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LES STALINIENS ET LA RELIGION


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Les staliniens et la religion[1]
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Les staliniens et la religion

On sait quelle place est faite en U.R.S.S. à l’Église Orthodoxe. Séparée de l’État après la Révolution d’Octobre, elle tend forcément avec la dégénérescence du pouvoir prolétarien à mettre à profit sa « liberté », comme on l’a vu ailleurs, pour conquérir de nouvelles positions dans la société et se rajeunir. Mais elle n’en reste pas moins, dans la pure tradition tsariste, l’humble servante de l’État. C’est pourquoi celui-ci ne manque jamais de distribuer une généreuse manne à faire pâlir nos laïques communistes français pour la construction de ses églises, l’entretien de ses popes et de ses séminaires.

Cela nous le savons, car on nous a habitués depuis longtemps à voir dans les brochures, les livres de propagande et autres images d’Épinal du « pays du socialisme » combien l’Église y est libre de prêcher et combien est grande de l’autre côté du rideau de fer la liberté d’opinion religieuse, sinon politique. Ce qui ne veut pas dire, naturellement, que les communistes doivent proclamer l’abolition violente de la religion comme le voulaient les blanquistes de la Commune ou comme essaya de le faire Bismarck. De telles méthodes vont à l’encontre du but qu’elles visent en renforçant l’opposition religieuse dans un État que le capitalisme contribue lui-même à laïciser. De fait, en U.R.S.S., après une politique de Kulturkampf qui a dû avouer sa faiblesse, il a fallu, à la faveur de la dernière guerre, passer à une politique de compromis avec l’Église Orthodoxe qui se trouva chargée de canaliser la foi religieuse dans le bons sens patriotique.

Aussi pourrait-on se demander pourquoi les brochures d’agitateurs sont pleines de phrases comme celle-ci :
« Dans la conservation des survivances religieuses dans la conscience des Soviétiques, le camp capitaliste joue un rôle énorme. L’influence idéologique de ce camp est déterminée avant tout par le fait même de son existence et ensuite par ses actions hostiles contre l’U.R.S.S. et tous les pays du camp socialiste » (Erychev, p. 59).
Pourquoi s’étonner ainsi de l’action nocive du « camp capitaliste », alors que chez soi « le principe de la liberté de conscience est rigoureusement respecté » (Cogniot, p. 61) ?

Quand bien même l’U.R.S.S. serait pure de tout obscurantisme, quand bien même elle marcherait vers le communisme, sait-on ce qu’il en coûte de fréquenter le diable ? Mais les pontifes du socialisme russe n’ont plus rien à perdre ni à apprendre. Depuis longtemps ils se sont initiés aux rites et aux messes noires du Capital; et ce n’est pas nous qui les pleurerons quand ils iront en enfer ! Reste la propagande. C’est qu’il faut bien entretenir l’espoir, exorciser le diable et se signer pieusement en sa présence. Mais la tâche des prédicateurs est toujours plus difficile, les marchands sont dans le Temple et les sermons toujours moins écoutés. Miser d’un côté sur le triomphe des « idées du socialisme » dans leur combat singulier avec la conscience du petit bourgeois d’Occident; parler de l’autre des difficultés qu’il y a en U.R.S.S. à « extirper de la conscience des gens les survivances du capitalisme », tel est l’art nouveau de faire tourner les tables… diplomatiques en invoquant l’esprit omniprésent du capitalisme, nous voulons dire l’argent, l’argent qui circule dans les marchandises, qui trahit les plus belles ou les plus hypocrites pensées.

Quel esprit logique pourra croire que les « idées du socialisme » triompheront « d’elles-mêmes » dans la « conscience des gens » non seulement abrutis par la propagande, mais encore esclaves du Capital, alors que dans le « pays du socialisme », après quarante ans de prétendue dictature du prolétariat, l’esprit bourgeois n’apparaît pas seulement comme survivance du passé, mais se manifeste dans toute sa vitalité nouvelle alimentée par la structure capitaliste des rapports de production.

