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LE COMMUNISME ET LES PARTIS ALGÉRIENS


Content :

Le communisme et les partis algériens
Les positions marxistes sur la question nationale et coloniale
Le parti communiste français et le programme marxiste
Vers le front populaire
De 1934 à 1939 : Recul devant l’antifascisme
La guerre impérialiste et la crise en Algérie
Entrée des masses dans la lutte nationale
La sombre période démocratique
Le déclenchement de l’insurrection
L’évolution du rapport de force dans la lutte
Les antistaliniens à la rescousse de l’impérialisme
Notes
Source


Le communisme et les partis algériens

Lorsque les Français envahirent l’Algérie en 1830, le Dey prit facilement son parti de la situation et capitula le lendemain du débarquement. Le traité qu’il signa stipulait qu’il conservait ses biens personnels et était libre de se retirer où bon lui semblerait. Mais les Arabes et les Kabyles réagirent, eux, tout différemment : ils organisèrent aussitôt la lutte contre l’envahisseur et firent retentir le pays des échos de la guerre sainte. L’émir Abdelkader, reconstituant l’organisation militaire dont s’étaient servis les Turcs, devait, avec ses 6000 combattants réguliers et ses 30 000 combattants irréguliers, tenir tête aux Français pendant dix-sept ans.

Il n’existait pas alors en Algérie de classes sociales distinctes, ni, par conséquent, de partis politiques représentant des intérêts opposés. Cette situation tenait au fait que l’Algérie était, après l’Inde, le pays où la forme communautaire archaïque de la propriété foncière s’était le mieux conservée. Aussi est-ce contre ce régime de la propriété, assise de la société algérienne, que l’impérialisme français fit porter ses attaques. Il utilisa pour réduire la propriété communautaire des tribus les formes de la propriété privée que laissaient les Turcs. Commençant par mettre la main sur la propriété domaniale, il s’appropria ensuite les propriétés des institutions religieuses de bienfaisance, les « habous » ou « wakuf »[1]. Il s’efforça de détruire l’organisation tribale communautaire, afin d’affaiblir, du même coup, la résistance de la population. Il lui fallut longtemps pour venir à bout de la propriété communautaire. Le député Didier avait beau déclarer, en 1851, dans un rapport à l’Assemblée Nationale :
« Nous devons activer la destruction des communautés fondées sur le sang : c’est là que se trouvent les chefs de l’opposition contre notre domination. »
La tenace propriété communautaire ne laissait pas pour autant de représenter encore, en 1873, une forme
« qui encourage dans les esprits les tendances communistes et qui est dangereuse aussi bien pour la colonie que pour la métropole. »

Et c’est en 1912, c’est-à-dire 40 ans plus tard, que Rosa Luxembourg écrivait :
« La vivisection de l’Algérie poursuivie depuis 80 ans trouve maintenant moins de résistance, car les Arabes que le Capital français encercle toujours plus étroitement depuis la soumission de la Tunisie (1881) et du Maroc, sont réduits à merci. »

La propriété communautaire devait être définitivement vaincue, lorsque avec l’implantation massive des colons français et la prédominance croissante de la propriété privée, elle se trouva spoliée de ses meilleures terres et inapte à assurer la subsistance d’une population qui, de 1830 à nos jours, est passée du simple au triple. Sa défaite rendit donc plus aigu que jamais le problème de la simple subsistance des masses, et la victoire de la propriété privée bourgeoise, bien loin de résoudre la question agraire, ne fit que la rendre plus explosive. Elle est restée au centre de tous les problèmes que pose l’Algérie.

On peut pourtant se demander pourquoi, puisque sa situation agraire était analogue à celle de la Russie après 1861, l’Algérie n’a pas connu, elle, un mouvement qui aurait pu arguer de l’existence des communes rurales primitives pour prôner une réorganisation socialiste de la propriété foncière. Un tel mouvement aurait même pu, les circonstances aidant, évoluer vers le marxisme sinon vers le menchévisme. Cette différence s’explique si l’on pense que non seulement il y avait entre les différentes classes russes (et en particulier entre les prolétaires et les intellectuels) des rapports beaucoup plus étroits qu’en Algérie, mais qu’en outre celle-ci, intégrée dans l’Islam, était beaucoup plus fermée que la Russie à l’influence du socialisme européen. Le socialisme français ne paraît pas avoir influencé à cette époque les forces révolutionnaires existant en Algérie. Quoi qu’il en soit, le prolétariat algérien n’est vraiment entré en contact avec le prolétariat révolutionnaire européen que lorsque les travailleurs algériens émigrèrent en France, au lendemain de la guerre de 1914–19 : la dégénérescence de la social-démocratie ne l’affecta donc pas. Ce prolétariat qui entrait en scène au moment de la crise révolutionnaire ouverte en Europe par la Révolution russe représentait pour le colonialisme français un adversaire redoutable.

On sait quelle impulsion formidable l’octobre russe avait donnée à la lutte anticolonialiste en Asie et principalement en Chine; c’est là que le colonialisme européen, qui est actuellement sur le point de perdre ses dernières positions africaines, a subi ses premiers revers. On connaît moins l’influence de la Révolution russe sur l’Afrique du Nord en général et l’Algérie en particulier[2].

Nous allons voir qu’elle fut aussi importante sur le plan théorique que sur le plan pratique.

D’abord – tout au moins lors de ses premiers Congrès – l’Internationale Communiste, conformément aux positions authentiquement marxistes, engloba les mouvements d’émancipation des pays coloniaux dans la perspective générale du socialisme.

Étant donné que le pseudo-marxisme sévit de nos jours plus que jamais, il est indispensable de rappeler quelles sont les positions authentiquement marxistes sur cette question. On verra là qu’il faut que l’opposition communiste soit tout aussi incapable que le Parti communiste officiel de se dégager de l’opportunisme et de concevoir la continuité du programme révolutionnaire, pour oser écrire :
« (L’appel aux peuples de l’Orient lancé par le comité exécutif de l’Internationale communiste en juillet 1920) devait porter peu de fruits immédiatement. L’ignorance qu’il manifestait des conditions réelles de luttes en Orient y était pour quelque chose sans doute. Mais surtout, les conditions objectives d’une révolution socialiste n’étaient pas réunies. De cette étape, le progrès du mouvement socialiste dans les pays arabes tirait bien peu. Bakou s’adressait surtout aux Persans et aux Turcs (sic !). Trois Arabes seulement figuraient parmi les 1891 délégués. Aucun n’a signé le manifeste final. » (« Voies Nouvelles », № 9, 1959, p. 18.)

Eh bien ! Le programme de Bakou, auquel « Voies Nouvelles » reproche, en d’autres termes, de n’avoir pas été assez opportuniste, n’est, comme nous allons le montrer, rien d’autre que le programme immuable du Parti communiste révolutionnaire, celui que défendirent aussi bien Lénine que Marx et Engels.

Les positions marxistes sur la question nationale et coloniale

Consultons d’abord la lettre qu’Engels écrivit le 12–9–1882 à Kautsky qui l’interrogeait sur cette question. Engels commence par y critiquer sévèrement l’attitude du prolétariat anglais :
« Il n’y a pas de parti prolétarien ici, il n’y a que des conservateurs et des libéraux-nationaux et les ouvriers mangent eux aussi avec ardeur leur part du monopole des colonies et du marché mondial de l’Angleterre. »

Il répond ensuite au sujet de l’indépendance des pays extra-européens, qu’il classe en deux catégories bien distinctes :
« A mon avis, toutes les colonies proprement dites, c’est-à-dire les pays habités par une population européenne, Canada, Cap, Australie, deviendront indépendants. »
Mais c’est, d’après lui, au prolétariat, que les autres pays coloniaux devront leur indépendance :
« Par contre, les colonies habitées par les indigènes, telles l’Inde, l’Algérie, les possessions hollandaises, portugaises et espagnoles, devront être prises en charge provisoirement par le prolétariat et conduites aussi rapidement que possible à l’indépendance. »
Engels nous dit pourtant qu’il y a « une solution meilleure pour nous » : « Les Indes feront peut-être leur révolution – c’est même probable » et « la même chose pourrait bien se produire ailleurs encore, par exemple en Algérie et en Égypte. »

Engels insiste vivement sur le fait que le prolétariat victorieux ne mènera pas de guerres coloniales : « Nous avons suffisamment à faire chez nous en Europe et en Amérique » et nous devons faire confiance au potentiel révolutionnaire des pays à « demi-civilisés » (l’histoire a amplement justifié ces prévisions). Il affirme, par contre, qu’il serait oiseux d’énumérer les phases sociales et politiques que ces pays devront traverser après la révolution lorsqu’ils recevront l’aide fraternelle des pays d’Europe et d’Amérique du Nord pour accéder à l’organisation socialiste.

Engels affirme que c’est le prolétariat révolutionnaire qui fera des pays coloniaux « de couleur » des États indépendants. Et nous verrons que le prolétariat algérien, sitôt l’Internationale debout, en 1919, a été prêt à assumer cette tâche et à travailler à la « solution la meilleure pour nous » au côté du prolétariat révolutionnaire des métropoles.

Comme nous l’avons vu, Engels a établi une distinction entre l’indépendance des colonies de peuplement européen et celle des colonies habitées par des peuples de couleur, en montrant que le sort de ces dernières était plus intimement lié à celui du prolétariat. On sait que les colonies de peuplement européen menèrent, en leur temps, contre l’impérialisme réactionnaire européen une lutte que le marxisme apprécia à sa juste valeur. Mais elles ont un caractère bien différent de celui des colonies de couleur. En effet, les pays qu’elles occupent et d’où elles ont refoulé les indigènes sont souvent plus riches en ressources agricoles et industrielles aussi peut-il y avoir des capitalistes locaux qui font des affaires avec la métropole (capitalisme importé). Dans ces conditions, elles ont les plus grandes chances d’évoluer, après leur indépendance, à l’instar de la métropole, vers le classique capitalisme.

Engels ne s’est pas trompé dans ses prévisions de 1882 : ces colonies ont toutes aujourd’hui obtenu leur indépendance.

Si les colonies de peuplement sont dès le départ une sorte de prolongement de la métropole, dont elles reprennent les classes sociales et la division du travail – souvent ultramoderne – il en va tout autrement des colonies de couleur. L’impérialisme s’attaque aux modes de production et aux structures sociales existants et les désagrège. Les impérialistes, maîtres du pouvoir politique et des affaires, s’efforcent d’empêcher la formation de rivaux indigènes en ces domaines : ils tolèrent tout au plus des auxiliaires serviles qu’ils recrutent de préférence dans les couches réactionnaires (féodaux, propriétaires fonciers, caïds, etc.). Aussi la bourgeoisie indigène, ainsi réduite à l’impuissance, est-elle le plus souvent timorée et effrayée par cette masse énorme des paysans expropriés et affamés, prêts à se lancer dans le combat anti-impérialiste et révolutionnaire[3]. Au contraire, le prolétariat qui, si faible soit-il numériquement, est pourtant très important par rapport à cette bourgeoisie (puisqu’il est exploité également par les capitalistes européens) est bien placé, proche comme il est de la masse pauvre, pour prendre la tête d’un mouvement révolutionnaire.

Il a fallu que les vieilles formes sociales et économiques aient le temps de se décomposer et que puissent mûrir les formes économiques et sociales modernes, pour que la question nationale se résolve dans ces colonies. Aussi ces mouvements n’ont-ils, en général, éclaté qu’après la dernière guerre et ces bourgeoisies se sont-elles bardées d’un appareil énorme de sécurité : bureaucrates, militaires et policiers. Entre les mouvements nationaux démocratiques et anti-impérialistes dirigés par la bourgeoisie indigène et le mouvement dirigé par le prolétariat indigène, il y a incompatibilité de but et il faut que l’une des deux classes triomphe de l’autre pour atteindre le sien. C’est ce point fondamental qui explique l’importance qu’auront les alliances conclues au cours de la lutte anti-impérialiste des colonies.

Lorsque Engels entrevoyait, dès 1882, la possibilité de la révolution notamment pour les Indes, l’Égypte et l’Algérie, c’était en fonction de deux données fondamentales. Un rapport de forces favorable au prolétariat mondial justifiait l’hypothèse d’une révolution socialiste en Europe et en Amérique du Nord de sorte que l’interprétation qui suit, et que Marx avait donnée en 1850 de la situation européenne, apparaissait maintenant comme valable sur le plan mondial :
« Si les travailleurs allemands ne peuvent s’emparer du pouvoir et faire triompher leurs intérêts de classe sans passer par tout un développement révolutionnaire d’une assez longue durée, ils ont du moins cette fois la certitude que le premier acte du drame révolutionnaire coïncide avec le triomphe direct de leur propre classe en France et s’en trouve accéléré. » (« Adresse du Conseil Central de la Ligue Communiste », signé Engels et Marx)

C’est la même idée qu’exprime le Premier Congrès de l’Internationale Communiste de 1919 :
« Dès à présent, dans les colonies les plus développées, la lutte n’est plus seulement engagée sous le seul étendard de l’affranchissement national (bourgeois), elle prend tout de suite un caractère social, plus ou moins nettement accusé. Si l’Europe capitaliste a entraîné malgré elle les parties les plus arriérées du monde dans le tourbillon des relations capitalistes, l’Europe socialiste à son tour viendra secourir les colonies libérées avec sa technique, son organisation, son influence morale, afin de hâter leur passage à la vie économique régulièrement organisée par le socialisme.
Esclaves coloniaux d’Afrique et d’Asie : l’heure de la dictature prolétarienne en Europe sonnera pour vous comme l’heure de votre délivrance. »

Ce qui, d’autre part, fait prévoir à Engels que la révolution éclatera sous peu dans les pays coloniaux les plus avancés, c’est que la masse des indigènes expropriés et déshérités constitue, en fait, un énorme potentiel révolutionnaire. Et le prolétariat indigène, qui exerce sur cette masse une très forte influence, est particulièrement bien placé, non pour la manœuvrer, comme on a dit que Lénine l’a fait avec les moujiks, mais la guider vers ses aspirations profondes, car ce à quoi elle aspire, ce n’est rien moins que la propriété privée, l’intérêt personnel et la jungle de l’individualisme économique du capitalisme.

