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LUTTE DE CLASSE ET « OFFENSIVES PATRONALES »


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Lutte de classe et « offensives patronales »
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Sur le fil du temps

Lutte de classe et « offensives patronales »

Hier

Les erreurs dans la pratique de la lutte prolétarienne et les ruineuses déviations de celle-ci, caractéristiques de l’époque de la Première Guerre mondiale comme de la Seconde et de cet après-guerre, sont étroitement liées à l’embrouillement des points cardinaux de la méthode marxiste.

Marx avait coordonné la prévision de l’assaut révolutionnaire des travailleurs avec les lois économiques du développement capitaliste.

Ceux qui ont révisé le marxisme ont voulu trouver en défaut le système, forts qu’ils étaient du retard d’un siècle où serait notre révolution : en effet, sur la base des conditions nouvelles de liaison et de communication mondiales, Marx en avait prévu une marche plus rapide que celle de la révolution bourgeoise. Ils prétendent donc que ces lois sont fausses et que le devenir le plus récent du régime bourgeois a démenti la thèse centrale suivante : il y a toujours plus de richesse qui s’accumule à un pôle, et plus de misère à l’autre.

Et de citer, depuis cinquante ans, les statistiques de l’augmentation du taux des salaires, de l’augmentation du taux de la variété des produits consommés par l’ouvrier de l’industrie, les résultats de l’énorme machinerie des réformes sociales qui tendent à réagir contre la chute dans la faim absolue des travailleurs chassés du cycle de l’activité salariée, par infortune, maladie, vieillesse ou chômage. Et d’un autre côté, on prétend que l’extension des fonctions de la machine centrale de l’état, sa prétention à contrôler les abus et les excès de la spéculation capitaliste, la distribution à tous des bénéfices et des services sociaux et collectifs équivalent à remplacer les exigences socialistes.

Dans la vision révisionniste, tout cela tend à montrer la possibilité « progressive » d’une distribution toujours meilleure du fruit de la production entre ceux qui y ont participé, en enlisant les puissantes aspirations socialistes dans les marais mouvants d’une campagne d’onctueuse philanthropie pour la sotte expression de « justice sociale » propre au bagage théorique et littéraire d’avant Marx mis en pièces par celui-ci.

Du poème arcadien, le capitalisme fut transporté dans les horreurs de la tragédie de la folle course des monopoles et de l’impérialisme, qui aboutit, en une première issue, à la guerre de 1914, et il est évident qu’aussi longtemps qu’il persiste, vit et croît, croissent et se répandent dans la même mesure la misère, les souffrances et les massacres, sur quoi se reflète un vigoureux retour des partis ouvriers sur les positions radicales et à la bataille qui a pour but la destruction et non l’amendement du système social bourgeois.

Après la nouvelle épreuve, théoriquement encore plus décisive, de la Seconde Guerre mondiale, les années qui nous attendent se posent le grave problème d’une carence de réaction révolutionnaire des méthodes d’action prolétariennes dans le monde.

La loi générale de l’accumulation capitaliste est exposée par Marx dans le Livre I du « Capital », chapitre XXV. Le premier paragraphe explique que le progrès de l’accumulation tend à faire croître le taux des salaires. La diffusion de la production capitaliste sur une grande échelle, comme elle a eu lieu dans l’exemple anglais entre le XVe et la moitié du XVIIIe siècle, et dans le monde entier au cours de la seconde moitié de ce dernier, fait que « les salaires suivent un mouvement ascensionnel » avec une demande d’un nombre plus grand de salariés. Travail en pure perte que de vouloir démentir Marx avec le fait que les salaires des esclaves du capital n’ont pas baissé ! En effet, aussitôt après les mots reportés, Marx écrit :
« Les circonstances plus ou moins favorables au milieu desquelles la classe ouvrière se reproduit et se multiplie ne changent rien au caractère fondamental de la production capitaliste » (éditions sociales, t. 3, p. 55).

