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LES PROPHÈTES DE L’ÉCONOMIE DÉMENTE


Content :

Les prophètes de l’économie démente
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Aujourd’hui
Notes
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Sur le fil du temps

Les prophètes de l’économie démente

Dans « L’État et la Révolution », Lénine, afin d’appuyer sa théorie de l’État, cite, dans le quatrième paragraphe du Chapitre IV, la lettre qu’Engels envoya à Kautsky le 29. juin 1891 concernant la critique du projet du programme d’Erfurt, et y relève « en passant » une indication dans le domaine économique qui lui permet de déduire qu’Engels a su déjà en ce temps-là « pressentir les problèmes de notre époque impérialiste ». 26 années séparent cette lettre de l’œuvre de Lénine et 33 autres se sont écoulées ensuite.

Le programme d’Erfurt avait proposé l’« absence de plan économique » comme l’une des caractéristiques du système bourgeois. Engels remarque que cette définition est parfaitement insuffisante :
« Si nous passons des sociétés par actions aux trusts qui se soumettent et monopolisent des branches entières de l’industrie, ce n’est plus seulement la fin de la production privée, mais encore celle de l’absence de plan ».

Lénine fait allusion à l’idée que ce recours des capitalistes à des méthodes de contrôle prévisionnel des faits économiques constituerait déjà un prétendu « socialisme d’État » : ça n’a rien à voir, mais cette idée peut servir de moyen critique et polémique pour prouver la caractère indéfendable du capitalisme et sa chute, et
« … non point d’argument pour tolérer la négation de cette révolution et les tentatives de farder le capitalisme, à quoi s’emploient tous les réformistes ».

« En passant », il convient de noter qu’on a le droit de ne pas reconnaître qu’on est en économie socialiste si la seule raison est qu’il existe, comme dans la Russie d’aujourd’hui, des secteurs, même importants, qui ont été soustraits à la « production privée » et à l’« absence de plan ».

Mais nous voulons faire référence ici au « monde occidental » pour montrer que, dans sa compétition avec le monde oriental, il fait des pas de plus en plus importants sur la voie de la vantardise planificatrice, il dicte à des millions et des millions d’hommes fatigués et hagards ses programmes et ses ajustements chiffrés de production, de consommation, de crédits, d’investissements, de rémunérations du travail, d’intérêts financiers et de marges de profit sur les coûts. Ce sont les Marshall, les Hoffman, les Zellerbach[1], les Dayton qui, à l’échelle européenne ou nationale, présentent aux patients les recettes présomptueuses de leur pharmacopée économique, qui prescrivent les chiffres de rendement que doivent procurer l’effort de travail et le jeu des capitaux, et qui sourient de mépris lorsqu’on ne parvient pas à ce qu’ils attendent; ils ne manquent pas de mettre en relief que chacune de leurs demandes, qu’elle concerne le beurre ou les canons, est faite pour la sauvegarde de la Liberté et de la Civilisation menacées.

Il s’agit de la civilisation moderne, née sur les ruines de l’économie « naturelle » et agraire du Moyen Âge, c.-à-d. de la civilisation industrielle fondée depuis environ deux siècles des deux cotés de l’Atlantique, dont les hauts faits dans le domaine des conflits armés ou économiques sont plus odieux, du fait de leur hypocrisie humanitaire, que ceux d’un Brennus jetant son épée dans le plateau de la balance opposé à celui qui contenait de l’or et disant : pesez aussi celle-ci ! Il s’agit de la civilisation bourgeoise que l’on pourrait qualifier de civilisation contre nature, de civilisation de l’économie folle.

Hier

Les fondateurs du socialisme moderne et leurs disciples ont consacré des efforts soutenus pour démontrer (à l’encontre de la thèse selon laquelle l’organisation capitaliste prendrait sa source dans les lois naturelles de l’économie et du droit) comment non seulement la forme actuelle de production est basée, de la même façon que les précédentes, sur l’exploitation du travail, mais surtout comment elle les dépasse de loin dans le gaspillage des forces productives, dont la masse, multipliée par cent, n’empoche pas la persistance et l’augmentation de la souffrance, de la misère et de l’hécatombe des hommes.