Lorsque les liens féodaux ou les vieux liens économiques et sociaux de la tribu et du clan sont décomposés et que, par ailleurs, le prolétariat a remporté la victoire dans les pays les plus développés, l’érection d’un État national et l’application de mesures de transition permettent de passer à un mode de production supérieur. Mais, ces mesures de transition sont capables d’accélérer le processus même en l’absence de cette victoire, en l’attendant.

Il se peut même que la propriété rurale communautaire puisse encore être sauvée (à condition que le capitalisme ne l’ait pas décomposée trop) comme Marx et Engels l’ont si souvent répété. Nous citerons une préface de 1882 du « Manifeste » où le Parti donne les perspectives :
« Si la révolution russe devient le signal d’une révolution prolétarienne à l’Occident de façon que les deux révolutions se complètent, l’actuelle commune russe peut devenir le départ d’une évolution communiste ».
C’est ici qu’interviennent les notions-clés du marxisme que sont la conquête du pouvoir politique, la dictature, la centralisation et le Parti. Marx et Engels écrivent au sujet de l’organisation du Parti révolutionnaire dans la célèbre « Adresse » de 1850 :
« L’attitude du parti ouvrier révolutionnaire vis-à-vis de la démocratie petite-bourgeoise est la suivante : il marche avec elle contre la fraction dont il poursuit la chute; il la combat sur tous les points où elle poursuit ses buts à elle. »« Pour qu’il puisse constituer une menace pour ce parti qui trahira les travailleurs dès la première heure de la victoire et le contrer énergiquement, il faut que les ouvriers soient armés et organisés. »
Loin d’inciter le prolétariat à s’enrôler sous la bannière de la bourgeoisie (dans les pays où la révolution bourgeoise n’est pas encore faite), Marx et Engels le pousse à revendiquer l’autonomie politique et organisationnelle du prolétariat.

Le deuxième congrès de l’Internationale Communiste reprend entièrement les thèses de Marx et déclare dans les thèses supplémentaires sur les questions nationales et coloniales :
« Il existe dans les pays opprimés deux mouvements, qui, chaque jour, se séparent de plus en plus : le premier est le mouvement bourgeois démocratique nationaliste qui a un programme d’indépendance politique et d’ordre bourgeois; l’autre est celui des paysans et des ouvriers ignorants et pauvres pour leur émancipation de toute espèce d’exploitation.
Le premier tente de diriger le second et y a souvent réussi dans une certaine mesure. Mais l’Internationale Communiste et les partis adhérents doivent combattre cette tendance et chercher à développer les sentiments de classe indépendante dans les masses ouvrières des colonies…
L’Internationale communiste doit entrer en relations temporaires et former aussi des unions avec les mouvements révolutionnaires dans les colonies et les pays arriérés, sans toutefois jamais fusionner avec eux, et en conservant toujours le caractère indépendant de mouvement prolétarien même dans sa forme embryonnaire. »

Le parti communiste français et le programme marxiste

Ce n’est qu’en 1935 au Congrès de Villeurbanne, que le parti communiste d’Algérie obtint son autonomie, en se séparant organisationnellement du Grand Parti Frère français, mais son « arabisation » fut de courte durée[4]. (Finalement le P.C.A. s’est dissous en 1957 dans le F.L.N.)

Dès 1921, l’unanimité des sections algériennes du parti communiste français avait pris position contre toutes les formes du nationalisme indigène et cela en dépit du programme de révolution double clairement défini pour les pays coloniaux par le deuxième Congrès de l’Internationale Communiste et les Thèses générales sur la Question d’Orient du troisième Congrès :
« La création aux colonies (Égypte et Algérie) d’organisations communistes européennes isolées n’est qu’une forme déguisée de la tendance colonisatrice et un soutien des intérêts impérialistes. Construire des organisations communistes d’après le principe national, c’est se mettre en contradiction avec les principes de l’internationalisme prolétarien. Tous les partis de l’Internationale Communiste doivent constamment expliquer aux multitudes travailleuses l’importance extrême de la lutte contre la domination impérialiste dans les pays arriérés. Les partis communistes agissant dans les pays métropolitains doivent former auprès de leur comité directeur des commissions coloniales permanentes qui travailleront aux fins indiquées ci-dessus. » (Ibid.)

Au quatrième congrès de l’I.C. le délégué tunisien[5] critique l’inactivité du parti communiste français; celui-ci n’a pas de programme d’action coloniale et, à son Congrès de Paris, il a repoussé la discussion de la question coloniale pour des raisons électorales. Ce délégué rappelle que les cellules communistes organisées à Tunis après le Congrès de Tours (1919) avaient eu un tel succès que le gouvernement était intervenu pour les supprimer et interdire leurs publications en langue arabe. Lors des désordres d’avril 1922, le gouvernement n’avait pu compter sur les garnisons locales et avait été obligé de faire venir des soldats noirs. Ce même délégué adresse également de vives critiques aux « pseudocommunistes » d’Algérie, qui, selon lui, avaient trop d’influence sur le Parti français. Ces pseudo-communistes prétendaient, en effet, que la libération ne pouvait venir que comme résultat de la révolution en France, non comme résultat de l’action locale des indigènes, et avaient condamné l’appel du Comintern comme une erreur, parce que la presse bourgeoise colonialiste l’utilisait pour monter l’opinion publique contre les communistes.

Cette fois-ci le P.C.F. obtempéra, mais ce bureau servit de Comité central au Parti communiste d’Algérie (jusqu’à la guerre de 1939, le secrétaire du P.C.A. y sera recruté et sera un français). Cela en dépit du paragraphe 5 des thèses du deuxième Congrès sur « le caractère indépendant du mouvement prolétarien même dans sa forme embryonnaire ».

Cette attitude du P.C.F. d’ignorer les masses indigènes et de ne considérer que l’enclave bourgeoise et européenne en Algérie fait que le P.C.F. détourne d’emblée la perspective sur le terrain des libertés démocratiques qui ne peut intéresser que les privilégiés européens et à titre accessoire les « évolués d’Algérie ». « L’Humanité » du 4–4–1926 s’indigne des chicanes cherchées aux syndicalistes européens (les indigènes sont privés du droit syndical) :
« Nous ne pouvons admettre une pareille thèse dans un pays qui se dit « démocratie républicaine » et où les droits de l’Homme et du Citoyen sont proclamés, affichés dans toutes les écoles, dans toutes les mairies, dans toutes les préfectures. »

En 1934, l’organe de la ligue de l’Islam relate que dans certaines entreprises l’embauche se faisait à 90 % pour les Européens et 10 % pour les Musulmans et que des entreprises fondaient des syndicats chrétiens, qu’il suffisait à un Musulman de dénigrer pour être renvoyé. Il conclut que les Musulmans algériens ne pourront avoir le droit syndical qu’en acquérant la Patrie algérienne, confirmant gravement les menées de division de la C.G.T. Les indigènes seront contraints de forger leurs propres syndicats et n’y parviendront qu’en 1955 sous les persécutions de la C.G.T. et de l’Administration.

Vers le front populaire

La démocratie française, elle aussi, affirmait à sa façon la souveraineté sur l’Algérie par le vote accordé aux seuls Européens pour le Parlement. En 1928, les « Communistes » étaient là sur leur terrain favori et ne pouvaient s’empêcher de présenter leurs candidats. L’hypocrisie et la surenchère électorale se fait ici en compétition avec le Parti socialiste qui avait décliné les offres de Front unique. Voici quelques déclarations caractéristiques :
« Notre Parti ne partage pas les mêmes illusions et les mêmes préoccupations (que la S.F.I.O.), il estime que la véritable bataille de classe doit être menée avant tout hors du parlement. »
Le programme électoral s’adresse avant tout aux électeurs français : maintien intégral des 8 heures; résistance à toutes les diminutions de salaires; protection (sic) de la jeunesse ouvrière et de la femme. Un peu aux indigènes : droit syndical pour tous les salariés français et étrangers et « indigènes dans les colonies » et égalité du temps de service militaire des français et indigènes. Et surtout aux petits colons qu’il flatte bassement.

Comme la bataille électorale ne souffre pas d’intermittence, le P.C.F. ne manque pas une campagne. En 1932, son programme réclame l’égalité du temps de service militaire, mais aussi une Assemblée élue au suffrage universel par le peuple algérien : chacun son Parlement et une armée commune ! Et pour couronner le tout : les Soviets d’Algérie plébiscités par les Européens et les petits colons français ! Des promesses définitives avec les ouvriers Socialistes : oui avec le Parti Socialiste, JAMAIS !

Les prochaines élections législatives devaient donner naissance au gouvernement du Front populaire de Blum et de Thorez ! Barthel [Chaintron], secrétaire du P.C. d’Algérie écrit :
« 180 000 citoyens français constituent le corps électoral et les six millions d’indigènes n’ont que le droit de souffrir et de se taire. Notre Parti communiste d’Algérie a obtenu 2139 voix en 1932 et 15 267 en 1936. »
Ce « notre Parti Communiste d’Algérie » représente qui donc ? Car ne vient-il pas de recevoir une orientation nouvelle, son autonomie et d’être arabisé ? Cette nouvelle orientation ne se fera comme nous le verrons que sur le plan organisationnel – et là encore elle ne sera qu’éphémère. Elle s’accompagne de thèses politiques nouvelles pour le Parti d’Algérie. L’activité passée du P.C. en Algérie est qualifiée de sectaire, « anti-front unique » contre l’impérialisme, d’irresponsable, de bluffeuse; il contemplait de très haut la vie et la lutte des masses. La solution pour créer un puissant parti de masse : il faut le bolchéviser. La perspective politique :
« la révolution paysanne anti-impérialiste et antiféodale, et donc nationale, qui n’est pas une révolution prolétarienne ».
Les forces qui réaliseront la tâche en Algérie :
« Il y a environ 100 000 prolétaires industriels européens (relativement privilégiés) et 80 000 prolétaires industriels arabes et kabyles, les seuls à être liés étroitement à la masse de la paysannerie. »
Nous relevons un oubli de taille dans l’énoncé des forces pour la révolution anti-impérialiste paysanne, les 500 000 ouvriers agricoles et la masse des paysans expropriés. Évidemment, il n’est pas question de lancer la « parole socialiste parmi ces ouvriers » pour « obtenir un déplacement des forces qui porte en son sein toute une révolution »[6]. Les faiseurs de programmes nouveaux ignorent évidemment que ce sont surtout les prolétaires agricoles qu’il faut conquérir. Ils ne tiennent d’ailleurs nullement à la révolution. L’aveu en est fait implicitement déjà pour les métropoles hautement capitalistes. En effet, il est nulle part question dans ce programme de la révolution en France qui accélérerait les étapes en Algérie, au contraire celle-ci est abandonnée à elle-même, ce qui signifie qu’elle est réduite à des tâches purement locales avec des buts correspondants. C’est la thèse du socialisme dans un seul pays, qui transforme toutes les tâches des Partis communistes en tâches bourgeoises. Et effectivement la conséquence immédiate de cette thèse de la révolution anti-impérialiste, c’est de mettre le P.C. d’Algérie à la remorque des groupements indigènes de la petite bourgeoisie algérienne francophile. Mais de ce sombre tableau, se détache une organisation, l’Étoile Nord-Africaine qui s’était formée au cours des années 1920 au sein et au contact du prolétariat français dans l’émigration algérienne de la région parisienne.

Comme il ressort de son programme de mars 1933, l’Étoile Nord-Africaine luttait non seulement pour l’indépendance totale de l’Algérie et partant pour le retrait total des troupes d’occupation, mais encore pour une série de mesures économiques à prendre, le pouvoir à peine conquis, qui rappelaient les « interventions despotiques dans l’économie » recommandées par le « Manifeste » de 1848 à la classe ouvrière victorieuse et contrainte d’assumer des tâches non encore complètement socialistes : nationalisations des banques, des mines, des chemins de fer, des ports et des services publics; confiscation des grandes propriétés accaparées non seulement par les occupants français, mais encore par leurs alliés féodaux et transfert de celles-ci aux paysans; retour à l’État des domaines forestiers dont s’étaient emparés les Français : réformes agraires de caractère radical, etc.