Et ce caractère fondamental, la loi générale dont il s’agit, n’est pas déterminé par Marx au travers du seul rapport ouvrier-patron, mais du rapport des deux classes. La composition varie continuellement. Dans la classe bourgeoise, la richesse accumulée se concentre en se répartissant en un nombre de mains toujours moindre et surtout en un nombre toujours moindre de grandes entreprises. Le point d’arrivée de cette perspective est clairement exprimé :
« Dans une branche de production particulière, la centralisation n’aurait atteint sa dernière limite qu’au moment où tous les capitaux qui s’y trouvent engagés ne formeraient plus qu’un seul capital individuel » (ibid. p.68). Engels ajoute en note qu’en 1890 cette prévision de 1874 était vérifiée par les « trusts américains et anglais les plus récents ». Kautsky, le marxiste radical d’alors, répète vingt ans après, que le phénomène s’était répandu dans tout le monde capitaliste. Lénine en développe en 1915 la théorie complète de l’impérialisme. L’école marxiste a les matériaux pour compléter le texte classique avec ces mots :
« … ou aussi de l’état capitaliste nationalisateur, qu’il ait à sa tête des Hitler, des Attlee ou des Staline ».

De l’autre côté de la tranchée sociale, Marx suit, dans cette analyse centrale, comme dans toute son œuvre, non l’oscillation de la marchandise, mais la composition de la population non possédante et sa répartition variable en armée industrielle de réserve. Et il construit sa loi générale en ce sens que, avec la diffusion et l’accumulation du capitalisme, quoiqu’il advienne du taux de rémunération des salariés temporairement occupés dans les entreprises, le nombre absolu et relatif de tous ceux qui restent en réserve augmente et ceux-ci n’ont même pas les produits de leur propre travail.

Dans la quatrième partie du même chapitre, il parvient à l’énonciation de la loi, connue sous le nom de loi de la misère croissante :
« mais plus cette armée de réserve grossit, comparativement à l’armée active du travail, plus grossit la surpopulation consolidée, excédent de population, dont la misère est inversement proportionnelle aux tourments de son travail. Plus s’accroît enfin cette couche des Lazare de la classe salariée, plus s’accroît aussi le paupérisme officiel » (p. 87).
Misère et paupérisme sont, pour l’économiste philistin, le fait de ne pas avoir à manger. Selon le moine catholique cité par Marx (cf. p. 89), la charité y pourvoit, selon les conquistadors modernes d’Amérique, c’est l’UNRA. La misère pour Marx est celle qui fait que, par l’« expansion et la contraction » incessantes de l’entreprise bourgeoise, le Lazare prolétaire entre et ressuscite de la tombe du manque quotidien de moyens, et cette misère croît parce qu’augmente démesurément le nombre de ceux qui se trouvent enfermés dans les barrières de cette alternative : se crever au travail pour le capital ou crever de faim.

L’argument essentiel des révisionnistes de Marx était que celui-ci aurait commencé en cette matière à réviser le Marx de 1848 en écrivant le « Capital ». La preuve qu’ils n’ont jamais rien compris, c’est que dans le « Capital », Marx tient dans ce passage à citer son ouvrage antérieur au « Manifeste » lui-même : la « Misère de la philosophie » écrite contre la « Philosophie de la misère » de Proudhon de 1847. Il note après la phrase « Ce caractère antagoniste de la production capitaliste » (p.88) :
« Ces rapports ne produisent la richesse bourgeoise, c’est-à-dire la richesse de la classe bourgeoise, qu’en anéantissant continuellement la richesse des membres intégrants de cette classe et en produisant un prolétariat toujours croissant » (p. 88).

Ceci est un point central du marxisme, et même le plus central, et il est plus que jamais sur pied dans le cours historique 1847–1874–1849.

Le prolétaire c’est le miséreux, c’est-à-dire le sans propriété, le sans-réserve et non pas le mal payé. La phrase est formulée dans un texte de l’année 1854 de Marx, qui dit que plus un pays a de prolétaires et plus il est riche. Marx définit le prolétaire comme suit : le salarié qui produit le capital et le valorise, et que le capital jette sur le pavé sitôt qu’il devient superflu aux exigences de « Monsieur Capital ». Avec son sens aigu, Marx raille un auteur qui parle du « prolétaire de la forêt vierge ». En fait, l’habitant de celle-ci n’est ni un propriétaire, ni un prolétaire, « parce que s’il l’était, cela signifierait qu’au lieu que ce soit lui qui se serve de la forêt, ce serait celle-ci qui se servirait de lui ».

Le lieu de la pire barbarie est cette forêt moderne qui se sert de nous, cette forêt de cheminées et de baïonnettes, de machines et d’armes, d’étranges bêtes inanimées qui se nourrissent de chair humaine.