Quel marxiste enfin pourra négliger que ce n’est pas la conscience qui détermine l’être, mais l’être qui détermine la conscience; et ce même sous le communisme, même si les conditions de la lutte entre les deux « camps » ont, paraît-il, changé.

Le trait caractéristique de la brochure d’Erychev comme de toutes les autres du même genre c’est de ne pas aborder les causes sociales et économiques du « mal », de se limiter à la pure propagande d’idées sur
« la structure de l’univers, l’origine de la vie et de l’homme sur terre, les progrès dans le domaine de l’astronomie, de la biologie, de la physiologie, de la physique, de la chimie et autres sciences »
Parfois on se place sur le terrain de l’adversaire et l’on s’efforce de démontrer les « contradictions internes » de la Bible, mais :
« sous ce rapport les sectaires sont plus éduqués que les orthodoxes, c’est pourquoi le propagandiste doit savoir expliquer les causes des contradictions de la Bible, le caractère non scientifique des conceptions bibliques ».
Khrouchtchev n’était-il pas premier en catéchisme ? Ainsi l’on reprendra les travaux de la science bourgeoise sur l’historicité de la Bible, du Christ, etc. Mais qu’est-ce que cela peut nous faire à nous, marxistes, que le Christ ait existé ou non ? Par contre, il est très important d’armer la conscience de l’exploité contre tout retour de la foi inscrit dans la réalité quotidienne de son oppression. Aussi ces « connaissances positives » ne suffisent-elles pas, de même qu’il n’a pas suffi à la bourgeoisie de nier Dieu pour s’en débarrasser à tout jamais. Dès lors la lutte contre la religion ressemble toujours plus à celle des bourgeois de la Révolution française : toujours plus hypocrite, toujours plus vaine (car aujourd’hui on ménage les « chrétiens de gauche »), elle se défend même de toute violence. Cogniot exprime bien cet illuminisme bourgeois :
« les partis marxistes-léninistes de tous les pays considèrent la lutte anti-religieuse comme une lutte d’idées contre une conception hostile à la science et au progrès, et ils soutiennent cette lutte uniquement par les moyens intellectuels » (p. 61).
Si l’on comprend bien ce que signifie « uniquement », il s’ensuit que toute phrase sur la « liaison » de la lutte antireligieuse avec la lutte de classe devenue « pratique sociale qui tend à extirper les racines réelles de la religion » doit être tenue pour une répétition mécanique, de pure forme de quelque chose qui ne ressemble même plus à la position marxiste sur la question. Si, en effet, la « pratique sociale » demande de s’unir avec les « chrétiens de gauche », on trouvera toujours un terrain commun avec eux. Mais, comme ladite « pratiqué sociale » est un véritable compromis idéologique avec la plus pieuse défense du Capital, comme la juste sanction de ce compromis réside dans l’offensive de la hiérarchie ecclésiastique (une offensive pas seulement idéologique, celle-là), nos communistes cocufiés essaieront de se refaire une virginité idéologique en criant au cléricalisme. Ainsi, dans la question religieuse ils reprennent les vieilles positions du radicalisme. Au lieu de faire de la religion une « affaire privée » par rapport à l’État bourgeois, ils en font une « affaire privée » pour le prolétariat qui est le plus généralement intéressé à l’intégrité révolutionnaire de ses principes et de son action. D’autre part, après avoir escamoté la question religieuse comme question politique pour le parti de classe, ils en font précisément une question politique pour l’État bourgeois donnant par là la pire des déviations aux prolétaires révolutionnaires dont Engels disait :

« L’athéisme a fait son temps chez eux, il est dépassé; ce terme purement négatif ne s’applique plus à eux, car ils ne sont plus en opposition théorique, mais seulement pratique avec la croyance en Dieu; ils en ont tout simplement fini avec Dieu, ils vivent et pensent dans le monde réel et sont donc matérialistes ». (Voir K. Marx et F. Engels : « Sur la religion », Ed. Soc. 1960, p. 143).