C’était donc par définition un de ces mouvements révolutionnaires d’émancipation coloniale pour lesquels l’I.C. avait prévu, dès 1920, l’appui du Parti communiste organisé, sur la base de l’indépendance complète d’action et de programme – appui révolutionnaire et prolétarien, et non par conséquent d’inspiration démocratique et à base sociale petit-bourgeoise. Elle réalisait les prémisses de la soudure espérée entre le mouvement de classe et le mouvement national anticolonialiste et, avec l’aide d’un Parti communiste décidé à suivre jusqu’au bout la voie qui lui était tracée par son programme fondamental, aurait ouvert à l’Algérie la perspective d’un saut de la lutte armée pour l’indépendance à la lutte armée pour le socialisme en empêchant en même temps au mouvement révolutionnaire indigène de glisser vers des solutions de compromis ou ouvertement bourgeoises.

Il n’en fut rien. C’était bien au contraire le Parti Communiste qui glissait vers la plus complète dégénération démocratique et parlementaire et lui livra une lutte acharnée, principalement sur les points les plus révolutionnaires de son programme.

Avant d’arriver au Congrès musulman convoqué par les notables religieux, les Oulémas, en juin 1936, établissons le tableau des forces politiques existant en Algérie. A côté des communistes et de l’Étoile Nord-Africaine, « La Lutte Sociale » du 1–12–35 (l’organe communiste) recense le mouvement national-réformiste :
« Pourquoi national ? C’est parce que ses composants sont du pays même. Le mot national indique ici l’origine et non la tendance. Celle-ci est indiquée par le mot réformiste. » (Quel langage de jésuite !) « Par conséquent, le national-réformisme est un mouvement – il n’est pas nécessaire pour qu’il existe qu’il soit organisé en un parti politique – qui veut réaliser quelques réformes par des proclamations, des demandes, des suppliques, des prières adressées à l’impérialisme. Ainsi en Algérie, quoique avec certaines nuances nous pouvons citer, par exemple, comme nationaux-réformistes : MM. le Dr Bendjelloul, Ferhat Abbas, Kessous, et comme organes : ‹ L’Entente Franco-Musulmane ›[7], ‹ La Défense ›, ‹ La Voix Indigène › et ‹ La Voix des Humbles ›[8]. Voilà en somme, le national-réformisme. »

Rappelons brièvement que le 2e Congrès de l’I.C. interdisait les alliances avec des Partis autres que national-révolutionnaires (anti-impérialistes, ayant pour but de renverser par la force les vieilles structures archaïques). Quoi qu’il en soit le tableau est fidèle.

En Algérie, le but des communistes était alors de créer un autre Front Populaire antifasciste qui s’opposerait aux « fascistes Croix-de-feu » et au Front National de la droite. Leur première tâche fut « de faire sortir le mouvement populaire indigène de sa neutralité entre le Front National et le Front Populaire », le P.C. en étant l’animateur de ce mouvement. La position de Ferhat Abbas traduit la réaction de « L’Entente » à ce sujet :
« Sur le terrain des revendications musulmanes, dit-il, les partis de gauche sont aussi conservateurs que les partis de droite » et « si les Français veulent être demain sous le régime de la royauté, des Soviets ou de la dictature du colonel de la Roque, c’est leur affaire, cela ne regarde pas les indigènes qui ne doivent en aucun cas interrompre leur collaboration avec la mère-patrie. » (« L’Entente » du 24–10–1935.)

Il s’agit pour les communistes d’amener le mouvement algérien à se passionner pour les problèmes de la France et de la démocratie (les « élus indigènes » étaient cantonnés dans les menues affaires municipales) et de détourner les masses des problèmes proprement algériens qui exigent une solution révolutionnaire, l’indépendance en premier lieu.

Mais ils avaient des rivaux à droite. La question agraire avait déjà fourni à Ferhat Abbas et Bendjelloul un terrain d’action commune avec le Front paysan d’extrême-droite : les pétitions circulent dans toutes les communes de France et d’Algérie (voilà le plan national et français déjà atteint !) pour demander un moratoire des dettes, la suspension des saisies et des expropriations et la revalorisation des prix agricoles. Mais rapidement les gros colons, seulement intéressés par le dernier point, se mettront à la tête du mouvement, mais ne sauraient pactiser longtemps avec la petite propriété et la propriété indigène pour arrêter les expropriations. Ce serait mettre fin eux-mêmes à leur puissance incarnée par la Banque d’Algérie formée par les gros colons viticulteurs.

De 1934 à 1939 : Recul devant l’antifascisme

C’est sur le plan électoral que les communistes vont entamer la collaboration avec les élus « indigènes ». Ils renient pour cela leur position d’hier sur le « projet Viollette » qui accorde le droit de vote aux élections parlementaires françaises à quelque 20 000 indigènes (anciens soldats décorés, élus, caïds, aghas, titulaires de la médaille du Travail, délégués de syndicats régulièrement constitués et détenteurs du certificat d’étude). Le 7 février 1934, en effet, « L’Humanité » avait écrit que ce projet n’était qu’une tentative de corruption politique visant à diviser les indigènes. C’est ce que l’Étoile Nord-Africaine affirmera toujours. Mais comme la lutte pour l’aboutissement du projet Viollette, qui se heurte à la résistance des colons, durera plus de quatre ans (jusqu’à la guerre), les communistes ont le temps de changer leurs batteries – et de mener campagne pour la démocratie. Ils finissent par devenir des partisans fanatiques dudit projet : « 10 000 auditeurs acclament le projet Viollette. Quelques provocateurs de l’Étoile Nord-Africaine sont expulsés de la salle. »[9] Finalement, « La Lutte Sociale » demande que des mesures de police soient prises contre les maires qui démissionnent pour protester contre ce projet[10].

Les « élus indigènes » sont évidemment pour l’octroi des droits politiques à l’« élite » définie par le projet Viollette. A. Kessous écrit le 3 octobre 1935 :
« Une élite musulmane numériquement faible, mais appuyée par l’ensemble du pays, veut accéder à la dignité civique, parce qu’elle le mérite et sait qu’elle y trouvera le moyen d’accomplir son devoir social. La lui refuser, c’est risquer de la rejeter hors de la Nation et maintenir chez elle le découragement. C’est en fait porter atteinte à l’intérêt de la France. »[11]

La bassesse monstrueuse et la servilité de cette « élite » qui se prétend appuyée par l’ensemble du pays apparaissent ici :
« Napoléon III, en octroyant aux indigènes la nationalité française, érigeait l’Algérie en province de l’Empire. Nous sommes les derniers à le regretter. La troisième République confirma tacitement cette décision par toutes sortes de mesures, dont celle de 1912 sur le recrutement indigène était la conclusion fatale. »[12]

Le Congrès musulman convoqué le 7 juin 1936 par les notables religieux, les Oulémas, marque une date importante dans l’histoire de l’Algérie. Il annonce l’apparition sur la scène politique de toutes les forces réformistes et francophiles, qui prétendent représenter par leur union le peuple algérien. Jusque-là, aucun mouvement politique algérien n’avait demandé de son propre gré le rattachement de l’Algérie à la France. C’est ce rassemblement informe et sans principes – hormis l’esprit de collaboration avec l’impérialisme – qui était le plus à même, grâce à sa démagogie et aux puissants moyens dont il disposait, de contrecarrer l’action que la petite organisation de l’Étoile Nord-Africaine devait mener en Algérie.

Lors de ce Congrès, les « communistes » poussent à la roue. Ali Ben Bourt écrit dans « La Lutte Sociale » du 8 août 1936 :
« Que nous soyons communistes, socialistes, nationalistes, nationaux-réformistes ou sans parti, nous devons apprendre que nous appartenons à un même peuple et que nous avons des revendications communes. Il ne s’agit pas aujourd’hui de savoir si un tel est communiste ou non, socialiste ou non, collaborationniste ou non. Il ne s’agit pas d’une dissertation sur telle ou telle doctrine. Il s’agit pour nous tous de lutter pour l’abolition de l’odieux régime de l’Indigénat et de toutes les mesures d’exception desquelles nous souffrons; il s’agit de lutter ensemble pour notre tous les droits et à toutes les libertés démocratiques dont jouissent les citoyens français, mais avec la conservation de notre statut personnel. »

Ce sont eux qui savent le mieux mettre à profit l’union du Congrès pour donner l’apparence de la représentation « nationale » :
« Nous communistes algériens, nous ne permettrons à quiconque de dresser les militants contre les Élus, les Élus contre les Oulémas ou réciproquement. Et nous considérons comme un crime de vouloir détacher, de cette union une partie du peuple. »[13]

Ferhat Abbas adopte les motions du Congrès[14], mais il a l’habileté de ne pas lier son sort à celui du Front Populaire.

Il manque évidemment pour que l’union soit totale l’Étoile Nord-Africaine, dont le programme nord-africain[15] était incompatible avec celui du Congrès Musulman. Aussi les communistes exploitent-ils toutes les équivoques pour lier l’Étoile Nord-Africaine au Congrès et bénéficier de son radicalisme, tandis que l’absence de Messali au Congrès tranquillise les plus francophiles des participants. On voit l’utilisation que « La Lutte Sociale » (8 août 1936) peut faire en ce sens de la déclaration de Messali :
« Mais je dois dire que si nous sommes d’accord avec l’ensemble des revendications immédiates du Congrès, il est deux points du Congrès, il est deux points de désaccord, deux revendications que nous ne pouvons approuver. C’est, d’une part, le rattachement à la France, et, d’autre part, la représentation des indigènes au Parlement. »
Son nationalisme intransigeant lui vaut d’être porté en triomphe et applaudi par 10 000 Algériens au stade d’Alger, lors d’une tournée de propagande. Lâchée par le prolétariat international tombé sous la coupe de Moscou, l’Étoile Nord-Africaine ne peut échapper à de dangereuses oscillations, mais sa fermeté sur les points fondamentaux la ramène toujours à des positions révolutionnaires. C’est ainsi que, malgré l’interdiction de l’Administration, Messali Hadj se présente aux élections cantonales ouvertes aux indigènes à seule fin de se faire plébisciter : il est condamné et emprisonné.

Les condamnations pleuvent d’ailleurs sur l’Étoile Nord-Africaine : « infraction à la loi sur les associations », « reconstitution illégale d’association dissoute », « provocation de militaires à la désobéissance dans un but de propagande anarchiste », « menées antifrançaises » et, naturellement, « atteinte à l’intégrité du territoire français ».[16] Les communistes lui reprochent une « campagne d’une violence inouïe contre le Front Populaire, la C.G.T., le Parti Communiste, le projet Blum-Viollette, le Congrès musulman, les Oulémas, etc. »[17]

A ce propos, au moment de la guerre d’Espagne, nous lisons dans « El Ouma », « organe national de défense des intérêts des Musulmans algériens, tunisiens et marocains » :
« Profitant de l’absence de Messali, une délégation de la Commission coloniale du Parti communiste, présidée par A. Ferrat, s’est présentée devant le Comité Central de la Glorieuse Étoile Nord-Africaine. Elle lui a présenté un programme de collaboration qui n’était ni plus ni moins que le ‹ noyautage › du Comité central de l’Étoile et l’accaparement pur et simple d’El Ouma. Ferrat accompagné de Deloche, ont soulevé un tollé général au sein de notre comité. L’Étoile Nord-Africaine, qui lutte pour l’indépendance de l’Afrique du Nord, ne pouvait et ne voulait pas recevoir d’ordres de Ferrat ou de Deloche et manquer d’indépendance dans son organisation interne. Voilà la raison de notre divorce avec les communistes. Divorce qui devait s’accentuer à propos de la question d’Espagne. Le P.C. avait tâté le terrain pour savoir si l’Étoile Nord-Africaine pouvait le soutenir dans l’organisation d’une ‹ Légion algérienne ›, cette légion devait aller combattre en Espagne auprès du gouvernement régulier. Il était entendu que des sommes très importantes devaient être mises à sa disposition et que le ministre des Affaires étrangères d’Espagne signerait un document reconnaissant l’indépendance du Maroc espagnol… une fois la victoire acquise. L’Étoile Nord-Africaine, respectant la non-intervention, s’est refusée poliment, mais nettement contre la ‹ Légion algérienne ›, malgré toute sa sympathie pour la République à laquelle elle a manifesté sa solidarité agissante par la suite (souscription, etc.). Et effectivement, il n’y a jamais eu de ‹ Légion Algérienne ›. C’est là la véritable raison de la haine que nous voue le Parti communiste. Il a juré la perte de l’Étoile Nord-Africaine. Il a obtenu sa dissolution. »

Cet épisode illustre bien le caractère que donnaient les « communistes » à la lutte contre le fascisme. Si l’Étoile Nord-Africaine ne donna pas dans le panneau pour l’essentiel, elle tint sa partie dans le concert antifasciste, les souscriptions, les meetings de protestation : il lui était difficile de se séparer des partis ouvriers dégénérés de la métropole.

D’une façon tout aussi ambiguë, elle proteste, fraternellement, contre l’agression de l’Éthiopie, mais dans ce « nid de brigands » de la S.D.N., durant quatre minutes que lui accordent les diplomates, elle met en cause tous les impérialismes, aussi bien « démocratiques » que fascistes.

