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MOUVEMENT SOCIAL ET LUTTE POLITIQUE


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Mouvement social et lutte politique
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Sur le fil du temps

Mouvement social et lutte politique

Hier

Ne dites pas que le mouvement social n’est pas un mouvement politique ! s’écrie Marx depuis les premiers écrits où il expose la méthode du communisme critique désormais pleinement constitué. Et il ajoute avec les mêmes mots et en dix passages différents la thèse qui bouleversa tout le passé et mina les fondements du monde : toute lutte de classes est une lutte politique. Le théorème précédent, à savoir que l’histoire de la société est l’histoire des luttes de classes, peut être accepté par les analystes scientifiques attentifs de la société capitaliste tels que Sombarts et compagnie; la thèse suivante de la lutte politique dans le sens marxiste de lutte pour le pouvoir, lutte avec la force physique et les armes, n’est acceptable que par les révolutionnaires.

Nous n’en sommes pas encore au cri de bataille, aux terribles sarcasmes et aux excommunications inexorables; c’est pour ainsi dire un avertissement, une invocation : ne dites pas que le mouvement social n’est pas un mouvement politique ! Il s’agit d’un point crucial dans les controverses et les combats de cette époque : et pourtant, ce point est aujourd’hui encore d’actualité.

Dans le feu des récentes révolutions bourgeoises, qui, avec leur propagande indubitablement puissante et entraînant de vastes masses, ont mis en évidence les revendications politiques, les droits du citoyen, les libertés juridiques, en se présentant comme un mouvement égalitaire, universel, la « question sociale » est apparue avec toute son importance. C’est bien de penser, de parler, de s’associer, d’écrire, de voter, mais les hommes ont d’autres problèmes relatifs à leurs rapports matériels et économiques à la vie.

La position de beaucoup de braves gens, et des non moins nombreux agitateurs politiques à l’œuvre depuis cette époque pour servir les nouveaux puissants, consiste, breviter, à dire : nous faisons état des conquêtes très nobles, des principes immortels et des garanties suprêmes de la révolution libérale et reconnaissons que dans l’ordre moral, juridique, philosophique et politique, tout est fait et qu’une civilisation définitive est fondée; passons dans un domaine à part, différent du précédent, de degré quelque peu inférieur, moins iridescent du point de vue des idéaux et des exercices littéraires, et voyons à donner des solutions aux exigences de nature économique et aux problèmes sociaux de l’organisation productive.

Cette position fausse et insidieuse contenait depuis lors les prémisses de la défense de l’ordre capitaliste et du privilège bourgeois qui résistent depuis cent ans aux assauts des avant-gardes révolutionnaires de la classe ouvrière; et elle a été depuis lors et de manière cyclique cuisinée des sauces innombrables.

Avec elle, la bourgeoisie et son personnel du service de la propagande montraient déjà qu’ils descendaient d’un cran par rapport aux régimes féodaux et monarchiques vaincus, lesquels avaient des précédents remarquables en matière de politique économique et de mesures sociales, si bien que les premiers humanitaristes et utopistes de la question sociale confiaient les solutions imaginées pour remédier aux injustices économiques et distributives à la bonne volonté et à l’initiative des puissants. Tout un groupe de ces derniers considéraient même que la révolution politique libérale était superflue en ce qui concerne la justice sociale, un autre cercle non moins important acceptait et exaltait les conquêtes démocratiques et en faisait l’atmosphère sacrée et intangible, le milieu idéal pour le réformisme social.

La conception marxiste, nouvelle, originale et radicalement différente, abolit et enterre la distinction stupide des philanthropes sociaux. Elle commence par prouver que le mouvement politique libéral est né sur le terrain d’une lutte sociale entre classes économiques et non dans le règne des idées et sur les pages de l’encyclopédie, que ses postulats et son système politique correspondent aux conditions optimales pour la victoire et la conservation du pouvoir de la classe capitaliste. Il en découle que toute modification du système social que la bourgeoisie a instauré ne petit provenir que d’une nouvelle lutte politique, d’une suite de querelles pour le pouvoir, et qu’elle ne peut pas ne pas être précédée de la bataille critique d’une nouvelle doctrine révolutionnaire contre les principes du système moderne, en économie, sociologie et politique; également en philosophie dans son sens nouveau.