Il ne faut pas croire qu’en U.R.S.S. la « pratique sociale » soit bien différente. Là aussi on lutte contre la religion au nom de la « science » et du « progrès » (entendons science technicienne et progrès bourgeois). Un certain progrès demandant la mise au service de l’État des énergies et des cerveaux, cette lutte fut partout nécessaire et c’est celle du Capital pour sa domination. Pourtant, en U.R.S.S. comme ailleurs, la religion a « survécu », ce qui ne veut pas dire qu’elle ne devrait plus exister (ceci étant vrai si l’on considère l’état actuel des connaissances humaines, et faux si l’on considère les rapports de production), mais qu’elle existe encore, qu’elle coexiste avec l’exploitation du travail salarié comme sa marque indélébile dans la « conscience des gens ».

Lénine soulignait qu’en Russie, dans le domaine religieux comme dans les autres, la bourgeoisie n’a pas su faire œuvre destructrice et que ce serait donc la tâche du prolétariat de répandre les lumières des Encyclopédistes, des Bruno Bauer et des Feuerbach; tâche bourgeoise, certes, mais qui avait la chance d’être complétée par l’action révolutionnaire du prolétariat. Le prolétariat vaincu, on est retombé aux savants professeurs qui regardent de haut les Encyclopédistes pour trahir le marxisme on ne peut plus bassement. Finis les Robespierre, on a tout juste singé Bismarck et dans le culte nouveau l’Être Suprême avait des moustaches…

La brochure russe que nous avons sous les yeux rappelle, elle aussi pour mieux s’en débarrasser, la position marxiste qui veut que la lutte anti-religieuse soit strictement liée à la lutte du prolétariat pour sa libération de toute exploitation; mais il est évident qu’une telle position ne saurait être valable pour un pays socialiste où il n’est plus question que d’arracher de la conscience des gens les « survivances du passé » ! Par contre la « pratique sociale » reprend ses droits politiques quand il s’agit d’accuser les « impérialistes occidentaux » de tous les maux de la société russe, et encore ces maux sont si profonds qu’il faut en assortir la critique de déclaration de tolérance ! Ainsi Khrouchtchev avouait, le 22 janvier 1958, à la conférence des travailleurs d’élite de l’agriculture de Biélorussie :
« Nous sommes pour la liberté d’opinion religieuse des gens et le respect des conceptions religieuses de chaque homme, de chaque peuple.[2] Mais en même temps nous défendons que quiconque sous couvert de convictions religieuses, puisse tuer des gens ou utiliser la foi en Dieu pour nuire aux autres peuples ».

Donc, si la « pratique sociale » pouvait utiliser la religion pour le bien du peuple tout serait pour le mieux dans le plus socialiste des pays ! D’ailleurs à la lumière de la coexistence pacifique, le spectre de l’ogre yankee a perdu une bonne part de ses vertus magiques. L’auteur de notre brochure l’évoque tout juste pour mémoire, à l’usage des sectaires de la lutte antireligieuse. Il semble de plus fort bien averti sur le compte des sectes qui, paraît-il, travaillent pour les Américains. Leur nom, leur importance sont données en fin d’analyse, et elles sont reconnues insignifiantes par rapport aux sectes indigènes « enregistrées ». Encore des espions qui ne font pas le poids !

Qui sont donc ces sectaires à qui l’aliénation religieuse de l’Église Orthodoxe, pourtant fort répandue, n’a pas suffi ? D’où viennent-ils, ainsi que les bandes de hooligans, dont le nom synonyme de blousons noirs ou de teddy-boys est en passe de devenir aussi connu que celui des spoutniks ? Cela la brochure du propagandiste philistin ne le dira pas. Elle se contentera d’accuser en bloc d’ivrognerie et de débauche; elle accusera l’homme pour blanchir la société; ou mieux, elle consacrera sa propagande à la pieuse pensée d’attirer ces gens à la construction de la société communiste. Et l’on comprend facilement que des sectes qui s’en tiennent à chanter des hymnes comme « Ma patrie est dans les cieux » soient jugées nuisibles à l’édification de la Jérusalem socialiste ! Aussi nous contera-t-on l’histoire d’une conversion après un stage à la bibliothèque du kolkhoze à nous qui savons que le salut n’est pas plus dans la bibliothèque qu’à l’église ou à l’hôpital, mais dans la société réelle et les rapports de production que le communisme est appelé à révolutionner.