L’extrait suivant d’« El Ouma » nous montre les méthodes d’agitation de l’organisation et ses efforts pour unifier le mouvement dans toute l’Afrique du Nord :
« Devant ses juges, Messali a su dénoncer l’immonde complot. L’accusation elle-même, a été obligée de reconnaître que la main de l’Allemagne, de Moscou et le glaive de Mussolini sont complètement étrangers à un mouvement qui traduit avec tant de franchise et d’exactitude les aspirations de notre peuple…
Lentement et discrètement, dans les douars les plus reculés, notre propagande saura dévoiler les atrocités d’une administration affolée. Malgré le retard de ce tract (imprimé à l’intérieur), nos militants doivent autour d’eux répandre notre doctrine. Ils doivent signaler au peuple un événement que nous considérerons comme particulièrement important : le parti-frère, le Néo-Destour, vient de décider une grève de solidarité pour protester en faveur des martyrs algériens et marocains. C’est la première fois que semble se dessiner un plan d’action qu’il sera possible dans l’avenir d’unifier et de coordonner. Contre le Front impérialiste, constituons le Front unique de lutte entre Tunisiens, Algériens, Marocains. »
(« El Ouma », décembre 1937.)

Dans « L’Entente » du 16 septembre 1935, Ferhat Abbas écrivait cependant, à propos des travailleurs marocains en Algérie :
« Nous demandons que les pouvoirs publics appliquent à leur sujet les règlements formels qui limitent l’emploi de la main-d’œuvre étrangère ».

Main en France, on voit les 7000 Algériens, Tunisiens et Marocains groupés par l’Étoile Nord-Africaine manifester à la queue des défilés des organisations ouvrières. L’Étoile Nord-Africaine s’accroche désespérément au prolétariat de la métropole (et, par ce biais, au prolétariat international), sans lequel elle ne peut parvenir au socialisme, et ne se résigne pas à adopter une solution bourgeoise.

C’est le Front Populaire qui porte le coup fatal à l’Étoile Nord-Africaine. Lorsque le gouvernement de droite de Laval, utilisant la loi contre les factieux, introduit l’action en dissolution de l’Étoile Nord-Africaine, Messali en appelle à toutes les organisations du Front Populaire. Mais c’est le gouvernement du Front Populaire qui l’interdit, par le décret du 26 janvier 1937[18]. Quinze jours après la dissolution de l’Étoile Nord-Africaine, le « communiste » Deloche écrivait hypocritement dans « L’Humanité » du 12 février 1937 qu’il eut été « plus indiqué d’appliquer la loi de dissolution aux ligues fascistes », mais que l’attitude de « certains dirigeants » de l’Étoile « à l’égard du Front Populaire, du gouvernement et de notre parti » avait été inquiétante. Et de conclure effrontément qu’il fallait « étendre à l’Algérie les bienfaits du Front Populaire ». (Cité d’après « Voies Nouvelles ».)

Ainsi, comme le prolétariat français ne s’est pas ressaisi, les messalistes – et pourtant ils ne s’en feront pas faute – ne pourront-ils plus désormais parler de solidarité internationale du prolétariat et de socialisme, sans se payer de mots, et paraître – il faut bien le dire – pitoyables.

Le voile est dès lors déchiré : le Parti communiste condamne le nationalisme algérien et devient le défenseur de l’impérialisme français. « La Lutte Sociale » titre le 24 septembre 1938 : « Pour l’indépendance de la France et la sécurité de l’Algérie, il faut maintenir l’intégrité de la Tchécoslovaquie »; le 9 décembre 1938 : « L’Afrique du Nord veut une politique vraiment française ». Cette politique vraiment française est évidemment celle de l’antifascisme. C’est Thorez qui le déclare et en tire lui-même la conclusion pour les peuples assujettis au joug colonial français :
« Si la question décisive du moment, c’est la lutte victorieuse contre le fascisme, l’intérêt des peuples coloniaux est dans leur union avec le peuple de France et non dans une attitude qui pourrait favoriser les entreprises du fascisme et placer par exemple l’Algérie, la Tunisie, le Maroc sous le joug de Mussolini et de Hitler »[19].

Dans toute l’Afrique du Nord, les communistes se font les gardiens vigilants de la cause française :
« Les chefs néo-destouriens invoquent la non-réalisation des promesses faites par les gouvernants français depuis deux ans. Certes il est hors de doute qu’en Tunisie, comme dans tous les pays coloniaux, une profonde et légitime déception a fini par gagner le peuple et nous examinerons plus loin ce problème, qui est d’ailleurs la clef de la situation en Tunisie comme ailleurs. Mais cela ne justifie pas que le Néo-Destour et son programme se soient complètement modifiés en un an et demi au point de devenir, en avril 1938, l’admirateur du fascisme italien et l’ennemi acharné de la Démocratie française. La réalité, c’est que certains chefs néo-destouriens, comme d’autres chefs nationalistes en Afrique du Nord, ont commis la faute, l’erreur capitale, de penser qu’au fur et à mesure que s’aggravaient les difficultés extérieures de la Démocratie française, ils devaient augmenter l’importance de leurs revendications est allant jusqu’à chercher l’appui des nations fascistes que celles-ci s’empresseraient de leur accorder »[20].

Une revue de l’« opposition communiste » (c’est-à-dire, en réalité, du réformisme communiste), « Voies Nouvelles », suggère que Thorez n’agissait pas pour le compte de l’impérialisme français, mais sur les directives de Moscou :
« A la même époque, on s’inquiète en U.R.S.S. des intrigues mussoliniennes en Afrique du Nord et on dénonce les collusions de l’Étoile Nord-Africaine et du Néo-Destour avec l’Italie Fasciste. Cf par ex. S. Ignatov dans le ‹ Journal de Moscou ›, 26 Avril 1938 ».
On ne va pourtant pas encore jusqu’à dire que c’est la faute à Staline ! En réalité, nous pouvons montrer que cette attitude n’avait rien de nouveau de la part du P.C.F. puisqu’elle date, au contraire, comme on l’a vu, de longtemps. Et « Voies Nouvelles », qui relate une polémique où la question est clairement posée, démontre sans le vouloir que la lutte contre le fascisme servait à Thorez à masquer la défense de l’impérialisme. En 1938, les dirigeants indigènes des P. C. syrien et libanais engagent une polémique contre l’attitude des dirigeants du P. C. français, qui, sous prétexte de lutter contre le fascisme, soutiennent le colonialisme de la métropole. Khâled Begdache prétend que, loin d’y faire obstacle, la lutte contre le fascisme favorise au contraire celle pour l’indépendance de la Syrie, du Liban et de l’Afrique du Nord. Effectivement, la France est amenée à signer le traité franco-syrien, ce qui fournit aux dirigeants du P.C.F. l’occasion de montrer une fois de plus qu’ils n’ont en vue que les intérêts de l’impérialisme français :
« La ratification du traité franco-syrien est… le seul moyen pour conserver à la France les bénéfices sociaux, économiques et l’influence qu’elle a acquis dans ces pays. » (Déclaration de V. Barel et J. Grésa, reproduite dans « Voies Nouvelles », 1959, № 9, p. 20.)

Dans un discours radiodiffusé, du 29 décembre 1937, Thorez proclame :
« Nous répétons à nos camarades d’Algérie, à nos camarades tunisiens, à nos camarades de Syrie et du Liban, qui sont venus à cette tribune, nous répétons à tous nos frères de toutes les colonies qu’il faut que la France du Front Populaire fasse droit aux revendications, dans l’intérêt de ces peuples et dans l’intérêt de la France, afin d’assurer contre le fascisme qui provoque à la rébellion et la guerre civile dans les colonies, l’union libre, confiante, fraternelle des peuples coloniaux et de la France démocratique. » (Reproduit dans « La Lutte Sociale » du 8 janvier 1938.)

Pour les « communistes » français, le nationalisme est désormais synonyme de fascisme quand il s’agit de l’Afrique du Nord. Le socialisme ne sert plus qu’à justifier l’abandon des positions d’antan sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Seul le socialisme libérera les Algériens :
« Ce n’est que par une collaboration franco-algérienne confiante et fraternelle que l’Algérie pourra connaître le bien-être et la justice et aller dans la voie du socialisme libérateur. » (« La Lutte Sociale », 15 janvier 1938.)

Ce n’est donc pas ici par la voie nationale, mais mieux, par la voie coloniale, que passe le socialisme.

Il faut que l’impérialisme français soit aux abois pour que ses défenseurs étalent ainsi leur jeu. C’est que la guerre imminente va donner l’occasion à l’Algérie d’arracher son indépendance, ainsi que le prévoient les différents partis en présence, et principalement l’Étoile.

Il convient de faire ici un parallèle entre la situation de l’Algérie lors de la première et de la seconde guerre mondiale, afin de montrer le chemin parcouru. Peu avant le premier conflit mondial, l’affaire du Maroc, parachevant l’étranglement de l’Algérie, aboutissait au renforcement de la position française. C’est une des raisons pour lesquelles Rosa Luxembourg avait vivement attaqué la défaillance de la social-démocratie européenne dans l’affaire où le Maroc perdit son indépendance[21]. Elle montrait que toute cette série de défaillances se termina par le triomphe complet de l’impérialisme dans la tuerie de la guerre de 1914. Après la guerre, les vainqueurs anglais et français dominèrent tout le bassin méditerranéen. Et la Turquie, dont le marxisme considérait l’existence comme vitale pour la cause révolutionnaire faillit même perdre son indépendance. L’Angleterre se sentit assez sûre d’elle-même pour prôner l’unité arabe avec la prétention de dominer à elle seule tout le Moyen Orient. L’Afrique du Nord étant une zone d’influence purement française, ce n’est qu’au Liban et en Syrie que pouvaient se produire des frictions entre les deux impérialismes. La situation du colonialisme était donc puissante au lendemain de la première guerre. Pourtant, en Algérie même, la crise s’était approfondie : le recrutement de la chair à canon avait provoqué dans l’intérieur une vive résistance, et le prestige français avait subi dans les tranchées un choc violent. La reprise de la lutte révolutionnaire à l’échelle internationale, après l’Octobre russe, avait enflammé la masse algérienne et l’avait gagnée à la cause révolutionnaire. Les quelques députés communistes qui tinrent des meetings en Algérie rencontrèrent un enthousiasme indescriptible. Un autre, communiste également, revint atterré d’Algérie, car, disait-il, ne sommes-nous pas en train de soulever les masses contre la France ? Ce mouvement révolutionnaire s’affaiblit évidemment avec les défaites subies en Europe centrale par le prolétariat révolutionnaire et la dégénérescence des partis communistes, français en particulier. La courageuse Étoile Nord-Africaine continua néanmoins la lutte envers et contre tout, comme nous l’avons vu. Ce ne sera qu’avec la guerre de 1939 que l’Algérie aura l’occasion, et la force, de passer à l’attaque, sans l’aide de mouvements révolutionnaires extérieurs. On voit qu’en dépit de l’inertie du mouvement prolétarien, la crise avait prodigieusement mûri entre les deux guerres.

La guerre impérialiste et la crise en Algérie

Dans son livre « L’Afrique du Nord en marche », A. Julien écrit : « A la veille de la guerre, on estimait les membres du P.P.A. à environ 3000, mais il apparaissait qu’il était de beaucoup le parti le plus populaire, celui dont l’action traduisait le mieux les aspirations des masses indigènes. L’administration s’en rendit si bien compte qu’elle accrut ses rigueurs après la libération de Messali, le 27 août 1939, dont l’action risquait de compromettre la défense nationale : le P.P.A. fut dissous le 29 septembre. El Ouma interdite. Messali et des dizaines de ses partisans furent emprisonnés ou internés en même temps que les communistes. »

Le 10 avril 1941, Ferhat Abbas, de son côté, se fait la main : il adresse au maréchal Pétain un rapport lui demandant de prendre des mesures pour la reconstitution du paysannat, le développement de l’enseignement et l’égalité des fonctionnaires musulmans. Le maréchal répond qu’il tiendra compte de ces suggestions. Lorsque les Américains débarquent le 8 novembre 1942, ils ne trouvent plus aucun gouvernement en Algérie, et il semble bien qu’un gouvernement nationaliste et décidé aurait pu s’imposer à ce moment-là. La Syrie où les Anglais ayant débarqué, les Français avaient été évincés, constituait un dangereux précédent. Les colons s’étaient compromis avec le pétainisme. Ce n’est que grâce à une magistrale manœuvre que les Français rétablissent la situation en leur faveur. Les gaullistes et les communistes emprisonnés en Algérie sont libérés et quittent leur lieu d’incarcération la Marseillaise aux lèvres. Messali, lui, subit un sort spécial : d’abord astreint à résider à Baghari, il est déporté en décembre 1943 dans le Sud algérien et transporté en janvier 1944 à Reibell. Après l’armistice, et alors qu’il était toujours en prison, Vichy avait sollicité sa collaboration. Ayant repoussé ces avances, il fut déféré le 17 mars 1941 devant le tribunal militaire d’Alger, qui le condamna à seize ans de travaux forcés. Le tribunal avait retenu contre lui, comme à l’accoutumée, les motifs politiques d’« atteinte à la souveraineté française et à l’intégrité du territoire ». Les dirigeants de l’Étoile libérés ne reconstituent pas leur organisation comme à l’accoutumée : ils s’efforcent cette fois de rallier toutes les tendances politiques et toutes les personnalités algériennes auxquelles est soumis le « Manifeste du peuple algérien ». Le résultat, dont il importe de tirer la leçon, fut que tandis que le parti gonflait démesurément (jusqu’à 600 000 adhérents !), l’organisation politique, instrument indispensable de la révolution, s’effrita. C’est la fin de l’Étoile Nord-Africaine.