Aujourd’hui

La situation de tous les sans-réserve, réduits à un tel état parce que, dialectiquement, ils sont eux-mêmes une réserve, a été terriblement aggravée par l’expérience de la guerre. Le caractère héréditaire de l’appartenance aux classes économiques implique qu’être sans-réserve est chose encore plus grave que d’être sans vie. Après le passage des flammes de la guerre, après les tapis de bombardements, les membres de la classe ouvrière, pas moins que lors de tout autre désastre, perdent non seulement, selon les plus grandes probabilités, leur occupation du moment, mais voient se détruire même cette minime réserve de propriété mobilière que constituent dans chaque logement les pièces de ménage rudimentaires. Les titres de possession survivent en partie à toute destruction matérielle, parce qu’ils sont des droits sociaux sanctionnés par l’exploitation d’autrui. Et pour écrire encore en lettres de feu la loi marxiste de l’antagonisme, il y a l’autre constatation à la portée de tous, que l’industrie de la guerre et de la destruction est celle qui amène les plus grands profits et les plus grandes concentrations de richesses en des mains peu nombreuses. D’autres, qui ne le cèdent en rien, c’est l’industrie de la reconstruction et la forêt des affaires et des plans Marshall et ERP dont les grands chacals sont les dignes administrateurs suprêmes.

Les guerres ont donc jeté, sans possibilité d’équivoque, d’autres millions et millions d’hommes dans les rangs de ceux qui n’ont plus rien à perdre. Elles ont donné au révisionnisme le knock-out. La parole du marxisme radical devait résonner d’une manière terrible : les prolétaires, dans la révolution communiste, n’ont rien à perdre que leurs chaînes.

La classe révolutionnaire est celle qui n’a rien à défendre et ne peut plus croire aux conquêtes avec lesquelles on la trompe dans les époques d’inter-guerres.

Tout fut compromis par l’infâme théorie de l’« offensive bourgeoise ».

La guerre devait donner lieu à l’initiative et à l’offensive de ceux qui n’ont rien contre la classe qui a et qui domine tout. Au contraire, elle fut frauduleusement présentée comme tremplin pour des actions de la classe dominante en vue de retirer au prolétariat des avantages inexistants et des conquêtes dépassées.

La praxis du parti révolutionnaire fut troquée pour une praxis de défense, de protection et de revendications de garanties économiques et politiques que l’on prétendit avoir été acquises à la classe prolétarienne là où elles étaient précisément des garanties et des conquêtes bourgeoises.

Le « Manifeste » avait gravé ce point central, non seulement dans sa phrase finale, résultat d’une analyse de tout le complexe social que des années de luttes et d’expériences avaient développée, mais aussi dans une autre de celles que Lénine définissait comme passages oubliés du marxisme.

« Les prolétaires ne peuvent conquérir les forces productives de la société qu’en abolissant le mode d’appropriation, et avec celui-ci tous les modes d’appropriation en usage jusqu’alors. Les prolétaires n’ont rien de propre à assurer : ils doivent même détruire la sécurité et la garantie privée existant jusqu’ici » (E.S., l962, p. 34).

Pour l’Italie, ce fut la fin pour le mouvement révolutionnaire quand – sur l’ordre de Zinoviev encore vivant – qui paya très cher cette bévue sans remède, on jeta toutes les forces dans la défense des « garanties » telles que la liberté parlementaire et le respect de la constitution.

Le caractère de l’action des communistes est l’initiative, et non la réplique aux soit-disant provocations. L’offensive de classe, non la défensive. La destruction des garanties, non leur préservation. Dans le grand sens historique, c’est la classe révolutionnaire qui menace, c’est elle qui provoque; et c’est à cela que doit la préparer le Parti Communiste, et non au rebouchage, ici et là, de prétendues fuites dans le rafiot de l’ordre bourgeois, qui doit, au contraire, couler à pic.

Le problème du retour des ouvriers de tous les pays sur la ligne de la lutte de classe dépend du fait de retrouver la liaison entre la critique du capitalisme et les méthodes de la lutte révolutionnaire.

Aussi longtemps que l’expérience des erreurs désastreuses du passé n’aura pas été utilisée, la classe ouvrière n’échappera pas à la haïssable protection de ceux qui se vantent de la sauver des prétendues menaces et provocations qui pourraient surgir demain et qu’ils présentent comme intolérables. Il y a au moins un siècle que le prolétariat a devant et au-dessus de lui ce qu’il ne peut tolérer et qui, avec le temps qui passe, deviendra, selon la loi de Marx, de plus en plus intolérable.


Source : « Battaglia Comunista » Nr. 39 – 1949. Traduction incertaine, se reporter au texte original.

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