La critique économique marxiste se compose de deux parties essentielles : l’une, de pure analyse économique du procès capitaliste, dément l’équivalence entre le travail fourni par l’ouvrier dans l’usine et le salaire qu’il en reçoit, et montre que la plus-value est la part de travail dont l’ouvrier est frustré ; cette doctrine utilise pour son développement les mêmes symboles et catégories que celles du système capitaliste. La seconde partie, qui est à l’échelle sociale et historique, impute à la classe capitaliste, tout au long de sa vie, l’anéantissement énorme d’efforts de travail humains que son système a perpétré, anéantissement qui, par son volume, dépasse de beaucoup l’ensemble des quantités consommées chichement par les travailleurs, grassement par les capitalistes, et des quantités mises en réserve pour accumuler de nouveaux moyens productifs.

Nous avons montré à plusieurs reprises à l’aide de citations de Marx très connues mais peu assimilées, comment la revendication qui ne porte que sur l’ajustement, obtenu avec les indices du calcul économique capitaliste, entre travail fourni et travail payé, représente une partie insuffisante du socialisme, apparaît stérile pour la révolution et est vide de sens pour ce concerne même une réforme du capitalisme. Tous ceux qui ont oublié la seconde partie, sociale, historique et politique, qui a pour centre la question de l’État et qui est a la base d’oppositions tout à fait radicales entre économie communiste et économie actuelle, sont des socialistes de contrefaçon : pour nous, leur critique et leur condamnation sont quelque chose de classique et ont été adressées à beaucoup, de Proudhon à Sorel, de Bernstein aux staliniens actuels.

Avec cette position ferme sur la portée du socialisme, il n’y a pas besoin d’armes nouvelles pour démasquer et pour battre en brèche les hauts faits les plus récents de l’époque capitaliste le contrôle, le dirigisme, le totalitarisme des grands centres impériaux du monde, leur pilotage ostentatoire des procès économiques, qui n’est qu’un « driving » fou vers l’abîme et la ruine.

Tout ce qui peut être dit contre ces aspects tout nouveaux de la démence capitaliste trouve son épine dorsale dans un autre de nos textes classiques, la critique qu’Engels adresse à Dühring; monsieur Dühring représente peu de chose, c’est un petit homme, mais à cette époque il est l’expression d’un fait historique général dont l’importance n’a pas échappé au grand marxiste : la convergence du « socialisme » de contrefaçon avec la contre-révolution.

Le solde du vieux compte falsifié de la plus-value pourrait, à première vue, rester et se développer dans l’usine, sous contrôle ouvrier, avec la lutte pour la gestion ouvrière. D’où les erreurs du socialisme d’entreprise, application sociale du libéralisme bourgeois et de l’idéalisme philosophique : ces derniers veulent résoudre le problème de la société et de l’univers dans le seul cercle du citoyen et de l’individu, le premier veut trouver des solutions a tous les problèmes du cosmos économique et social entre les murs de l’usine.

L’usine, l’entreprise moderne, signifient l’emploi, organisé pour un même procès de production d’une marchandise donnée, de l’activité d’un grand nombre de travailleurs. C’est là un résultat acquis et définitif du capitalisme. Mais la classe bourgeoise s’approprie l’usine et ses machines, ainsi que ses produits fabriqués en masse, et, afin de sauver ce principe et ce privilège, elle instaure un engrenage de formes de production qui paralyse tous les effets bénéfiques du travail en grand, en masse, de la production sociale.

La mesure de cette entrave ne se limite pas, et les Dühring ne le comprennent jamais, au profit que le patron de l’entreprise extorque et empoche. Elle touche au niveau, immensément plus élevé, du rendement social du travail que l’on obtiendrait si l’institution de classe du patronat et du salariat ne se superposait pas à la collaboration productive.

Affranchissons-nous de deux choses de l’accusation de dire une bêtise et du mérite d’avoir fait une découverte, et ce, en reproduisant Engels :
« La contradiction entre production sociale et appropriation capitaliste se reproduit comme antagonisme entre l’organisation de la production dans la fabrique industrielle et l’anarchie de la production dans l’ensemble de la société » (Souligné dans le texte).

Sous sommes en train de citer l’Engels de 1878, mais lui, à ce point crucial, se met à citer le Marx de 1867 qui lui-même citait l’Engels de 1845 (La Situation de la classe laborieuse en Angleterre).
« Mais perfectionner les machines, cela signifie rendre du travail humain superflu … la machine devient l’arme la plus puissante du capital contre la classe ouvrière; … le moyen de travail arrache sans cesse le moyen de subsistance des mains de l’ouvrier; … le propre produit de l’ouvrier se transforme en un instrument d’asservissement de l’ouvrier ».