C’est donc à Ferhat Abbas et à des personnalités qui avaient participé au Congrès Musulman qu’ont affaire les Alliés. Ferhat Abbas fait avec son « Manifeste » le tour de tous les représentants américains et français : chacun a le temps de souffler.

Ce « Manifeste » est un compromis et fait l’objet de tractations actives. En vertu du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes (c’est-à-dire suivant un point de vue wilsonien à la sauce Roosevelt), il réclame l’octroi à l’Algérie d’une Constitution propre garantissant la liberté et l’égalité absolues de tous les habitants; la suppression de la propriété féodale par une grande réforme agraire et le droit au bien-être de l’immense prolétariat agricole; la reconnaissance de la langue arabe; la liberté de la presse, du culte et le droit d’association; enfin
« la participation immédiate et effective des Musulmans algériens au gouvernement de leur pays, ainsi que cela a été fait par le gouvernement de Sa Majesté britannique et le général Catroux en Syrie et par le gouvernement du maréchal Pétain et les Allemands en Tunisie. Ce gouvernement pourra seul réaliser, dans un climat d’unité morale parfaite, la participation du peuple algérien à la lutte commune ».
Trois mois plus tard, le « Manifeste » reçoit un additif, qui constitue, sur le papier, à la fois un pas en avant et un pas est arrière. Le titre I déclare :
« A la fin des hostilités, l’Algérie sera érigée en État Algérien, doté d’une Constitution propre qui sera élaborée par une Assemblée algérienne constituante élue au suffrage universel par tous les habitants de l’Algérie ».
On lit dans le préambule :
« Le corps expéditionnaire organisé sous le commandement du général Giraud, en vue de participer, aux côtés des troupes anglo-américaines, à la libération de la France et des peuples opprimés est composé dans la proportion de 90 % de soldats musulmans. C’est donc en réalité l’Algérie musulmane qui supporte et supportera les plus grands sacrifices. Cette Algérie doit avoir la certitude que, en versant son sang aux côtés des Alliés pour la libération du monde, elle contribue pour le moins, et par là même, à sa propre libération ».
Ceux qui signent cet additif sont évidemment ceux qui naguère réclamaient la nationalité française pour le sang versé en 1914. Mais l’additif revient est arrière sur un autre point, et constitue un avertissement pour les paysans pauvres et les expropriés : il ne réclame plus la suppression de la « féodalité », qui constituait une menace non seulement pour les gros colons et les gros propriétaires musulmans, mais aussi pour les fonctionnaires et les caïds musulmans, fidèles serviteurs des premiers.

De son côté, De Gaulle frappe un grand coup le 22 décembre 1943 : plus fort que Viollette, il décide à Constantine d’accorder la citoyenneté française à quelques dizaines de milliers d’Algériens musulmans, nonobstant leur statut personnel. Le nouveau statut accorde le droit de vote aux assemblées indigènes à environ 1 600 000 hommes et l’effectif des élus algériens dans les assemblées est porté aux ⅖ de l’effectif total (que ces « élus » se réjouissent donc !). C’est la répétition du coup de la guerre précédente où, pour compenser les sacrifices du peuple algérien dans la guerre impérialiste, on avait promulgué une réforme fixant à un tiers d’Algériens contre deux tiers de colons et de Français la composition des conseils municipaux. Pour les modérés, c’est la réalisation d’un rêve. Les communistes, eux, se contentent de surenchérir est demandant l’octroi aux indigènes de tous les droits politiques.

Les conséquences de l’échec du mouvement d’indépendance furent graves. Aidée des caïds, des marabouts et autres administrateurs, l’armée put recruter de la chair à canon indigène pour redorer le blason militaire français dans les campagnes d’Italie et du Rhin, alors que les communistes français participaient au gouvernement provisoire d’Alger, et tenaient les syndicats. L’antifascisme jetait le masque, et se révélait, à l’Est comme à l’Ouest, sous son vrai jour en participant à la guerre impérialiste.

Entrée des masses dans la lutte nationale

Les masses, qui prennent au mot les leaders du « Manifeste », se jettent dans la lutte pour l’indépendance dès la fin de la guerre. Ce sont les tragiques événements de Sétif. La propagande nationaliste avait été active, mais il manque un solide parti révolutionnaire. Au moment de la victoire de l’antifascisme, les musulmans vivent dans un état de misère et de famine épouvantables. Le 12 mai 1945, « L’Humanité » annonce les troubles survenus en Algérie, spécialement à Sétif, elle signale
« le rôle de quelques éléments provocateurs au sein de la population algérienne » : « La population affamée a été poussée à des violences par des provocateurs bien connus de l’administration ».
Rappelons que c’est l’époque où, en France, le Parti Communiste est au pouvoir avec le M.R.P. et la S.F.I.O. et que ce gouvernement, grâce à la participation des communistes, est le plus apte à endiguer le mécontentement surgi après la guerre, à reconstruire l’unité et l’économie nationales, et à maintenir les colonies dans l’Union française, à un moment où l’Europe colonialiste est elle-même occupée par des forces étrangères en décadence. Les communistes lèvent le masque. « La Liberté », organe du P.C.A. en Algérie, écrit le 17 Mai 1945 au sujet des événements de Sétif :
« Les instruments criminels, ce sont les chefs P.P.A., tels Messali et les mouchards camouflés dans les organisations qui se prétendent nationalistes, qui lorsque la France était sous la domination fasciste, n’ont rien dit, ni rien fait et qui maintenant réclament « l’indépendance » au moment où la France se libère des forces fascistes et marche vers une démocratie plus large. Il faut tout de suite châtier rapidement et impitoyablement les organisateurs de trouble, passer par les armes les instigateurs de la révolte et les hommes de main qui ont dirigé l’émeute ».

Et le Parti communiste de mobiliser toutes les organisations dont il dispose, dont la C.G.T., qui diffuse un tract où nous lisons :

« La C.G.T. appelle les travailleurs musulmans et européens à déjouer les manœuvres criminelles du P.P.A., au service des ennemis du peuple. Travailleurs, restez unis au sein de la grande Confédération générale du Travail… Tous ensemble, nous irons vers le bien-être, dans la liberté; nous ferons une Algérie amie de la France nouvelle, plus belle, plus démocratique, plus heureuse ».
Le colonialisme étouffe la révolte dans le sang, le feu et la mitraille : il fait environ quarante mille victimes.

Il était fatal que cette crise, qui depuis la guerre n’avait fait que s’aggraver, aboutît à l’insurrection : elle éclata en 1954. La situation, politiquement confuse, n’avait pas été clarifiée. C’est au cours de la lutte que s’opposèrent messalistes et frontistes, sans que leur opposition prenne vraiment un caractère de classe (et il va de soi que l’impérialisme met à profit la surenchère qu’ils se font). Seule l’absence d’un mouvement révolutionnaire du prolétariat, qui interdit à cette lutte toute issue internationale, explique cette confusion.

Comme ce ne sont, cependant, pas les hommes, mais les facteurs économiques et sociaux qui déterminent le cours des événements, la crise ouverte en Algérie est objectivement révolutionnaire. Non seulement pour l’Algérie, mais également pour la France, qui, incapable de la résoudre, doit en subir les conséquences. La gravité de ces conséquences apparaîtra, lorsque nous aurons vu ce que représente l’Algérie au point de vue économique aussi bien que social.

La sombre période démocratique

L’abandon, durant la guerre, du programme et de la forme de lutte de l’Etoile Nord-Africaine et l’entrée en scène de tous les éléments nationalistes modérés, plus ou moins conciliateurs et collaborationnistes, s’étaient soldée pour le mouvement nationaliste algérien par une lourde défaite : la France maintenait sa domination et recrutait des masses de chair à canon musulmane pour s’assurer, en redorant son blason militaire dans les sanglantes campagnes d’Italie et du Rhin, un strapontin parmi les « Cinq Grands ». Rappelons qu’avant de faire leur sale besogne à Paris, les communistes avaient contribué, au gouvernement provisoire d’Alger, au succès de cette opération.

Comme les masses prirent leurs chefs « nationalistes » au mot et revendiquaient, le jour de la « victoire », cette indépendance qu’ils avaient fait miroiter à leurs yeux en récompense de leur « effort de guerre », 40 000 Algériens inorganisés furent massacrés lors de la répression a laquelle participa l’aviation (ministre communiste Tillon).

L’Union Démocratique du Manifeste Algérien (U.D.M.A.)[22] de Ferhat Abbas, qui se présente comme l’héritier du mouvement créé en 1943 sous le nom des « Amis du Manifeste et de la Liberté » (A.M.L) trouve cependant que tout va pour le mieux : pour elle, ces masses, abandonnées et dupées par leurs nouveaux chefs, ont simplement été victimés de provocations policières (des nationalistes fascistes du P.P.A., disent les staliniens) :
« Le succès de ce mouvement (A.M.L) fut tel, que pour Le dissoudre, l’administration colonialiste eut recours à des provocations qui eurent pour résultat les émeutes de Sétif et de Guelma. Mais les A.M.L. étaient solidement installés dans la légalité républicaine, si sincèrement acquis au progrès dans l’ordre, que leurs adversaires durent battre en retraite. Le mouvement fut réhabilité. » (« Manifeste à la République algérienne », publié par l’U.D.M.A., Alger 1948, p. 69.).

C’est avec de telles vues que ce parti entre dans l’arène politique en se présentant aux élections législatives du 2 juin 1946. Il s’agissait pour lui de battre le fer tant qu’il était chaud pour transformer les « 500 000 adhérents des A.M.L » du temps de guerre en solides électeurs. Sur 13 sièges, il s’en voit attribuer 11.
« Et encore faut-il dire que les deux autres sièges lui ont été soustraits grâce à l’arithmétique spéciale du préfet d’Alger, M. Périllier » (ibid., p. 69).

L’expérience historique, nous a appris que la démocratie alterne nécessairement avec le bonapartisme et les « dictatures », le fascisme, avec les truquages de toutes sortes, les pressions de l’appareil politique, juridique, policier, économique, etc. La démocratie politique qui se substituait en Algérie à la violence révolutionnaire représentait un atout majeur pour l’impérialisme français, auquel elle permettait de mettre en place une certaine structure autochtone et de trouver le.. meilleurs interlocuteurs possibles parmi les élites, les fonctionnaires et les notabilités religieuses.

Nous allons voir, en effet, que le truquage des élections, que les partis de gauche ou d’opposition ont si souvent dénoncé, fait en réalité partie intégrante du jeu démocratique. Quant à ces partis (qui, d’ailleurs, ont tous participé au gouvernement à un moment donné sans que « cela change »), ne sont-ils pas eux-mêmes un élément de l’alternance trique et carotte ?

L’analyse de cette sombre période du mouvement algérien apporte encore une fois la preuve que, loin d’être en contradiction avec le système électoral, le truquage le soutient et le renforce. Expliquons-nous en quelques mots : en l’absence de tout concurrent nationaliste, un parti, l’U.D.M.A. par exemple, se présente aux élections avec le programme le moins « dur » possible, vu les circonstances. Tous les électeurs nationalistes, de quelque tendance qu’ils soient (M.T.L.D., Oulémas, etc.) voteront pour l’U.D.M.A. afin de faire barrage aux candidats des colons. Le truquage des résultats et les manœuvres de l’administration s’effectueront aux dépens dés « durs » de I'U.D.M.A. En outre, on met en lice le P.C.A. qui, grâce à un programme démagogique et à ce radicalisateur magique le mot « communiste », attirera à lui une partie des « petits blancs » mécontents et une partie de la clientèle électorale nationaliste. Il suffira aux élections suivantes d’entraîner un autre parti, disons le M.T.L.D., dans la course aux bulletins de vote et de mettre au contraire hors jeu l’une des formations précédemment élues : la confusion qui existait déjà dans la « base électorale » gagne dès lors les formations politiques elles-mêmes qui tantôt marchent ensemble, tantôt se combattent. Jusqu’en 1954, tous les partis algériens se sont trouvés liés entre eux à un moment donné, si bien qu’au nom du nationalisme algérien ils forment une sorte de parti unique, ou plutôt pas de parti du tout. On voit comment le virus démocratique gagne sans cesse de nouvelles organisations.

En 1945, lés élus du Parti Communiste Algérien recueillent 21 % des voix au second collège,
« les militants du P.P.A. (messaliste) n’ayant pu présenter de candidats, votent pour les premiers » (« Interafrique Presse », № 168–169, p. 3.)

Comme le montre la citation suivante, les partis algériens sont conscients du jeu de l’impérialisme, mais le « crétinisme parlementaire » les empêche d’en tirer les conclusions. Dans la brochure susmentionnée de I'U.D.M.A., nous lisons :
« Si L’U.D.M.A. était définitivement écartée de la faveur publique (sic !), l’administration, qui tolère actuellement le M.T.L.D. pour s’en servir contre nous, se retournerait immédiatement contre lui et le frapperait en le poursuivant pour reconstitution de ligue dissoute.
C’est en prévision de cette éventualité que l’administration se refuse à réhabiliter le P.P.A. bien que cinq députés M.T.L.D. siègent à l’Assemblée Nationale depuis quatorze mois. L’hypocrisie du régime colonial est incommensurable »
(p. 133).