La bourgeoisie naît à partir d’un processus révolutionnaire grandiose. Il s’est avéré, pour elle et contre l’ancien régime, qu’il n’y a pas de révolution de classe sans parti révolutionnaire, et qu’il n’y a pas de parti révolutionnaire sans théorie révolutionnaire.

La même chose s’avèrera à son encontre.

De même qu’elle n’a trouvé dans sa phase critique rien de bon, de vrai et de juste dans les doctrines du moyen-âge et qu’elle a pu vaincre parce qu’elle les a attaquées à la racine (et avant qu’elle ne devienne une classe de parasites tranquilles et timorés, elle chantait  : « Emmanuel Kant décapitera Dieu et Maximilien Robespierre, le roi »), de même la nouvelle classe révolutionnaire, le prolétariat, ne fait pas de greffes et de dérivations sur les vieux principes, il va les saper dans ses fondements les plus profonds.

On chantait en 1789 la Carmagnole sur la ritournelle « Ca ira, ça ira, ça ira, les aristocrates à la Lanterne »[1], mais en 1871 on la chanta en changeant la phrase : « tous les bourgeois à la Lanterne »[1]

La bourgeoisie fit sa politique avec la lanterne et avec la Veuve mais elle répandit l’idée que dans l’avenir, après ses conquêtes arrosées de sang, on n’en ferait qu’avec le bulletin de vote.

L’étude de la dialectique historique, menée justement dans le cadre de l’analyse économique et de la question sociale, débouche sur la solution de la lanterne pareillement pour elle.

Le piège consistant à mettre la question sociale « en dehors de la politique » a toujours fait obstacle sur le chemin de la révolution ouvrière et le marxisme s’est depuis le début opposé à ce piège dans la bataille.

En Allemagne, les Lassaliens, face au solide pouvoir policier de l’empire bismarckien, au lieu de comprendre que l’organisation oppressive de l’état avait pour fonction même de défendre le capitalisme industriel débordant en mettant sous le joug la classe des travailleurs, flirtèrent avec la thèse consistant a éviter un choc politique scabreux et à se consacrer au travail social dans les syndicats et dans les coopératives de production, répétant ainsi les déviations de Proudhon et du socialisme « bourgeois ». Celui-ci (« Manifeste »)
« essaye de dégoûter les ouvriers de tout mouvement révolutionnaire, en leur démontrant que ce n’est pas telle ou telle transformation politique, mais seulement une transformation des conditions de la vie matérielle, des rapports économiques, qui peut leur profiter. Mais par transformation des conditions de la vie matérielle, ce socialisme n’entend certes pas l’abolition du régime de production bourgeois qui est possible par la seule révolution; mais uniquement la réalisation de réformes administratives sur la base même de ces rapports de production, réformes qui, par conséquent, ne changent rien aux rapports du Capital et du Salariat… ».

Très éloigné, le syndicalisme sorélien français et espagnol, et aussi italien, qui semblait se caractériser, en opposition au réformisme parlementaire de l’époque, par la revendication de l’usage de violence et par une position anti-étatique, répéta la déviation consista à perdre la vision de la lutte politique pour le pouvoir et de la fonction du parti de classe, au profit d’un programme purement économique.

Après la première guerre mondiale, par exemple en Italie, des erreurs analogues caractérisèrent le mouvement pour « les conseils d’usine », organes sociaux qui étaient considérés automatiquement comme révolutionnaires, capables de donner une organisation différente de la production avant même et sans que le parti de classe ait conduit le prolétariat à attaquer et à abattre l’État.

Ce mouvement, bien qu’influencé par la révolution russe, se ressentit de son origine : tous les mouvements semblables débouchent historiquement dans la pratique des alliances et des blocs. Le nom même du journal, « Ordine Nuovo » (Ordre Nouveau), reflétait l’idée incomplète que les travailleurs d’usine travaillaient a construire un ordre productif nouveau, tandis que le problème central était pour Marx et est encore celui de la Force Nouvelle, du Pouvoir Nouveau, prémisse du difficile chemin vers la nouvelle société.