C’est ici que survient, et est cité, le passage fameux selon lequel la loi de la surpopulation relative et de l’armée de réserve industrielle, rappelée bien des foîs par nous,
« rive le travailleur au capital plus solidement que les clous de Vulcain ne rivaient Prométhée à son rocher ».

L’ensemble de cette puissante vision révolutionnaire se réduit aujourd’hui à une « agitation » dans laquelle les Vulcain, pour une lire de plus sur leur paye, promettent à Jupiter, patron de la fabrique, qu’ils forgeront tous les clous nécessaires à l’enchaînement des ravisseurs du feu sacré des institutions capitalistes. Le marxisme est prostitué dans l’apologie de l’« outillage ». Dayton reproche à Costa[2] de lui avoir donné les dollars pour le renouveler; Costa répond servilement qu’il n’y en avait pas assez et Di Vittorio prête la main à ce dernier de toutes ses forces. L’image d’une potence, en même temps une et divisée en trois, serait truculente, mais celle d’un unique baril de merde suffit.

Avec l’expansion gigantesque de la production industrielle moderne
« le mode de production se rebelle contre le mode d’échange, les forces productives se rebellent contre le mode de production pour lequel elles sont devenues trop grandes. Le fait que l’organisation sociale de la production à l’intérieur de la fabrique s’est développée jusqu’au point où elle est devenue incompatible avec l’anarchie de la production dans la société, qui subsiste à côté d’elle et au-dessus d’elle – ce fait est rendu palpable aux capitalistes eux-mêmes »« C’est cette réaction des forces productives contre leur qualité de capital qui oblige la classe des capitalistes elle-même à les traiter de plus en plus … comme des forces de production sociales … [qui] poussent à cette forme de socialisation de masses considérables de moyens de production qui se présente à nous dans les différents genres de sociétés par actions… Mais à un certain degré de développement, cette forme elle-même ne suffit plus … Quoi qu’il en soit, avec trusts ou sans trusts, il faut finalement que le représentant officiel de la société capitaliste, l’État, en prenne la direction ».

C’est ici qu’Engels ironise sur les nationalisations des chemins de fer effectuées par Bismarck, et qui enthousiasmaient Lassalle, tout en relevant l’importance du fait que les grandes organisations transcendent les possibilités de la « production privée » pure, et il rappelle en note que :
« si l’étatisation du tabac était socialiste, Napoléon et Metternich compteraient parmi les fondateurs du socialisme ».

Nous sommes partis de l’analyse économique, mais l’argument nous conduit au problème politique et aux énonciations fondamentales que Lénine mit à profit. Il nous suffit de citer cette conclusion qui ne pourrait être plus tranchante :
« Mais ni la transformation en société par actions, ni la transformation en propriété d’État, ne supprime la qualité de capital des forces productives. Pour les sociétés par actions, c’est évident. Et l’État moderne n’est à son tour que l’organisation que la société bourgeoise se donne pour maintenir le mode de production capitaliste contre des empiétements venant des ouvriers comme des capitalistes isolés ».

Nous n’avons besoin de rien d’autre pour nous donner le droit absolu d’affirmer : le schéma classique du marxisme contient la prévision que l’État bourgeois et la classe bourgeoise tenteront de diriger l’économie avec des « plans »; et il contient la prévision du « totalitarisme fasciste », qui est justement la méthode qui permet à la bourgeoisie une stricte organisation de classe, et qui, en même temps, détruit le mouvement ouvrier et impose certaines autolimitations, grâce auxquelles elle tente, toujours dans un but de classe, de freiner dans certaines limites les impulsions de chaque capitaliste individuel et de chaque entreprise individuelle vers son intérêt isolé.