Le P.P.A. que les communistes traitaient de fasciste en raison de son activité nationaliste ne fut pas « réhabilité » par le gouvernement de la Résistance. Ainsi était-ce à présent le M.T.L.D. qui succédait à ce parti, qui lui-même n’avait pris la suite de l’Etoile Nord-Africaine qu’avec un programme allégé. En même temps, le mot d’ordre « chercher un appui auprès de la classe ouvrière » devait de plus en plus faire place à celui, vide de sens, de « chercher un appui auprès des démocrates français ». Et sur le terrain de la démocratie, tout s’arrange naturellement pour l’impérialisme français et ses laquais :
« Au moment où le M.T.L.D. avait encore cinq représentants à l’Assemblée Nationale française, on pouvait observer que ces derniers votaient constamment comme le groupe communiste. Ce fait amena souvent une confusion dans l’esprit des observateurs »[23].
Et, ajouterons-nous, dans le M.T.L.D. lui-même.

Bien qu’ils aient participé aux élections, les messalistes ont ensuite rejeté toute élection organisée dans le cadre du régime colonialiste imposé à l’Algérie, mais cela uniquement en vertu d’une conception démocratique et parce qu’ils déniaient le droit à l’impérialisme de légiférer pour le peuple algérien[24].

« La Nation Algérienne », organe des exclus du M.T.L.D., connus sous le nom de « centralistes » et de « Comité central », écrivait :
« Oui ou non, faut-il participer aux élections ? Messali n’a-t-il pas dit dans ses messages durant la crise que l’une des grandes fautes du Comité Central avait été de participer à certaines élections ? Pourquoi fait-il aujourd’hui ce que le Comité Central a fait et dans des conditions bien déterminées ? » (№ 4 du 24 septembre 1954).

Il est temps de clore cet épisode pourri par le démocratisme pour passer à celui de la préparation de l’insurrection.

Le déclenchement de l’insurrection

Une activité intense, tout autre qu’électorale, prépara l’insurrection qui devait se déclencher le 1er novembre 1954, à 1 heure. Depuis déjà quelques années, des divergences profondes se manifestaient avec une certaine confusion au sein du M.T.L.D. Parallèlement à son organisation de masse légale, ce parti possédait une organisation paramilitaire qui devait intervenir en force pour arracher l’indépendance. Le conflit qui opposait l’une à l’autre les deux organisations était en fait plus important que celui qui aboutit à la rupture de la direction, c’est-à-dire de Messali, avec le Comité Central : les éléments les plus énergiques et les puis radicaux, fatigués des atermoiements et des hésitations, ruaient dans les brancards et pensaient que le moment était venu de passer à l’action directe. Rappelons-le, la position impérialiste de la France subissait alors des chocs violents : en avril 1954, l’armée française avait été vaincue dans une bataille en règle à Dien Bien Phu; la Tunisie et le Maroc étaient en lutte (on se souvient des ratissages et des innombrables « opérations de police »). L’Algérie, qui depuis le début de la colonisation, avait été le théâtre de tant de luttes, ne connaissait plus la paix depuis la répression de 1945. Les régions de Bordj Menail, Abbo, Dellys et Mirabeau avaient fait l’objet de vastes opérations militaires et policières; en 1948, ce fut la région d’Haussonvilliers; en 1949, celle de Sidi Ali Bouab et de Mascara. En 1950 et 1951, eurent lieu d’innombrables expéditions dans l’Aurès; en 1953 et 1954, ce fut au tour de la Kabylie, et derechef de l’Aurès.

Deux ans avant l’insurrection de 1954, Krim Belkacem dirigeait déjà un maquis dans les Aurès, et il semble bien que ces combattants étaient plus ou moins en liaison avec ceux du reste du Maghreb et la métropole, notamment le C.R.U.A. La plupart des membres du C.R.U.A. avaient appartenu à l’organisation paramilitaire secrète du M.T.L.D., reconstituée après l’opération de police de 1950 qui l’avait durement touchée. Le C.R.U.A. (Comité Révolutionnaire d’Union et d’Action) qui s’était formé après la scission de Hornu, intervenue en juillet 1954 dans le M.T.LD. entre le Comité Central et les Messalistes, et voulait unifier à nouveau les deux tendances, décida finalement à l’insu des uns et des autres le déclenchement immédiat de l’insurrection.

Le C.R.U.A. était dirigé par Ben Bella et Khider; au moment de l’insurrection, ils se trouvaient au Caire en tant que représentants du M.T.L.D. en Orient. C’est là aussi que se forma ensuite le F.L.N. (Front de Libération Nationale) qui, sous la direction du C.R.U.A. et de Krim Belkacem du maquis des Aurès, finit par regrouper les Oulémas, l’U.D.M.A., le Comité Central et les Indépendants. Mais ce regroupement ne se fit pas tout de suite. L’opération menée le 1er novembre ne fut pas reconnue par ces organisations comme le montre, par exemple, la déclaration suivante de l’U.D.M.A. en décembre 1954 :
« En ce qui concerne les événements, il y a lieu de distinguer la rébellion des maquisards de l’Aurès. déclenchée dans la nuit du 30 au 31 octobre. et dont les premiers symptômes remontent a plusieurs semaines, sinon à plusieurs mois, et les attentats. au nombre d’une soixantaine, qui ont en lieu du 31 octobre au 1er novembre.
S’il est incontestable que la rébellion des Aurés est l’œuvre d’Algériens musulmans parfaitement conscients et organisés qui ont choisi « l’action directe » parce qu’ils ont estimé que c’était dans la conjoncture actuelle, la seule issue, et sans aucun doute la seule efficace, on ne peut en dire autant de la série d’attentats qui se sont déroulés dans les trois départements, tout au long de la bande côtière, sans épargner le centre même de la ville d’Alger.
Il y a dans l’organisation minutée de ces attentats qui, pour la plupart, n’ont pas miraculeusement atteint leurs objectifs, une telle concordance dans le temps qu’il nous est difficile d’écarter, pour une large part, de la provocation policière.
Cette provocation avait des buts très précis : faire avorter toutes les promesses du gouvernement actuel, liquider dans tout le Nord africain la politique dite des « réformes », provoquer la chute du gouvernement Mendès France et, localement, justifier le dispositif militaire que, depuis plusieurs mois, l’administration algérienne, la colonisation et bien entendu les chefs militaires étaient impatients d’installer.
Une bonne partie de ces objectifs est déjà réalisée. Principalement en ce qui concerne le dispositif militaire. Pour l’heure, l’Aurès est bombardé. Une population de 120 000 habitants est terrorisée. Un espace, grand comme trois départements métropolitains, est soumis aux servitudes de l’état de siège, aux perquisitions brutales, à l’épouvante, au feu et aux larmes… Il importe pour l’a venir de la Communauté franco-musulmane, selon le vœu de textes solennellement reconnus et signés par la France, que l’autochtone participe à la gestion de ses affaires. »
(« Interafrique Presse », № 248–249, pp. 2 et 3.)

Les députés de l’U.D.M.A. continuèrent de siéger dans les Assemblées françaises et participèrent aux élections municipales d’avril 1955 boycottées aussi bien par le F.L.N. que par le M.N.A. :
« A la faveur de la déclaration de M. le Gouverneur Général, appelant les pouvoirs publics au respect de la liberté de vote et à la stricte application de la loi française, L’U.D.M.A. est entrée dans la lutte électorale. »
Ce n’est que plus tard que les dirigeants de l’U.D.M.A. rejoindront le F.L.N. (en avril 1956).

Mais quelle était l’attitude des Partis Communistes tant algérien que français ?

« L’Humanité » du 3 novembre 1955 reproduit une déclaration du Parti Communiste Algérien, selon lequel il fallait rechercher
« une solution démocratique qui respecterait les intérêts de tous les habitants de l’Algérie sans distinction de race ni de religion et qui tiendrait compte des intérêts de la France ».
Le fait que, tandis que certains groupes de militants de la base vont prendre le maquis, le Bureau politique prend en considération les intérêts de la France, jette un jour curieux sur l’unité politique qui règne au sein de ce parti stalinien et monolithique !

Un an après le début de l’insurrection, le P.C.A. fut dissous par l’administration française, et son journal « Alger Républicain » mis sous séquestre. Il passa à la clandestinité et poursuivit son action par l’intermédiaire de ses cellules secrètes et par la propagande du journal clandestin « Liberté ». Il semble qu’assez tôt des militants isolés aient rejoint les maquis où la « Liberté » prêche l’unité :
« Fidèles à leur tradition d’union, les communistes soutiennent et soutiendront les patriotes armés quels qu’ils soient, qui agissent dans le sens de l’action libératrice : que ce soient des groupes armés du Front, des groupes dirigés par des communistes, des combattants de la. Libération, ou par le M.N.A.; que ce soient des combattants isolés; ils doivent tous avoir notre soutien, tandis que nous ferons tout pour unifier et coordonner leur action » (№ 8, reproduit par « Interafrique Presse », № 168–169).

Au moment du Front Populaire, le P.C.A. se vantait d’être, avec ses 5000 adhérents, le parti le plus puissant d’Algérie. Avant l’insurrection, il comptait 15 000 adhérents, dont de nombreux européens. Le F.L.N. a souvent exprimé son mépris pour l’activité des communistes : dans le numéro spécial de El Moudjahid, diffusé à Paris en automne 1956 pour rendre compte du Congrès du 10 août, on peut lire un article qui démontre que le « communisme est absent » dans le combat de la Révolution Algérienne, et définit l’activité des membres du P.C.A. comme
« certaines initiatives émanant à titre individuel de certains communistes s’efforçant de s’infiltrer dans les rangs du F.L.N. et de L’A.L.N. » (« Interafrique Presse », № 168–169, p. 12).
Il est absurde de croire à un noyautage idéologique du F.L.N. par des éléments communistes : dans ses tractations avec le P.C.A., le F.L.N. doit bien plutôt tenir compte des liens de ce parti avec l’U.R.S.S. aux gigantesques réalisations « socialistes » : alors se pose le problème de l’« aide » que pourrait lui apporter l’U.R.S.S., comme n’importe quelle autre puissance d’ailleurs, et de la dose d’aide voulue… Mais le mépris du F.L.N. ne se comprend que trop bien quand on voit ce parti communiste qui s’accroche aux basques d’organisations révolutionnaires, autant pour redorer son blason, que pour pouvoir placer ceux de ses membres qui ont isolément pris parti pour l’insurrection algérienne. Tandis que les groupes de combat communistes sont, vu leur peu de poids, intégrés à ceux du F.L.N., le P.C.A. s’efforce cependant de conserver son autonomie politique. Tel est l’aboutissement d’une longue série de trahisons et de reniements, et il n’y a là rien qui purifie ou rachète quoi que ce soit, ni quelque communiste que ce soit.

Surtout qu’il se pose encore une question : est-il faux qu’au cours de ces tractations, les communistes ont marchandé au F.L.N. leur influence dans la C.C.T., c’est-à-dire la possibilité pour le futur gouvernement algérien d’avoir, comme tous les pays arabes, un syndicat inféodé à l’État et, par là, de tenir les masses travailleuses solidement en mains pour les exploiter le jour venu ?

Voyons maintenant comment se comportaient les communistes dans le camp impérialiste. Quand éclate l’insurrection algérienne, le Parti Communiste Français avait d’autres chats à fouetter : c’est la période de la C.E.D. et le réarmement de l’Allemagne occidentale est la question-clé de la politique française; le P.C.F. s’allie avec les adversaires du réarmement allemand (Debré, Soustelle et Cie). Il voit dans l’insurrection
« des actes individuels susceptibles de faire le jeu des pires colonialistes, si même ils ne sont pas fomentés par eux, assure le peuple algérien de la solidarité de la classe ouvrière française dans sa lutte. de masse contre la répression et pour la défense de ses droits. »
Puis, reprenant le vieil argument d’avant-guerre revenu à la mode :
« Les travailleurs s’opposeront d’autant plus vigoureusement à la politique férocement colonialiste pratiquée en Algérie et dans toute l’Afrique du Nord qu’elle est étroitement liée à la politique de réarmement du militarisme allemand. Elle tend à faciliter l’implantation de l’impérialisme germanique sur le sol africain. » (« L’Humanité », 9. 11.55.)
Le 13–4–56, « L’Humanité » se prononce pour « l’existence de liens durables entre la France et l’Algérie dans l’ordre politique, économique et culturel au sein d’une véritable Union Française »[25].

Lorsque les communistes se préoccupent de l’Algérie, c’est en parti bourgeois d’opposition qui n’a pas d’autre perspective que l’intérêt national et peut, si l’équipe au pouvoir fait faillite, se présenter avec un bon petit programme de rechange, comme candidat gouvernemental :
« Ceux qui accordent leur confiance au gouvernement à l’issue de ce débat auront accepté en fait une politique qui postule l’éviction de la France d’Afrique du Nord, ou qui s’accommoderont pour elle du rôle honteux du chargé d’affaires d’un super-syndicat d’exploiteurs colonialistes dirigés par les U.S.A., sans même avoir l’assurance que d’autres commis ne leur seraient pas préférés. En enfonçant la France dans la guerre, vous lui ferez tout perdre. Voilà la vérité. Ce n’est pas seulement l’intérêt national que vous ne savez plus reconnaître en Algérie. Ce sont les intérêts d’État les plus simples, intérêts militaires, économiques et culturels que vous ne savez plus garder. En ce sens, les défaitistes sont au gouvernement. » (Laurent Casanova, porte-parole communiste à la tribune de l’Assemblée Nationale, le 20–3–57.)
Mais on aurait tort de croire que le P.C. veuille en faire accroire. Nous allons voir que son action concrète est encore plus éloquente et on ne peut plus convaincante.