En Russie, les bolchéviks luttèrent violemment contre une déviation, celle des économistes, qui voulaient précisément établir les revendications ouvrières en dehors du problème du pouvoir. Lequel était alors celui de la mise à bas du tsarisme, désirée par les partis bourgeois, et du cours ultérieur de la lutte susceptible de renverser également la bourgeoisie. À la fin du développement, tous les faux révolutionnaires provenant du tronc économiste et tous les traîtres du marxisme se retrouvèrent en bloc contre le parti de la révolution et de la dictature prolétarienne.

La base économico-sociale des luttes politiques et le caractère politique nécessaire de la lutte contre les conditions sociales propres à l’ordre capitaliste représentent donc un pilier de la construction marxiste.

En 1848, il n’y avait guère de danger qu’en disant lutte politique pour dire lutte révolutionnaire, on comprenne ou feigne de comprendre lutte électorale, pacifique et l’égalitaire. C’est précisément parce que les révolutions bourgeoises étaient soit de date récente soit encore l’ordre du jour au’il apparaissait clair que les revendications politiques se défendent par le moyen de la guerre civile.

La thèse du sous-marxisme et de l’opportunisme ne s’écrivait pas encore, comme dans la période du capitalisme « pacifique », en ces termes : lutte de classe, lutte pour les intérêts ouvriers mais par le moyen de la démocratie, du suffrage universel, des partis légalitaires et parlementaires.

Et elle s’écrivait précisément en termes différents : action pour l’amélioration sociale des conditions des travailleurs en dehors des questions du pouvoir politique.

Mais la conclusion qui découlait aux deux époques historiques était la même renonciation à la lutte pour abattre le pouvoir constitué de l’État et en briser la machine.

Ce n’est que récemment qu’on a entendu parler de « partis ouvriers » qui utilisent les moyens l’égaux et écartent la révolution par des moyens violents. En ce temps-là, on parlait seulement d’action pour élever les conditions des ouvriers avec des mesures sociales, mais non au moyen d’actions de parti et encore moins de partis composés par les ouvriers eux-mêmes.

C’est avec la vision de cette différence qu’il faut considérer l’évolution du but du parti de classe et sa tactique en matière d’accords et d’alliances.

À l’époque du « Manifeste », il était très important de démontrer que les privations des salariés étaient combattues de façon « déterministe » par les salariés eux-mêmes, et non par les idéologues et les philanthropes, dans des formes progressivement de moins en moins inconscientes. Il était important de prouver que « le mouvement social devenait mouvement politique » par lui-même. Le seul fait que, pour revendiquer pour les intérêts du salariat industriel, il se forme un mouvement de nature politique, était un fait révolutionnaire, auquel s’opposaient tout l’appareil de la légalité et toutes les couches de la classe bourgeoise. Parler de parti de classe ouvrière équivalait à cette époque de bourgeoisie naissante et incendiaire, à avoir déjà injurié et déchiré les thèses juridiques et politiques libérales.

Ces premiers mouvements qui se définissent comme politique n’ont pas une orientation marxiste et une théorie claire, mais ils sont une preuve historique de l’exactitude des conclusions marxistes, appuyées pour la première fois dans le manifeste de 1848 sur la base d’une organisation politique. Marx ne les condamne pas mais en fait son profit en disant que les communistes ne sont pas différents des autres partis ouvriers dans la mesure où un parti ouvrier légalitaire et pro-bourgeois était alors impensable.

Par leur existence-même, ces premiers partis prolétariens déchirent la limite opportuniste de la question sociale traitée comme affaire purement économique et menacent la bourgeoisie qui jette toutes ses forces contre eux. Par exemple, le mouvement chartriste en Angleterre naît comme un parti de démocratie radicale et de réforme, mais très vite il devient un mouvement ouvrier de rébellion armée : la bourgeoisie anglaise au libéralisme séculaire le met immédiatement hors-la-loi et l’écrase sous une répression féroce.