Ici, Engels écrase en Dühring la falsification qui consiste à définir le socialisme comme le fait de donner au travail humain sa vraie valeur. Si nous voulions nous occuper des planificateurs de l’autre côté du rideau de fer et indiquer ce que nous « voudrions voir » pour affirmer : là est le socialisme, nous utiliserions à fond cette partie qui démontre comment le seul fait de parler de valeur, d’équivalents, de monnaie, et même des bons de travail des utopistes, réduit le travail à une marchandise et le travailleur au statut de salarié. Nous conclurons ainsi :
« Vouloir abolir la forme de production capitaliste en instaurant la ‹ vraie valeur › [du travail fourni], c’est vouloir abolir le catholicisme en instaurant le « vrai » pape, ou instaurer une société dans laquelle les producteurs dominent enfin un jour leur produit, par la mise en œuvre conséquente d’une catégorie économique, [la valeur] qui est l’expression la plus ample de l’asservissement du producteur à son propre produit ».

Aujourd’hui

Hier c’était monsieur Marshall qui, parlant à Washington aux ministres de la défense de douze pays européens atlantiques, les mettait brutalement au pied du mur : si vous voulez que nous votions des aides en dollars, vous devez les destiner à la préparation militaire conformément à nos plans, ou encore à d’autres investissements, à condition que nous les jugions utiles. Avant-hier, c’était Dayton qui réprimandait dans ses discours de Gênes, de Milan et de Turin, les gouvernants et les industriels italiens pour cause de production insuffisante, de coûts élevés et de prix de distribution encore plus élevés, et en raison de salaires réels si bas qu’il faut multiplier par dix, par rapport au marché américain, le coût en heures de travail d’un vêtement par exemple. Quelques jours auparavant, c’est Hoffman qui, au château de la Muette à Paris, s’était adressé aux dirigeants économiques européens pour leur dicter un objectif précis : il expliquait que, si l’on consacrait des efforts très importants pour la production d’armes, tout irait très bien.

Et ces amis que sont les milliards de dollars sont entrés dans la danse. Pour nous épargner d’avoir à prier le prêtre de prendre en pitié les trios de zéros et les désinences en ions et en iards, qui, si on leur prête trop d’attention, produisent un peu d’hypertension artérielle, nous utiliserons le symbole MD pour le terme milliards de dollars. Chaque MD représente déjà sept cent mille millions de nos petites lires italiennes; d’ici peu, nous en serons au trillion, lequel s’écrit un suivi de douze zéros.

Immédiatement après la guerre, on parlait de reconstruction, désignée sous le terme de « la plus grande affaire du siècle » dans les milieux internationaux de la classe des entrepreneurs. Aujourd’hui, c’est une autre affaire, plus grande encore, qui s’annonce : la préparation de la troisième guerre. Si vous ne nous croyez pas, demandez leur avis à certains « cabinets de technique des affaires » comme celui ouvert par Charles Poletti[3] (que le petit peuple de Naples baptisa immédiatement avec finesse le fédéral américain) dans la province de Lugano. Joindre un chèque d’un centaine de MD : prix honnête.

Wallace[4] travaillait, bien avant Marshall, aux plans de reconstruction : il était alors très apprécié au Kremlin; il est passé aujourd’hui au rang des réprouvés. La guerre avait conté 350 MD à l’Amérique; et Wallace estimait à 150 MD les dommages de guerre en Europe; sur ceux-là, l’Amérique en aurait, en un an , avancé 50 dont un tiers furent offerts à la Russie. Trois ans se sont à peine écoulés… Cademartori aurait surnommé cette planification : la planification « pur beurre ».

Après les premiers exercices du Plan ERP, nous en sommes aux programmes de guerre. L’Amérique a déjà inscrit 40 MD dans son budget, mais il y en aura beaucoup d’autres à venir, grâce aux votes que donneront députés et électeurs des États-Unis, après qu’ils auront obtenu les informations « auxquelles ils ont droit » sur la décision des Européens de se faire tuer.

Partis des plans de bien-être de Truman (qui prévoyait de tripler encore le revenu moyen en Amérique, et qui expliquait malgré tout à ses concitoyens que, s’ils économisaient sur leur revenu actuel quelques radios et quelques automobiles par famille, celles de Dayton, il resterait toujours justement une cinquantaine de MD à placer à l’extérieur), nous en sommes arrivés à un nouveau plan de monsieur Hoffman dont les chiffres sont très simples et très clairs.

Messieurs de l’Europe occidentale ! J'ai l’honneur de vous dire que vous êtes un tas de feignants et que, ci Staline ne vous a pas encore stakhanovisés (est-il vrai que Stakhanov est en disgrâce ?), j'y veillerai moi-même. Vous êtes au moins 270 millions, et, pour toute l’année 1949, le produit brut de votre travail n’a atteint que 160 MD, cent soixante milliards de dollars. Regardez un peu comme nous bûchons, nous, en Amérique ! Nous ne sommes que 150 millions et notre produit a été de 260 MD. Chacun de vous produit 590 dollars par an (420 mille lires italiennes), chacun de nous produit 1 735 dollars, c.-à-d. le triple. N’avez-vous pas honte ?