L’évolution du rapport de force dans la lutte

Contrairement aux affirmations de l’U.D.M.A. et des communistes, la vague d’attentats qui déferla sur toute l’Algérie le 1er novembre 1954 n’était pas une provocation policière, mais le début de la longue guerre d’Algérie. En effet, les maquis s’étendirent à toute l’étendue du territoire : dans l’Aurès et une partie du Nord-Constantinois, dans l’Est et l’Ouest Constantinois et la Grande-Kabylie. Dans l’Oranais, les maquis, solidement armés, étaient soutenus par le Rif et le Maroc. Le Maroc et la Tunisie en lutte apportaient à ce moment-là une aide importante à l’Algérie. Le dispositif français n’était pas encore en place, et malgré la disproportion énorme des forces en présence, la super-industrialisation de la France et son armée numériquement écrasante, le rapport des forces évoluait en faveur des insurgés.

Aussitôt après le déclenchement de l’insurrection, les cellules du M.T.L.D.-C.R.U.A. organisèrent activement et systématiquement les collectes de fonds îpour les maquis aussi bien que le passage des travailleurs qui rentrent en Algérie. D’importantes manifestations algériennes ont lieu jusque dans la métropole; à Paris même, dix mille Nord-Africains partent de la mosquée avec le drapeau algérien en tête. Mais déjà les laquais de l’impérialisme interviennent. Le 1er mai 1955, au bois de Vincennes, des milliers d’Algériens sont rassemblés; les dirigeants de la C.G.T. refusent la parole au leader nationaliste et la donnent à un Algérien de leur choix : bagarres, suivies de 200 arrestations. En septembre-octobre 1955, ont lieu les grandes grèves de Nantes et de Saint-Nazaire. Des grévistes prennent d’assaut les bureaux de la direction patronale de Rouen.

Il est néamoins faux d’affirmer, comme le font des trotskistes, que les « conditions les plus favorables étaient réunies pour une lutte de masses et révolutionnaire contre la guerre d’Algérie, pour des actions efficaces de solidarité internationale du prolétariat envers le peuple algérien ».

Tout d’abord, une action révolutionnaire du prolétariat n’est possible que s’il mène une politique autonome, rompt avec tous les partis bourgeois et opportunistes, bref a son organisation et son programme propres. Or quel est le parti de gauche ou d’extrême-gauche qui ne mêle pas les mots d’ordre les plus bourgeois et les plus chauvins aux phrases pseudo-révolutionnaires ? Sûrement pas les trotskistes : ils militent dans ou avec tous les partis possibles et imaginables.

Ensuite, s’il est vrai qu’Edgar Faure, Président du Conseil d’alors, aurait déclaré à une délégation du comité de grève de Nantes qu’il recevait :
« Mais vous rendez-vous compte de ce que vous faites ? Vous m'obligez à dégarnir le front algérien en prélevant dix mille C.R.S. d’Algérie pour les concentrer dans la région de Nantes ! »,
et que l’alliance spontanée du prolétariat avec les peuples luttant pour leur indépendance ait de quoi enthousiasmer, ce n’étaient pas ici, contrairement aux affirmations des trotskistes, de larges masses du prolétariat qui, conscientes des intérêts de la politique autonome de leur classe, exprimaient une volonté déterminée de soutenir un peuple qui se séparait de la nation qui l’opprime. Car pour que cette volonté soit ferme et non éphémère, il faut, encore une fois, qu’elle s’exprime dans un parti. Il est étrange que ceux qui croient voir se manifester à tout moment l’action révolutionnaire des masses, ne reconnaissent pas qu’elles ont besoin d’un programme socialiste propre.

Enfin, alors que, conformément à toute la politique marxiste, l’Internationale Communiste exigeait que dans tous les pays coloniaux le parti prolétarien ne fusionne jamais avec d’autres partis, et conserve toujours « le caractère indépendant du mouvement prolétarien, même dans sa forme embryonnaire », toute la gauche et l’extrême-gauche actuelles ont ceci de commun qu’elles renoncent même dans les métropoles hautement capitalistes à toute forme d’organisation autonome du prolétariat qui ait son programme politique propre.

Les antistaliniens à la rescousse de l’impérialisme

Touts les « partis » et groupuscules de gauche se font les supporters de la négociation pour la paix en Algérie ? Faut-il donc rappeler qu’après la honteuse capitulation de la social-démocratie en 1914, Lénine s’était empressé de bien souligner contre les pacifistes qu’il n’était pas favorable à la conclusion de la paix, quelle qu’elle fut, la plus rapide possible, mais pour la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile. En effet, la guerre ou la paix constituent une alternative de la politique bourgeoise, tandis que la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile se place, elle, sur le terrain révolutionnaire, le terrain de classe du prolétariat. Il suffit d’ailleurs de gratter quelque peu le vernis qui recouvre les positions de tous ceux qui prêchent la négociation, et embrouillent le prolétariat par des mots d’ordre qui conduisent à une impasse, pour voir aussitôt qu’ils n’ont en vue que les intérêts de la France. Ils prétendent par exemple que le budget de la guerre pourrait être affecté à la construction d’écoles, d’hôpitaux, ou à l’aménagement de la Sécurité Sociale, etc. Ils s’imaginent autrement dit que, si on les laissait faire, ils pourraient embellir et transformer le capitalisme français en un capitalisme régénéré et baptisé République socialiste. Même les opposants authentiquement bourgeois sont plus réalistes, car les partisans de gauche de la paix en Algérie se comportent en vrais anarchisants ou idéologues petits-bourgeois qui n’ont – apparemment du moins – pas la moindre idée de la marche du grand capitalisme et de l’impérialisme.

La période que nous étudions montre que le prolétariat n’a rien de commun avec cette gauche qui l’accuse d’inertie et de passivité (comme si le prolétariat pouvait mener une action révolutionnaire avec un autre programme que celui de sa classe, le sien par exemple !). Et s’il est juste que l’impérialisme français s’est servi avant tout des grands partis « ouvriers » tels que le P.C.F. et la S.F.I.O. pour tromper les masses, ceux qui prétendent s’opposer à ces deux partis et les réformer, trotskistes, U.G.S., P.S.U. et autres confusionnistes, les valent bien. il n’en reste pas moins vrai que le P.C.F. et la S.F.I.O. s’arrangent toujours à merveille pour limiter les difficultés de leur bourgeoisie. Ainsi, ils ont activement contribué à faire échouer les grèves de Saint-Nazaire, de Nantes, etc. Leurs méthodes sont connues : isoler ces mouvements, et si des grèves de soutien éclatent tout de même, les étaler dans le temps et l’espace. Même tactique, lorsque les rappelés refusaient de partir en Algérie; malgré l’ampleur des mouvements spontanés, les organisations dégénérées eurent tôt fait, là aussi, d’étaler et d’isoler les initiatives (stratégie des grèves échelonnées, dans les transports parisiens, chez les cheminots, meetings en ordre dispersé).

En fin de compte, cependant, et pour que la farce soit complète, le Front Républicain de la Gauche en faveur de la paix en Algérie demanda aux masses d’abandonner toute cette agitation et de lutter pour la paix démocratiquement : avec leurs bulletins de vote pour arme. De sorte que lorsque Guy Mollet, muni de sa provision de bulletins, s’en alla annoncer la paix aux ultras d’Algérie, ce ne fuît en réalité pas lui qui reçut les tomates, mais ceux-là même qui, se gaussant pourtant de la couardise du socialiste de profession, avaient voté pour la négociation en Algérie.

Le 12 mars 1956, les députés staliniens abattaient leurs cartes et votaient la loi sur les pouvoirs spéciaux présentée par le même Guy Mollet. Cette loi permit à l’impérialisme de mettre sur pied le dispositif politique et juridique nécessaire pour mobiliser 500 000 jeunes hommes et reprendre la situation en mains en Algérie. Les partisans de la négociation, les communistes, avaient ainsi fourni au colonialisme français le moyen de pacifier l’Algérie (et montré à quelle négociation et à quelle indépendance ils aspirent).

On se souvient aussi des grandes grèves faites par les Algériens au début de la guerre. Là encore, les organisations ouvrières dégénérées les isolèrent complètement. En Algérie, le F.L.N. menace alors jusqu’aux villes : c’est plus tard que Massu et Bigeard s’assureront leur prestige avec le quadrillage d’Alger. Dans les jours qui précèdent la discussion du problème algérien qui devait avoir lieu le 28 janvier 1957, le F.L.N. organise en Algérie une grève de huit jours, qualifiée par certains d’insurrectionnelle. Une vague d’attentats est déclenchée pour appuyer cette action. L’impérialisme français concentre sur les principales villes, et en premier lieu sur Alger, des forces de répression extraordinaires. De son côté, le M.N.A. messaliste déclenche tant en Algérie que dans l’émigration une grève générale limitée à 24 heures. Le premier jour, la grève est à peu près totale parmi les Algériens. Le second jouir, le puissant dispositif français brise la grève par les moyens les plus violents. Le M.N.A. accusa le F.L.N. de cet échec : le but de l’action ne tenait pas compte du rapport des forces, sacrifiait les éléments les plus combatifs et décourageait les masses. Le F.L.N. accusa, lui, non sans raison, le M.N.A. d’avoir brisé l’élan et l’unité du mouvement en arrêtant la grève le second jour, ce qui affaiblissait la résistance de ceux qui la poursuivirent et fuirent en butte à la répression. Quoi qu’il en soit, la première période des grandes grèves est close.

Le rapport des forces va se modifier légèrement au profit de l’impérialisme français, bien secondé par ses laquais. Le demi-million de rappelés va être mis en place, les frontières de la Tunisie et du Maroc, indépendants à présent, vont être bouclées. C’est la période des règlements de comptes entre M.N.A. et F.L.N. qui s’étendent parfois jusqu’à une lutte entre maquis. Cette lutte n a rien d’une lutte de classes, dans laquelle le M.N.A. représenterait le prolétariat, et le F.L.N. la future bourgeoisie algérienne, ainsi qu’on peut d’ailleurs le voir aux buts que s’assignaient ces deux organisations.

En gros, le M.N.A. réclamait que la parole fût donnée au peuple algérien; que des négociations fussent menées, sans exclusive ni préalable, avec toutes les tendances du peuple algérien dans la perspective d’une Constituante algérienne, élue au suffrage universel, direct et secret; enfin, qu’un gouvernement algérien fût élu par cette Constituante.

Le F.LN. définissait ses revendications politiques en termes simples : reconnaissance du droit de l’Algérie à l’indépendance (le fameux préalable aux négociations); formation d’un gouvernement algérien; négociations avec le F.L.N. exclusivement.

Ce dernier programme était le plus net et se fondait sur la lutte. Nous verrons, s’il y a des négociations, si le F.L.N. le maintiendra. En attendant, ce qui est inquiétant, c’est que ni l’une ni l’autre de ces organisations n a un programme économique et social nettement défini. En ce qui concerne le M.N.A., il est certain qu’il a abandonné le programme de l’Etoile Nord-Africaine et renoncé aussi bien à la nationalisation des industries-clés et des transports qu’à la réforme agraire, toutes mesures qui devaient, en développant les forces productives, transformer la structure archaïque qui subsistait dans ce pays. Dans ce domaine, la dégénérescence du M.N.A., à laquelle les partis français de la gauche et de l’extrême-gauche ont fortement contribué (l’effet du stalinisme se répercutant sur son opposition), est particulièrement visible. Ces revendications auraient exigé l’appui de forces sociales bien définies, beaucoup mieux que ce « peuple » que l’on se plaît tant à évoquer aujourd’hui. Il est révélateur qu’alors que l’agriculture et l’industrie se sont fortement développées depuis les temps héroïques de l’Etoile Nord-Africaine, le M.N.A., tout comme les autres organisations, a abandonné le programme de l’Etoile en matière économique et sociale. Faut-il dire qu’il s’agit là d’un affaiblissement réel du camp de l’insurrection, d’un atout pour un compromis en faveur de la France, et d’une menace d’un développement futur mesquin pour l’Algérie que garantissent par leurs solutions petites-bourgeoises tous les partis réformistes. et en premier lieu le P.C.F. ?

Cette guerre a contraint l’impérialisme français lui-même à porter, pour se maintenir, le dernier coup à la propriété tribale et au nomadisme (d’où l’internement de plus d’un million d’habitants dans les fameux camps de regroupement) et à développer la grande industrie dans le Sahara et dans le cadre du Plan de Constantine. Il détruit, ce faisant, les bases du colonialisme.