Ainsi l’agitation anti-religieuse, comme d’ailleurs toute l’agitation du pseudo-communisme moscovite, en est toujours plus réduite à la pure propagande idéologique dont l’efficacité est toujours plus aléatoire. D’autant que la lutte n’est pas facile. L’agitateur s’entendra dire que « le Christ fut le premier communiste », ce qui
« prouve avant tout que les idées du communisme dans notre pays sont proches non seulement de la majorité écrasante des Soviétiques qui sont libres de toute survivance religieuse, mais des croyants eux-mêmes, des sectaires ordinaires ».(!!!) (Erychev, p. 46).
Autre difficulté : les sectaires ne vont pas volontiers aux « conférences antireligieuses », ils sont méfiants; aussi
« la méthode de la conversation et du travail individuels est-elle essentielle dans la lutte contre l’idéologie sectaire ». (Erychev, p. 60.)
Les communistes doivent donc frapper à toutes les portes, étudier tous les « cas particuliers », toutes les consciences. De vrais missionnaires !

On sait comment le P. C. mène sa lutte anti-religieuse en France : une main tendue vers les catholiques, l’autre dans la poche… Sans doute faut-il se réserver quelque chose à faire pour le cas où l’on « accéderait » au pouvoir ! De toutes façons nul n’est près d’oublier le brillant tour de France de M. Garaudy sur le thème « morale marxiste, morale chrétienne » qui restera un grand moment dans l’histoire de l’éloquence sacrée. C’est en effet sur le « problème moral » que le P.C. s’est efforcé de rassembler les brebis égarées. Ici l’on joue en sens inverse sur les contradictions de la Bible et du christianisme. Pour établir le « dialogue » on met en avant les angoisses et les contradictions de la « conscience malheureuse » faisant appel à son inconsistance. Cette morale de l’esclave, on essaie de lui redonner l’espoir qu’elle a cent fois perdu de servir à autre chose qu’à la conservation de l’ordre établi. Cela, c’est pour l’Occident pourri où la « morale marxiste » ne peut être qu’un sujet de rencontres avec les chrétiens ou un pur discours de Jésuite. En U.R.S.S., où « l’homme communiste » a droit à une morale nouvelle fondée sur la « science » et le « travail »… il en va autrement. Notre propagandiste de la lutte anti-religieuse se plaint du fait que les sectes (et sans doute aussi l’église officielle dans la tradition plus ou moins reconnue des Dostoïevski, Tolstoï, etc.) ne mettent plus au premier plan de leur prédication les dogmes religieux sur la création, mais plutôt la morale. Il voit là, et s’en félicite, une influence de la science, des spoutniks, oubliant que de tout temps les sectaires, comme nos modernes « chrétiens de gauche », n’ont jamais fait que détruire « la foi en l’autorité » pour renforcer dans l’homme « l’autorité de la foi »; oubliant aussi de maudire les spoutniks pour avoir exploré au profit de la morale et de la foi les espaces impénétrables du cœur de l’homme aliéné.