Effectuons un effort hypertensif pour nous orienter un peu dans cette aristocratie de chiffres aux nombreux zéros. Le produit brut doit signifier, pensons-nous, toute la valeur des marchandises produites par l’industrie et par l’agriculture. Il devrait, par sa valeur, permettre de payer non seulement les salaires et tous les profits patronaux mais aussi toutes les matières premières et la consommation des outils. Comment donc les Américains (notons encore une fois que l’on parle toujours de moyennes nationales, mais que les valeurs extrêmes sont très éloignées non seulement entre les classes sociales mais même entre les États de l’Union, certains d’entre eux se trouvant en dessous de l’Italie), comment donc peuvent-ils ne produire que 260 MD et se partager un revenu annuel à recevoir d’autant, sinon plus, étant donné que le revenu de 1948, que Truman veut tripler, était de 250 MD, c.-à-d. 1 675 dollars par habitant ? Deux cents de ces MD sont consommés par les patrons et les travailleurs (à la Dayton : en voiture, la radio allumée) et il en reste 50 à investir en Europe ou ailleurs. Comment diable rachèteront-ils des matières premières pour l’année suivante et renouvelleront-ils les outillages consommés, eux qui trouvent tant à redire sur ceux du docteur Costa ?

En Europe, le compte pourrait encore aller. Produit brut  : seulement 160 MD. Revenu total ? Nous savons qu’en Italie il est d’environ 150 mille lires, c.-à-d. 220 dollars, par habitant; il pourrait donc être en moyenne de 300 en Europe, étant donné que le. plan marshall-beurre se fixe pour objectif de l’élever à 350. Donc, en Europe, on produit pour 160 bruts, on consomme ou l’on affecte à de nouveaux outils pour 78 il reste au passif une marge d’au moins la moisie.

Un petit soupçon nous vient alors, messieurs d’Amérique : êtes-vous en train de nous aider ou de nous gruger ?

Comme l’aurait dit monsieur Dühring, pour cela super-fouetté par notre ami Friedrich, faisons une seule communauté économique. Cela fait 420 millions d’habitants. Le produit actuel est comme par hasard de 420 MD : mille dollars par habitant.

Revenu ? Le vôtre 250 LID, le nôtre, à raison d’un tiers environ, 78 : total 328. Le compte commence à tourner correctement puisqu’il reste une centaine de MD pour couvrir les dépenses de production. Les affaires de cette communauté vont à merveille : elle vend des produits pour 420 MD par an, elle emploie seulement une cinquantaine de MD dans l’investissement ancien et 50 dont nous avons déjà parlé dans de nouveaux investissements. Admettons que les salaires représentent à vue de nez la moitié du revenu total, c.-à-d. 160 MD : la classe capitaliste avance 210 et encaisse 420; c’est une affaire rapportant du cent cour cent. Et le pourcentage reçu par les Poletti vient de la.

Un autre vague soupçon nous vient également : cet actif ne naîtrait-il pas d’un vol au détriment des peuples extra-atlantiques, et pour eux, au détriment de leurs classes travailleuses : Rosa[5] disait quelque chose de semblable.

Toutefois, dans la communauté atlantique, les parts ne sont pas égales. Pour expliquer comment le net dépasse le brut aux États-Unis, on ne peut recourir à rien d’autre qu’à une soustraction de la marge européenne. Ici le brut est faible, à peine 38 % du total. Et il est déplorable qu’il en soit ainsi, aux dires de monsieur Hoffman, étant donné que les hommes représentent 64 %. Mais ces deux tiers d’hommes qui produisent le tiers du total, n’en consomment qu’un quart, 24 %. Il nous semble que le bout de l’écheveau soit le suivant : en Amérique, ils produisent plus (ce n’est pas pour rien qu’ils possèdent un équipement en parfait état de marche), mais ils consomment tout ce qu’ils produisent; et en plus, ils raflent une partie de ce que ces flemmards d’Européens ont mis de côté. Si les proportions étaient égales dans la communauté atlantique, les 150 millions de yankees à mille dollars ne déglutiraient que 150 MD : ils en raflent 100 de plus, voilà tout. C’est cela le plan de l’économie-beurre : non seulement monsieur Dayton ne doit pas s’étonner qu’on se promène là-bas en voiture et ici sans chaussures, mais il doit comprendre que le premier fait est conditionné par le second.