Un tel parti ne pouvait posséder encore une théorie communiste claire, mais il luttait pratiquement dans la direction prévue par la théorie. Le prolétariat n’est qu’embryonnairement développé en Europe et il fait seulement sa première déclaration constitutive d’un parti à solide base théorique.

Ayant affirmé que les travailleurs, une fois en passe de former un mouvement politique, apercevront devant eux la route qui mène à leur dictature de classe, Marx établit depuis le début que toutes les forces coalisées de la bourgeoisie se lèveront contre eux au moment décisif.

« Mais la défaite du parti chartriste dont les chefs furent emprisonnés et l’organisation détruite (Sir Mosley a-t-il pris des leçons de fascisme ici en italie, ou dans le berceau glorieux du libéralisme ?) Venait d’ébranler la confiance de la classe ouvrière en sa force. Bientôt après, l’insurrection de juin 48 à Paris, noyée dans le sang, réunit sous le même drapeau, en Angleterre comme sur le continent, toutes les fractions des classes régnantes – propriétaires fonciers et capitalistes, loups de bourse et rats de boutiques, protectionnistes et libre-échangistes, gouvernement et opposition, calotins et esprits forts, jeunes catins et vieilles nonnes – et leur cri de guerre fut : sauvons la caisse, la propriété, la religion, la famille et la société. » (« Capital », I, X, 6).

Aujourd’hui

L’opportunisme première manière voulait tenir les ouvriers loin de la politique.

Celui seconde manière, à l’époque de la social-démocratie et de la guerre 14–18, revendiqua pour la classe ouvrière une fonction et une organisation politiques, mais prétendit qu’elles ne serviraient pas à détruire le système d’état bourgeois, mais comme réserve des exigences politiques de la bourgeoisie elle-même opposition à de prétendus retours féodaux, guerres nationales, diffusion du capitalisme dans les pays « retardés », toutes ces fonctions devant être remplies dans le cadre officiel et légal du système bourgeois, pour que celui-ci ait le temps d’« évoluer ».

L’opportunisme troisième manière, celui de la dernière guerre mondiale, prit la force politique ouvrière et la mit encore une fois au service de la défense des principes démocratiques et libéraux bourgeois contre la prétendue menace du nouvel absolutisme fasciste, qui n’était au contraire que la vieille dictature de classe du capital. Il admit aussi que le prolétariat agisse sur le terrain politique et exigea en outre qu’aux moyens légaux et officiels, à la conscription dans les armées régulières, il ajoute l’action partisane dans des formations irrégulières pour lutter à l’intérieur du territoire du pays qui était opposé aux « alliés », aux évolués et aux « progressistes ».

Dans toutes ces phases, jamais la classe ouvrière ne fut sa propre alliée : l’inertie, la lutte légale ou la lutte illégale, lui furent imposées comme moyen pour les fins de ses ennemis. Tout cela finit toujours dans la désillusion et la servitude confirmée.

Peut-être dans la quatrième phase, celle d’une troisième guerre, les ouvriers entreront encore en lutte, embrigadés des deux côtés toujours pour la sauvegarde des principes civiques, et même révolutionnaires.

Et peut-être que pour la quatrième fois, la classe ouvrière mondiale, revenant sur la grande route, s’apercevra à temps de la solidarité de classe des deux adversaires contre elle et répondra avec Marx que le prolétariat a une fonction politique et que celle-ci est une fonction révolutionnaire, ajoutent en reprenant les paroles de Lénine que, même si il y avait encore des révolutions en cours pour d’autres, « la révolution doit servir au prolétariat, et non le prolétariat à la révolution ». Et elle ne marchera plus finalement pour les alliés de l’est ou de l’ouest, avec ou sans uniforme.

Notes :
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  1. en français dans le text (NDT) [⤒]


Source : « Battaglia Comunista » N° 43, du 16–23 novembre 1949. Traduction incertaine, se reporter au texte original.

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