Il ne faudrait surtout pas croire que les Russes s’en prennent à la morale des sectaires comme à la forme la plus raffinée et la plus réactionnaire de la mentalité religieuse; alors que les communistes français ont délibérément choisi d’évangéliser les plus pauvres en esprit. En fait, pour l’U.R.S.S. où la foi trouve de nouvelles adaptations sur le mode ancien de sa servilité, la morale « sectaire » et la morale en général (quand elle ne tombe pas dans le moralisme) sont un miroir compromettant où les rites sociaux risquent fort de perdre toute leur solennité :
« Les sectaires considèrent que seulement sur la base de la morale évangélique il est possible d’éviter des vices comme l’ivrognerie, le banditisme, la débauche, etc. »
Et notre propagandiste d’ajouter :
« Mais est-ce que la morale communiste ne prescrit pas aux gens de vivre aussi selon la justice et la conscience ?[3] Est-ce que la morale communiste ne lutte pas pour que notre peuple soit libéré de survivances du capitalisme aussi nuisibles que l’ivrognerie, la débauche, le vol, la malhonnêteté… ? »
C’est clair, lutte idéologique signifie compétition pour savoir auprès de qui iront se confesser les exploités. Le plan septennal se charge du reste ! D’ailleurs, une fois éliminés les « dogmes sur la création » (tâche dont la science s’est fort bien acquittée) et quelques aspects voyants, économiques de l’exploitation de l’Église (ce que le « socialisme » russe a bien dû faire), après quelques accommodements dans le domaine des principes, morale pour morale, et puisque nous allons tous vers le paradis (qu’il soit sur la terre ou dans les cieux importe peu car nul ne le verra), pourquoi ne pas faire ensemble un bon bout de chemin ? Que les Staliniens de France se rassurent, ils restent donc dans la ligne. La seule différence, c’est qu’eux (si l’on peut dire) la suivent de plein gré et les Russes de force. C’est ça la liberté !

Quant à la morale du « travail qui ennoblit l’homme » et la morale chrétienne de l’esclave, nous, marxistes, nous les avons toujours dénoncées comme identiques, car le salariat, c’est l’esclavage. Nous n’en voulons pour preuve que cette adaptation et cette reconnaissance officielle de l’Église Orthodoxe en U.R.S.S., adaptation qui est une pure et simple collaboration aux tâches de l’État industrialiste et à sa propagande. Erychev s’exprime non sans inquiétudes sur ces ressemblances :
« Maintenant, par exemple, les sectaires ne parlent plus comme dans la Bible de la nécessité de travailler pour les maîtres, mais appellent les croyants à donner leur travail « pour le bien de la patrie, pour la cause de la paix et de la prospérité, pour le salut de leur âme ». « En substance, – écrit le Bulletin Fraternel des Baptistes – tout travail véritable est religieux et il n’est pas de religion qui le réprouverait. Travailler, c’est prier… Un jour viendra où l’homme ne désirant pas travailler ne pourra plus se montrer dans les limites de notre système solaire et devra chercher une autre planète, ‹ paresseuse ›. Le travail, c’est la vocation terrestre de l’homme » (p. 53–54).

Passons maintenant à la « science » !

Dans sa dernière brochure Cogniot s’attarde à rejeter « la coexistence pacifique de la science et de la religion » (p. 43). Nous avons là tous les arguments de l’apologie bourgeoise de la science et sa critique de la religion, depuis le long martyrologue de l’Inquisition jusqu’aux boutades voltairiennes sur la création du nez « pour servir de support aux lunettes »; mais vraiment l’esprit voltairien n’y est plus. On ne s’amuse pas impunément aujourd’hui à collectionner les histoires de vieilles femmes, même « puisées dans l’Allemagne d’Adenauer », pour éclairer les naïfs. Et finalement il faut bien reconnaître que l’on a enfoncé une porte ouverte puisque même un « théologien protestant d’Amérique » en vient à déclarer :
« la rupture entre la science et la religion est l’une des particularités caractéristiques de notre civilisation » (p. 37).
Pourtant ce pédantisme héroï-comique de professeur raté n’est pas tout. On se mêle encore de propager les « enseignements du marxisme-léninisme », et alors la brochure de Cogniot ressemble beaucoup plus au livre d’apologétique du chanoine Kir[4] avec la différence que celui-ci sait encore de quoi il parle.