C’est ici qu’intervient le projet Hoffman, pour passer du régime beurre à celui du beurre-acier.

Étant donné que vous, Européens, êtes si nombreux et que vous avez la force productive N. 2, c.-à-d. la main-d’œuvre, étant donné que nous vous fournissons les forces productives N. 1, les matières premières, et N. 3, l’outillage, en investissant ce que nous avons gagné en vous aidant à reconstruire, ce sera une bagatelle de faire augmenter le produit annuel de cent MD; tout le reste demeurera comme avant. Vous nous ferez 50 MD de canons; avec le reste, vous ferez 50 MD de beurre, façon spirituelle de désigner les chaussures, les vêtements, les petites radios et voitures, les films avec les stars d’Hollywood et autres marchandises, devenues bon marché du fait de la « libération des échanges » (autre casse-tête…).

Le bilan de la coopérative prend alors un autre aspect. Les 420 millions d’associés (y compris ceux qui ne consomment que du lait maternel ou du National milk à la Cripps[6]) produisent 520 MD de produits bruts : exactement la moitié en Europe et la moitié en Amérique. Du fait de l’engagement loyal à faire des canons et à fournir des soldats, on continue à appliquer le plan Marshall en Europe et le revenu de chaque Européen s’élève aux 350 dollars promis, c.-à-d. 90 MD pour tous. Dans l’ensemble, si les 420 MD de brut donnent 328 de net, les 520 en donneront proportionnellement environ 410; pour les Américains, il y en aura 320 au lieu de 250, c.-à-d. 2 150 par habitant; six fois plus qu’en Europe.

Les Européens auront appris à produire la moitié du tout, et à en consommer non plus un quart, mais à peine plus d’un cinquième.

Comme tous les discours en matière économique, celui-ci semble un peu ardu. Qu’on consomme le beurre, on le comprend facilement, de même pour les chaussures et les journaux avec les comptes-rendus des discours des Américains. Mais comment consommer les canons ?

La science bourgeoise explique qu’il y a trois manières de consommer le canon. La première : tuer des hommes. La seconde : être tués par eux. La troisième ? Le canon est un produit brut, d’une valeur d’une centaine de millions de lires. Nous avons vu que cette valeur est constituée de cinquante millions de profits, et pour les autres cinquante, de quinze de matières premières et de trente-cinq de salaires : moi, investisseur yankee, je consomme, si j’en ai envie, ou je réinvestis mes cinquante millions; vous, ouvriers européens occidentaux, vous consommez vos trente-cinq millions de plus.

Dans la salle du Congrès de la Confédération du Travail, la majorité kominformiste éclate en applaudissements bruyants. Sur le mur, la grosse tête de Staline sourit.[7]

Notes :
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  1. Hoffman avait été président de la Studebaker Corporation et était à l’époque administrateur de l’ECA. Zellerbach était chef de la mission ERP pour l’Italie. [⤒]

  2. Dirigeant, à l’époque, de la Cofindustria, le syndicat patronal. [⤒]

  3. Antérieurement à la tête de l’Administration Militaire Anglo-Américaine à Rome, à Naples et à Milan. [⤒]

  4. Collaborateur de F. D. Roosevelt lors du New Deal et partisan d’une polique d’alliance avec l’URSS. [⤒]

  5. Rosa Luxembourg : référence aux thèses développées dans son livre : « L’accumulation du capital ». [⤒]

  6. Ministre de l’Économie dans le gouvernement travailliste d’Attlee et partisan d’une politique d’« austérité ». [⤒]

  7. Notes des traducteurs :
    « Le fédéral américain » est en napolitain, cependant il y a aussi une allusion au fait que, sous le fascisme, les fédéraux étaient les fonctionnaires de l’administration provinciale fasciste. Par cette expression, les napolitains identifiaient le fascisme et les USA. [⤒]


Source : « Battaglia Comunista » Nr 21 – 1950. Traduit dans Invariance – Mai 1993. Traduction incertaine, se repporter à l’original.

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