Mais, lorsque la bourgeoisie algérienne prendra le gouvernail, le cycle du colonialisme sera clos dans toute l’Afrique,. et c’est alors le prolétariat qui fera entendre sa voix et qui sapera les positions des classes dominantes, suivant le mouvement qui accroît et aiguise sans cesse les antagonismes sociaux. Pour qu’il intervienne avec sa politique de classe, il suffira dès lors que soient balayés tous les faux partis ouvriers – dont la dégénérescence suit, comme nous le savons, une courbe inflexible – et que l’organisation prolétarienne revendique l’intégralité de son programme. Mais c’est au Parti Communiste Français et à l’Internationale de Moscou qu’incombe la responsabilité du sabotage de toute liaison entre le mouvement d’indépendance des peuples coloniaux et du mouvement communiste du prolétariat des métropoles.

Notes :
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  1. Les Turcs, ne faisant d’ailleurs que suivre en cela l’exemple des Romains, avaient déjà privé les tribus d’une partie appréciable de leur propriété communautaire. La propriété privée était passée principalement aux mains des habous, car le poids des impôts et le danger d’une confiscation toujours menaçante incitaient les propriétaires à se désister an faveur de ces institutions collectives. Ces données sont tirées des « Notes de Marx sur l’Algérie » tirées du livre de Kovalevski (cf. « La Nouvelle Critique », 1959, № 109). Rosa Luxembourg utilisa le même auteur pour son étude sur l’Algérie dans l’« Accumulation du Capital », étude publiée dans « Programme Communiste », № 5 que l’on consultera utilement. [⤒]

  2. Les Ho Chi Minh, Nehru, Hatta et Messali Hadj étaient tous présents au Congrès anti-impérialiste contre l’oppression et pour la libération des peuples opprimés qui s’était tenu à Bruxelles le 25 février 1927. [⤒]

  3. A ce sujet, Ferhat Abbas déclarait, en 1934, ces phrases caractéristiques :
    « Le plus grand danger qui nous menace, nous qui voulons collaborer avec le peuple français, c’est la révolte des fellahs qui sont prêts à prendre les armes. Le seul moyen de nous sauver de cela, c’est de permettre l’accession des fellahs à la petite propriété en lui facilitant le rachat des terres. »
    Et dans le № 1 de l’« Entente Franco-Musulmane », le journal le plus représentatif de la « bourgeoisie algérienne » (auquel collaborait le même Ferhat Abbas), nous lisons :
    « Rémunérée à des taux de misère, ou chômant, sans percevoir aucune indemnité, cette classe, qui voudrait être laborieuse et stable, mais qui constitue, par suite de la crise une population flottante susceptible de devenir une charge et un danger pour l’avenir, a besoin de voir sa condition matérielle améliorée, ne serait-ce que pour la protéger contre elle-même. » [⤒]

  4. En 1931, l’I.C. rappelle encore qu’il faut assurer aux partis communistes des colonies une forme autonome, pour dépasser les frontières politiques établies par l’impérialisme qui divisent artificiellement les peuples arabes :
    « En Tunisie et en Algérie, les organisations communistes s’affaiblissent du fait que les communistes ont été incapables de présenter aux masses la question de la lutte contre l’impérialisme » (Programme dokumenty kommunisticheskikh partii Vostoka, p. 169.) Il faut « prendre des mesures urgentes pour organiser et unifier les communistes en Algérie, en Tunisie et au Maroc et, à l’avenir, détacher l’organisation de tous ces pays du Parti communiste français et en former des unités indépendantes. » (Ibid.)
    Ce n’est qu’en mars 1932 que Thorez proposa au P.C.F. de créer un Parti Communiste algérien. Nous verrons que ce n’est qu’en septembre 1934 que l’organe du Parti communiste d’Algérie, « La Lutte Sociale » publiera le mot d’ordre. La proposition ne sera finalement adoptée qu’en 1935 par le Congrès de Villeurbanne et ne sera réalisée qu’en 1936, mais avec un secrétaire français. On constate que l’I.C. liait l’autonomie organisationnelle des P.C. arabes à l’indépendance de ces pays. Les réticences du P.C.F. à appliquer cette politique s’expliquent par leur refus d’accepter l’indépendance des pays d’Afrique du Nord soumis par la France. Voir à ce propos l’article paru dans le № 6 de notre revue sous le titre « Encore le P.C. et la question coloniale ».[⤒]

  5. Le passage est tiré de : « The Communist International », 1919.1943 Documents/Vol. 1, 1919–22, by Jane Degras. [⤒]

  6. Voir la brochure d’Engels écrite pour enrayer les effets du programme opportuniste des socialistes français en 1884 : « La question paysanne en France et en Allemagne ». (Page 30.) [⤒]

  7. A l’offre de collaboration du P.C. d’Algérie voilà quelle fut la réponse de « L’Entente » de Ferhat Abbas et Bendjelloul :
    « Tout d’abord nous tenons à faire remarquer que si nous sommes des réformistes, nous ne sommes pas des nationalistes. Nous pouvons, pour notre part, assurer le Parti Communiste qu’il ne parviendra pas à nous entraîner dans son orbite. Le communisme est trop éloigné de nous pour que nous nous en rapprochions; ses méthodes violentes s’opposent a notre action qui se poursuit dans le calme, et son dogme antinational ne peut se concilier avec notre respect de la patrie. » (24–10–1935.)
    « La Voix des Humbles » des instituteurs indigènes leur répond qu’elle tient
    « à rester à l’écart de tous ceux – y compris les communistes – qui tentent de détourner l’attention des masses des réformes réalisables pour les orienter vers un idéal nationaliste chimérique et démodé qu’eux-mêmes ont abandonné ». [⤒]

  8. A plusieurs reprises, il est question dans les journaux indigènes (« Entente », 28–11–1935, « La Défense » de Bernier, vers la même époque) de constituer des partis politiques musulmans. Mais il semble qu’on s’en tînt à des projets.
    Ferrat qualifia, en 1935, les Oulémas de « club politico-religieux » et ajouta que le mouvement « national-réformiste » n’a pas de véritable système d’organisation de base, « étant donné que les Ferhat Abbas et autres étaient des rationalistes opposés à tout mouvement de forme mystique ». (« Cahiers du Bolchévisme ».)[⤒]

  9. « La Lutte Sociale », organe du Parti Communiste d’Algérie, 30 Janvier 1937. [⤒]

  10. « La Lutte Sociale », 12–3–1938 [⤒]

  11. « L’Entente Franco-Musulmane », journal du Dr. Bendjelloul, Ferhat Abbas, 3.10–1935. [⤒]

  12. « L’Entente Franco-Musulmane », 4–10–1935. [⤒]

  13. « La Lutte Sociale », 8 août 1936. [⤒]

  14. Voici la première motion issue du Congrès Musulman :
    « Le Congrès algérien musulman réuni à Alger, le 7 juin 1936, estime que la seule politique musulmane possible en Algérie consiste dans l’octroi de tous les droits de cité aux Algériens musulmans, avec la préservation de leur statut personnel; il opte pour la représentation parlementaire unique avec collège universel commun et maintien du statut; il donne mandat et fait confiance aux élus indépendants et aux représentants qualifiés pour la réalisation de leurs revendications ». En outre, « le Congrès Musulman exprime sa gratitude au Congrès socialiste qui s’était tenu vers la même époque à Paris, ainsi qu’à M. le Ministre Viollette pour faire aboutir les réformes vitales que l’Algérie attend toujours ».[⤒]

  15. Le programme de l’Étoile Nord-Africaine du 28–5–1933, qu’aucun mouvement ne revendique plus actuellement, s’apparente étroitement tant dans sa partie politique qu’économique et sociale à celui des « Revendications du Parti Communiste en Allemagne » du 1e avril 1848 (cf. « Le Manifeste Communiste », édit. 1953, trad. Molitor et Préface d’Engels aux « Révélations sur le Procès des communistes », éd. Costes). Nous avons tracé dans la première partie de l’article le programme de l’Étoile Nord-Africaine. Le lecteur peut s’y reporter. [⤒]

  16. Cf. « El Ouma », № 28 de décembre 1937. [⤒]

  17. Cf. « La Lutte Sociale » sous la plume de Deloche, 20–11–1937 (reproduit dans « El Ouma », Décembre 1937). [⤒]

  18. Nous appelons toujours cette organisation « L’Étoile Nord-Africaine », bien qu’elle ait été dissoute a plusieurs reprises et contrainte à changer de nom (« La Glorieuse Étoile Nord-Africaine », « L’Union des Musulmans Nord-Africains » et en Mars 1937 « Parti du Peuple Algérien »). En fait, ce fut constamment le même programme qu’elle revendiqua jusqu’à la crise, c’est-à-dire jusqu’au débarquement américain en Afrique du Nord (1942). [⤒]

  19. « Œuvres », Livre III, Tome 14, p.280. [⤒]

  20. « La Lutte Sociale », 18–6. 1938. [⤒]

  21. Voir ses interventions dans le débat sur la question du Maroc au Congrès de la Social-Démocratie Allemande les 14 et 15 Septembre 1911, son tract sur le Maroc (pp. 375–403 in « Ausgewählte Reden und Schriften », Rosa Luxemburg, Dietz, Berlin 1955). [⤒]

  22. L’U.D.M.A. était formée d’une équipe d’hommes politiques et d’intellectuels (MM. Abbas, Boumendjel, Saadane, Francis, Mostefaï, Sator, etc.). Les Oulémas, groupant les notabilités religieuses, s’appuyaient sur l’U.D.M.A. comme moyen d’expression politique.
    En paroles, I'U.D.M.A. demandait la création d’une République algérienne autonome, associée à la République française et dépendant de cette dernière pour la Défense nationale et les relations extérieures.
    En pratique, l’U.D.M.A. se plaçait dans la perspective du Statut de 1947 (qui ne fut jamais appliqué, pas plus que le projet de Viollette d’avant-guerre !), lequel impliquait que l’Algérie était française.
    Nous citons ici un article extrait du « Populaire » (les socialistes cherchent des alliés musulmans !) du 13–6–1946, au sujet du programme (intéressant, même aujourd’hui) de Ferhat Abbas, élu à l’Assemblée Constituante le 2 juin 1946 :
    « Comme préface a tout programme, nous réclamons la libération de Hadj Messali et de tous les détenus politiques musulmans, la liberté du culte musulman et de l’enseignement en langue arabe…
    Les 80 % des votants du 2 juin dernier nous ont mandaté pour demander la constitution d’un État algérien fédéré au sein d’une grande Communauté française. Nous voulons que la France ne soit plus une nation colonisatrice, mais un grand peuple émancipateur, avec lequel seront librement associés les peuples jeunes jouissant de leur autonomie intérieure. Ces peuples seraient représentés avec la France dans un parlement fédéral dont la compétence s’étendrait aux questions relevant de la défense nationale, de la politique étrangère et des grands intérêts économiques communs à tous les peuples de la Communauté.
    … Les Algériens d’origine française « deviendraient des citoyens algériens comme nous. Nous voulons forger une véritable communauté algérienne, ou tous les habitants sans distinction de race seraient égaux et frères. Si, conformément à ces principes, le collège électoral unique, dans lequel musulmans, chrétiens et juifs seraient réunis, doit être le but final à atteindre, nous comprenons cependant que, pour l’instant, des aménagements doivent intervenir. Ils seront destinés à préserver les intérêts légitimes – mais non les privilèges – de la population européenne, pour amener progressivement la fusion d’intérêts nécessaires à la vie commune «
    . [⤒]

  23. « Interafrique Presse » (p. 2), qui ajoute que, pour éviter de fournir
    « le prétexte habituellement utilisé en matière de répression coloniale, à savoir : la collusion des nationalistes et des communistes, lors de ses défilés du 14 juillet ( !…) et du 1er mai à Paris, le M.T.L.D. tenait à marquer sa séparation d’avec les communistes ».
    Nous retrouvons, transposée sur un nouveau terrain, la politique de « faire un petit bout de chemin » tantôt avec l’un, tantôt avec l’autre : on vote avec les communistes qui vous traitent de fasciste et vous mettent hors-la-loi, et l’on donne des assurances aux anti-communistes en se séparant des premiers aux défilés. Cette politique mène, comme on le voit, à toutes les compromissions et à une confusion totale. [⤒]

  24. Les messalistes sont restés enferrés dans l’argument démocratique, comme le montre leur programme qui prévoit que le peuple algérien se prononcera et décidera de son sort dans une compétition électorale avec l’impérialisme. L’internationale Communiste avait défini avec précision les mouvements que les communistes devaient soutenir dans les pays coloniaux et qu’elle appelait « nationaux-révolutionnaires » : ils devaient user de la violence pour balayer le colonialisme et les structures archaïques de leurs pays. On voit que la question du préalable à l’indépendance a une importance essentielle, puisque qu’elle suppose que l’indépendance est arrachée par la force, les élections ayant lieu ensuite dans le cadre national déjà fixé. La question se pose actuellement de savoir si le G.P.R.A. renoncera lui aussi à ce préalable lors d’éventuelles négociations. On voit combien pèse lourdement sur le mouvement algérien la sombre période de collaboration électorale qui a précédé le déclenchement de l’insurrection. [⤒]

  25. Rappelons qu’en 1947, le P.C.F. avait pris parti pour le Statut de l’Algérie qui consacrait l’Algérie comme trois départements français et établissait le double collège, c’est-à-dire une représentation paritaire de la minorité européenne et de la majorité musulmane, huit fois plus nombreuse. [⤒]


Source : « Programme Communiste » no 11, 12 et 13, avril-juin, juillet-septembre et octobre-décembre 1960

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