bois, non une masse de Bantous nus rappelant les premiers âges de «l'homme», mais des troupes de prolétaires surexploités, comme le furent, au temps de l'accumulation primitive, leurs frères européens et comme le sont, à l'époque de l'accumulation élargie, les ouvriers du monde entier. La bestiale persécution des blancs contre les noirs, s'ajoutant à la lutte de classe, fait du drame sud-africain un drame historique et de la bataille héroïque des «hommes» maintenus dans les réserves un avertissement urgent à la classe ouvrière mondiale.

C'est sur les dix millions de noirs bantous, sur les treize cent mille métis, que se base la propriété fabuleuse de la classe dominante blanche de l'Afrique du Sud, ce sont eux qui travaillent comme des bêtes de somme dans les mines de cuivre, d'or et de diamants, les usines modernes et les grandes exploitations agricoles, pour que la civilisation chrétienne des banquiers, des industriels et des propriétaires anglo-boers poursuive sa progression sans rencontrer d'embarras. Représentant 80% de la population totale, ils ne reçoivent que 19 à 23% (il s'agit d'une moyenne, et les moyennes sont trompeuses) d'un revenu national qui s'accroît chaque année de 4,8% - rythme plus élevé que celui enregistré aux Etats-Unis, au Canada et en Grande-Bretagne. On enferme ces fils de Satan dans les réserves pour ne pas qu'ils contaminent les fils de Dieu, mais tous les matins on les fait se mêler avec les blancs dans l'atmosphère purificatrice de la fabrique. On les tient sous clé pour être plus certain de les avoir toujours sous la main. Si jamais ils se croisaient les bras, on saurait où les trouver. Leur devoir est le suivant: gagner leur pain à la sueur de leur front; et d'autres le consommeront. Ils ont été faits dans la dernière heure du septième jour de la Création pour servir, sans velléités d'indépendance ou envies de retour à la Nature, les intérêts souverains du Capital. Leur peau est noire, mais elle se rachète à peine arrivée sur le marché.

C'est pourquoi les autos blindées, les avions, les mitrailleuses furent nécessaires: de ces bras, noirs comme la voûte de l'enfer, dépend la stabilité du pouvoir capitaliste (non seulement à Pretoria: les actions sud-africaines ont subi une chute à la bourse de Londres). Il n'y a ni pain, ni minerai de cuivre et de fer, ni machines modernes si ces bras s'arrêtent. Accordez-leur les droits civiques et ils travailleront davantage! clame-t-on à l'O.N.U. Mais, dans les immenses espaces africains, qui contrôlerait les «libérés»? Serait-on certain de les retrouver chaque matin dans les fabriques toutes neuves, dans les usines modèles, dans les puits du dernier style? Non, messieurs, le passeport est nécessaire, et nous le leur ferons payer (il coûte une livre sterling: quatre jours

et demi de salaire); nous voulons les réserves, édition raffinée de la prison à ciel ouvert, et qu'ils en payent la location. Derrière les barbelés, ils seront surveillés par le policier, formés par le prêtre, approvisionnés par le marchand et le distillateur d'alcool. Pendant le jour, la galère de l'usine; durant la nuit, la réserve. C'est pour leur bien.

(Récemment, les théoriciens de la «liberté» ont eu l'occasion de discuter à propos du libre mouvement de la force de travail dans l'aire du Marché Commun - quand il sera réalisé. Eh bien! ces illustres Messieurs se sont grattés l'occiput: si nous instaurons la libre circulation des travailleurs, nous attirons les Algériens dans la maison... Mieux vaut une solide réserve en Afrique du Nord, pour notre bien et... pour le leur!)

Les blancs, c'est-à-dire les patrons, ont cloué au pilori les partis politiques des noirs modérés - partisans de la résistance passive - comme des extrémistes. Ont-ils ainsi résolu le problème? Le problème est social, donc il subsiste, même s'ils parquent les individus dans les galères. Les gouvernants sud-africains sentent que leurs temples dorés sont bâtis sur un volcan en éruption. Et dans leur désespoir, que font-ils? Sinon ce que feraient, dans les mêmes conditions, les gouvernants d'un quelconque pays capitaliste. Supposons que les prolétaires de Manchester, de Pittsburg et de Léningrad se mettent en mouvement, non comme un troupeau bêlant, mais comme une armée de noirs sud-africains, alors ce sera Pretoria peut-être qui se mettra à protester contre les mauvais traitements infligés... aux blancs!

Ce n'est pas un hasard si, à l'ONU et ailleurs, on essaye de placer le conflit sud-africain sur le terrain de la polémique morale: il ne faut pas que les prolétaires, quelle que soit la couleur de leur peau, comprennent que là-bas, derrière le paravent d'un choc entre races, entre «hommes», il y a une lutte opposant le capital et le travail; que là-bas les patrons n'ont pas encore appris à se déguiser en agneaux et que les travailleurs n'ont pas encore désappris à se servir, contre les vampires de quelque race qu'ils soient, de la force (la seule chose qu'on ne peut leur prendre parce que c'est cette force qui actionne la machine génératrice du profit).

Il ne faut pas que les prolétaires se rappellent la leçon de l'histoire: il n'y a de «liberté» que celle qui se conquiert par la violence.

Source: «Programme Communiste», numéro 12, juillet-septembre 1960

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