Après avoir fait l’éloge des « Soviétiques » et surtout de la science en général, la science qui « raisonne sur les faits », il faut bien en venir au marxisme. La religion ?
« Il ne pouvait en être autrement dans ces temps lointains où les forces productives se trouvaient au niveau le plus bas » (p.12).
Pour les apologistes de l’État super-productif, tout, la religion comme le communisme, est fonction du niveau des forces productives, d’une toujours plus grande accumulation du Capital; et lorsqu’ils citent Marx :
« Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde de différentes façons, mais il s’agit de le transformer », ils ne peuvent s’empêcher d’ajouter avec Cogniot : « dans la mesure où la science transforme le monde – le monde de la nature et le monde social – elle fait la preuve de la vérité de ses conclusions »… (p. 9).
C’est là que l’éloge de la science « fait la preuve » de la servilité de M. Cogniot à l’État bourgeois. « Interpréter » en termes de transformisme social et de progrès un des plus grands appel à la Révolution communiste contre le Capital et toutes les idéologies à son service, y compris la science, ce n’est pas seulement avoir tout oublié, c’est avoir trahi !

Si Cogniot essaie de nous montrer la « grandeur » de la science bourgeoise, Erychev en laisse sentir la faiblesse. Les spoutniks n’ont pas eu raison des vieux croyants. En fait, Cogniot et Erychev sont comme sur un bateau en perdition et se précipitent tantôt à droite, tantôt à gauche pour tâcher de le sauver. Mais il n’appartient ni à l’un ni à l’autre de prononcer l’éloge de la science ou la condamnation de la religion. Si la science, malgré l’ampleur de ses résultats, n’a pas réussi à déloger de la « conscience des gens » « les survivances de la religion », c’est que l’une et l’autre ne sont que les produits de mêmes rapports de production, c’est que l’une est compatible avec l’autre dans une société donnée, c’est enfin que la science pourra servir de religion jusqu’au jour où cette société sera renversée. De plus, cette divinité de la science qui est le signe de son immense servitude exprime bien le degré actuel de l’aliénation de l’homme et de son exploitation, car ce ne sont plus les fantasmes de son imagination qu’il met sur l’autel du Capital, mais la substance même de son travail créateur, la dignité même de l’espèce : son cerveau.

• • •

Les illuministes bourgeois, comme les staliniens, aiment répéter : « Ne soyez pas esclaves du ciel, si vous voulez être libres sur la terre. » L’exemple de la société bourgeoise, y compris de la russe, a renversé l’axiome : « Soyez sur la terre, si vous ne voulez pas être esclaves du ciel ! ». Et nous, nous avons dit : seule la révolution prolétarienne libérera la société de son exploitation par le Capital et l’homme de la religion et la science de sa servitude.

Notes :
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  1. G. Cogniot : « La religion et la science ». Ed. Soc., 1960. A. A. Erychev : « Le sectarisme religieux et son essence », Kiev 1959. [Анатолий Александрович Ерышев, « Религиозное сектантство и его сущность »] (Cette brochure est consacrée à la lutte contre les sectes en Ukraine.)[⤒]

  2. « Les idées de liberté de conscience, de liberté religieuse, ne firent que proclamer le règne de la libre concurrence dans le domaine du savoir. » (Marx : « Manifeste du Parti Communiste ».)[⤒]

  3. « Le communisme abolit les vérités éternelles, il abolit la religion et la morale au lieu d’en renouveler la forme, et cela contredit tout le développement historique antérieur. » Marx : « Manifeste du Parti Communiste ».[⤒]

  4. Félix Adrien Kir, 1876–1968, connu surtout sous le titre de chanoine Kir, était un prêtre, chanoine et homme politique français. Il fut, après-guerre, député-maire de Dijon durant 22 ans. Dans les années 1950, son nom a été donné à un cocktail, le kir. (sinistra.net)[⤒]


Source : « Programme Communiste », numéro 12, juillet-septembre 1960

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